19. Tu m'as roulé dans la farine, Meunier!

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Après un temps indéfini, Fanny entraine Jules à l’écart :

  •  On va le laisser un peu seul là, je pense. Alors tu vas faire quoi ?
  •  Je sais pas je dois réfléchir, je dois en parler à mon patron.
  •  Et Bastien ?
  •  Je vais lui chercher un avocat. Il devra porter plainte contre elle aussi. Et tout ça… ça va être long et douloureux, il va devoir raconter, ça sera pas facile, ce sera peut-être publié dans la presse comme il y a tentative d’homicide…
  •  Tu as une idée pour l’avocat ?
  •  Je dois réfléchir.

Il les quitte, et appelle Amandine sur le chemin :

  •  Alors qu’est-ce que je dois faire à ton avis ?
  •  Tu dois l’aider.
  •  Je dois en parler à Legall.
  •  Ok, mais trouves lui un avocat, et n’en parle pas tout de suite à Maitre Raymond. D’ailleurs, je fais quoi avec lui ?
  •  Je sais pas trop… j’arrive, on en discute.

Il arrive à l’agence, Legall n’est pas là. Il raconte en détail à Amandine tout ce que Bastien vient de lui raconter. En parallèle, Amandine pianote sur son ordi :

  •  Je confirme : le syndrome de Münchhausen par procuration ! C’est une putain d’espèce de manipulation, c’est un enfer ce truc, elle était ravagée la mère.
  •  Belle mère.
  •  Ouais c’est pareil, cinglée.

Nouveau rugissement de la corne de brume. "Putain, elle est naze ta sonnerie !" Jules décroche :

  •  Allo jules !
  •  Allo ?
  •  Ça y est !
  •  Quoi ça y est ??
  •  Elle est morte !
  •  Qui ça ?
  •  Van Loewen !
  •  C’est pas possible, le médecin à l’hosto, il m’avait dit qu’elle allait se réveiller…
  •  Ben la médecine, c’est pas une science exacte parce qu’elle est morte ! C’est l’hosto qui vient d’appeler Bastien. Mais… t’es allée la voir à l’hosto, toi ??...
  •  Ben oui, je suis enquêteur je te rappelle.
  •  Ouais bon, enfin, elle est morte pour de bon cette fois. Bastien a l’air soulagé finalement. Il veut aller se dénoncer. On fait quoi à ton avis ?
  •  Non, ne fais rien. Dis-lui de ne rien dire !
  •  Mais les flics vont surement le rappeler aujourd’hui ! S’il se dénonce, faut que tu l’aides, comment tu vas faire
  •  Non attends, tu me fais confiance, Fanny ?
  •  … Oui, je suppose.
  •  Alors attends, j’ai un truc à faire, dis à Bastien de ne rien dire pour l’instant. Je te rappelle dans 1 heure, non, plutôt deux, le temps d’y aller...
  •  Faire quoi ?
  •  Je te dirais plus tard, fais-moi confiance.

Il raccroche et dit à Amandine : vas-y fais-le, lance le programme. Je vais le voir dans son cabinet.

  •  T’es sûr ?
  •  Oui vas-y, je suis sûr !
  •  Et tu vas lui dire quoi ?
  •  Tout !
  •  Putain, fais gaffe quand même !... La dernière fois, ça s’est mal passé, tu te souviens ?
  •  Ouais, je le sens encore, la vache, je vais me le faire cet enculé !
  •  Hein ?
  •  Verbalement je veux dire, t’inquiètes.
  •  Je suis pas ta mère, c’est juste par souci professionnel.
  •  Ouais, bon vas-y, lance le programme au lieu de parler.

Il va chanter le ténor ! pense Jules. La veille, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient avec Amandine. En fin de journée, après des heures fastidieuses à compulser des mails ennuyeux ou inintéressants, il a enfin trouvé : tous les échanges que le ténor du barreau a eu avec son amante Françoise Van Loewen. Elle y raconte librement dans un style parlé toutes ses réflexions, ce qu’elle veut faire et ce qu’elle demande à l’avocat.

