Chapitre 11 - La Mémoire

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À son réveil, Hope se sentait beaucoup mieux, et étrangement en forme. Se redressant dans ses draps, elle étira ses bras vers le ciel. Tout son corps lui semblait bien léger et son esprit plus clair. Elle ne se souvenait pas avoir aussi bien dormi depuis son arrivée ici.

Mais elle n’avait pas oublié son cauchemar. Les images continuaient de tourner dans sa tête alors qu’elle commençait doucement à comprendre. Elle se souvenait un peu mieux à présent. Ses parents s’étaient souvent disputés à cette époque, allant jusqu’à faire chambre à part, passant des heures à s’ignorer et faire comme si de rien n’était.

Pourtant les questions demeuraient là, bien présentes. Pourquoi tant de cris ? Pourquoi ces pleures ? Que s’était-il dont passé ? Pourquoi sa mère s’était-elle tuée ? Pourquoi les avait-elle abandonnés son père et elle ?

Pourquoi ?

En s’asseyant au bord du lit, Hope se souvint soudain de quelque chose. Elle passa une main sur les draps à son côté, là où quelques temps plus tôt il s’était tenu à son chevet. Le gardien. Plus elle avançait dans la découverte de son passé et plus elle se posait de questions sur lui. La marque sur son front l’avait attiré. Et, en la voyant, il avait semblé si triste, si… coupable.

Hope se frotta les yeux. Des questions, encore et toujours des questions !

L’adolescente soupira et se redressa. Les réponses étaient là, toutes proches. Elle le savait, elle le sentait. Elle allait bientôt savoir.

Alors, sa détermination renouvelée, Hope se leva et s’approcha de la table du petit salon. Elle y prit le livre de conte qu’elle regarda un instant avant de se tourner vers la porte. Le serrant plus fort dans ses mains, elle s’approcha de la sortie. Elle allait découvrir ce que le gardien et son amnésie lui cachaient. Elle allait recouvrer la mémoire et s’en aller de ce monde de fou.

Une fois dans le couloir, cependant, Hope s’arrêta. De nombreux miroirs étaient de nouveau apparus sur les murs. En face de chaque grande fenêtre, des dizaines de glaces de toutes tailles et de toutes formes faisaient fièrement face à la pleine lune écarlate.

Curieuse, elle s’en approcha et regarda longuement l’une d’elles. Ses yeux glissèrent sur le livre de conte dans ses mains. Pourquoi ce cauchemar ? Pourquoi avoir choisi de lui révéler ce morceau de son passé en particulier ? Pourquoi pas un autre ? Et dans ce cas, trouverait-elle autre chose dans le livre que son nom ?

Sur la jolie couverture pourpre se trouvait toujours le titre en lettre d’or : Le conte de la Princesse Hope. Sa curiosité piquée au vif, elle l’ouvrit et feuilleta les premières pages.

– Il était une fois, une jolie princesse du nom de Hope, lut-elle à voix haute.

Du coin de l’œil, l’adolescente remarqua du mouvement dans une psyché non loin. Elle releva les yeux et recula de plusieurs pas, surprise. Tous les miroirs se mirent soudain à fondre, coulant sur le mur, se fondant les uns dans les autres. Perplexe, Hope s’approcha de l’immense glace qui lui faisait à présent face. Le mur tout entier s’était transformé en un grand miroir.

Elle sentit soudain le livre pulser entre ses doigts, se réchauffer. Quand elle reposa les yeux dessus, elle le vit dessiner de nouveaux mots.

– Tu veux que je te lise, c’est ça ? ne put-elle s’empêcher de demander.

Mais seule le silence lui répondit. Elle pinça les lèvres, plus si certaine de ce qu’elle était censée faire ou non. Puis elle soupira, jetant un dernier regard à son reflet avant de replonger dans le conte.

– D’accord…

Elle se racla la gorge et poursuivit sa lecture.

– Il était une fois, une jolie princesse du nom de Hope. Elle vivait avec ses parents, le roi et la reine dans un immense château où tout le monde était heureux…

À peine ses mots furent-ils prononcés que la glace se mit à luire devant elle. Puis des images apparurent. Elle vit alors ses parents, heureux, tenant dans leur bras leur petite fille d’à peine quelques mois. L’image semblait si emprunte de bonheur et d’amour que Hope en eut les larmes aux yeux. Elle se vit alors apprendre à marcher, puis à parler. Son premier anniversaire apparut ensuite. Cette vision merveilleuse de ses parents, heureux, fit sourire la jeune fille. Pourtant une ombre demeurait, et, aussi violemment que lors de son cauchemar, les images de la mort de sa mère lui revinrent en mémoire. Elle sentit sa gorge se nouer et son estomac se retourner. Que s’était-il dont passé ?

Hope regarda sa mère, les larmes aux yeux et ne put s’empêcher de poser une main sur le miroir. Aussitôt l’image se stoppa, figeant le sourire joyeux de la jeune femme dans la glace.

– Pourquoi ? Pourquoi s’est-elle tuée ? interrogea Hope les lèvres tremblantes.

Elle fixa un moment le portait de sa mère.

– Pourquoi tu nous as abandonné, maman ?

L’image resta en suspend encore quelques instants, puis le film s’accéléra, se transformant en un tableau aux couleurs flous. Quand l’image redevint net, ce fut pour illustrer le soir en question. La nuit où sa mère s’était pendue.

