Au nom de la Rose [3/4]

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  Un an et demi plus tard, Lily passa avec brio les tests des cinq sections et reçut en récompense l’autorisation de retourner dans sa famille avant le début de sa mission. Les Vieilles-Mères lui ouvrirent un portail de transport et lui donnèrent leur bénédiction. La nuwë les remercia chaleureusement puis s’élança à travers la barrière de lumière.

  À son arrivée, il y eut des cris de joie, de la musique et des embrassades. Une fête avait été organisée en son honneur. Toute la ville était conviée pour célébrer le grand retour de la fille du maire. Lily ne sut plus où donner de la tête.

  Son premier réflexe fut de demander des nouvelles de sa famille. Il n’était pas rare que les nuwës se dévorent entre eux pendant les festins nocturnes, quand il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde. Lily était partie presque un quart de siècle. Une broutille pour leur race tant que le soleil rayonnait, une éternité pour eux tant que la lune croissait et décroissait dans la nuit.

 « Ton oncle Killian s’est fait démembrer par ton cousin il y a quatre ans, lui raconta sa mère. Du coup, il a repris la boutique et a réussi à s’exporter en Léovie. Il attend les autorisations pour ouvrir une boutique directement là-bas. Ils ont renforcé les contrôles, mais j’ai pu lui obtenir un collier de niveau supérieur.

 — Les affaires marchent bien ?

 — Oui, très bien. Nos tissus sont très appréciés des cours royales et des grands bourgeois. Il parait que plusieurs princesses ont commandé des robes. J’ai hâte que nous y travaillions.

 — Cela fait un moment que je n’ai pas cousu.

 — Reprenons ensemble. Cela m’a manqué de broder avec toi.

 — Cela me ferait plaisir. »

  Les jumeaux arrachèrent la benjamine des bras de leur mère en la taquinant. Ils prirent un malin plaisir à encadrer Lily en la couvrant d’attentions.

 « Laisse-la respirer, maman ! Elle vient de rentrer.

 — Nous aussi on veut en profiter !

 — Un baiser !

 — Un câlin !

 — Ma sœur chérie ! »

  Lily ne fit que rire du comportement de ses frères. En l’entraînant dans un coin plus calme, ils la questionnèrent ardemment pour tout savoir du mystérieux clan de la Rose. Elle esquiva la plupart des interrogations pour leur faire changer de sujet. Ils tombèrent finalement d’accord sur une seule demande :

 « As-tu rencontré ta future belle-sœur ? »

  La benjamine se mit à rire de plus belle puis accorda à chacun un baiser sur la joue et une caresse. Elle pourrait bien leur présenter quelques demoiselles. Après tout, ils étaient largement en âge de se marier et de fonder une famille. Ils lui firent promettre de tenir parole avant de la relâcher.

  Heureuse d'être rentrée à la maison, Lily profita de la fête sans penser au lendemain. Pleine de joie et de grâce, elle virevolta de conversations en salons toute la journée. Le soir approchant, tout le monde se dirigea vers les fosses fortifiées à l'extérieur de la ville.

  Le soleil couchant apporta son lot de couleurs chatoyantes sur les colonnes naturelles qui marquaient la frontière avec la Symarie, bien différentes de la froideur des montagnes du Dumlandcast. Lily revenait à ses racines, retrouvait son état naturel. Elle sentit son sang battre plus fort dans ses veines à la perspective de ce qui allait suivre. Cela lui faisait un bien fou.

  Quand vint la transmutation générale au dernier rayon du soleil, Lily couva sa famille et les invités d'un regard plein de bienveillance. Elle trouva une profonde sérénité dans le lâcher-prise collectif. Il n'y avait aucun jugement. Chacun libérait sa créature pour la sustenter et la calmer jusqu'à la nuit suivante. Personne n'avait besoin de lutter ni de se préoccuper de la sécurité des autres. Chacun connaissait les risques et tout le monde les acceptait. C'était la loi de la horde.

  La plupart des habitants d'Argilia ignoraient que la vie nocturne des nuwës était susceptible d’apparaître n'importe quand. Lily et les siens faisaient preuve d'un immense contrôle la journée pour ne pas céder à leurs pulsions, c'était une question d'honneur et de dignité. Aucun nuwë n'avait demandé à subir des instincts plus forts que la raison.

