Scène 2

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MADEMOISELLE ROSE, MADAME PERVENCHE, puis LORD GRAY

Tous sortent à l'exception de Mlle Rose qui semble inquiète et Mme Pervenche qui file aussitôt vers la bibliothèque. Elle fouille et retrouve son papier, qu'elle relit. Elle paraît désespérée, range le papier et court au secrétaire pour en écrire un autre. Joséphine l'observe, intriguée.

MLLE ROSE : Pervenche ? Tout va bien ?

Pervenche n'interrompt pas sa tâche.

MME PERVENCHE : Si vous saviez, ma chère...

MLLE ROSE : Je peux vous aider ?

MME PERVENCHE : Joséphine, savez-vous garder un secret ?

MLLE ROSE : Oui, mais... Vous me faites peur. Que complotez-vous, tous ?

MME PERVENCHE : Oh, seulement moi. Si vous voulez savoir, il faut que vous gardiez le secret.

MLLE ROSE : Admettons. Je ne dirai rien. Mais vous, pourquoi voulez-vous me le dire ?

MME PERVENCHE : Parce que vous êtes une jeune femme sensée et intelligente et que je n'en peux plus. Il me faut de l'aide.

MLLE ROSE: Je ne suis pas sûre de vouloir savoir, finalement.

MME PERVENCHE: J'imagine que je ne peux pas vous le reprocher. A votre place, j'aurai peur aussi. Est-ce que vous rêvez, la nuit, miss Rose ?

MLLE ROSE : Heu... Eh bien, c'est possible, mais je ne m'en souviens pas. Pourquoi ?

MME PERVENCHE : Vous ne vous souvenez pas d'un homme ?...

MLLE ROSE : Je... je ne sais pas, quel homme en particulier ?

Lord Gray entre. Mlle Rose le toise avec dédain et sort. Mme Pervenche en a profité pour dissimuler son morceau de papier dans sa manche. La porte claque derrière Rose.

MME PERVENCHE : Vous devriez vous excuser.

LORD GRAY : Elle m'en veut à cause de ce que j'ai dit hier.

MME PERVENCHE : Et que lui avez-vous dit ?

LORD GRAY : Qu'elle n'arriverait jamais à la cheville d'Edith et que j'aurai préféré être enfermé avec elle...

Pervenche grimace.

MME PERVENCHE : Et c'est vrai ?

LORD GRAY : Non, non, bien sûr que non, pas du tout ! Je ne pensais pas ce que j'ai dit, je... il enfouit sa tête dans ses mains. A vrai dire, sans Joséphine, je ne pourrais pas supporter la vie ici.

MME PERVENCHE : Alors il faut qu'elle le sache. Vous avez beaucoup de chance d'avoir quelqu'un sur qui vous appuyer dans cette prison.

LORD GRAY : Vous avez raison... Je suis un ingrat.

MME PERVENCHE : Bah, si vous le savez, vous êtes sur la bonne voie.

LORD GRAY : Vous croyez qu'elle me pardonnera ?

MME PERVENCHE : Bien sûr. Selon toute probabilité, elle a l'éternité pour vous pardonner. Et puis elle vous aime.

LORD GRAY : Mais vous, madame Pervenche... Comment faites-vous pour tenir ?

Elle a un sourire las.

MME PERVENCHE : Chacun ses secrets.

Silence.

MME PERVENCHE : Dites-moi, Gray... Est-ce que vous rêvez ?

LORD GRAY : Heu ! Probablement, mais je n'en ai aucun souvenir. Pourquoi ?

MME PERVENCHE : Vous avez de la chance, croyez-moi.

LORD GRAY : Vous rêvez, vous ?

MME PERVENCHE : Parfois trop.

LORD GRAY : Et vous ne voulez pas me raconter ?

MME PERVENCHE : Il vaut mieux que vous ne sachiez pas, mon pauvre ami. Croyez-moi, notre malédiction commune est bien assez lourde à porter.

