14. Elle va sortir du coma?

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Dans la cour de l’hôpital Lariboisière, Jules tourne la tête en tous sens et ne sait pas trop où se diriger… On dirait un cloitre, et il se sent un peu perdu. Il a accroché son vélo dehors à une grille, et déambule comme un touriste dans ce lieu qui ressemble plus à un monastère qu’à un hôpital. Enfin, s’il n’y avait pas tous ces gens aussi perdus que lui. Et d’autres en blouse blanche ou verte, qui passent parfois en courant, sans s’arrêter.

Il réussit finalement à trouver un guichet qui lui donne les renseignements. Il parcourt des couloirs et des escaliers. Avec la sensation de se retrouver dans une architecture construite à partir des dessins de MC Escher où des trompe-l’œil donnent l’impression que l’on monte un escalier qui a l’air de descendre pour atteindre un autre escalier montant et ainsi de suite.

Arrivé devant la chambre B414, il entrouvre la porte avec circonspection. Partout dans l’hôpital, ça sent les produits antiseptiques et la javel. Ici, ça sent la naphtaline. Dans la chambre, aucun bruit, sinon cette respiration asthmatique. Jules se rapproche. Les soufflements et sifflements proviennent d’une machine dont les tuyaux sont branchés sur un corps allongé sur un lit. Immobile. Ou presque, on voit le torse qui se soulève et redescend en cadence avec la respiration de la machinerie. D’autres appareillages sont branchés sur le corps inerte. Jules saurait à peine les décrire. Un goutte-à-goutte surplombe le tout comme un gibet de potence. Alors que sa substance permet justement de maintenir en vie.

Il aperçoit un visage abimé et encore bleui par les coups. Il vérifie le nom sur le lit : Françoise Van Loewen. Bonjour, lui dit il en silence, on ne vous a pas raté. Qui peut vous en vouloir autant pour avoir usé d’une telle violence ? C’est l’œuvre de quelqu’un qui s’est acharné sur elle. Pas simplement quelqu’un qui a donné un coup par réflexe ou par peur, ou pour se débarrasser d’un importun. L’agression n’est pas due à un vol d’ailleurs. Son sac à main n’a pas été retrouvé, mais ça ne veut pas dire grand-chose.

Jules ne sait pas très bien ce qu’il est venu faire ici au juste. Trouver des indices ?... S’imprégner de l’ambiance ? Communiquer avec la victime ? Il a beau être un gratteur, il ne sait pas trop ce qu’il est venu gratter ici. Il regarde le carré de ciel encadré par la fenêtre dehors mais la grisaille ne lui donne aucune indication supplémentaire.

Il se dit qu’il va repartir et passer son temps libre à faire autre chose qu’enquêter sur une affaire qu’on lui a retiré. Il n’est pas responsable de toute la violence du monde et la vérité est un idéal qu’il semble bien seul à vouloir atteindre.

Une voix l’interpelle soudain : "Hé, qu’est-ce que vous faites ici, vous ?"

Il se retourne, surpris, mais ne trouve rien à répondre. Il n’a pas prévu de laïus pour expliquer sa présence ici. L’infirmière le toise, une main sur les hanches, l’autre sur la porte. Son regard lui dit de partir. Jules ne bouge pas et va pour lui dire qu’il est enquêteur privé et qu’il vient ici pour solliciter des renseignements médicaux. Mais il n’a pas le temps de sortir sa phrase qu’une autre vient l’interrompre :

  •  Ah vous êtes Bastien Van Loewen, son fils !? Eh bien, ça fait plusieurs jours qu’on essaye de vous joindre sans succès, vous n’aviez pas l’air pressé de venir voir votre mère ?

Un homme, en blouse blanche, pousse presque l’infirmière pour rentrer dans la chambre. Un badge accroché à sa poitrine indique son nom : Dr Martinez.

Jules le fixe, interloqué. Il bredouille oui, non, désolé, c’est-à-dire… Il comprend la méprise du médecin et décide de s’en servir.

