Chapitre II : Alliée de voyage

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Je me réveillais à côté d'elle, qui dormait toujours, une aubaine pour moi. Nous étions toujours dans la tente à l'écart des autres habitations de la station et nous n'avions aucune chance d'être surpris ici. Rapidement mais discrètement, je me rhabillais et au moment de prendre mon sac ainsi que mon AK, Irina murmura :

_Tu t'en vas déja ?

Et merde ...

_Oui, j'ai payé pour une nuit aprés tout.

Je voulais absolument partir et retrouver ma chère solitude le plus rapidement possible, il fallait que je termine la conversation très vite pour m'éclipser. Je vérifiais le chargeur plein de mon fusil et alors que j'allais m'en aller, elle attrapa mon bras et m'empêcha de sortir de la tente.

_Quoi ? dis-je, agacé.

_Tu vas quelque part ? demanda-t-elle.

_Je ne sais pas encore, pourquoi ?

_J'ai envie de quitter cet endroit à la con ... avoua-t-elle.

Excédé, je rentrais à nouveau dans la tente. Je ne voulais pas perdre plus de temps ici.

_Et alors ?

_Des gens comme toi ne passent pas souvent par ici et le tunnel de Prospect Mira est dangereux ... répondit-elle.

_Tu veux aller où ?

_À Polis ...

C'était pas vraiment la porte à côté ... Néanmoins, je n'avais rien d'autre à faire.

_Je te paierai autant de balles que tu veux ... insista-t-elle.

_D'accord ... lâchais-je finalement.

_Super ! On y va alors ?

_Attends, tu crois vraiment qu'on peut partir comme ça ? Il n'y aurait pas un probléme ?

Toujours nue sous la fine couverture, elle hésita puis son regard tomba sur sa pile de vêtements dans un coin de la tente. De prime abord, elle semblait pas trés maligne.

_Oh ... Je ...

_C'est pas vraiment la tenue adaptée pour voyager, l'interrompis-je.

Je lui jetais mes deux derniers chargeurs qui me servaient d'argent qu'elle attrapa au vol.

_70 balles et une demi-heure pour aller t'acheter ton équipement. Compris ? dis-je fermement.

_D'accord.

Je sortis ensuite de la tente sans rien dire et posais mes yeux sur ma montre : il était 7h37. Traverser Rijskaya fut aisé, la gueule de bois gardait les habitants dans leurs lits. Le calme ambiant était troublé par le bruit de mes bottes sur le carrelage résonnant dans les couloirs vides. Une fois à la porte qui menait au tunnel vers Prospect Mira, un garde me demanda :

_Je peux vous aider ?

_Non non merci, j'attends quelqu'un avant d'aller à Prospect Mira.

_Faites attention là-bas, c'est trés tendu ... m'infoma-t-il.

_Ah ?

_Selon les rumeurs, la Ligne rouge protégerait des bandits ... Et la Hanse n'aime pas les bandits.

_Et ils ont raison ... J'ai entendu dire qu'ils avaient littéralement fait brûler Kitaï-Gorod.

_Je ne sais rien à propos de ça ...

Après une interminable attente, Irina apparut au poste de garde habillée d'une tenue militaire et armée d'un fusil à pompe, un revolver à la ceinture.

_Tu as 4 minutes de retard, déclarais-je.

_J'ai du négocier avec l'armurier pour acheter une arme et une montre ... répondit-elle d'un air moqueur.

_Enfin prête ?

_Absolument.

Les gonds de la porte grincèrent, dévoilant le tunnel sombre qui nous ménerait à la prochaine station. Le vent dans les tuyaux n'attendit pas longtemps avant de créer un bruit terrifiant ...

_Vous ne devriez pas avoir de problème entre ici et Prospect Mira, mais faites attention, il y a un couloir de service qu'on a dû condamner, on a déjà vu des mutants en sortir. Ils viennent un tunnel entre Dostoïevskaya et Troubnaya, il se doit de passer des drôles de trucs là-bas ...

_Merci pour l'info, répondis-je.

_On fera gaffe, compléta Irina.

Son regard prétentieux croisa mes yeux vides de toute émotion et nous entrions ensemble dans le tunnel.

_Bonne chance ! cria un des gardes juste avant que les portes ne se referment.

Nos deux torches s'allumérent l'une aprés l'autre et ma protégée vérifia ses munitions.

_Reste avec moi et tout se passera bien, lui conseillais-je.

_Je suis plus une gamine.

_Vu comment tu tiens ton fusil, on dirait que oui. Crosse contre épaule sinon ton arme va s'envoler dés le premier tir.

