Traque Nocturne

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Sur Jupitex, une planète calme et boisée colonisée par les terriens.

Revenu d’une mission aussi courte que dangereuse sur la Lune Noire, Kalyx se prélassait sur son lit, dans l’obscurité. Il sirotait du picrate quand son émission de télévision préférée Sexe avec les Stars fut interrompue par un flash info préoccupant :

« Le tueur de cosmonautes a fait une nouvelle victime il y a cinq jours : l’exploratrice Olga Vonteese. On lui doit notamment la découverte d’Entrox 13 et de la nébuleuse d’Arway. Son corps a été retrouvé à son domicile, dans sa baignoire. Elle a reçu pas moins de trente coups de couteau. Le ministère de la criminologie recommande à toute personne qui travaille dans l’espace la plus grande prudence ! Pas moins de cinq cosmonautes ont été tués cette année. Il semblerait que les forces de l’ordre intergalactique soient sur une piste grâce à… »

Un bruit se fit entendre, au rez-de-chaussée. Discret. Presque dérangeant. Comme une porte qui s’ouvre, lentement. Dans un crissement long, pénible. Un crissement qui semble n’en plus finir, à dérouler sa discordance infâme. Un cri-sse-ment.

Non sans inquiétude, Kalyx posa son verre, éteignit la télévision et tendit l’oreille : il distingua très vite des bruits de pas. Le bois ver-mou-lu de sa mai-son cra-quait à chaque fou-lée… de longs sons d’ago-nie len-te qui ne lui dis-aient ri-en qui vaille. Nul besoin de réfléchir outre mesure : il n’était pas seul, et l’étrange visiteur, qui redoublait d’une prudence par trop suspecte, s’ap-pro-chait dan-ge-reu-se-ment de lui en gra-vi-ssant les es-ca-liers.

Kalyx refusa de céder à la panique : en gardant son sang-froid, il était possible de se sortir de toutes les situations, même les plus extrêmes. Cet enseignement lui fut inculqué lors de sa formation « Voyager dans l’espace en toute quiétude » par d’anciens militaires. Qu’il s’agisse d’aliens sournois, d’entités invisibles, de métamorphes, voire d’équipage possédé, il pouvait faire face aux menaces les plus dangereuses de l’univers. Ce n’était pas un quidam qui allait lui faire peur, même armé jusqu’aux dents.

Après avoir enfilé ses baskets, il ouvrit discrètement la fenêtre de sa chambre puis glissa au niveau du rez-de-chaussée à l’aide du tuyau de drainage de sa maison. Une lumière franche balaya le tapis d’herbe sombre qui s’étendait sous ses pieds. Merde, pensa-t-il, j’aurais dû éteindre le poste de télévision !

Malgré cette déconvenue, il tâcha de ne pas paniquer, retint son souffle. Immobile, il attendit que le faisceau lumineux disparaisse pour s’engouffrer dans l’obscurité. Il connaissait les environs comme sa poche. En coupant à travers la forêt, il était capable de se rendre, les yeux bandés, chez Orthan, un collègue qu’il n’appréciait pas particulièrement : son érudition forcenée, sa manie de se mettre toujours en avant, sa logorrhée universitaire intarissable… tout cela le dérangeait ; seulement, dans sa propriété, il serait en lieu sûr.

Alors que Kalyx marchait avec discrétion, une lumière syncopée fendit l’obscurité. Surpris, il se mit à courir. Fit craquer des brindilles. Se cacha. Prudence. Dévala des sentiers boueux. S’échappa de cette lueur tenace. Qui n’avait de cesse de le poursuivre. Se cacha. Derrière un tronc d’arbre. Un rocher. Dans une fougère immense. Maintes fois, il entendit des pas se rapprocher. S’éloigner. Pour mieux revenir. Il commença à s’en inquiéter ; son poursuivant avait de la ressource.

Par mesure de précaution, Kalyx s’empara d’un gros caillou contre lequel il buta et, de là, alors qu’il peinait à maintenir son self-control, une idée lui vint : s’il parvenait à le jeter dans une grotte au nord de sa position, peut-être que son poursuivant s’y engagerait, mieux : s’y perdrait - au risque d’être dévoré par les bêtes des tréfonds !

Kalyx se mit donc à courir, en prenant soin de faire du bruit ; son assaillant se rapprocha dangereusement. Frissons. Adrénaline. Survie. Course. Cache-cache. La pierre jetée, enfin. Ricochet dans l’abîme. Échos. Et l’homme en noir de pointer sa torche vers la bouche d’ombre. De s’y enfoncer, prudemment. Un silence salvateur, profond.

Enfin ! soupira Kalyx.

Il essuya l’abondante sueur qui ruisselait sur son front, puis se dirigea vers la villa d’Orthan d’un pas lent et décidé. Quinze minutes plus tard, il sonna chez son collègue, qui lui ouvrit, emmitouflé dans un peignoir orange, les cheveux en bataille.

« Bonsoir, Orthan. Désolé de vous déranger si tard… Il m’arrive quelque chose d’horrible : je suis poursuivi par le tueur ! mitrailla Kalyx, à bout de souffle, comme paniqué.

- Le tueur… vous voulez dire… le tueur de cosmonautes ? bredouilla Orthan, inquiet.

- Oui ! Lui-même. Aidez-moi, s’il vous plaît ! conjura Kalyx.

- Entrez ! Je vais appeler la brigade…

- Inutile, Orthan. Inutile… soupira Kalyx, heureux d’avoir semé un super-policier, et motivé à jouer avec sa prochaine victime, malgré un timing en sa défaveur. Je crois que je l’ai semé, contentez-vous de fermer la porte à clé et d’éteindre les lumières, si vous le voulez bien ! »

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