Le cinquième soleil

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La Roadmaster 1949 s’engagea sur Stradella Road en faisait ronronner le V8. La décapotable semblait sortie d’un film des années soixante avec sa carrosserie rouge éclatante et les chromes qui étincelaient. Derrière le volant, le lieutenant Zaniyah Véga appréciait ce moment de calme, profitant du vent frais sur son visage. La matinée avait à peine commencé et, déjà, l’air miroitait sous l’effet de la chaleur.

Tout en longeant les résidences de Bel Air, désertes pour la plupart, elle observait la cité des Anges. Par endroit, des fumées s’élevaient, stigmates du dernier séisme. Les Angelins étaient habitués à ces évènements, mais durant les dernières semaines chacun d’entre eux avait été plus fort que le précédent.

Les coupures d’électricité avaient donné lieu à des pillages. Désormais, la peur paralysait la ville. Les plus aisés – ou ceux ayant de la famille loin de la ville – fuyaient, les autres se résignaient.

La Cité des Anges attirait les foules par sa lumière, le rêve américain, devenir riche et célèbre. Rien qu’une image, une illusion.

Véga l’avait appris à la dure : combien d’anges s’étaient brûlé les ailes ? Les rues de la ville étaient envahies de rêves brisées, de souffrance, gangrenées par les gangs et la drogue. Sur les hauteurs, les somptueuses résidences de l’élite narguaient les recalés du système qui tentaient de survivre.

Exclusion sociale, repli communautaire, pauvreté. Zaniyah se remémora Frank Lloyd Wright : « Penchez le monde sur un côté et tout ce qui ne tient pas très bien glissera vers Los Angeles. ». Dans l’ombre des ailes déployées de ces anges méprisants, les habitants luttaient pour survivre. Les plus chanceux s’offraient des capsules de 3 m² pour 800 dollars par mois. Pour les autres, c’était la rue, la violence et la peur.

« J’ai une pile de dossier d’homicide qui comblerait San Andréas mais un gars de Bel Air meurt et y a plus que ça qui compte… »

Véga enfonça la pédale, libérant les 300 chevaux de la bête pour fuir ses pensées, déchirant le silence avec le rugissement du moteur. Une dizaine de minutes plus tard, la Buick s’engageait dans une allée bordée d’arbres. Profitant des derniers instants de calme, le lieutenant s’enivra de l’odeur de la nature environnante. Des fragrances de résine se mêlaient à celle des épines chauffées par le soleil et des pavots éclatants de couleurs qui envahissaient le sous-bois.

Il y avait déjà foule : les véhicules du légiste et des collègues encombraient l’espace devant la maison. C’était le genre d’endroit qui avait rempli les rêves de Zaniyah autrefois, mais qui avait fini comme ses histoires : volés ou enfouis loin, profondément. Désormais, elle vivait sa vie au lieu de ses rêves, sans être certaine d’avoir fait le bon choix en y renonçant, questionnant son reflet chaque matin sans obtenir de réponse.

« L’avantage c’est qu’après une nuit blanche, t’as pas à te le demander… »

« Hey, Fancy ! »

« Salut Poole ! »

La voix du détective Poole, reconnaissable entre toutes avec son timbre grave et éraillé, domina le bruit ambiant. Il s’agitait sur le pas de porte. C’était un vieux de la vieille qui avait commencé comme patrouilleur. Elle avait développé une certaine affection pour ce vieux flic solide comme un roc à l’inoubliable moustache drue qui lui avait appris un paquet de ficelles.

« On a commencé sans toi, je te fais faire le tour ? Je t’ai gardé un café, mais il est plus très chaud.»

Il lui tendit un gobelet. Sa chaleur avait fui depuis longtemps en effet, mais l’intention comptait et, même froid, un café restait un café. Il l’entraîna à sa suite tout en la briefant.

« On est chez Alexander Sevilla. Les agents de la compagnie d’électricité l’ont trouvé cané ce matin. Ils venaient pour s’occuper du pylône qu’est tombé sur sa propriété, ça a coupé le jus dans la moitié de Bel Air. »

« Attends… Alexander Sevilla ? Comme le directeur du Los Angeles County Museum of Art, le conseiller en art de la ville, expert en histoire méso-américaine ? »

L’ordure de trafiquant d’art ? Le salopard qui volait la mémoire des peuples ? Zaniyah avait été à rien de le coffrer, mais ce fumier avait des contacts capable de la faire virer du FBI, l’accusant de harcèlement et d’obsession….

« Ben… ouais. »

Vega emboîta le pas du vieux policier. Autour d’elle, la demeure dévoilait ses trésors, peintures, vases et statues. Des merveilles de l’art méso américain, des pièces rares témoignant la splendeur d’une civilisation désormais éteinte. Tout ici coupait le souffle, y compris la vue qu’offraient les fenêtres du salon sur la baie de Los Angeles.

Le jardin luxurieux, la piscine, l’océan miroitant, tout avait l’aspect du Paradis, mais les quatre femmes blotties et sanglotantes, couvertes de sang, brisèrent brutalement l’illusion. Les policiers buvaient leur café, certains riaient, mais tous les reluquaient sans retenue. Elles ne portaient rien à part quelques bijoux en guise de vêtements. De l’or, du lapis-lazuli, des émeraudes et de l’onyx. Une véritable fortune : on pouvait déjà exclure le vol comme motif.

