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La petite chieuse marchait en tête, caracolant dans la brume matinale, récitant une comptine stupide de sa voix guillerette aux deux femmes enceintes qui suivaient, murées dans le silence. Elle jouait avec le chergui qui lui sifflotait des tourbillons. Des bourrasques joyeuses s’entortillaient autour de ses petites pattes excitées.

Plus loin derrière, un groupe de femmes suivait, traînant leurs pattes pleines de doutes dans la lumière froide d’un soleil bitturé, souffreteux de l’effet de la remontée matinale.

Fermant la marche, la grande fauve progressait, la gueule et les vêtements croûtés de sang, en appui sur sa flissa comme sur une béquille pour compenser ses muscles raides et endoloris.

Derrière elle, au loin, un nuage noir de fumée puante montait du palais et se fondait dans le ciel gris.

Elles quitteraient définitivement cette ville maudite sans tarder. Cet ancien monde n’était pas destiné aux femmes.

Elle ordonna à sa meute de la suivre. Elle n’eut pas à montrer les crocs sans la vieille pour la contredire. La meute remonta la ville à pas de louves sous l’oeil vitreux du soleil. Elle sillonnait les rues hérissées de ruines et de médinas closes dans une lente procession portée par les rumeurs du vent. Les enfantes suivirent d’abord, par jeu. Puis les mères sortirent à leur tour, baluchon à l’épaule.

Elles étaient vingt et cent, puis des milliers à franchir les remparts croulants et rejoindre le bled sauvage. Enveloppées dans les vagues de leur alasha, elles formaient un courant bleu d’indigo comme le fil délicat suspendu dans le ciel cafardeux.

À l’abord du désert, elles croisèrent un troupeau d’hommes herbivores occupé à brouter des herbes folles et des ronces jaunes. Les bêtes erratiques aux regards paisibles observaient la horde avancer. Certaines s’approchèrent pour observer le cortège tracer sa route vers les ergs. Les petites monstres joyeuses aboyèrent truffe au vent contre la bande d’hommes ruminants, dispersant leurs brames apeurés à coups de rires et de croquants amusés. La grande fauve reniflait le vent et ses arômes subtils d’ademïomes. Demain, les hommes.

Les petites monstres sont lionnes et les femmes sèches à présent.

Elles caravanent entre les ergs arides sous la gerçure bleue du ciel. Dans ce sillage laissé par le vent, la montagne approche, digne et lente, immense et vibrante, sous leurs yeux soiffés de vert.

Elles ont poussé en fleurs du désert, cramponnées aux sables nomades, et mûries aux promesses de vert et de sang. Elles vont et viennent au gré de l’air, du ressac des ergs et du flux du temps. Elles vont libres et cruelles, dominent les terres poussées par le vent.

La grande fauve a perdu de sa superbe. Les éclats de l’horizon se dérobent à ses yeux blanc sur blanc. Son cuir tisonné est griffé d’escarres secs et de vieilles cicatrices. Elle navigue seule, aux humeurs et aux chuchotements, forte de la meute qu'elle dirige de ses griffes de fer et du velours râpé de leur fourreau.

Elles gambadent et bondissent, reniflent les muscs. L'humus et les essences puissantes montent leur sève. Leurs iris d’indigo comme leurs crinières de turbans embrasent les reflets des prairies naissantes.

La grande chieuse trotte en tête, rugit la mort et la vie. Elle est loin la petite monstre du passé. Ses bras de mante sont forts. Plus rien ne l’effraie, ni les hommes ni leurs ombres.

Au pied de la montagne, un lac comme une mer la guette de son œil humide. La grande chieuse pénètre l’oasis à grands cris, chasse les moutons et les boucs sauvages de l'étendue d’eau dont ils se repaissent. Les oiseaux braillent. Leurs plumes volent en nuages de confusion criarde. La vie verte et bleue lui brûle la vue et le ciel sans fond lui donne le vertige. Elle plonge ses mirettes dans l’eau et s’observe pour la première fois. La grande fauve est femme mais l’écho de sa mémoire est fauve. Ses sœurs la rejoignent et se jettent à l’eau. Elle plonge à son tour. Gronde et grogne, sort et se repose. Ronronne.

De la montagne descendent des inconnues, les bras chargés de présents. Leurs corps nus et bruns, baignés de soleil tendre, contrastent avec ceux des lionnes usées. Elles partagent. Seront sœurs bientôt.

Le chergui se dresse. Son rire plane et plonge sur le groupe, s’enroule et s’amuse. Un tourbillon enrobe les corps nus de parfum d’ademïome. Les lionnes rient. Elles dansent et leur ronde tourne avec le vent. Doucement, leurs hanches se courbent, leurs ventres s’arrondissent. Elles posent leurs pattes sans griffes sur la peau qui se tend. Elles plient. Elles soufflent et mugissent. Leur chair se fend entre leurs jambes accroupies. Leurs doigts griffent le sol humide. Elles crient et le vent porte loin leurs voix brisées. Doucement, la souffrance s’étiole. Entre leurs cuisses glissent des petites monstres semblables à leurs mères. Roses et pourpres, âcres et salées. Les mères les nettoient, les lèchent de leurs langues râpeuses. Doucement, les petites monstres se dressent, elles gambadent entre les pattes de leurs mères épuisées. Les rires et les babillages des petites impatientes trépignent. Le soleil coule sa chaleur de midi.

La grande fauve se dresse. Son museau renifle et grogne. Elle crache. Ce que ses yeux ne voient plus, son nez le sent. Et sa vieille peau frissonne et son poil se hérisse et sa colère se dresse.

Au loin, un troupeau d'herbivores montre ses cornes. Il s'approche du point d'eau, leur sexe pend lamentablement entre leurs jambes maigres. Leurs regards doux manquent le groupe de lionnes attentives.

La grande fauve sort les griffes, se tasse, prête à fondre. Le chergui souffle soudain. Il hurle, brasse la poussière, le pollen, les pétales et rose le ciel bleu. Les lionnes couvrent leurs visages, tremblent et protègent les enfantes en pleurs.

Les herbivores courbent sous l’assaut du vent, immobiles. Leurs sexes gonflent et se tendent. Le vent s’apaise quand ils arrosent d’un gémissement la terre brune et grasse. À leurs pieds germent des ademïomes. Ils grossissent, fleurissent, lâchent leurs pollens que le chergui emporte jalousement. Les fleurs flétrissent, tombent. Paraissent des fruits. Ils grossissent, énormes, se fendent, brisent leurs écorces trop mûres et dégoulinent rose de jus. De leurs chairs tendres et sucrées, glissent des petits zoommes. Ils se lèvent, hésitent, guettent les regards, croisent celui d’un père, galopent vers lui et se cachent derrière ses grandes jambes comme des tiges d’arbres.

Le plus grand des zoommes sourit à la grande fauve. Il ne dit rien. Il approche jusqu’à ce que les yeux de la vieille femme puissent le discerner. Il sait quand elle le voit. Il sent sa peur refluer.

La grande femme comme une fauve contemple l’homme et son visage qui sourit. Elle tend sa main dégriffée, pose ses doigts sur l'arête d’un nez fier, les courbes d’un sourire sans croc et le pli d’un œil attentif.

Elle a compris, enfin. La vieille avait tort. Elle aussi.

Autour de ce regard s'envisage demain. Demain, quels hommes ?

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