Ma princesse

11 minutes de lecture

Pour le bal de fin d'année, elle accepte d'accorder sa toute première danse à celui qui confectionnera les plus belles tenues assorties. Elle a dit qu'elle est hétérosexuelle, mais... tanpis. D'ailleurs "elle", c'est une petite brune qui me fait rêver. Une véritable déesse. Si mignonne, si gracieuse, si joyeuse ! Partout où elle passe, les sourires fleurissent. Elle est considérée comme la "princesse" du collège. Tout le monde, mais vraiment tout le monde, l'apprécie. Elle répend la joie autour d'elle, elle mérite tout l'amour du monde. Dernier petit détail : elle s'appelle Ellie.

À côté d'elle, je passe pour une moche, avec mes cheveux bouclés jamais coiffés et ma tête d'idiote. Je m'appelle Malia, et j'ai un an de plus que la princesse. Mon rêve : danser avec elle. C'est mon soleil, ou ma lune, je ne sais pas. Les deux à la fois. Ce qui est sûr, c'est qu'elle me fait voir des étincelles quand elle passe. Dès que je la voit, mes yeux crépitent, pétillent, remplis de milliers de lumières aveuglantes qui me font perdre la vue. Je n'ose même pas l'appeler par son nom, tant il lui va bien, tant il est accordé à sa perfection.

C'est décidé : je vais coudre les tenues assorties, et proposer à la princesse d'être ma cavalière ! 

En ce moment même, je travaille sur la manche droite de sa chemise. Le déguisement doit être parfait...

Il ne reste plus que trois jours avant le bal, et j'ai enfin terminé les tenues. J'en suis tellement fière ! Je prends quelques dizaines de photo avec mon téléphone, avant de sortir de chez moi et de me diriger vers le collège. Je vais enfin montrer les clichés des robes à la princesse...

En arrivant dans la cour de récréation, je la repère rapidement, entourée d'une dizaine d'élèves. Alors que je pars à sa rencontre, un garçon me double.

- Eh, Ellie ! apppelle-t-il.

- Salut Tony ! s'exclame la jeune fille en souriant.

- Ça te dirais de venir avec moi au bal ? propose le garçon. J'ai fait ça pour toi !

Il sort deux merveilleux habits d'un grand sac : un costume à cravate bleu nuit, et une robe à froufrous de la même couleur, saupoudrée de paillettes dorées.

- Tu... tu as fait ça toi-même ? s'étonne la princesse.

- Oui, rien que pour toi ! Alors, tu acceptes mon invitation ?

- Bien sûr ! 

J'observe la scène se dérouler, incapable d'esquisser le moindre geste. La princesse a un cavalier. Ma princesse.

Je rentre chez moi en courant, un mélange d'émotions étranges et inconnues dans la tête. J'arrive devant ma maison, mais la porte est fermée. Et bien évidement, je n'ai pas la clé ! Ce n'est apparemment pas ma journée. Mort de rire.

Je décide donc de me rendre au Capefour, m'acheter à manger. Mais bien sûr, LE CAPEFOUR EST FERMÉ. Je respire un grand coup, et je marche vers le Broburger, qui lui est toujours ouvert. Mais vu ma malchance, ça ne m'étonnerais pas qu'il ferme exceptionnellement pour cause de pénurie de sauce algérienne.

Heureusement pour ma santé mentale, le caissier est au comptoir et la porte grande ouverte ; dieu merci. J'entre et commande un milshake oléo. On dirait que la chance revient : il n'y a aucun client ! Pourtant, ça n'empêche pas l'homme de prendre dix minutes à sortir un milshake du congélateur et de le recouvrir de Chantilly...

Après avoir quitté le Broburger, j'aspire une grande lampée de milshake, affiche un sourire réjouit juste avant de sentir le gel de cerveau. Je me prends la tête à une main (l'autre tenant la boisson) et grogne de douleur. Vous me direz "On est en juin, il fait chaud donc ça va !". Eh bien non. Hier, on cramait sous le soleil. Avant-hier, il pleuvait des cordes. Aujourd'hui, le ciel est gris est il fait froid. Ce que j'aime la météo de Paris.

