Deux jours plus tard, ils se trouvaient de nouveau tous les trois devant le mince filet d’électricité bleuâtre qui crépitait toujours entre les deux électrodes du casque en sangles. Roger se sentait nerveux en repensant à la vidéo que Sanders lui avait remise avant de quitter le labo.

— Nous comprenons qu’un tel choix n’est pas facile à faire… avait-il argumenté à son encontre. Néanmoins, nous pouvons vous rassurer sur un point, monsieur Derky. Le processus de "transfert" d’Alexis a été enregistré par nos caméras de surveillance.
— En quoi cela me fera-t-il changer d’avis ? avait-il demandé tout en scrutant l’intérieur du caisson.
— Au moins nous pourront reproduire celui-ci dans des conditions identiques, mêmes si on n’a aucune idée du résultat final.
Rogers se remémora les dernières activités de Gavert, son profil et toute trace d'anomalie de comportement immortalisé sur le disque dur qu'il avait visionné en rentrant chez lui. Le gars se tenait devant une console à proximité du caisson. A ses cotés, l'étudiant, absorbé par ses activités, lui tournait le dos. Puis, était venu le moment ou le développeur avait redressé son visage vers l'objectif de la caméra. Les traits de son visage lui étaient apparu plus ou moins flou, à cause peut-être de la qualité vidéo, ou il n'aurait su dire quoi. L'homme s'était figé dans cette position malaisante de longues secondes avant qu'il ne tourne, et se dirige de manière mécanique vers le jeune stagiaire. Il ne se passa pas plus d'une minute entre l'endormissement de l'étudiant par une clé de bras - super, un adepte des arts martiaux - et sa mise au placard. Ensuite, Alexis s'était installé tout aussi mécaniquement dans la fameuse capsule, avait enfilé le casque sur sa tête, tiré vers lui le couvercle, et l'instant d'après, s’était dématérialisé sous ses yeux médusés.

Dans quelques heures, viendra son tour.

Avant cela, Sanders, Zarckov et lui s’étaient mis d’accord pour qu'il prenne le temps de réfléchir sur ce à quoi il s'impliquait, sa responsabilité et son engagement envers la boite.

— Roger… si je peux me permettre, il y a autre chose que vous devez savoir. Dit Sanders après lui avoir remit la vidéo.
— Au point où en est, dite toujours.
— On ne peut plus douter qu’Alexis a réalisé l’inconcevable en trouvant l'accès à une quelconque dimension, quoique théorique pour nous en cet instant. Même sans savoir si il est toujours vivant, et même si cela nous paraît de toute façon complètement dément. Le problème à l’heure actuelle, c’est qu’il se trouve peut-être en danger quelque part. Vous comprenez ?
— Je comprends.
— On n’a aucun volontaire pour s’y frotter.
Il avait réalisé à ce moment-là qu'il se trouvait face à quelque chose de radicalement différent des autres cas qu'il avait eu à régler
— Au lieu de tourner autour du pot, dites simplement que vous voulez que j’entre dans ce machin et que je me lance à la recherche de votre gar, c’est bien ça ?
En réponse, Sanders s'était permis d'avancer des faits le concernant.
— Monsieur Derky, durant votre dernière intervention, vous êtes demeuré trois jours en totale immersion dans nos locaux pour guider l’un de nos beta joueurs, un dénommé Sam Starck à son domicile, dans le réel. On a pensé que cela ne vous ferait pas froid aux yeux.
Un sentiment de malaise s'était emparé de lui à l’évocation de cette mission. Il en ignorait la cause.
— Vous m'offrez un aller simple dans un territoire inconnu ou aucun homme n’a mis les pieds, et sans même savoir si cet engin-là fonctionne. Et les risques que j’encours ! Avez-vous au moins pris en compte l’éventualité que le transfert se soit mal passé pour votre gars ! Imaginez que ses atomes se soient dispersées dans les quatre coins de l’univers !
— Détrompez-vous. C’est une possibilité que nous avons pris en compte depuis le début, avait protesté Zarckov en se rapprochant du caisson métallique. Je reconnais qu’il faut une sacrée dose de folie pour se jeter sans filets dans ce qui n'est qu'hypothèses et théories scabreuses. Malheureusement, notre réponse se trouve vers cet ailleur, si tenté il est. Nous n’avons personne dans ces locaux mieux préparés que vous à ce genre d’expédition.
— J’aimerais savoir ce qui vous fait croire que je vais accepter une telle connerie ?
— Parce qu’il a besoin d’un gars comme vous pour le ramener, avait soudain dit Sanders en se rapprochant de lui. Mais, peut-être qu'une raison plus personnelle vous conviendrait ?
— Qu’insinuez-vous par là ?
— Votre femme.
— Ma femme ?
— La possibilité de lui parler.

Ce dernier s’était empressé de lui relater les circonstances de sa disparition, et il était resté sans bouger, à écouter cet homme qu’il connaissait de longue date lui rappeler un évènement dramatique dont il ne gardait aucune trace. Sur le coup, il en ressentit un relent d’amertume. Une question lui était alors venue à l’esprit. Avait-il envie de rencontrer la soi-disant copie d’une femme absente de sa mémoire ? Et quel sacré trou de mémoire qu’il avait là !

Un crépitement électrique le sortit brusquement de ses pensées. Maintenant qu’il se tenait devant ce caisson, Roger sentit sa détermination vaciller. Les deux jours étaient passés bien trop rapidement à son goût, et son stress était à son maximum. D’autant plus que certains employés des services proches s’étaient rassemblés en un mini groupe derrière la vitre séparant le labo des autres salles, pour observer le spectacle.
Sanders prit la parole en premier.
« Comment vous sentez-vous, monsieur Derky ?
— Comme quelqu’un sur le point de commettre la plus stupide décision de sa vie. Dite, on est obligé de supporter ça ? grommela-t-il en faisant un discret signe de tête en direction de la vitre.
— Tous ici veulent voir le gars courageux qui va se lancer dans le vide. Vous êtes en quelque sorte un héros ou un fou pour eux », reprit Zarckov, attentif aux préparatifs des techniciens qui s’attelaient au dispositif de mise en route sur la console sous la direction du second de Gavert. D’un seul coup, le crépitement électrique cessa et le casque devint silencieux.