Chapitre II - Le bal du Cygne (2/4)

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Aly n'avait pas tardé à répondre à mon premier SMS de la journée. C'est en grandes pompes que s'était faite son arrivée en début d'après-midi. Apprêtée, sous un manteau de fourrure que j'espérais fausse, son nez s'était attardé dans ma penderie.

- Moche, commente-t-elle. Démodé. A ch...

- Je crois avoir compris.

Exaspérée, je me pointe devant elle. Un jean et un poncho suffiront pour je ce que je considère comme n'étant que du lèche-vitrine. Mais alors que sa bouche trop maquillée s'apprête à s'ouvrir de nouveau, je l'interrompt du doigt d'un air menaçant. Écrase. Moqueuse, mon amie s'avoue vaincue, les mains en l'air, avant d'emboîter le pas vers la sortie. Pour ma part, j'étais consciente que les prochaines heures seraient longues et même interminables.

Vingt-heures, une minute. Le lit d'Alyssa est imperceptible, noyé sous les nombreux sacs de vêtements. Plus loin, les spots de la coiffeuse couleur chêne mettent en évidence toutes les imperfections de mon visage. Sous les mains expertes d'Alyssa, les cernes s'estompent et un effet bonne mine est vite créé. Les cheveux ôtés de leurs boucles naturelles et réunis en une queue de cheval inhabituellement haute, mon amie me présente des bijoux dont la provenance m'apparaît des plus douteuses. Interdite, je renonce à toute tentative d'interrogatoire devant le regard suppliant de mon amie. Le moment était mal venu pour débattre et je préférais garder mon énergie pour la soirée à venir.

La torture ayant pris fin, glissée dans cette robe de location qui ne me ressemblait en aucun point, je scrutais l'inconnue dans le miroir. Cette jeune femme n'avait pas vingt-deux ans, mais peut-être cinq de plus. Elle n'était ni timide, ni insouciante, mais charismatique et élégante dans sa longue robe de dentelle blanche. Sa mine parfaite ne laissait entrevoir aucun signe de fatigue et ses mains parfaitement manucurées trahissaient un manque total d'activité manuelle. Je l'enviais.

- Wow !

Je sursaute, brutalement tirée de mes songes. Derrière moi, Aly affiche un sourire fière et estomaquée. Le rouge vif de sa robe est en harmonie avec sa silhouette parfaite, une fente dans le tissu rendant intelligemment visible l'une de ses jambes lors de ses déplacements. Aérienne et naturelle malgré les artifices. Quant à moi, je me sentais ridicule et ce sentiment me paralysait la colonne vertébrale. Mon amie sentant l'angoisse monter en moi, c'est avec bienveillance qu'elle avait posé sa main sur mon dos dénudé, m'invitant à me détendre et à relâcher le pan de ma robe, coincé sous la crispation de mes doigts. Cette invitation, ou plutôt cette menace déguisée, m'avait arrachée un rire et m'avait quelque peu détendue. Nous étions prêtes.

Le Grace,

levée de fond 2017 pour l'éducation des filles dans le monde,

présidée par Lily Dark.

Alyssa affiche une mine exaspérée, étouffant un juron entre ses dents avant de saluer deux hommes, quelques marches plus haut. Cannes 2017, oui. Les photographes et la foule sont considérablement réduits, mais la scène s'en rapproche étroitement. Tapis rouge, beau monde et flash aveuglants. Je manque presque une marche mais arrive à l'entrée du Grace sans la moindre casse.

Devant de gigantesques portes de verre et de dorure, des gorilles filtrent les allées et venues de l'hôtel. Ils sont intimidants et me renvoient à ma place de fille du bas peuple. C'est lorsque le regard de l'un d'entre eux se pose sur la brune incendiaire à mes côtés que l'atmosphère devient plus supportable. Le sourire qu'ils s'échangent me laisse perplexe et me confirme la fréquence de leurs entrevues. Je souris intérieurement et pénètre dans l'antre du loup, un fin masque en plumes sur les yeux.

Le Grace grouille de monde. L'événement à thème est un succès et le gratin New-Yorkais n'a pas craché sur l'occasion de parader dans ses plus beaux habits. Les serveurs s'affairent de toute part et divaguent entre les convives avec une large pression. Flûtes de champagnes et buffet salé, tout est millimétré et impeccablement présenté. Les lumières sont tamisées et des chandelles créent une ambiance versaillaise au pied des tableaux de grands maîtres du XVIIème siècle. Splendide.

- Désirez-vous une flûte de champagne, madame ?

Je refuse poliment l'attention. Derrière l'épaule du serveur, avant que celui-ci ne se dérobe, un groupe de femmes attire mon attention. De par leur beauté éclatante et leur manque de discrétion, je crois deviner parmi elles l'hôte de la soirée. Elle serait probablement petite si elle n'était pas perchée sur des escarpins vertigineux, attendrissante si sa réputation ne l'avait pas déjà devancée. Lily Dark resplendissait dans sa robe vaporeuse et pailletée au milieu de sa cour. D'elle se dégageait une forme de maturité sous ses airs juvéniles. Elle n'était âgée que d'une petite vingtaine d'années tout au plus, quoi qu'un peu plus jeune que nous l'étions Alyssa et moi.