« Les gars, vous avez rien de mieux à faire ? »

Les agents la dévisagèrent avant de quitter les lieux en maugréant. D’un geste de la main, elle fit signe à une jeune femme en uniforme.

« Ferguson ! Allez me chercher des vestes pour ces demoiselles. »

La vision du détective O’hara la crispa immédiatement. Son accent rugueux, ses cheveux d’un roux cuivré... Tout chez lui la révulsait. C’était le pire de ce que la police comptait dans ses rangs et il semblait se démener pour entrer dans le guiness des records, catégorie dépôts de plaintes pour usage abusif de la force, violence et corruption.

« Véga, détends-toi... Les gars ont droit de regarder quand même... C’est encore un de tes trucs de féministe à la con. Bon. Le macchabée est là : ça fait des plombes qu’on attend ton p’ti cul coloré... Le capitaine s’est dit que vu que c’est un truc de métèque tu pourrais aider. »

La jeune femme se tourna vers O’Hara. Grande et athlétique, elle le dépassait en taille. Son regard noir fit reculer l’irlandais, l’incitant à se taire. Les parents de Véga avaient dû fuir leur pays, abandonnant tout derrière eux : leur vies, leurs diplômes, leurs économies. D’ingénieur et médecin, ils avaient fini manœuvre sur chantier et femme de ménage, voyant la terre d’asile se transformer en lie de misère et d’exploitation.

« C’est Lieutenant Véga. Vous vous croyez où, détective ? Si j’entends les mots p’ti cul ou métèque encore une fois, je vous renvoie sur le trottoir. Quant au fait que vous ayez eu à attendre, je m’en balance complètement, c’est compris ? »

Le visage de son subordonné passa du rouge alcoolisé au cramoisi furibond alors que sa lèvre supérieure sursautait et tremblait. Finalement, devant l’expression farouche du lieutenant, il céda de mauvaise grâce.

« Compris Lieutenant. »

Le cadavre d’Alexander Sevilla gisait sur un autel en pierre, la poitrine béante. Le coeur avait été retiré. La pièce était décorée d’une façon singulière : au mur était accroché un bouclier orné de 5 pommes de pin et de trois flèches, une épée d’obsidienne reconstituée, des statues de jaguar et bien d’autres éléments typique d’un temple Aztèque.

Une statue de marbre noir, arborant des rayures faites d’or sur le visage, la fixait de l’autre côté de cet étrange endroit. Rehaussée de bijoux d’or et de plumes colorées, cette incroyable œuvre d’art reposait sur un piédestal, un rideau laissé ouvert permettant de la masquer aux yeux des visiteurs. La voix de Poole l’arracha à sa contemplation.

« D’après le légiste, on lui a arraché le cœur alors qu’il vivait encore... C’est pour ça que ça a giclé comme ça. La mort remonte aux alentours de deux heures du matin. L’arme qui a servi à faire ça est un poignard sacrificiel : on l’a retrouvé sur l’autel, c’est une pièce de la collection du gars.»

Poole lisait en regardant son calepin. Il avait chaussé ses lunettes qui lui donnaient un faux air de magicien.

« Et les filles ? C’est qui ? »

« Des actrices, toutes portées disparues. La plus ancienne date d’il y a un bon mois. On a essayé de les interroger, mais elles sont terrifiées... Bon, j’aurais assisté à ça, je serais dans le même état… »

Véga s’approcha du corps. Quelque chose la troublait ici. Le corps était mutilé, mais ce n’était pas le premier, pas plus que l’aspect étrange de ce meurtre. Des cinglés inventifs, Los Angeles n’en manquait pas, mais le choix des pièces, la statue... C’était tout sauf le travail d’un ignorant.

« … pensé que c’était un truc genre sacrifice à la Llorona, un délire du style... Je ne suis pas calé en Santa Muerte mais je me suis dit que ça collait. C’est pour ça que le capitaine t’a demandé, c’est surement un truc de mexicain ou de gang, je sais pas trop. »

« Aztèque. »

« Quoi ? »

« C’est Aztèque. Tout ça, c’est Aztèque. Sevilla était un collectionneur et un expert sur le sujet : sa famille possédait un ensemble d'artefacts remarquables et il l’a fait fructifier, pas toujours de façon légale. »

La voix de Zaniyah s’était chargée d’un grondement de colère et de mépris. C’était un trafiquant d’art, un voleur d’histoire. Cependant, en voyant le visage de l’homme défiguré par l’agonie, son ressenti s’atténua. Personne ne méritait une telle fin. Voyant le regard perdu de ses collègues, la jeune femme poursuivit.

« Ce que vous voyez ici est une tentative de recréer un temple en l’honneur de Tezcatlipoca, le Dieu Jaguar. C’est un dieu terrible : les aztèques le vénérait mais le craignaient aussi. Il représente la nuit, le froid de la mort, la corruption, il punit les sacrilèges. Les rayures, les jaguars, c’est une référence à son Nahual, son aspect animal... Mais il manque un miroir alors que c’est un de ses attributs les plus importants. »

L’odeur capiteuse de l’encens lui montait à la tête, entêtante, nauséeuse. Pourtant, aucune fumée ne s’élevait des encensoirs, ni même des braseros éteints. Prise de vertiges, la jeune femme s’appuya sur l’autel, posant la main sur une flaque poisseuse.

