L’horloge du labo indiquait dix-sept heures trente. Sanders lui fit répéter les consignes de retour qui comprenaient l’endroit exact où il devait se trouver, lui et Gavert, au moment où il lancerait le signal de retour. Ensuite, il l’aida à s’installer dans l'espace en forme de cylindre. Les techniciens, qui se chargeaient de contrôler les procedures de base, lui bouclèrent le casque sur la tête et rabaissèrent le couvercle sur lui. Il pouvait encore apercevoir Sanders et Zarckov par la partie en plexiglas situé au niveau de son visage. Ces derniers, debout devant lui, semblaient hors du temps. Il le vit se diriger vers l’équipe responsable de la mise en marche de l’engin tout en traversant le corps de Sanders qui lui barrait le chemin.
— Derky, vous m’entendez ?
La voix qui résonna dans son casque le fit sursauté.
— Je vous entends, monsieur Sanders.
— Nous allons suivre point par point les étapes de votre transfert. Pouvez-vous nous décrire tout ce que vous ressentez ?
— Comme vous voulez, dit-il la gorge serrée. Je crois que je commence à avoir des hallucinations. Je viens de voir Zarckov vous pass…
— Monsieur Derky, vous pouvez encore renoncer si vous le voulez, lâcha Zarckov sur un ton peu convaincant.
— Ça ira. Laissez-moi quelques secondes avant, balbutia Roger qui essayait de maîtriser une panique grandissante tandis que des gouttes de sueur lui piquaient les yeux, l’obligeant à les fermer par intermittence. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Comment avait-il accepté une pareille folie. Soudain, il eut envie de crier qu'on le laisse sortir tout de suite, tel un enfant apeuré, mais le visage d’une femme, qui lui était inconnu, semblait vouloir lui dire quelque chose. Il aurait voulu savoir si…
— OK ! Faites-le ! hurla-t-il à Sanders. Et vite avant que je ne change d’avis.
Sanders leva son pouce et secoua sa tête dans l’affirmative. Il se retourna vers les techniciens et leur fit signe de commencer.
— OK ! Derky, essayez de nous décrire ce qui se passe au maximum avant de disparaître.
Il y eut un énorme vrombissement suivi d’une sorte de bourdonnement dans le labo. Les plafonniers clignotèrent sous l’effet de la tension électrique engendrée. Les câbles reliant la console au caisson s’agitèrent dans des spasmes nerveux. Le cylindre s’ébranla, d’abord doucement, puis plus rapidement en se plaçant à l’horizontale. Roger sentit de violents soubresauts dans l’habitacle. Avant de disparaître… Super rassurants, les gars.
— Oh ! Ça remue vachement ici, s’écria-t-il, terrifié par le fait qu’il ne pouvait plus voir les deux hommes devant lui.
Zarckov haussa la voix pour se faire comprendre.
— On ne peut pas vous dire exactement. On dirait qu’une sorte de lumière bleue enveloppe votre module. Roger, par mesure de sécurité, on va sortir du labo. Dites-nous de suite si vous voulez arrêter.
Roger n’entendait déjà plus rien. Un fort courant électrique venait de traverser son crâne de part en part en une fraction de seconde.
Il ne ressentit rien. Son esprit fut soudain absorbé par un marasme de pensée chaotique, de sensations et d’émotions intenses. Sa vie commença à défiler devant lui à une vitesse vertigineuse. Le processus rétrograde se poursuivit jusqu’au moment de sa naissance, puis bien plus en avant. Il eut une brève, mais claire vision de trois personnages qui se faisaient face, l’un observant les deux autres avec intérêt. Ce dernier tenait un cortex humain dans une main ou émanait des informations sous la forme de zéro et d’un, puis le deux simultanément. Il y eut une soudaine déflagration muette de lumière qui l'aspira dans une sorte de trip psychédélique. Il se fondit dans l’univers tout entier.
Puis, vint un gigantesque tunnel de tourbillon d’énergies denses qu’il se dirigeait vers un ailleurs .

Dans le labo, Sanders, Zarckov, ainsi que tous ceux qui s’étaient rassemblés derrière la vitre, assista sans un mot à la désintégration complète de Roger dans le caisson. Ensuite, ce fut leur tour.