Renfrognée, elle corrigea son erreur et ajusta les sangles de son sac. Je voyais bien qu'elle essayait d'avoir une démarche moins provocante. Ses tentatives de progrés me faisaient rire intérieurement, je n'en avais rien à foutre d'elle. Une fois à Polis, je serai payé et ma chère solitude m'étreindrait à nouveau.

Pendant que nous marchions dans ce tunnel éclairé de temps en temps par une timide ampoule, Irina me demanda :

_Tu te souviens de la surface ? Avant que les missiles ne tombent.

_Oui, je ne m'en rappelle que trop bien ... Malheureusement.

_Pourquoi "malheureusement" ?

_Car il me manque ... Paris me manque ... Moscou, New York, tout ... L'humanité a été trop conne pour conserver ce monde, et nous l'avons détruit.

_J'avais 13 ans quand ça c'est passé, avoua-t-elle. Je ne me souviens de presque rien, sauf la Place rouge et la bibliothéque Lénine ... Deux images dans ma tête, deux reliques.

Aucun d'entre nous ne parla pendant quelques minutes, laissant le bruit résonnant de nos pas marquer le rythme de notre progression.

Soudain, une draisine fit sonner sa cloche et nous eûmes à peine le temps de nous jeter sur le côté pour ne pas se faire rouler dessus.

_Restez pas là ! cria quelqu'un sur le véhicule qui s'éloignait. Les Nosalis arrivent !

Par reflexe, je poussais Irina dans une armoire en métal en lui faisant signe de ne pas faire de bruit. Elle referma prestemment la porte et je m'allongeais dans par terre, dans l'ombre et mis la main sur mon holster. Comme un cadavre et la respiration presque coupée, je ne bougeais plus.

Camouflé, la terre et la poussiére sur moi formaient un linceul qui me rendait invisible.

Quelques secondes plus tard, une dizaine de Nosalis passérent, courant aprés les sacs de chair qui se défendaient avec leurs armes bricolées. Ils visaient si mal que qu'au moins la moitié de leurs balles tombaient à côté de moi. Alors que les tirs commençaient à se calmer, un monstre s'arrêta prés de moi et commença à me renifler.

_Je pue ? murmurais-je.

Mécontent, il hurla en se levant pour m'attaquer et je lui tranchais aisément la gorge avec mon couteau. Deux de ses congénéres non loin de là se ruérent vers moi mais une balle de 9 mm dans la tête de chacun des monstres les stoppérent net.

Je me relevais avec mon AK, prêt à en découdre avec d'autres adversaires mais c'était inutile : le tunnel était de nouveau silencieux et rempli de cadavres, principalement de monstres mais aussi de quelques humains.

_Tu peux sortir ! criais-je à Irina en donnant deux coups de crosse sur l'armoire métallique.

Elle sortit doucement, arme levée et tremblant comme une feuille. Je mis la main sur son fusil et baissais le canon du flingue avec lenteur en lui murmurant :

_Tout va bien ... Ils sont tous morts.

_Et s'il y en a d'autres qui sont cachés ? répondit-elle avec un visage apeuré.

_Les Nosalis sont différents des rôdeurs, ils n'attendent pas dans l'ombre avant d'attaquer, ils n'attendent pas dans l'ombre avant d'attaquer. S'il y en avait encore, ils nous auraient déja sauté dessus.

Malgré mes paroles qui se voulaient rassurantes, Irina continuait de regarder autour d'elle, morte de peur.

_Hé oh, regarde-moi ! dis-je en la forçant à tourner la tête vers moi. C'est fini, ils sont tous morts ! Calme-toi, et respire.

Aprés avoir à nouveau détourné le regard, elle se mit à genoux et sa respiration se calma petit à petit.

_Ca va mieux ? On a pas le temps pour ce genre d'arrêts.

_Oui, oui ... Ca va, répondit-elle en soufflant.

_On peut y aller ?

_Ouais, ajouta-t-elle.

Elle se releva, récupéra son fusil à pompe et ralluma sa lampe-torche.

Une fois prés de la draisine, je vérifiais les cadavres et dis à Irina :

_Fouille les corps et récupére ce que tu peux. Médikits, armes, munitions, même les filtres au cas-où on tomberait dans une situation fâcheuse.

_Euh ... Je suis pas sûre que ...

_Ils sont morts, leurs matos ne leur sert plus maintenant.

Elle ne répondit pas et se dirigea vers le cadavre face contre terre d'une femme aux cheveux bruns. Son corps était allongé quelques métres à côté de la draisine qui avait déraillé et s'était retournée trés violemment vu les profondes marques au sol. Un pauvre bougre, au mauvais endroit au mauvais moment, avait été coupé en deux quand le chariot lui était tombé dessus.