Je m'assois sur un banc en me massant les tempes, mes maux de tête ne voulant pas partir. Quelque chose touche mon épaule, et j'entends une voix féminine m'interroger :

- Tout va bien ?

- Oui oui, je daigne répondre. C'est juste le milshake qui est un peu froid...

- Tu veux que je te prête ma veste, pour te réchauffer ?

Cette voix me paraît de plus en plus familière...

- Ça va aller, merci.

- Dis, tu ne serais pas dans mon collège ? demande-t-elle soudain.

- Hein ?

Je lève la tête, et comme si la situation ne pouvait être pire...

- Princesse ?

- Euh, oui, mais... tu as le droit de m'appeler par mon prénom, tu sais...

- Que fais-tu ici ?

- Mes cours du matin sont terminés, je n'avais qu'une heure ! sourit-elle. Et toi ? 

- Moi ? Je, euh, je...

Je ne savais pas quoi lui répondre ni que faire. Peut-être que fuir serait la meilleure... De nouveaux arrivants interrompent ma réflexion, et je ne peux cacher ma grimace. Tony, et toute sa bande d'idiots. Mon rival ose se présenter ainsi devant moi.

- Bonjour, princesse, salue-t-il Ellie. Je suis très heureux de vous revoir après ces deux minutes passées sans vous.

La jeune fille rit, alors que je baisse les yeux. 

- Je n'ai plus rien à faire ici, dis-je en me levant.

Alors que je m'apprête à partir, la princesse semble vouloir m'arrêter, mais ses amis la tirent vers eux. Je crois l'avoir vu me murmurer un au revoir, mais rien n'est sûr...

Je me rends au collège, et termine ma journée de cours. De retour dans ma demeure adorée, je me fait bien entendu gronder par ma mère, qui a eu vent de ma petite absence du matin.

- Tu étais où ? Tu faisais quoi ? Qu'est-ce qui t'as pris ? Répond ! 

Malgré tout, je garde le silence. Ma génitrice, déjà énervée par sa journée harassante, choisit la solution la plus directe.

- Très bien. J'espère que tu as quelque chose pour t'occuper vendredi soir, car tu peux dire au revoir à ton bal de fin d'année.

- QUOI ?! je cris, révoltée.

Ma mère est déjà sortie de la pièce.

- S'il te plaît, maman ! Tu ne peux pas me faire ça !

- Ah bon ? Pourtant, si je me souviens bien, c'est moi qui suis responsable de toi, et pas le contraire. Donc je fais ce que je veux. Maintenant, va faire tes devoirs.

- Mais maman...

- Je ne changerais pas d'avis.

Je me retiens de hurler, et monte les escaliers en tapant des pieds. Je ferme délicatement ma porte pour ne pas que ma mère pète un câble, puis je bondit sur mon matelas et donne des coups dedans jusqu'à l'épuisement. Je finis par m'écrouler dans mon lit, et mon regard se pose sur les tenues de bal que j'ai confectionné. J'aurais pu proposer à une autre fille de m'accompagner... mais non bien sûr, ma daronne a toujours son mot à dire. Heureusement qu'elle ne sait pas que je prévois d'y aller avec une fille. Si elle savait que j'étais lesbienne...

Au bout d'une heure, je m'endors, mon sommeil peuplé de rêves où je tabasse ma mère pour m'envoler dans le ciel, aux bras de ma douce princesse.

Vendredi soir, dix-neuf heures. Le bal a déjà commencé depuis une heure. Ma mère ne rentrera pas du travail avant vingt-et-une heure, aujourd'hui. Avachie sur une chaise, je ne sais plus quoi faire. J'observe les robes de bal, qui me hantent toutes les nuits. Et si... et si je faisais comme dans les films ? Et si je sortais en douce ? Après tout, "one life", comme diraient mes amis ! On a qu'une vie, et qu'une seule adolescence ! Oui, je vais faire le mur et me rendre au bal pour danser avec mes copains ! 