« Fancy ? Ça va ? »

« Juste un malaise... On manque tous de sommeil, j’étais en fin de poste. »

Le son d’une flûte accompagnant des chants lui parvenait. La pièce tournait de plus en plus vite, aggravant ses vertiges. Soucieuse de ne pas inquiéter Poole, Zaniyah se redressa autant que possible, offrant un sourire las. Le visage de l’idole avait-il bougé ? Véga en aurait mis sa main au feu : les yeux dorés la fixaient.

« La fatigue... T’as besoin de repos ma vieille. Ça fait quoi... Trois nuits blanches ? Non. Quatre. Quand on commence à voir des statues bouger et te mater, c’est que c’est trop de nuits blanches et de café. »

La musique et les chants s’amplifiaient, leur rythme était de plus en plus rapide, extatique. L’ensemble la mettait mal à l’aise et désormais elle s’agrippait à l’autel de pierre. Arrivé à un paroxysme, tout cessa. Le silence envahissant était habité d’une étrange menace.

« Il est la mémoire du monde, il n’oublie pas ! Tezcatlipoca ne dort jamais, avide de vengeance... Le miroir ! Tu verras la vérité dans le miroir ! Retrouve-le ! »

Sevilla, à demi dressé sur l’autel, hurlait en proie à une terreur indescriptible, le visage déformé, les yeux fous. Le souffle coupé, Véga regardait la scène qui se jouait sous yeux, incapable de bouger un muscle. Les quatre filles s’était jetées sur le pauvre homme qui vociférait, appelant au secours en pleurant.

« Allons, un grand garçon comme toi qui pleure, c’est pitoyable... Ta lignée s’achève ici d’une façon déplorable. Que dirait ton glorieux ancêtre ? »

Effrayée, le lieutenant recula. Un homme à la peau noire comme la nuit, le visage rayé d’or, s’avançait poignard en main. L’inconnu, qui avait revêtu l’aspect du Dieu Jaguar ouvrait la poitrine de sa victime, extirpant son cœur et l’offrant à la nuit sans lune.

« Un cauchemar ! Réveille-toi Zany ! Bordel, je dois me réveiller ! »

Les odeurs, le bruit, tout avait l’air si réel, palpable... Aussi, quand le Dieu tourna la tête dans sa direction, la terreur lui fit perdre pied, l’obligeant à se retenir contre le mur pour ne pas tomber au sol.

« Je viens à toi. Sois prête, Zaniyah. »

Véga ferma les yeux, cherchant à fuir le cauchemar éveillé. La voix des détectives lui parvint au travers des brumes. Ils parlaient avec quelqu’un. Un troisième homme, l’officier de police Santino.

« … On n’est pas entrés, juste jeté un œil. C’est comme une chambre forte, genre panic room. C’est plein de bouquins et de notes sur les murs, du style repaire d’un tueur en série ou chais pas trop. »

Le corps était de nouveau allongé. Plus de filles et de Dieu fou. La jeune femme prit une profonde inspiration, reprenant son calme autant que possible. Personne n’avait vu sa réaction.

« Juste un problème de sommeil, rien de plus. »

Elle passa la main sur son visage avant de rejoindre les autres.

« Montre-moi cette panic room Santino. »

La pièce empestait l’odeur âcre de la sueur et de la peur. Dans le faisceau des torches surgissait tantôt un lit, tantôt une chaise. Les murs étaient entièrement recouverts de notes et de papiers punaisés et reliés entre eux avec de la ficelle. L’épuisement de Véga grimpa soudainement à l’idée de parcourir tout ce foutoir.

« Qu’est ce que c’est que ce bordel… »

Sa main tâtonna sur le mur avant de rencontrer l’interrupteur : de la lumière serait la bienvenue pour évaluer ce que la pièce recelait comme surprises. L’endroit lui filait la chair de poule. Entre ce cauchemar et la fatigue, ses nerfs étaient à fleur de peau. Finalement, elle sentit le contact froid d’un bouton. Elle l’activa sans succès. La frustration s’ajouta à la fatigue.

« Y a pas de jus Lieutenant... Les gars de la compagnie ont touché à rien depuis qu’y nous ont appelé. »

Santino avait ponctué son intervention d’un sourire gêné et un haussement d’épaule.

« Foutus séismes... On n’a pas un groupe électrogène, des spots ? »

« Si m’dame, je m’en occupe »

Profitant de l’interruption, O’hara sortit fumer tandis qu’elle chargeait Poole du rapatriement des filles ainsi que de leur trouver un psychologue. Elles avaient vu toute la scène et visiblement côtoyé le tueur durant des semaines. Leurs informations seraient précieuses pour trouver le malade derrière ce massacre. Armée de sa torche, Véga entra dans la pièce,

« Plus tôt fini, plus tôt au lit. »

La torche révéla des projecteurs sur pieds. L’endroit devait être un sauna, ce qui expliquait l’odeur de sueur. Sevilla avait passé des jours ici à en juger par les boites de conserves vide qui jonchaient le sol.