Elle possède des parts en son nom propre, qu’elle a héritées de son mari. Environ 40%. Mais les deux enfants en possèdent aussi, chacun 20%, soit 40% à eux deux, autant que leur belle-mère, équilibre dissuasif. En revanche si elle discrédite Bastien, elle peut le mettre sous tutelle et disposer des droits sur ses parts en devenant sa responsable légal, c’est possible comme elle l’a élevé comme si c’était son fils. Elle aura donc 60%, soit largement plus que la majorité absolue. Les 20% restants appartiennent à différents ayants droits, soit de la famille soit d’autres salarié, pour quelques pourcents maximums par tête de pipe. Elle a même réussi à en transférer 1% à Maitre Raymond, on ne sait pas trop comment. En septembre, elle écrit un de ses derniers mails :

La procédure est en bonne voie, grâce à toi. D’ailleurs, j’ai finalement accepté le rendez-vous avec Bastien en fin de semaine, dans un restau au bord du canal. Il veut absolument me voir, je ne sais pas pourquoi. Ce garçon est gentil, mais vraiment paumé, tu ne te rends pas compte. C’est moi qui l’ai quasi éduqué seule, je le sais bien, je pense qu’il m’en est reconnaissant même si on dirait qu’il a 10 ans d’âge mental. Une fois, on était parti en camping un été avec son père, il était tellement obéissant que quand je lui ai demandé de balayer l’intérieur de notre tente, sur le sol en herbe, il l’a fait sans se poser de questions : ça lui a pris 1 heure… balayer de l’herbe c’est pas évident… donc je peux le reprendre sous ma coupe… Faut juste que j’arrive à le sortir de l’influence de sa sœur… comme ça elle m’emmerdera plus celle-là, elle est à moitié tarée aussi celle-là, mais plus intelligente.

Une fois que je l’aurai mis sous tutelle, je deviendrai majoritaire et c’est moi qui déciderais. La boite marche très bien en ce moment. Je t’associerai petit à petit, mais faut que tu me bordes tout ça judiciairement. Prépare-moi tous les papiers et samedi matin je t’amènerai ta surprise au petit déjeuner, directement au lit.

  •  Je connais votre vie, Maitre, je sais tout de vos manigances.

Maitre Raymond a laissé parler Jules d’une traite. Après cette longue explication, il le regarde sans réaction, le visage serein :

  •  C’est tout ce que vous avez trouvé mon petit gars ? Mais tout ce que vous venez de me dire est légal. Une cliente, par ailleurs amie, et même si vous voulez amante, ça ne change rien à l’affaire, me demande de l’aider à rédiger des documents juridiques pour reprendre la majorité de sa société. En faisant mettre son beau-fils à moitié neuneu sous tutelle. Cela n’a rien de choquant, et passerait sans problèmes devant un juge. Même si ce juge n’était pas un de de mes amis, haha ha ! C’est tout ce que vous avez !?
  •  Il y a aussi des échanges de mail avec vous, où elle explique qu’elle a bien signé les documents envoyés. Si jamais il lui arrive quelque chose, son décès par exemple, vous pourrez disposer de ses parts. Et ce serait un bon motif pour vous de l’avoir trucidé…
  •  Oui mais je ne l’ai pas tué, et tu le sais très bien petit con ! C’est toi qui m’as montré la vidéo, la fille était là, c’est elle qui l’a tué un point c’est tout. Par vengeance, par folie, elle a déjà à moitié tué un gars une fois, souviens toi. Ce sera rapide de faire porter les soupçons sur elle auprès des flics, crois-moi.
  •  La vidéo ne prouve rien. Juste qu’elle était là. Il n’y a aucune preuve. Et Bastien était enfermé au SPASM. Mais même s’il avait été présent, on n’arrivera rien à lui faire dire dans son état. Voire, son témoignage pourrait être invalidé pour les raisons mêmes pour lesquelles elle voulait le faire mettre en tutelle. Rappelez-vous, il est neuneu !
  •  T’inquiètes, j’en fais mon affaire des flics, je vais leur filer la vidéo.
  •  Vous avez signé un papier.
  •  Tu crois que ça va m’arrêter, je la ferai transiter par quelqu’un d’autre, t’es vraiment naïf, tu crois qu’une signature en bas d’un bout de papier m’empêche de faire ce que je veux !? Ha, mais la justice c’est moi !