LORD GRAY : Sans doute avez-vous raison. Vous avez bien du courage, madame.

Il se lève pour chercher un livre dans la bibliothèque ; Pervenche l'interrompt.

MME PERVENCHE : Prenez plutôt celui-ci. Celui que vous tenez est d'un ennui mortel.

LORD GRAY : Vous le connaissez tous ?

MME PERVENCHE : J'ai passé des heures dans cette bibliothèque. J'ai dû tous les lire au moins une fois. Je ne me souviens pas de tous, mais celui-ci est excellent et je ne risque pas de l'oublier.

LORD GRAY : Merci bien... Dites-moi, madame...

MME PERVENCHE : Quelque chose vous tracasse ?

LORD GRAY : C'est Rose. Hier, elle parlait avec Miss Pêche et ce matin, elle a eu comme un pressentiment de sa mort... Cela m'inquiète. Elle continue à dire que ce n'était qu'une intuition, mais je n'y crois pas entièrement. Et si elle en savait plus qu'elle ne veut bien le dire ? Ou si Amelia lui avait révélé quelque chose ?...

MME PERVENCHE : Vous n'avez pas confiance ?

LORD GRAY : En Joséphine, si. En mademoiselle Pêche, je ne suis pas sûr. Je n'irai pas jusqu'à insinuer qu'elle ait une part de responsabilité dans notre situation, mais...

MME PERVENCHE : Je ne crois pas qu'Amelia ait quoi que ce soit de malveillant. Mais c'est une jeune femme pleine de ressources, prête à tout et déterminée à quitter cette cage. Est-ce cela qui vous fait peur ?

LORD GRAY : Que voulez-vous dire ?

MME PERVENCHE : Ce qui vous gêne, c'est qu'elle pourrait réussir, pas vrai ? En fin de compte, vous ne voulez pas quitter ce manoir. Vous préféreriez rester ici dans votre petite routine, avec Joséphine...

LORD GRAY : Comment osez-vous ? Edith...

MME PERVENCHE : Edith n'est qu'un mirage et vous le savez ! C'est précisément pour cela que vous ne voudriez pas que Pêche ait trouvé une solution. Cela vous forcerait à affronter la réalité et à constater que vos chimères se dissipent en fumée. C'est tellement plus confortable de rester enfermé ici à se bercer d'illusions sur l'extérieur. Je me trompe ?

LORD GRAY : Vous êtes odieuse ! Comment pouvez-vous...

MME PERVENCHE : N'ai-je pas raison ? Vous vous êtes inventé un passé, une femme à retrouver, et vous avez peur que tout cela ne s'effondre et vous laisse devant la vérité, cette terrible vérité : notre absurdité, à tous. Tant que nous restons ici, vous pouvez raconter ce que vous voulez.

LORD GRAY : Taisez-vous !

MME PERVENCHE : Voilez-vous la face tant que vous voudrez. Vous savez que j'ai raison.

LORD GRAY : Vous êtes complètement folle.

Pervenche reste silencieuse un moment, comme si elle réfléchissait sérieusement à cette éventualité.

MME PERVENCHE : Excusez-moi, lord Gray. Je n'aurai pas dû vous le reprocher. C'est normal que vous ayez peur. Je ne devrais pas juger votre façon de résister à la folie qui nous guette tous. Je suis désolée. Ces cauchemars...me hantent. Je ne contrôle plus mes nerfs. Pardon.

Elle se lève et va pour s'en aller, mais hésite et finit par se retourner.

MME PERVENCHE : Songez-y, lord Gray... Peut-être vaut-il mieux ne pas sortir de la cage.

Elle a encore un moment d'absence, puis lui adresse un sourire exagéré qui ne trompe personne.

MME PERVENCHE : Allez, filez lui parler.

Elle sort. Lord Gray hésite un instant, mais s'installe et ouvre le livre que lui a conseillé Pervenche.


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