J'enfile rapidement la tenue qui m'avait donner tant de fil à retordre : un chemisier blanc aux manches bouffantes, un corset beige fermé par des boutons en bois sombre, une jupe plissée mi-longue noire, et des bottes à plateforme en cuir noir m'arrivant juste en dessous des genoux, agrémentées de longs lacets sombres.

Je tente de coiffer mes cheveux que j'avais heureusement lavé un peu plus tôt, et opte finalement pour un serre-tête noir accordé à mes chaussures. J'ajoute quelques bagues dorées à mes doigts, de grandes créoles de la même couleur à mes oreilles, un ras-de-cou et un peu de gloss rouge-rose.

Je me saisis de la clé et quitte ma maison, abandonnant la robe qui est destinée à la princesse. Qu'elle danse avec Tony si ça lui chante, je viens pour passer une soirée d'enfer avec mes meilleurs amis !

J'arrive enfin dans le grand studio choisit par mon collège pour le bal. Il n'y a aucun garde à l'entrée, heureusement. Dès que je passe la porte, je perds mon ouïe. Le DJ n'y va pas mollo sur le son ! La musique me détruit les oreilles, les spots multicolores m'aveuglent, mon nez est assailli d'odeur de cigarette et d'alcool... c'est un bal de fin d'année, ça ? Parce que ça ressemble plus à un concert de hard rock mélangé à une boîte de nuit !

Je me crée un passage jusqu'au bar, où je trouve mes amis déjà ivres mort.

- La soirée a commencé quand ? je les questionne.

- Il y a trente minutes, me répond posément Carmen, qui elle n'a pas touché à son verre.

Quelqu'un me bouscule, et j'entends des roucoulements. Le beau gosse qui m'a poussé ne s'excuse même pas, mais adresse un clin d'œil à Ranya et Ryana, deux débiles comptant parmi mes amis. Un cri retentit, et Soukeyna tombe juste à côté de moi en hurlant "JONH SILAAAA" ou un truc dans le genre. Skander apparaît à son tour en balançant des cure-dents sur Soukeyna, qui se relève en secouant son déguisement de Zenitsu. Un cure-dent atterrit dans mon œil. Heureusement pour moi et pour Skander, ce n'est pas la pointe qui m'a atteint mais le côté du bâtonnet. Ranya marmonne je ne sais quoi, et Carmen éclate de rire, alors que Ryana fantasme sur le barman qui est juste hideux. Skander continue de se battre avec Soukeyna, et moi je me pose une question conséquente : qu'ai-je fait pour que mes seuls amis soit si... désespérants ? 

On dirait bien que c'est fichu, la soirée entre amis... je vais m'installer seule au fond de la salle. Alors que je fixe bêtement le mur, un événement aussi prévisible qu'inattendu advient : la princesse s'est assise à côté moi. Je la dévore des yeux, profitant de notre proximité pour l'examiner plus en détails : ses cheveux courts brillants, ses pupilles couleur caramel, ses lèvres fines roses, ses traits si bien dessinés, sa morphologie parfaite, son décolleté montrant...

- Oh, c'est toi ?

Je sors de ma rêverie, et réalise que la princesse me regarde bizarrement. J'étais en train de fixer sa poitrine, et elle m'a vu. Je me cache immédiatement la tête dans les mains. J'ai honte, j'ai honte, j'ai honte ! Mais la tenue que lui a refilé Tony fait vraiment aguicheuse...

- Tout va bien ?

Je la regarde du coin de l'œil et remarque son inquiétude. Je pose mes mains sur mes cuisses et lui assure :

- Oui !... et toi ? je la questionne par politesse.

- Pas vraiment, non, souffle-t-elle. Actuellement, mon cavalier roule une pelle à une jolie rousse dans le placard à balais.

- V... vraiment ?

- Vraiment.

- Mais... c'est... pourquoi ?

- Parce que c'est un garçon. Et en plus de ça, un égoïste, un débile, un menteur, bref un b*tard.

- Sûrement...

Il y a un silence retentissant, mais pas gênant. Au contraire plutôt agréable, comme si des milliers de petites cellules se regroupaient au fur et à mesure en un seul orgasme pour créer une colombe invisible gracieuse.

