Chapitre 5 : Simon. (Le père)  

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Alex est fermé pendant le trajet en voiture. J'allume la radio, voyant qu'il ne va pas parler. Je monte le son lorsque la voix de Queen se fait entendre et je me concentre sur la route. En arrivant à l'intersection, je préviens Alex quelques minutes avant :

  • On arrive dans deux minutes à peine.

Il hoche la tête, le regard toujours perdu au loin. Quelque part entre les collines et la route du Montana, sûrement. J'ai envie de parler, de lui dire combien j'ai apprécié sa compagnie et tout ce qu'il nous a apporté au sein de cette maison pendant la semaine, mais les mots ne sortent pas. La pudeur est un bouclier puissant chez moi. Je frotte ma barbe, et plus on se rapproche, plus je me sens triste. C'est étrange, je n'avais pas ressenti ça depuis tellement longtemps.

  • Et voilà, c'est juste ici.

Nouveau hochement de tête, la portière se déverrouille mais Alex ne l'ouvre pas immédiatement. Il se passe quelques secondes silencieuses, seulement interrompues par la chanson en fond. Je garde les mains bien à plat sur le volant, je ne coupe pas le contact et je demande à Alex si il a tout ce qu'il lui faut.

  • Tu sais, si t'as besoin de quoi que ce soit, tu te rues sur la première cabine téléphonique du coin et je viens te chercher, gamin. Même si ça paraît loin.
  • Simon ?
  • Oui ?

Alex se tourne vers moi, les yeux remplis de larmes.

  • Est-ce que vous pourrez faire passer un message à Manon, s'il vous plaît ?
  • Oui, bien sûr, de quoi t'as besoin ?
  • Dites-lui que je l'aime, moi aussi.

Il ouvre la portière, la claque et commence à marcher sans se retourner. Il a l'air déterminé. Naturellement, je le rattrape en quelques secondes avec la voiture.

  • Attends Alex, tout va bien ?
  • Tout va bien, Simon. Merci pour la générosité et la bienveillance. Mais on ne se reverra pas, mon vieux. Je pars en Alaska. Je n'appelle personne depuis une cabine de téléphone. Je n'appelle même pas mes parents.

Je ne dis rien, mes yeux clignent rapidement. Alex ajoute, en se tournant vers moi :

  • Le plus important, c'est seulement que vous passiez le message à Manon. Et que vous rentriez chez vous. Ca, c'est très important. Ce sera comme si j'avais pas été là, vous verrez. C'est ce que fait la vie. Vous avez réparé mes chaussures cassées, j'ai comblé un peu le vide à votre table. Au revoir, m'sieur.

Je respire de façon saccadée. Je reste là, assis dans ma voiture avec la vitre ouverte, je le regarde marcher jusqu'à ce que je ne puisse plus le voir. Et même après ça, le vide oscille avec l'espoir. Je reste encore garé, au cas où il déciderait de faire demi-tour. Après tout, il fait froid la nuit ici. J'ai mille pensées qui traversent mon esprit et je sens soudain ce qu'il va se passer. Je redémarre, et je vais m'arrêter un peu plus loin sur la route. Je descends de la voiture et là, dans la vague descente du soleil dans le ciel, je me mets à pleurer. Je m'autorise les larmes. Je le fais rarement.

La dernière fois que c'est arrivé, ça s'est passé exactement de la même façon, quand la mère de Manon a décidé de partir. Comme Alex. Ils me disent au revoir, je suis au volant et personne ne se retourne. Je me retrouve là, dans la lumière orange d'un coucher de soleil, avec un paquet de larmes en guise de signe d'adieu. Ils ne reviendront pas. Ma femme aimait ma fille, Alex aimait aussi ma fille. Mais l'amour n'est pas suffisant.

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