« Qu’est ce que tu faisais là-dedans ? »

Un bruit la fit sursauter. Braquant la lampe dans sa direction, le lieutenant dégaina. Le faisceau de lumière éclairait désormais une sorte de console plaquée contre le mur. Les feuilles d’une plante en pot frémissaient, comme si quelque chose avait bousculé le meuble.

« LAPD ! Montrez-vous ! »

Le cliquetis de la sécurité qu’elle ôtait lui sembla aussi fort que le tonnerre au milieu du silence. Un frottement attira son attention : quelqu’un bougeait dans le noir. Une ou plusieurs personnes ? Le bruit semblait venir de plusieurs endroit en même temps. Prise de panique, Véga recula pour quitter la pièce tout en balayant les lieux avec la lampe à la recherche d’une cible.

« Dernière sommation, montrez-vous ou je tire ! »

Sa voix était moins assurée que prévue, mais il allait falloir s’en contenter. Les autres avaient dû l’entendre maintenant, ils n’allaient pas tarder. Son dos heurta la table qui encombrait la pièce. Les bruits se rapprochaient. Un mouvement sous la table derrière elle !

Zaniyah bascula sur la table, roulant de l’autre côté. La lumière vacillant dans tous les sens donnait à l’endroit un aspect terrifiant. Le faisceau accrocha des yeux incandescents au milieu d’une silhouette sombre ramassée sur elle-même.

« Une putain de panthère ! Ce taré à une panthère chez lui ! »

Véga s’accroupit, ramassée sur elle-même, prête à s’élancer hors de ce piège. Un étau se resserra sur sa cheville et la fit chuter. Une main osseuse, puissante la tirait sous la table. Le lieutenant ouvrit le feu à deux reprises, principalement pour effrayer ce qui la tenait mais aussi pour donner l’alerte.

« A l’aide ! Au secours ! »

D’ici, elle voyait O’hara et ses cheveux roux. Il discutait devant l’entrée, impossible que personne ne l’entende ! La panique grimpait en elle. Une sueur glacée envahit son dos. Inexorablement, la chose l’entraînait dans les ténèbres avec un force inhumaine. Zaniyah tentait vainement de lutter, mais ses mains rendues moites lui interdisaient la moindre prise, l’éloignant sans relâche de la porte, de la lumière.

« Un animal, c’est un animal ! juste un putain de foutu animal ! »

L’index sur la gâchette, une simple flexion, et la détonation assourdissante. Dans le flash du coup de feu un visage grimaçant et grotesque apparut un bref instant, une caricature humaine avec des crocs saillants. La chose gronda, prête à lui sauter dessus, quand soudain la lumière s’alluma. Toutes les lumières en fait, n’épargnant pas le moindre recoin. Le générateur de secours de la police ! Santino venait de passer au premier rang de ses héros.

Aveuglée par l’intensité lumineuse soudaine, Véga leva son arme et ouvrit le feu, tirant au jugé, encore et encore même après que son chargeur fut vide. Rapidement, tout le monde rappliqua, arme au poing. La jeune femme au sol était seule.

« Bordel, qu’est ce qui se passe ? Pourquoi tu tires ? »

« Y a des… Des animaux ! Une panthère et une sorte de singe ! Ils ont dû filer quand la lumière est revenue, appelle le zoo... »

De l’attaque ne subsistait qu’une trace de sang au sol et la marque bleue sur sa cheville, là où la main l’avait aggripée. Quand la pièce fut vide, Zanyiah reprit son souffle. Ses mains tremblaient. Elle avait une barre douloureuse dans la poitrine, les poumons en feu et tenait à peine sur ses jambes.

Péniblement, la jeune femme se laissa tomber dans un fauteuil, contemplant le mur couvert de photos devant elle. Des ruines, un homme aux traits dont la ressemblance avec Sevilla indiquait un lien de famille, des photocopies de manuscrits, de représentations de bas-reliefs. Au centre de ce foutoir, un frottis d’une gravure, des symboles : un texte sacré aztèque.

« On n’a rien trouvé... Les animaux ont dû se sauver dans les collines. Putain de richards avec leurs satané bestioles ! Jonesy s’est fait attaquer, six mois d’hosto et il a perdu sa jambe droite… »

Poole se tut en regardant le visage livide de sa collègue. Un peu gêné, il restait là, les bras ballants. Zanyiha le regardait frotter ses cuisses avec la paume de ses mains. Il était nerveux, inquiet pour celle qu’il avait pris sous son aile. C’était lui qui l’avait épaulé quand, virée du FBI, elle était entrée dans la police de Los Angeles. Elle avait peu à peu remplacé sa fille, morte quelques années plus tôt dans un carambolage.

« Ouais, je ne dois pas être super appétissante. Ça va aller : plus de peur que de mal. J’ai bien paniqué, mais bon… »

Le visage marqué par le temps et les épreuves du vieux flics s’éclaircit d’un sourire.

«Écoute... Je suis morte de fatigue. Fais prélever le sang et appelle le labo, qu’on sache quelle bestiole c’était... Sûrement un jaguar et un singe vu le contexte. On laisse la scientifique faire son job. Les balles, j’en ai tiré 15. Je rentre dormir, je suis bonne à rien dans cet état. »

Véga se leva et quitta la pièce. Arrivée sur le pas de porte, elle s’arrêta net.