Jules baisse la tête et a des soubresauts de tout le haut de son corps. Il a l’air dépité.

  •  Ne pleure pas petit, tu ne peux pas gagner contre moi, je suis plus fort voilà tout, on ne va pas en faire un fromage, et puis cette fille… bon tu en retrouveras une autre.

Jules finit par relever la tête, hilare, et ne maitrise plus son fou-rire. Il hoquète en pleurant presque.

  •  Quoi, quoi ! dit l’autre.

Petit à petit Jules reprend son souffle et répond difficilement :

  •  La vidéo…
  •  Quoi la vidéo ?
  •  On l’a effacé de votre ordi ! On a tout effacé, il n’y a plus rien, vous n’avez rien !
  •  Quoi, Quoi !?... Comment ?
  •  Couic, Couic ! Piraté !
  •   Mais… mais je vais porter plainte contre toi, pour piratage, tu vas voir moustique, je vais t’écraser !
  •  Mais quel piratage ! Quelles preuves !? Vous n’avez rien, nada, nib, peau de balle !
  •  Espèce de petit saligaud, je vais trouver, tu vas me le payer ordure !
  •  C’est vous l’ordure, confondez pas les rôles. Et puis, je vais vous dire un truc : tout le monde s’en tape de cette bonne femme ! A propos, vous n’êtes pas au courant ? L’hosto a appelé Bastien. Elle est morte ! Et puis on pourrait aussi porter plainte contre vous, c’est vous qui organisiez ces partouses quand il était mineur ! Alors tiens, moi aussi, je vais vous donner un conseil d’homme à homme : cessez de vous la jouer, de prendre vos grands airs de baveux … vous êtes un ténor, et toute votre vie, vous avez chanté à tue-tête ! Et bien dansez maintenant !
  •  Putain, tu m’as roulé dans la farine, Meunier ! Casse-toi petit, avant que je m’énerve, dit-il en se levant et en gonflant son énorme ventre.
  •  Vous vous prenez pour un affranchi, vous êtes juste un pourri ! Sans vos hommes de main, vous êtes rien ! D’ailleurs j’ai déposé plainte contre eux… si jamais il m’arrive quelque chose à moi ou à Fanny, ça remonte à vous direct. Il se lève aussi et le défie du regard.

Un silence malaisant où il entend respirer le gros avocat. Après quelques instants, il ne se passe rien. Jules sourit et s’en va d’un pas tranquille. Quand il sort sur le palier, il tombe face aux deux molosses de l’autre fois… Baston ou pas Baston ? Suspens : Jules les toise, ils ne bougent pas, ils fixent leur chef d’un air interrogatif. Il suffirait d’un geste. Que le gros ne donne pas. Il fulmine, mais il a perdu. On dirait qu’il bave comme un bouledogue perdu dans ses pensées. Ses deux hommes de main attendent. Ils se regardent avec Jules en chiens de faïence… Le plus petit des deux, celui à la casquette, fait mine de lever la main… Jules ferme les yeux. Mais il ne fait que soulever sa casquette pour se gratter la tête. Il est plus petit mais plus épais aussi. Le grand chauve dit alors entre ses dents et Jules peut sentir son haleine de chien de garde mal nourri : Dégage !

Jules ne demande pas son reste, il dévale les escaliers en courant. Dehors il peut siffloter, et sur le caniveau, d’un seul coup, ça le reprend, il vomit. Dépose à nouveau une gerbe devant l’entrée de Raymond. Ça le soulage en fait. Et il sourit. Un passant le regarde, dégouté. « Fuck le Parc Monceau ! » crache Jules en partant d’un air soulagé.

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