- Tu veux danser ?

Je prends un certain temps à comprendre que c'est Ellie qui a parlé, mais surtout à saisir qu'elle s'adresse à moi.

- Danser ? Où ça ? De quoi ? 

- Est-ce tu veux danser avec moi ? rectifie la princesse en riant.

Voyant mon hésitation, elle se met debout et me tend chaleureusement la main.

- Mais... et ta première danse ?

- Je te l'offre, si tu la veux bien !

Mon cerveau cesse de fonctionner. Mes poumons bloquent ma respiration. Mon estomac se retourne. À ce moment précis, seul mon cœur est toujours en état de marche, et je laisse échapper un murmure :

- Oui, je la veut.

Sans que je m'en rende compte, je suis déjà sur mes pieds, ma main accrochée à celle de la princesse. Cette dernière m'emmène sur la piste de danse, et commence à bouger. Je n'ai même pas besoin de réfléchir : mon corps fais tout de lui-même. Seules mes émotions me contrôlent désormais, et me poussent vers le seul être ayant de l'importance, la petite brune qui se trémousse en riant juste devant moi.

Nous dansons pendant longtemps, prenant toujours un peu plus de plaisir. Je ne ressents que bonheur et rien d'autre, aux côtés de celle que j'aime. Alors que je la fait tournoyer dans mes bras pour la énième fois, une lumière intense émane de son corps. Éblouie, je ne peux pas garder les yeux ouverts.

Lorsque que la clarté soudaine a disparu, tout le monde est muet, et observe Ellie. Tony, accompagné d'une jeune fille, à l'air choqué. Je baisse finalement les yeux vers ma cavalière, et découvre ce qui perturbe tout le monde. Elle porte la même tenue que moi... sa robe bleu marine a disparu, il ne reste que le chemisier, le corset, la jupe et les bottes. Je ne peux retenir un cri de surprise. Ellie me regarde en souriant.

- C'est le destin qui l'a voulu, Malia.

- Le destin ? Et... je... je ne t'ai jamais dis mon prénom...

- C'est le destin.

Et sur ses derniers mots, la princesse me prend par la main et m'emmène dehors. Elle me fait courir longtemps, et mes chaussures ne sont pas adaptées au sport. Elle s'arrête finalement dans un parc pour enfant, et m'invite à entrer dans l'aire de jeu. On s'assoit en haut du toboggan, et ma cavalière me regarde longuement.

- Tu t'appelles Malia ?

- Oui.

- Et voudrais tu bien m'appeler par mon prénom ? 

- Oui, Ellie.

Je plonge mes yeux dans les siens. Elle ne brise pas le contact visuel. Nous restons ainsi, assises face à face, jusqu'à ce que Ellie lève les yeux vers le ciel nuageux. Je m'adosse contre la paroi qui permet d'empêcher les chutes. Je ferme les paupières quelques secondes, et sens un souffle chaud contre ma joue. Je reste immobile, ouvre légèrement la bouche. Alors, les lèvres de Ellie viennent se coller aux miennes. Elle pose ses douces mains sur mes joues, alors que j'enroule mes bras autour de sa taille. Je la tire un peu plus contre moi, et fais durer notre baiser.

Nous restons ainsi un bon moment, nous embrassant mille fois, jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Au lieu de s'éloigner, Ellie s'assoit sur mes genoux et appuie sa tête contre mon épaule. Du pouce, elle caresse mes lèvres. Je glisse une main dans ses cheveux soyeux. Je peux sentir dans mon cou, le doux contact de son front, sur ma lèvre son doigt à la peau lisse...

- Veux tu le dire en premier ? m'interroge-t-elle. Après tout, tu es la première à...

- J'aimerais qu'on le dise en même temps.

- Tout ce que tu voudras.

Nos regards se croisent à nouveaux, et cette fois le temps semble s'arrêter. Après des milliers d'années, ou alors une demi-seconde, nous prononçons toutes deux la phrase d'une même voix :

- Je t'aime...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Twekoki ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0