« Appelle-moi dès que les filles auront parlé. »

« Les filles… Heu... C’est-à-dire que... Elles sont pu là… »

Comme une fusée, elle traversa la maison. Le fourgon dans lequel Poole les avait enfermées était vide : des traces de sang et des éclaboussures maculaient l’endroit et quelques bijoux reposaient çà et là.

« C’était pendant que tout le monde avait rappliqué… La porte était encore fermée quand je suis revenu, fermée à clé. C’est le sang qui m’a alerté. »

« Fait chier ! »

****

Une fois rentrée, Véga repoussa son désir impérieux de sommeil : les inscriptions et les évènements de la journée la travaillaient. Luttant contre la fatigue, les yeux rougis, la jeune femme transféra les photos de la panic room par mail à un ami de longue date, Hector Chavez. Cet expert dans le domaine précolombien saurait traduire ce qui se trouvait sur le frottis. Puis, épuisée, elle s’effondra sur le lit sans même retirer ses vêtement et sombra dans un sommeil agité.

La sonnerie du téléphone la tira d’un sommeil agité. La nuit avait été courte et mauvaise. Les cauchemars de son enfance, qu’elle pensait oubliés, l’avaient hantée de nouveau. L’écho glacé des ruines parsemées d’ossements gigantesques, peuplées de jaguars faméliques aux formes dérangeantes, presque humaines, persistait au-delà du songe. Son esprit se concentra sur le présent, chassant le souvenir. Sa voix pâteuse et endormie s’éleva dans les ténèbres de la chambre. Il faisait déjà nuit. Pourtant, le réveil n’affichait que 16 heure ?

« Véga ? »

L’accent british du patron de l’institut scientifique de la police la prit par surprise, d’autant que son ton semblait nerveux, entre l’agressif et l’interrogatif. Sans lui laisser le temps de répondre, il poursuivit :

« C’est quoi cet échantillon de sang ? Tes gars ont contaminé la scène ou quoi ? Et franchement, c’est quoi ce que vous avez foutu dedans ? Ca m’a bousillé un microscope ! »

« Hey ! Une minute ! De quoi tu parles ? Du sang de bestiole ? Le singe sur lequel j’ai tiré ? Comment ça, un microscope bousillé ? »

Stoppé dans son élan, son interlocuteur se tût avant de reprendre sur un ton plus posé, reprenant son légendaire flegme que Zaniyah avait fini par associer à une sorte d’ADN commun aux anglais.

« Ce n’est pas le sang d’un singe. Avec le peu que j’ai réussi à analyser, l’ADN est celui d’un hominidé. En gros, ce n’est pas un humain mais une sorte de cousin. Comme une branche de l’humanité qui aurait évolué différemment. Les cellules réagissent mal à la lumière, j’avais jamais vu un machin comme ça ! Elles se détériorent, mutent... Et je crois que ça a provoqué une sorte de surcharge électrique qui a bousillé le microscope… Du coup je n’ai pas eu le temps de pousser mes analyses. »

Un bruit attira l’attention de Véga. Quelque chose bougeait dans sa chambre... La porte de son placard était entrouverte ! Jamais elle ne laissait une porte de placard ouverte : un reste de terreur nocturne, la force de l’habitude. Lentement, sa main libre se dirigeait vers l’arme posée sur la table de nuit. Bien que son corps soit tendu, sa voix ne trahissait pas le moindre stress pouvant alerter l’intrus.

« Le lieu de prélèvement était plein de vestiges archéologiques, ça pourrait être ça ? »

« Nan impossible, les cellules étaient fraîches et vivantes. »

Quelque chose rampait sur le sol et glissait dans sa direction

« Ecoutez lieutenant : je vais envoyer le peu qu’il me reste à un collègue plus spécialisé dans le domaine et mieux équipé. »

Un léger choc sur le lit, le froissement de quelque chose qui rampait... La chose était en dessous ! Une sueur glaciale inondait son visage.

« Je ne sais pas sur quoi vous avez tiré, mais c’est le prélèvement le plus dingue de ma carrière. »

« D’accord doc ! »

Le clic de l’interrupteur précéda l’afflux de lumière. Un léger grondement s’éleva de sous le lit. Zaniyah bondit sur ses pied, qui s'enfoncèrent dans le matelas moelleux, le dos contre le mur, l’arme pointée vers le bas. Les terreurs d’enfance remontaient. Quelque chose sous le lit, quelque chose sans forme... Un monstre prêt à l’entraîner et la dévorer.

« Calme toi Zani... C’est impossible ! Les rôdeurs, le peuple des cendres... C’est une légende. Juste le fruit de ton imagination. C’est sûrement la bestiole de ce matin qui a flairé mon odeur… Voilà ! C’est la bestiole de ce matin, et c’est tout ! Ça ne peut être que ça… »

Il fallait une explication rationnelle, même biscornue et absurde. Tout valait mieux que d’imaginer les abominations de son enfance.