  Toutefois, la nuit venue, ces pulsions devenaient trop puissantes, leur appétit trop féroce. Garder la nunoctis enfermée, c'était prendre le risque de se faire lacérer de l'intérieur par une créature qui deviendrait incontrôlable à sa sortie. Un adage local disait que garder la bête à l'intérieur sans la nourrir menait à la folie. Il y avait de la vérité dans ces paroles. Il existait des colliers de contention qui permettait d'endormir la nunoctis le soir, pour vivre à l'étranger principalement, mais son usage sur le long terme n'était pas conseillé si l'on souhaitait garder sa santé mentale intacte.

  Avec les Vieilles-Mères, Lily avait appris à alimenter sa part nocturne par d'autres moyens, mais ce n'était pas comparable à la libération totale. Quand elle lâcha prise à son tour, ce fut une jouissance avant même d'avoir attrapé sa première proie de la soirée. Elle sentit l'énergie de la lune la remplir et respira avec délice les effluves de chair fraîche et de peur. Les fosses étaient pleines ce soir. Ce serait une merveilleuse nuit.

  Les grilles furent ouvertes et les nunoctis se jetèrent sur la nourriture. Certains effrayèrent les proies pour les rendre plus savoureuses. D'autres les lâchèrent dans la ville avant de les pourchasser. Lily était des plus joueuses et des moins partageuses. Son entraînement dans les montagnes lui avait prodigué plus de force et d'endurance. Les plus grosses proies ne résistèrent pas longtemps à ses griffes, et encore moins à ses crocs, bien qu'elle joua un certain temps avec plusieurs d'entre elles.

  Lily se nourrit avec les siens toute la nuit et se réveilla au petit matin couverte de sang, totalement revigorée. La chasse avait été excellente. Elle s'étira comme un petit chat puis récupéra la fourrure de sa dernière proie pour ne pas rentrer nue. Ce n’était pas le médaillon d’Öse qui allait lui tenir chaud.

  Sur le chemin, elle salua amicalement ses contemporains. Ils étaient tous couverts de sang, plus ou moins habillés des haillons de la veille ou comme elle enroulés dans le premier vêtement de fortune venu. La plupart se dépêchaient de rentrer pour participer au nettoyage de la ville. Les premières heures de la journée étaient destinées à cela. Aucun commerce n'ouvrait avant que tout soit nettoyé. La chasse avait tendance à laisser pas mal de traces. L'ennui si rien n'était fait, c'était la putréfaction. Les citoyens avaient voté pour éviter les odeurs et les maladies, donc chacun y mettait du sien pour garder les rues de la ville et ses environs dans un état décent de propreté.

  Tout en remontant vers l'hôtel de ville, Lily aida à sa mesure. Elle nettoya les débris de la nuit sur lesquels elle tombait. Os, restes de peau, tendons et viscères furent rassemblés dans des corbeilles prévues à cet effet, disposées dans toute la ville. Tout serait ensuite collecté, trié et transformé en divers produits. Les nuwës cultivaient l'art de ne rien gaspiller.

  Sur le parvis de la mairie, Lily s'inclina avec respect devant la statue d'Öse Silen Daithe, autrement nommée la Reine-Argent, son ancêtre. Ses frères lui avaient souvent fait remarquer qu'elle lui ressemblait. La nuwë commençait à y croire. À présent, elles avaient avec certitude deux choses en commun : le Don et la Relique.

 « Lily ! »

  Interrompue dans son recueillement, la jeune fille se tourna vers sa mère. Mathilda était déjà changée et rayonnante. Lily avança vers elle en souriant.

 « J'espérais que tu ne serais pas partie trop loin. Tu te souviens la fois où ton oncle a dû aller te chercher au bord de l’océan ? On pensait que quelqu'un t'avait dévorée. Enfin ! Tu as toujours été plus maline que les autres, ajouta-t-elle fièrement avant de changer de sujet. Je t'ai fait couler un bain. J'ai aussi préparé une robe et les coiffeuses t'attendent. Mais on va commencer par le bain. Tu en as bien besoin. Tu avais bon appétit hier, c'est l'air des montagnes ?

 — Probablement, répondit la jeune fille avec simplicité. Je n'avais pas chassé sans laisse depuis un moment. »

  Trop heureuse de retrouver sa fille, Mathilda la prit par le bras et Lily posa tendrement sa tête sur son épaule. Elles partagèrent un petit moment mère-fille avant que Lily ne s'active et se rende présentable avec l'aide des employées de maison.

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