Chapitre 4. Mauvaise impression

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La première magie que produisent les sorciers est la magie volatile et c’est également celle qui les poursuivra toute leur vie. Loin d’être synonyme d’un non-contrôle de la magie, celle-ci compose simplement l’aura des individus. Interchangeable, elle se partage, se préserve, se transmet et se mêle. Là où les sorciers se touchent, la magie brouille les limites individuelles.

La bible du sorcier, François Jesaitou.

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LE LENDEMAIN

— Tu souhaites voir ton père ?

Emi regarda Marissa qui se tenait devant la porte fermée du bureau de Dai. Emi ne savait pas trop ce que la jeune femme faisait là, sûrement avait-elle eut une question à poser au patriarche. En tant que fille de la gardienne de la forêt, cela lui arrivait souvent de servir de pigeon voyageur à celle-ci. Comme elle était encore elle-même en formation, elle avait beaucoup de temps à perdre et ne rechignait jamais à rendre service.

— À vrai dire, je viens voir Maxime, mais on m’a dit qu’il était en rendez-vous et que son planning était plutôt chargé aujourd’hui. Je me suis dit que je pouvais essayer d’échanger avec lui quelques mots entre deux de ses rendez-vous.

Marissa hocha la tête et proposa d’attendre avec elle. Elles discutèrent un instant de la formation de cette dernière. La jeune sorcière de Feu ne parvenait toujours pas à maîtriser le flux de sa magie.

— Aujourd’hui, mon guide m’a demandé d’allumer un feu sur du petit bois, mais je l’ai transformé en brasier. Tout avait été consumé en un instant.

Elle mima l’évènement avec force de gestes.

— Je sais d’expérience que c’est une étape particulièrement difficile à dépasser. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai noyé des plantes, partagea Emi.

Marissa soupira et lui montra ses paumes rougies.

— Àla différence que tu ne te blessais pas au passage.

Emi saisit ses mains levées et les apaisa en y apposant la fraîcheur salvatrice de son Eau, peau contre peau. Quand elle les relâcha, la chair semblait déjà nettement moins enflammée. Maintenant qu’elles étaient moins héritées, Marissa recouvrit ses paumes de ses gants en soie.

Emi avait appris ce petit « truc » avec Ibuki, qui se brûlait plus souvent qu’à son tour. C’était en partie en lui venant en aide qu’elle avait appris à maîtriser son flux magique, parfois ce que l’on ne parvenait pas à faire pour soi-même, on le faisait pour les autres.

— Un conseil ? Fais preuve de patience. Tout viendra à point. Ton élément est très attentif à tes émotions, plus tu t’énerveras, plus tu te frustreras, pire cela sera. Je le sais pour être passée par là, mais aussi pour avoir suivi la formation éprouvante de mon frère qui possède la même magie que toi. Je peux t’assurer que les cicatrices qu’il a obtenues ne lui viennent pas de jeux stupides que peuvent pratiquer les garçons entre eux, expliqua Emi avec un ricanement moqueur.

Marissa hocha la tête.

— Aki me l’a dit également. Il me dit qu’il faut que je me calme, ce qui ne fait que m’énerver davantage.

— J’hésite à l’avouer, mais Aki a raison. Garde ton orgueil pour toi. Si ce que la couleur de tes yeux me suggère est vrai, tu devras vraiment faire preuve de patience et apprendre à gérer ton caractère enflammé, si tu espères un jour finir ta formation.

Àdix-neuf ans, elle n’était pas à proprement parlé en retard, mais si elle s’obstinait, elle finirait par l’être. À l’instar d’Ibuki, ses iris étaient rouges, révélant la puissance de son pouvoir. Le pouvoir de Feu s’incarnait dans la couleur rouge et débordait du corps du sorcier pour transparaître à travers ses yeux ou encore ses cheveux. Emi, qui pour sa part maîtrisait le pouvoir de l’Eau, avait des yeux et des reflets bleutés dans ses cheveux – ce qui, il fallait l’avouer était nettement moins curieux.

Ibuki avait achevé sa formation à vingt et un an, ce qui était particulièrement tardif. Il ne savait pas contenir son caractère et piquait fréquemment de terribles colères. À présent, elle ne connaissait personne de plus calme – hormis, peut-être Maxime – et maîtrisé. Il abordait les problèmes avec un terrible détachement et son flegme était incontestable. Les seuls moments où on pouvait le trouver détendu, prolixe et espiègle étaient dans leur maison, auprès des siens.

— Tu as encore du temps devant toi, mais penses-y.

Marissa acquiesça.

— Merci, Emi. Ça fait toujours du bien de se voir confirmer ce que l’on craignait, ricana-t-elle.