Hope retira vivement sa main de la glace, comme parcourut d’un choc électrique. Elle revit la petite fille cachée sous ses couvertures, puis sortant dans le couloir. Elle la vit hésiter devant son père endormi dans le salon avant de revenir sur ses pas devant la chambre où, en ouvrant timidement la porte…

– Stop !

L’image se figea juste avant que la porte ne s’ouvre de nouveau sur la scène macabre.

Hope tremblait.

– Non… non, ce n’est pas ça que je veux voir. Montre-moi pourquoi. Je veux savoir pourquoi elle s’est suicidée.

Lentement, le film se rembobina. La nuit laissa place à une fin de soirée à peine couverte où l’orage n’était plus. L’image s’arrêta alors dans la chambre où la petite serrait fort son doudou dans ses bras en se bouchant les oreilles les yeux fermés.

– Très bien… soupira Hope un peu anxieuse en posant une main sur la glace. Très bien…

La respiration un peu tremblante, elle tenta de se concentrer. Montre-moi. La glace vibra de nouveau sous sa main. Ses doigts commencèrent à s’y enfoncer, puis sa main, son avant-bras. Hope fut étonné de ne pas éprouver de résistance comme la dernière fois. Alors elle traversa le miroir et atterrit dans la chambre de la fillette.

L’écho des cris se répercutait sur les murs. Hope n’y prêta pas attention. Elle avait besoin de savoir, qu’importe les conséquences. Ignorant la petite prostré dans un coin, l’adolescente s’avança vers la porte. Elle hésita un instant, devait-elle l’ouvrir ? La traverser ? Le temps semblait filer à toute allure. Fatiguée de se poser des questions, la jeune fille finit par traverser la porte et atterri dans le couloir.

Là, Hope s’approcha à grand pas du salon où se tenaient ses parents, dressés l’un devant l’autre. Elle serra son livre un peu plus fort contre sa poitrine.

Elle ne pouvait pas entendre leurs paroles, mais elle ressentait leur détresse. Elle voyait les larmes de sa mère, le désespoir dans les yeux de son père. Mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi. D’où venaient ces larmes, cette tristesse ?

Pourquoi ?

Son regard fut alors attiré par les photos de famille, joliment alignées sur un meuble non loin. Elle s’y vit avec son père, sa mère, son… frère ?

Hope eut l’impression que tout se remettait enfin en place dans son esprit. Un petit frère. Elle avait un petit frère. Comment avait-elle pu l’oublier ? Puis les réponses à ses questions éclatèrent dans son esprit comme des gifles. Mort. Il était mort. La voilà la raison de tout ce chagrin, de ces larmes et de ces disputes incessantes !

Hope se souvenait avec une précision soudain effrayante de ce drame qui les avait frappés. La noyade dans le lac pendant les vacances. Comment elle avait perdu son frère sous l’eau, comment son père avait tenté de le retrouvé… comment on l’avait retrouvé quelques mètres plus loin sur la rive, mort, noyé. Elle se souvenait de l’enterrement, des larmes, des cris. Elle n’avait pas réalisé avant de rentrer à la maison, ce fameux jour, qu’il ne reviendrait jamais. Et maintenant… maintenant elle comprenait tout.

Sa mère n’avait pas supporté le manque. L’absence de son enfant l’avait rongé jusqu’à ce qu’elle craque, abandonnant son mari et sa fille. Comment Hope avait-elle put les oublier ?

Le chagrin commença à se rependre dans tous son être à mesure que les images lui revenaient. Elle avait l’impression qu’on lui labourait les entrailles. Elle se sentait tellement coupable. Elle n’avait rien put faire pour son frère, ni pour sa mère.

Et maintenant ils n’étaient plus.

Soudain, l’image changea autour d’elle. Elle se vit grandir en accéléré, elle et son père. À mesure que la mémoire lui revenait, les souvenirs se dessinaient autour d’elle. L’école dont elle se rappelait chaque couloir, chaque classe, chaque professeur. Elle se souvenait les moqueries à l’école primaire, le harcèlement au collège puis l’amitié au lycée. Elle se revoyait avoir enfin son diplôme, son père lui sourire, lui qui avait soudain l’air si vieux et fatigué. Elle se vit commencer de grandes études.

Hope eut alors la sensation qu’il manquait quelque chose. Elle se souvenait de tout et de tout le monde, mais alors, où se trouvait le gardien ? Qui était-il ? Elle avait beau réfléchir, fouiller dans cette nouvelle mémoire pleine d’images et de sons, elle ne trouvait pas une trace de ce mystérieux garçon.

Puis soudain elle comprit. La vérité la frappa plus violemment encore que le suicide de sa mère ou la disparition de son frère. Hope se sentit se décomposer.

Et les images qui lui revinrent furent aussi violentes que le souvenir lui-même.

Elle se revoyait en voiture avec sa meilleure amie. Elle voyait le paysage défiler par la fenêtre, elle ressentait sa hâte de retrouver son père. Sa gorge se serra. Les rires dans l’habitacle alors que les filles se souvenaient de leur première année à l’université. Ses mains tremblèrent. Puis il y eut l’autre voiture. Ses yeux piquèrent. La collision des deux véhicules. Les larmes coulèrent. Les cris, et brusquement… le silence.

Puis la mort.

Sa mort.

Hope retint son souffle. Et tout se figea.

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