« A bientôt Lieutenant. »

Le contact du pistolet la rassurait un peu. Après tout, cette bestiole, juste une bestiole, avait été blessée. Donc, les balles lui faisaient mal. Le téléphone dans une main, le flingue dans l’autre, elle sauta au loin, roule boulant pour se placer en position de tir. Tous les muscles de son corps étaient tendus, sur le point de céder. Le lieutenant de police en elle refusait de tirer sans être certaine que ce soit bien juste un animal.

Dopée par l’adrénaline, ses gestes étaient fluides précis. D’abord la torche du téléphone, suivi du son sec de l’appareil photo. C’est là que sa fragile tentative de garder son univers entier s’effondra. Le faisceau lui révéla une créature issue des cauchemars primitifs de l’humanité, tapie sous le lit, chargée de haine et de malice. La silhouette évoquait ce qui errait dans les plaines arides, cendreuses, rongeant les os de géants oubliés. Un visage hideux, quasiment humain, celui d’une chose qui n’aurait jamais dû exister, abritait deux yeux réverbérant la lumière.

« Les monstres existent, les rodeurs, le peuple des cendres et de la nuits, il a des mains bordel des mains ! »

Véga, sous le choc, bascula en arrière, heurtant le mur, le temps de reprendre pied face à la folie qui menaçait de l’engloutir. La torche éclairait le sol, rendant à l’obscurité son engeance, mais aussi la masquant à son regard. Consciente du danger, elle releva le téléphone. Disparue ! La chose avait profité de cet instant pour s’évanouir. Elle n’avait perdu le contact qu’un instant, mais cela avait suffi à cette chose pour fuir. À sa place, une peluche de tortue, élimée, trouée et sale.

« Tuga ? »

La voix chargée d’émotion, étranglée s’était élevée à mesure que l’arme se baissait. Sa gardienne d’enfance qui, chaque soir, placée devant la porte du placard, la protégeait contre les habitants des ténèbres. Une nuit, la veilleuse avait flanché. Une nuit, la petite tortue avait disparu lors de sa garde, 25 ans plus tôt...

« Je deviens dingue, je perds la boule ! Ça peut pas être Tuga ! Il n’y a pas de monstres sous le lit ou dans le noir ! Le monde de cendres n’existe pas ! »

Dans la chambre, il n’y avait plus que le bruit de sa propre respiration. Zaniyah avait le souffle court, les pupilles dilatées, une douleur dans la poitrine... Elle se dressa d’un bond, activant avec frénésie les interrupteurs. Il lui fallait de la lumière, plus de lumière !

« C’est pas possible ! Bordel, où c’est passé ? De l’autre côté, dans le placard ? Non, ça existe pas ! Les monstres, c’est le fruit de mon imagination ! »

Tout en fixant la porte du placard, fermée, Véga essayait de se raccrocher aux lambeaux de réel. La vie lui avait montré les vrais monstres : racisme, intolérance, privilèges… Un regard au téléphone : le cliché maladroit et flou fit voler en éclats ses derniers doutes.

Quand elle avait fait ses cauchemars, seul son père l’avait crue, mais il était mort, à moins que… Tout en reprenant le contrôle de ses émotions, elle composa un numéro.

« Maman ? j’ai des questions… »

*****

Une brève conversation avec sa mère lui appris ce dont elle avait besoin : le nom de l’homme qui avait chassé les cauchemars. Tout ce qui restait de cette nuit, c’étaient des chants, des cris et une amulette. Petit à petit, la normalité avait chassé le surnaturel, le mysticisme... Le talisman avait été perdu dans un déménagement. Il lui en fallait un nouveau ! Elle appela le central tout en enfilant sa veste et en dévalant les escaliers.

« Lieutenant Véga, je voudrais une adresse et ce que vous avez sur un certain Victor Ségovia Pinto »

Les rues étaient désertes, mais Zaniyah aurait juré voir des choses se déplacer dans les ombres, fuyant la lumière des réverbères. La lumière ! C’était ce qui les effrayait, ils la fuyaient comme la peste ! Soudain, les fenêtres éclairées lui apportèrent un certain réconfort : les gens étaient en sécurité.

« J’ai trouvé ! C’est un ancien prof d’histoire, un archéologue assez connu dans les années 1960 mais qui a été renvoyé après avoir dégradé des pièces rares méso-américaines. Un passage à l’asile, des arrestations pour ivresse et trouble à l’ordre publique. Il parlait de la venue d’un Dieu noir : un nom bizarre... Tétlotrucpac, le rappeur ? Tupac ? Bon. Je vous envoie l’adresse sur votre portable. »

Une nouvelle secousse mis fin à l’appel : une borne avait dû tomber. La lumière vacilla puis se stabilisa. Il n’y avait pas un instant à perdre : quoi qu’il se passait, c’était plus que sa vie qui était en jeu. Véga grimpa dans sa Roadmaster et, quelques minutes plus tard, la sirène à fond, son bolide mordait l’asphalte, dévorant la distance à une allure de tous les diables.

Sur le bord de la route, une enseigne indiquait l’entrée d’un parking défoncé. Les néons vacillants affichaient un nom qui sonnait comme une vilaine farce : Majestic. L’endroit puait la misère et l’abandon. En plus du bar, il y avait un motel lépreux. Des vestiges d’un projet de parc à thème avorté, l’endroit parfait pour un archéologue déchu. Sur la vitre de l’accueil, une note écrite d’une main mal assurée indiquait de s’adresser au bar.