En fouillant la morte, je trouvais quelques balles de 7,62 et un revolver flambant neuf qui me rapporterait un peu d'argent à la revente.

_Merci chére amie ... dis-je en lui tapant sur l'épaule.

La lanterne de la draisine qui s'était brisée suite à l'accident et avait mis le feu aux parties en bois du véhicule. Les flammes projetaient les ombres des corps inertes et les crépitements du feu brisaient le silence flippant du tunnel. La combinaison des deux créait une ambiance oppressante.

_T'as trouvé quoi ? demandais-je à Irina.

_Deux balles de calibre 12 et ... Autre chose mais je sais pas ce que c'est ...

_Montre-moi.

Elle me lança l'objet en question et je ne pus m'empêcher de rigoler fébrilement, étonné par ce que j'avais dans la main.

_Une boussole, Une boussole bordel ...

_Je ... Je le savais hein ! mentit évidemment Irina. Ca va pas nous servir à grand-chose ici ...

_J'te le fais pas dire. À la limite, elle pourrait nous être utile si jamais on monte à la surface.

_On va pas faire ça n'est-ce pas ?! dit-elle avec une appréhension naissante.

_Non, bien sûr. J'ai entendu assez d'histoires de stalkers pour ne plus avoir envie d'y aller ... On m'a déjà parlé de mutants géants ou même à deux têtes ...

_Ca fait froid dans le dos ... répondit-elle en frissonnant.

_Peut-être, mais c'est sûrement des conneries. Viens, on s'en va, Prospect Mira est encore loin.

Ma protégée récupéra son sac ainsi que son arme et nous nous remettions en route, laissant les restes de la draisine derriére nous.
Quelques minutes plus tard, elle demanda :

_Je peux te poser une question indiscréte ?

_Oui, si tu veux.

_Tu as déjà aimé une femme dans ta vie ?

Je soupirais et me demandais intérieurement pourquoi j'avais accepté qu'elle me pose cette question. Quelle connerie ...

_Pourquoi tu veux savoir ça ?

_Si on doit voyager jusque Polis ensemble, il vaudrait mieux qu'on apprenne à se connaître un peu mieux non ? répondit-elle très justement.

_Echec et mat, bonne réponse ... avouais-je.

Je restais silencieux quelques secondes avant de finalement me confier

_Je ... J'étais avec une fille depuis quelques moins avant que les missiles ... Ne tombent. Elle s'appelait Annah ...

À cause de mon service militaire, je la voyais de moins en moins et ça me faisait mal. Lors du jour fatidique, c'était son anniversaire ... Et j'étais même pas là. J'habitais à Lyon à l'époque, je sais même pas si la ville a été rasée mais si c'est le cas, elle doit croire que je suis mort et elle m'a sûrement déjà oublié.

Irina ralentit sa marche puis s'arrêta sans rien dire.

_Je suis désolée ... murmura-t-elle finalement.

_C'est du passé. N'en parlons plus. Tu as ta réponse ?

_Oui, même si je ne m'attendais pas à ça ... répondit Irina.

Plus loin dans le tunnel, un bruit léger de pas commençait à se faire entendre. Par réflexe, je mis la main sur la bouche d'Irina et éteignis sa lampe-torche avant de la plaquer contre le mur pour la cacher dans l'ombre. Dans l'obscurité, nous étions silencieux et invisibles.

_Ne bouge pas, lui murmurais-je. Je m'en occupe.

Elle hocha lentement la tête et ramena son fusil contre elle pendant que je me relevais. Mon AK-47 dans mon dos et ma lampe à la main, je découvris la silouhette d'un homme seul et titubant entre les rails.

_Hop hop hop ! cria-t-il. Qui va là ?!

_Un voyageur indépendant ! répondis-je à l'inconnu qui s'était approché.

Malgré la courte distance qui nous séparait, j'avais du mal à le voir à cause de sa lumière qui m'éblouissait.

_Indépendant ? reprit-il. T'es un stalker ?

_Ouais ! répondis-je du tac au tac.

J'avais menti pour le dissuader de me causer des ennuis, ce qui ne fut pas vraiment efficace. Il sortit brutalement un vieux revolver, me prenant au dépourvu.

_Alors tu dois avoir du bon matos sur toi. Pose tes armes à terre, ordonna-t-il.

Dominé, je n'eus pas d'autre choix que de me plier à sa volonté et je laissais mon fusil d'assaut sur le sol. Mon adversaire sursauta et détourna le regard à cause d'un bruit de ferraille derrière lui, ce qui me laissa assez de temps pour sortir mon arme de poing avant que ses yeux ne puissent se poser sur moi à nouveau.