— Vois les choses du bon côté, tu n’as pas à désespérer d’un jour maîtriser ton pouvoir.

— Il est certain que je ne jalouse pas les sorciers d’esprit, rien que l’idée de connaître les pensées ou les émotions des autres sans pouvoir les ignorer me fait frissonner.

— Sans oublier que leur formation dure en moyenne cinq ans de plus que la nôtre. C’est un pouvoir terrible qu’ils ont entre les mains.

Un raclement de gorge près d’elles les interrompit. Emi se sentit désagréablement honteuse. Après tout, elles se trouvaient dans le passage et n’étaient pas particulièrement discrètes. Dans une ambassade, c’était à vrai dire assez dérangeant. Pourvu qu’il s’agisse d’un inconnu.

Emi se retourna s’apprêtant à s’excuser, mais s’immobilisa.

— Bonjour.

Elle repoussa l’envie de croiser les bras comme une enfant contrariée et se contenta de saluer Raphaël par un signe de la tête. Il ne s’était pas montré particulièrement courtois lors de leur première entrevue, elle ne voyait donc pas de raison de l’être davantage. Qu’il soit roi n’y changeait rien.

Àvrai dire, elle était toujours énervée par les mauvaises manières dont il avait fait preuve et n’avait pas la moindre envie de converser avec lui.

— J’ai rendez-vous avec Maxime, s’expliqua-t-il devant le silence pesant qui régnait entre eux.

Il jeta un regard à Marissa et sembla attendre quelque chose.

Àprésent, il se préoccupait de maintenir de bonnes apparences ? Soit, elle lui ferait plaisir, puisqu’il serait terriblement mal élevé de sa part de n’en rien faire et qu’elle estimait l’éducation que lui avaient donné ses parents.

— Marissa, je te présente Raphaël… — Emi s’interrompit, se rendant compte qu’elle ne parvenait plus à se souvenir de son nom – le roi des changeformes.

Marissa le salua d’une révérence consciencieuse. Elle lui présenta son poing relevé ganté, attendant qu’il y dépose ses propres doigts, comme le voulaient les traditions. Avec un sourire charmeur, celui-ci s’exécuta et s’attarda même un peu plus que ne l’imposait les pratiques.

Emi vit les joues de Marissa se colorer légèrement, alors qu’elle fixait durant un instant l’homme dans les yeux. Étonnamment, cela énerva quelque peu Emi. Pourquoi devait-il être si poli et flatteur, alors qu’il avait fait preuve d’une effronterie discourtoise avec elle, quelques jours plus tôt ?

Marissa détourna poliment le regard, comme l’imposait leur différence abyssale de rang.

Bien qu’elle semblât avoir envie de s’attarder plus longtemps, Marissa s’excusa et s’en alla, laissant Emi seule avec Raphaël. Emi s’apprêta à s’excuser à son tour, tant pis pour ce qu’elle avait à dire à Maxime, quand le changeforme lui fit signe de rester.

— Je voudrais m’excuser.

Emi haussa les sourcils, mais du menton le poussa à poursuivre.

— Je connais ton père, mais étrangement, il ne m’a jamais parlé de toi, juste de tes frères. Je ne m’attendais pas à…

Il leva la main vers son visage, mais se garda bien de la toucher cette fois.

— Mes yeux, c’est ça ?

Emi leva ces derniers au ciel. Il pouvait être étonnant, considérant ses origines et son physique, de lui trouver des yeux aussi bleus. Mais franchement ? Les sorciers étaient souvent dotés d’étranges caractéristiques, et elle n’avait jamais entendu une seule rumeur associant Raphaël à la moindre inconvenance, il ne devait donc pas être coutumier du fait. Ce qui ne justifiait donc pas son comportement.

— Les grands sorciers d’Eau ne sont pas si courant que cela de nos jours, ajouta-t-il en haussant les épaules.

Disons plutôt que la communauté avait été pour le moins étonnée d’apprendre que la famille Wakahisa, pourtant de sang-mêlé, comprenait deux sorciers élémentaires aussi puissants que l’étaient Ibuki et Emi.

— Bien moins que les sorciers d’esprit.

S’ils devaient être honnêtes, les sorciers puissants se faisaient rares en général, à cause de l’altération de leurs gènes et de leur magie et ce depuis plusieurs siècles déjà. Exogamie oblige.

Personnellement, Emi n’en avait rien à faire qu’il lui ait effleuré la joue, mais du point de vue de la réputation de sa famille, elle ne pouvait ignorer l’insulte. Le contact était sacré chez les sorciers, parce qu’il permettait d’échanger ce qu’on appelait de la magie volatile et liait durant quelques instants les auras entres-elles. On ne partageait pas cela à la légère, raison pour laquelle, en public, les sorciers portaient souvent des gants. Mêler ses magies était strictement réservé à la famille et aux compagnes ou compagnons. Les gens pourraient penser qu’ils partageaient ce contact, alors qu’il n’en était rien, c’était politiquement problématique. Autant pour les De Belle, les Wakahisa et Maxime. Après tout, Raphaël n’était pas un vulgaire inconnu.