L’adresse n’indiquait que le Majestic Motel, pas le numéro de chambre. Aussi, Véga prit le chemin du bar. En entrant, une odeur âcre de sueur et de tabac froid la saisit. Les lumières étaient rares : il n’y avait qu’un éclairage rouge qui ne la rassura pas. Guettant les mouvements, elle se dirigea vers le barman, ignorant les poivrots aux regards torves et hagards.

« Bonsoir. Je cherche monsieur Ségovia Pinto... Le mot à l’accueil disait de venir ici. »

« Je suis que barman ! Si vous cherchez quelqu’un, faut causer à m’sieur Ocelotonatiuh, il vous attend. »

« Comment ça, il m’attend ? »

Pour toute réponse, le barman haussa les épaules, le regard vide. Zaniyah le remercia et se dirigea vers la table qu’il lui indiquait. Un homme y était installé, entouré de quatre femmes à la beauté époustouflante. Athlétique, élégant et incroyablement séduisant avec cette pointe d’aura de dangerosité, il ne collait pas avec le décor misérable et gangréné du rade.

Ocelotonatiuh... Ce nom lui était familier. Une histoire que son père lui avait conté, une ancienne légende Aztèque parlant d’un monde, d’un soleil peut être ? Il aurait été détruit par le Dieu Jaguar car ses habitants refusaient de le prier. Il les aurait dévorés sous sa forme de félin. Luttant pour contrôler sa peur, elle s’arrêta devant l’homme et ses quatre femmes. Impossible de ne pas voir le lien avec le meurtre et le Dieu noir.

« Bonsoir Zaniyah, tu t’es faite désirer. »

Il connaissait son prénom ? Sa voix était à la fois envoûtante et chargée de menace. Terrifiant et désirable, l’inconnu la mettait mal à l’aise comme personne auparavant. Refusant de le laisser dicter la suite de la conversation, Véga le coupa.

« Je cherche M. Segovia et vous êtes trop jeune pour être lui. Où est-il ? »

« En effet, je ne suis pas ce brave Victor, ce bon vieux Victor même ! Je me nomme Yaotl Ocelotonatiuh. N’aie crainte, je vais t’indiquer où et comment le trouver, mais avant je désirais te revoir. Je voulais te montrer quelque chose, c’est important. Accorde-moi quelques secondes et tu auras ce que tu désires. »

L’esprit de Véga carburait autant que sa Roadmaster sur l’autoroute. Ce type lui foutait la frousse comme personne, se prenait-il vraiment pour une divinité Aztèque ? Yaotl le guerrier, le vent de nuit, un autre nom pour Tezcatlipoca. Les Dieux n’existait pas, pas plus que les monstres. C’était une sorte de singe. Dans le noir on pouvait facilement se faire peur. C’était l’imagination qui travaillait contre soi.

« Je ne sais pas à quoi vous jouez ! Mais ces références à Tezcatlipoca, le miroir fumant, le dieu nocturne et inquiétant... Vous et vos amis n’êtes que des cinglés et surement des meurtriers ! »

« On m’a traité de bien des choses, bien que jamais de cinglé. Pour le reste… C’est une question de perspective. Tu me traites de meurtrier pour un homme que tu hais. Le monde célèbre les grands explorateurs, ceux qui ont découvert les Amériques, ceux-là même qui ont massacré mon peuple pour se repaitre de leurs cadavres, pillant et détruisant tout. »

Ponctuant sa réponse, il posa un objet sur la table, un miroir d’obsidienne sans la moindre décoration. Sombre, primitif, fascinant. La relique attirait le regard, l’attribut du Dieu de la nuit.

« Je te dirai où trouver celui que tu cherches, fille de mes enfants. Mais avant, je te demande de regarder dans le miroir fumant : montre-moi tes désirs et ton cœur. »

Zaniyah plongea son regard dans les ténèbres tandis que la voix grave et majestueuse de l’inconnu lui posait des questions.

« Montre-moi ce que les hommes blancs t’on fait. Ta colère, ta rage... Nourris-moi, mon enfant. Montre-moi la guerrière qui sommeille en toi. »

Les souvenirs se mirent à affluer : les visages haineux, les injures, “sale métèque, salope, s’habille comme une pute, ces filles-là toutes les mêmes.” Les moues méprisantes. “Immigrées, vole notre travail, criminels, malades, sales, rentrez chez vous”. Son renvoi du FBI à cause de Sevilla. Trop riche, trop important, intouchable trafiquant d’art, voleur de la mémoire de son peuple.

« Ressens la colère, la rage ! Ils doivent payer pour mon peuple, pour le tien ! »

Des images terribles. Des massacres d’hommes, de femmes et d’enfants. Un temple brûlé, des regards avides, le scintillement de l’or dans les pupilles. L’or qui rend fou, le sang qui nourrit la terre, la vengeance, la rancœur.