A l'évocation de mon amie, je m'étonnais de ne plus la trouver à mes côtés. Où avait-elle bien pu aller ? L'établissement ne cessait d'emplir, ce qui n'annonçait rien de bon pour mes recherches, sauf quand un éclat de rire vint à m'assourdir l'oreille à quelques mètres de là.

Aly, encerclée par deux hommes et la compagne de l'un d'entre eux, semblait pleinement profiter du début de soirée, une coupe de champagne à la main.

- Ho ! s'exclama-t-elle en me voyant avancer. Daniel, permet-moi de te présenter la plus douce et la plus merveilleuse des meilleures amies, Gabriela.

Je me force à sourire en me joignant à eux avec la sensation désagréable d'être scrutée.

- Enchanté, Gabriela.

L'intéressé fit mine de se courber. C'était un grand blond aux yeux noisettes et à la voix assurée en queue de pie. Un aristocrate à n'en pas douter avec ses deux voisins.

- A mon tour, je te présente Pierre et Elena.

La petite blonde affiche un immense sourire à s'en décrocher la mâchoire. Elle se décolle de son petit-ami et s'empresse de m'étreindre. Son enthousiasme me surprend mais parvient étrangement à me détendre.

- Bonsoir, Gabriela ! Je suis contente de te rencontrer. Alyssa nous a beaucoup parlé de toi alors nous sommes heureux de mettre enfin un visage sur un prénom.

Sa voix chantante trahi ses origines de l'Est. La pâleur de sa peau et le bleu de ses yeux aussi.

- J'espère qu'elle ne vous en a pas trop dit, soufflais-je dans une voix aiguë mal maîtrisée. Aly a parfois la langue bien trop pendue.

La galerie s'amuse de cette remarque et l'intéressée emprunte un air faussement vexée. Le thème à masque de la soirée avait penché dans la balance lorsque j'avais accepté de l'accompagner. Je me rendais aujourd'hui compte que l'anonymat n'avait en réalité jamais été question. Naïve.

- C'est peu de le dire ! Tu as des origines françaises, paraît-il

? s'enquit Pierre dans la langue de Molière pour la première fois depuis les présentations.

- Il paraît, en effet. Mais je ne suis pas la seule apparemment ?

L'air pénétrait à nouveau dans mes poumons et je respirais avec d'avantage d'aisance qu'à notre arrivée. La chaleur de ces invités y étaient pour beaucoup. On vint à m'offrir une nouvelle coupe que je ne refusa pas cette fois. Le garçon désarçonné, je me sentais obligée de rétorquer.

- Ton accent.

Au fil de la discussion, j'avais appris les origines monégasques de Pierre et Elena avait confirmé les siennes, née en Russie. Tous deux s'étaient rencontrés sur les bancs de la fac à Boston et ne s'étaient depuis plus quittés. Une pierre scintillant à l'annulaire de la diplômée en histoire, je devinais que l'engagement était une étape plus qu'envisagée.

Pierre et moi nous sommes découvert des points communs supplémentaires. Outre notre maîtrise de la langue de Molière, nous partagions ensemble le même cursus universitaire, à quelques années près. Ses années à Harvard lui avait ouvertes de nombreuses portes et Daniel était un ami de chambré.

Tous les trois avaient fait la rencontre de ma meilleure amie à L'Élite l'année dernière. Ce club était un incontournable de l'État. Sélectif et prisé, Alyssa m'en avait souvent parlé, sans jamais parvenir à m'y conduire. Une petite victoire pour la petite chose que j'étais.

- Oh, merde...

L'attention des convives s'était simultanément portée sur une même silhouette. Sauf la mienne, intriguée par une Aly hallucinée. Le brouhaha ambiant des invités, plus tôt couvert par discrets accords de musique classique, avait laissé place à de faibles chuchotements.

Naturellement, les convives s'écartaient afin de libérer le passage principal, formant une haie d'honneur improvisée mais quasi militaire. Je suivais le mouvement en peinant à saisir, fidèle au décalage de nos deux mondes.

Dans le Grace pénétrait Damian Dark au bras d'une rousse incendiaire. Le tissu bleuté dans lequel était vêtue cette dernière aurait pu faire rougir n'importe qui et me fait replonger en enfance devant mon dessin-animé favori.

- C'est Iris Logan à son bras, murmure Alyssa à mon oreille. Avocate de formation, elle a obtenu un siège au conseil d'administration de Dark&Cie le mois dernier. Un vrai dragon à ce qu'on dit. Et elle n'a que trente-trois ans...

J'écarquille les yeux, impressionnée par le personnage. Cette femme est tout ce que l'on peut envier et la rapidité à laquelle elle a su faire sa place dans une entreprise de si grand renom est admirable.

- Krasavitsa, tu vois la femme en robe couleur lilas ? reprend Elena à ma droite. Cette fille est mariée avec son deuxième garçon. Elle s'appelle Pauline.

Pauline est une jolie femme mais dégage un magnétisme différent. Plus éteinte et ordinaire. Elle ne semble pas des plus affirmée dans sa démarche, ni des plus heureuse. Elle est d'ailleurs seule et avance en retrait derrière le patriarche de la famille. Bien que me tenant en retrait des ragots, Alyssa m'avait déjà conté certaines rumeurs à son sujet et celui de son mari. Si celles-ci s'avéraient être exactes, je ne pouvais que compatir.

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