— Je serais plus encline à accorder mon pardon, si je pensais que les excuses étaient honnêtement présentées.

Raphaël releva la tête brusquement et la fixa droit dans les yeux, semblant scruter jusqu’au plus profond de son âme. Elle se força à ne pas détourner le regard. Elle n’avait rien à cacher.

— Que penses-tu des changeformes ?

Emi s’étonna de cette question impromptue et répondit avec une honnêteté qui l’aurait en un autre temps confondue.

— Jusqu’ici que du bien, mais je pourrais remettre en question mon opinion d’ici peu, si vous ne vous reculez pas très vite.

Quand elle l’avait défié du regard, il s’était rapproché et la chaleur de son corps lui frôlait l’épiderme. Son souffle brûlant faisait voler les petits cheveux échappés de son chignon.

Il consentit à faire quelques pas en arrière.

Elle ne comprenait vraiment pas ce qui lui prenait, mais elle ne lui permettrait plus de la toucher. Pas question que quiconque dans son clan perçoive que leurs auras s’étaient mêlées. Elle avait déjà reçu suffisamment de remarques après qu’il l’eut effleurée lors du sommet.

— Je jure que tu ne m’y reprendras plus sans ton consentement, promit-il solennellement.

Comme si elle était prête à le lui accorder…

— Une dernière question ?

Emi hocha la tête en pensant intérieurement qu’il valait mieux que son père ne la revoit pas en compagnie du changeforme, il en avait déjà été assez contrarié quelques jours plus tôt. Elle garda le regard fixé sur la porte de son bureau, essayant de calculer le temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois qu’elle s’était ouverte. Dix minutes ? Quinze ? Elle grimaça et tança intérieurement Raphaël pour sa lenteur. Il semblait peser ses mots.

— Que penses-tu du travail de ton père ?

Emi jeta sa tête en arrière en soupirant.

— Le plus grand mal, souffla-t-elle. Je n’aime pas la duplicité que sa charge induit. Je suis quelqu’un d’assez franc, l’idée même de devoir gérer les caractères et égos terriblement fragiles des élites surnaturelles me fatigue. La prudence et moi faisons deux. Raison peut-être pour laquelle mon père ne vous a jamais parlé de moi. Aki est son héritier et non moi.

Raphaël plissa les yeux, puis un sourire fleurit à ses lèvres. Comme si sa réponse l’avait satisfait. Elle ne comprenait pas en quoi l’insulter lui et ses pairs avaient pu jouer en sa faveur, mais c’était indéniablement le cas.

Emi le salua sans même l’esquisse d’une révérence et lui tourna le dos.

— Je proposerais bien de saluer Maxime pour toi, mais j’imagine que tu souhaites que je n’en fasse rien. Jamais vu, jamais entendu, n’est-ce pas ?

Emi se retourna alors qu’elle s’apprêtait à franchir la porte d’entrée, à quelques pas de lui.

— Vous supposez bien.

Il hocha la tête avec un sourire ironique. Comme s’il était fier de ne pas être d’une compagnie convenable. Parce qu’en l’état actuel des choses, il était bel et bien infréquentable.

Voyant qu’il ne la quittait pas des yeux, elle porta ses doigts à sa tempe en signe de salut et le défia une dernière fois.

— Dans l’espoir de ne jamais vous revoir, votre altesse !

N’attendant pas sa réponse, Emi ferma la porte derrière elle et fut tentée de s’y appuyer, mais se retint.

Elle avait une mauvaise intuition concernant cette entrevue. Elle espérait avoir fait assez mauvaise impression pour ne jamais avoir à nouveau l’occasion de croiser son chemin. Elle se garderait bien de frayer avec ce genre de personnes. Elle était bien installée dans son clan, pas question de s’impliquer avec d’autres espèces. Le diplomate ce n’était pas elle, mais son père. Elle pensait le lui avoir suffisamment démontré.

Elle porta sa main à son cœur qui battait de façon précipitée. Emi examina son aura, très perturbée et constata qu’elle s’était teinte d’orange. Maudit changeforme ! Il ne l’avait même pas touchée qu’il avait laissé son empreinte sur elle. Comment Emi allait-elle faire pour se débarrasser de cela avant que quiconque ne s’en rende compte ? Une fois c’était une chose, mais deux ? C’était l’équivalent d’une déclaration d’intention publique !

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