  •  C’est-à-dire qu’en fait, je ne suis pas indépendant, j’habite dans une institution, le SPASM… Et je n’ai pas le droit de sortir tous les jours… vous connaissez ?
  •  Ah, oh, euh, oui… bredouille à son tour le médecin, confus, je connais cet établissement, je suis désolé, je ne savais pas…

Jules le regarde avec un petit sourire contrit. Il surjoue son rôle d’idiot congénital. Il n’a pas l’impression d’avoir à se forcer. Il comprend ainsi que Bastien n’est encore jamais venu rendre visite à sa mère à l’hôpital depuis son admission. C’est quand même assez étonnant... En plus, Bastien est tout à fait libre de sortir. Et il n’est pas venu en 2 semaines de temps ! Je suis venu voir ma mère là, vous pouvez me dire ce qui va lui arriver là ? Elle va revivre ?

  •  Eh bien, eh bien, oui, elle vit encore en fait là ! Le Dr Martinez, passé sa confusion initiale, reprend son air de sachant. Elle est même beaucoup mieux que lors de son arrivée.

Il lui explique l’ensemble des actes qu’ils ont effectués pour la sauver en drainant son sang, et s’en attribue tout le mérite, étant donné l’état dans lequel elle est arrivée ici, surtout en étant restée plusieurs heures immergée dans l’eau. Si je n’avais pas été là lors de son admission, je doute que nous serions ici à parler d’elle au présent. Bref, elle est non seulement sauvée, mais désormais son état s’est notablement stabilisé. Je dirais même, avec toutes les précautions d’usage qu’elle est en train de revenir et qu’elle pourrait sortir du coma dans les prochains jours. Ce n’est pas une prédiction, mais toutes ses constantes se sont améliorées, et les infirmières ont noté qu’elle avait eu des réactions sur le visage à l’occasion de certains stimuli. Elle a même ouvert brièvement les yeux à un moment. Je peux donc vous dire qu’elle a 60% de chances de se réveiller prochainement. On ne peut pas prédire quand, mais les signes sont plutôt encourageants.

  •  Ah bon ? dit Jules, réellement surpris. Je vais pouvoir lui parler ?
  •  N’allez pas si vite en besogne, on ne peut pas vraiment prédire lorsque le cerveau a été touché, néanmoins les lésions ne concernent pas le centre de la parole. Je dirais donc qu’il y a de bonnes probabilités que oui, sous toutes réserves.
  •  Alors elle pourra aussi nous dire ce qui lui est arrivé ?
  •  Si elle se remet à parler, techniquement oui, sauf si elle a perdu la mémoire. Je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs, en tant que médecin. Cependant, ses chances de recouvrer l’usage de la parole sont intactes, si c’est ce que vous voulez savoir, rien n’a été abimé.

Jules lui renvoie un demi-sourire forcé. Comme s’il ne comprenait pas tout et devait faire un effort. Puis, il ouvre la bouche et son visage s’éclaire : alors je vais revoir ma maman, c’est vrai ! ? Il prend le médecin dans ses bras et l’étreint fortement.

Ce dernier, gêné, se dégage doucement de cette effusion, en essayant de ne pas brusquer ce garçon bizarre. Nous vous téléphonerons dès que nous aurons du nouveau. Pour être certain, comme vous n’avez jamais répondu auparavant, votre numéro est bien celui-ci. Il lui énumère un 07, et Jules prend note mentalement du numéro de Bastien. Il acquiesce de la tête, pour finaliser son rôle.

Avant de sortir de la pièce, sous le regard mitigé du médecin.

Jules a bien fait de passer. Il connait désormais le numéro de portable de Bastien. Et surtout, il a appris que la victime allait peut-être sortir du coma… Ce qui signifie qu’elle va pouvoir raconter ce qu’elle a vu… Et ça, ça change tout… Et même si elle ne dit pas tout, ça peut lui donner un levier pour découvrir ce qui s’est passé : un moyen de pression sur Fanny. Voire sur Bastien, s’il arrive à ne pas le braquer… Et même sur l’avocat, qui sait ? Il n’a pas l’air aussi innocent que cela… Il avait même un intérêt pour récupérer ses parts dans l’entreprise…

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