_Et maintenant connard ? Tu vas faire quoi ? le défiais-je.

_Tu viens de faire une grosse erreur ... dit-il d'un air menaçant.

_J'ai déjà fait bien pire, je suis plus à ça près.

Personne ne bougea ne serait-ce qu'un muscle pendant ce qui sembla durer une éternité. Le tuer n'était pas nécessaire et je voulais éviter d'avoir sa mort sur la conscience jusqu'à la fin de ma misérable vie.

_Je ne veux pas te tirer dessus, déclairais-je. Si c'est pas obligatoire, autant ne pas envoyer un humain au cimetière non ?

Il se mordit la lèvre, signe d'une hésitation manifeste. Il allait forçément appuyer sur la détente de son arme au bout d'un moment.

La situation se débloqua quand une balle sortit de chaque pistolet en même temps. Elle se frôlérent sur leur chemin, créant une petit étincelle dans l'air, puis je fus frappé par son projectile au ventre et je m'écroulais en arrière.

_Mark ! hurla Irina qui se mit à courir vers moi.

Elle glissa en arrivant à côté de moi, soulevant un nuage de poussière.

_Tu saignes ... dit-elle en montrant une partie de mon gilet qui commençait à se teinter de rouge.

_Je sais, dis-je avec un gémissement de douleur.

Je me relevais difficilement avant la sensation d'avoir littéralement un trou dans le ventre. Je devais voir comment avait fini celui qui avait osé me tirer dessus, c'était une affaire personnelle à présent.

_On a pas de bandages ? demanda l'écho de la voix d'Irina derrière moi.

_Pas besoin, répondis-je en déchirant les couches de tissu au-dessus de la blessure et en appuyant sur la plaie avec ma main.

Il me fut impossible de ne pas hurler de douleur lors du contact entre la peau de ma main et la chair à vif mais je n'avais pas le choix, je devais empêcher le sang de couler.

Pas à pas, avec mon pistolet dans ma main droite, je m'approchais de l'inconnu tout en le visant pour éviter d'autres mauvaises surprises, mais je vis rapidement que c'était inutile : je l'avais touché au milieu du front et il s'était brisé l'arrière du crâne en tombant sur un rail. Mon arme entra à nouveau dans son holster et après une fouille rapide du cadavre, il apparut qu'il n'y avait qu'un vieux revolver rouillé. Le fait qu'il avait réussi à me toucher avec son flingue de merde était un miracle et un insulte envers les cours de probabilités que j'avais eu vingt ans plus tôt.

_Fils de pute ! criais-je en français alors que je tirais deux balles dans son torse pour bien être sûr qu'il ne se reléverait pas.

_Quoi ? demanda Irina.

_Rien ... répondis-je en me rendant compte de ce que je venais de dire. C'est un mot pas très beau dans ma langue natale.

_Tu pourrais m'apprendre à parler français ?

_Si j'arrive à Polis avant de mourir d'une hémorragie, oui. C'est long et chiant, mais oui.

Je mis un bras sur ses épaules après avoir récupèré mon AK et elle m'aida à marcher sur quelques dizaines de mêtres.

_Prospect Mira n'est plus très loin ... murmura-t-elle.

Après un virage, nous tombions nez à nez avec un effondrement typique des pièges des bandits. Le chemin était bloqué et le seul moyen de passer était un couloir de service dans la paroi qui nous ménerait sans doute droit dans une embuscade de ces enfoirés.

_Et merde ... Fait chier ! dis-je en perdant mon calme.

_On fait quoi maintenant ? demanda Irina.

_Pas le choix ... Il n'y a pas d'autre chemin.

Je levais ma kalashnikov levée en automatique et commançais à avançer dans le couloir. Un peu plus loin, une porte s'ouvrit en grinçant et le son résonna dans chacune des salles et l'écho du son traversa mon corps jusque dans les moindres recoins de mon âme. Irina sur mes talons, son regard inquiet voulait tout dire.

Je ne prononçais pas le moindre mot et entrais comme un courant d'air dans la première salle qui allait directement nous mener dans la gueule du loup. Surprendre les bandits et les prendre à leur propre jeu était notre seule chance.

À l'intérieur de la première pièce, occupée par deux étagères et une table sur laquelle était posée une lanterne encore allumée, un cadavre était allongé sur le ventre juste derrière la porte. L'homme, assez âgé et une bouteille de vodka à la main, avait été poignardé dans le dos puis s'était écroulé de tout son long.

_On est pas tout seuls ... murmurais-je en regardant la blessure caractéristique d'une lame entre ses omoplates.

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