« Je veux qu’ils meurent ! Je les hais tous ! »

Véga sursauta. Des phrases en échos. Sa voix, plus jeune, chargée de larmes, de peine. Dans le miroir la ville en flamme, les cadavres, les bêtes qui dévorent, ne laissant que des os. Dressé au-dessus de la montagne, un géant, plus haut que les cieux. Tezcatlipoca, soulevant le cadavre égorgé de son frère, libérant le sang d’un dieu sur les os, donnant naissance à des êtres contre nature, la folie incarnée.

« Tu es… Vraiment un Dieu ? Le vent de la nuit… »

« Tu sais qui je suis, je sais désormais ce que dissimule ton cœur. Ton vieux monsieur, Victor, est chambre 103. La porte est ouverte. »

Le Dieu se tenait devant elle, dans toute sa puissance. Vêtu d’une parure en peau de jaguar, la peau noire, le visage orné de rayures d’or. Véga recula, renversant les chaises et les tables. Autour d’elle, les ombres bougeaient, menaçantes, comme animées d’une vie impie. Zaniyah se rua hors du bar alors que les choses affluaient.

« Porte 103, reste dans la lumière, ils n'aiment pas la lumière ! 101, 102… »

Sans un bruit, l’espoir venait de mourir. Tezcatlipoca n’avait pas menti : la porte ouverte montrait la chambre miteuse de Victor Ségovia Pinto, son occupant au sol, atrocement déchiqueté, baignant dans une mare de sang.

« Non ! Non, non… »

Une lumière au sol : le téléphone du vieil homme. Comme un robot, elle le saisit. C’était un appareil vieillot à l’écran fendu. Sur ce dernier, un message. Ne lis pas le texte de la pierre à haute voix, sous aucun... La mort l’avait pris avant qu’il ne finisse son avertissement.

« Qui tu voulais prévenir ? Sevilla ? »

Zani se figea.

La réponse était sous yeux. C'était elle qu'il essayait de prévenir, c’était son numéro. Comment ce vieux fou l’avait il obtenu ? Comment avait-il su qu’elle…

« Hector ! »

Il était peut être encore temps ! Le Dieu n’avait pas forcément gagné. Tout en pestant contre sa maladresse, elle déverrouilla le téléphone, lançant un appel désespéré.

« Salut Zani ! Ce truc que tu m’as envoyé, c’est vraiment incroyable ! Je sais pas d’où… »

« Tu l’as traduit ? »

« Ben ouais ! En fait, je sais pas... Une inspiration de fou, tu veux que… »

« Non ! Surtout pas ! Le lis pas à voix haute, en aucun… »

Son avertissement mourut sur ses lèvres tandis qu’une secousse se faisait de plus en plus forte. Par la fenêtre, Véga regardait les lumières de la ville s’éteindre les unes après les autres tel un domino funeste. Une invitation au peuple des ombres pour la curée. La voix d’Hector lui parvenait, si lointaine qu’elle lui paraissait irréelle.

« Pas le lire à haute voix ? C’est un peu tard, je viens de le partager avec les collègues... Hey qu’est ce qui se passe ? Pourquoi les lumières se… »

La voix devient hurlement puis gargouillis. Dans la tête de Véga, c’était la ville qui hurlait. Debout sur le pas de la porte, Tezcatlipoca l’avait rejointe, souriant.

« Tu assistes à l’exécution de la justice, celle que ton cœur désirait. Toute cette rancœur, cette souffrance... Je la venge mon enfant. »

« Quoi ? Non ! Jamais je n'ai voulu ça ! J’étais en colère oui mais… Pas ça… Pitié non ! Arrêtez ! »

Le Dieu la regardait. Rien dans son expression ne semblait humain. Ce visage n’était qu’un masque terrifiant.

« Je ne peux rien faire... C’est ton œuvre, le fruit de ta colère pure et implacable née de leurs actes... Ce moment était écrit dans les étoiles ! Endormi, j’attendais. »

« De quoi tu parles ? J’ai rien demandé ! J’ai jamais voulu ça ! »

« Je parle de la vengeance de Cauthémoc, agonisant sous la torture de Cortès ! Tu es la dernière à porter son sang. Les rôdeurs t’ont trouvée et observée... J’ai respecté ma parole ! La mort de Sevilla, la fin de la lignée de Cortès ! »

Dans le lointain les flammes gagnaient la ville, les rôdeurs hurlaient à la lune.

« Tes cauchemars m’ont éveillé, ta blessure m’a libéré ! Sans cette colère que tu cachais, toute cette douleur, ces rejets… Enfouir n’est pas résoudre ! Le miroir sait, le miroir a vu. Désormais, mon peuple – ton peuple – est vengé.»

« Non ! Non, non, non, je ne voulais pas ça ! »

Le cruel Dieu trompeur éclata d’un grand rire.

« Comme dit la chanson... On n’obtient pas toujours ce que l’on veut ! »

Les larmes aux yeux, Zani pointa son arme vers Tetzatlipoca et vida son chargeur. Aucun effet. Alors, anéantie, elle s’effondra au sol comme une poupée de chiffon. Le silence avait tout envahi, le désert grouillait de rôdeurs qui se ruaient vers la ville. Quelqu’un se mit à siffloter une chanson des Stones : « You can’t always get what you want ». C’était le Dieu noir, qui avançait d’un pas altier vers la limousine blanche où l’attendait ses quatre épouses. Le monde prenait fin : il était de retour sur terre.

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