"Un nouveau départ" (partie I)

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Laha fut sortie de son sommeil lorsque le petit chariot de bois démarra doucement en suivant le mouvement du long convoi, le cocher tirant sur les reines afin de faire avancer les deux chevaux. Elle était inconfortablement assise sur des sacs de provisions en tissu, remplis de grains et de denrées en tout genre afin de nourrir l'armée au-devant, et son dos lui était par conséquent douloureux.

Même si elle manqua de tomber à plusieurs reprises, elle préférait ce transport à la marche, surtout compte tenu de la distance qu’elle s'apprêtait à parcourir.

Laha balaya de son regard les environs, et elle aperçut alors une autre femme, derrière elle. Cette dernière était plus âgée et de forte carrure que notre héroïne, et elle paraissait plongée dans un sommeil profond, allongée sur l'autre extrémité du chariot. Le cocher, lui, restait de dos et ne prêtait aucune attention aux deux femmes, à l'arrière.

Les passants avaient été écartés au préalable par les cavaliers en tête du cortège, tandis qu'ils passaient dans les grandes avenues. Je ne les reverrais plus avant de nombreuses lunes, pensa tristement, tout en observant une ultime fois les imposants bâtiments de pierre blanches. Les enfants observaient le convoi avec contemplation, et dès qu'ils apercevaient les chevaliers, habillés de leurs armures d'acier scintillantes et de leurs lames à la ceinture, leurs yeux pétillaient d'admiration. Mais la réalité du quotidien de ces guerriers était bien plus amère que ce qu'on racontait dans les livres.

Le but des chevaliers engagés ? Brûler et piller chaque village rencontré, en représailles au soulèvement populaire ayant fait tomber le roi d’Edmir, il y a de cela plusieurs années déjà. Aujourd'hui, c'est l'anarchie qui régnait dans le cadavre du royaume, puant et grouillant de vers. En effet, les criminels, en l'absence d'autorité, en profitait afin de commettre leurs crimes sans une once de pitié, malgré les rebelles qui tentaient de recréer un semblant d'ordre.

Cette expédition, et ce n'était pas la première, avait alors vu le jour sous l'impulsion des autres empires centraux, tel que l'Itran, Akkar ou l'Enescleysah. Mais nullement dans l'objectif d'arrêter tous les "vils brigands", loin de là.

Ce que craignaient principalement les états, c'était une diffusion de cette révolte dans tout le continent, que ce soit dans les royaumes, les aristocraties, ou même les républiques en apparence démocratiques. Mais vu le résultat que ce premier essai avait donné, il ne risquait pas d'en avoir d'autre avant bien longtemps. L'utopie d'un monde rigoureusement plus juste appartenait peut-être à un autre siècle, dans un lointain avenir.

Laha, quant à elle, avait obtenu un travail de servante auprès des chevaliers. Bien sûr, elle savait que du sang innocent allait couler sur les lames de ses supérieurs, on l'avait averti au préalable, mais après tout, ce boulot était grassement payé, et si elle n'avait pas saisi l'opportunité, d'autres l'auraient fait à sa place.

C'est Aeterno qui l'avait engagé. Elle avait rencontré l'homme, comme convenu, dans le hall des voyageurs. Lorsqu'elle avait vu pour la première fois, il était assis calmement derrière son stand, en silence, contrairement à ses voisins qui incitaient les jeunes aventuriers à venir vers eux en hurlant leurs slogans ou phrases d'accroches respectives.

« Tu le reconnaitras entre mille, lui avait assuré Peregrinus. Son visage est recouvert par un masque, tout comme moi, mais il est en corne. Il est d'une nature très calme et porte toujours une longue cape vert foncé, comme une grande feuille. »

Et l'homme au masque de fer n'avait pas menti. Lorsqu'elle lui avait appris connaitre Peregrinus, Aeterno était devenu un peu plus chaleureux. Mais, à l'image de Peregrinus, une chose étrange émanait de cet homme. Il semblait posséder un certain calme, une maitrise de soi presque inhumaine et une assurance à toute épreuve. Et, comme un roc au milieu d'une tempête en bord de mer, les sentiments ne semblaient pas l'atteindre.

La différence, avec son prédécesseur au visage métallique, résidait au fond de son être. En effet, la flamme de son humanité était comme éteinte, et une cruauté sans limite semblait l’acoir remplacé. Laha avait su entrevoir cela, après tant d'années d'expérience à dévisager des centaines de personnalités différentes dans les rues.

Aeterno lui avait alors proposé ce contrat, et vu la somme promise en retour, elle avait accepté immédiatement. Bien sûr, elle n'aurait peut-être pas dû accorder autant de confiance à cette personne, mais il n'avait pas paru mentir face à ce qui attendait la jeune fille dans sa nouvelle vie, et cette honnêteté, assez étonnante venant d'un tel personnage, l'avait convaincu.

-Mais casse-toi de là ! hurla soudainement une voix.

En se retournant, Laha se rendit compte que la femme de l'autre côté du petit chariot s'était réveillé, et elle n'était d'humeur enjouée.

-Mais madame, j'ai des enfants à nourrir, nous ne passerons pas le prochain erbère, insista un homme sur le bord de la route, qui suivait le convoi en marchant.

Il était entre deux âges, mais il avait la peau sur les os, le vieillissant d'avantage. Il portait une tunique blanche en coton, trouée de toute part et ayant perdu sa couleur d'origine, accompagnée d'un pantalon et d'une paire de chaussures en cuirs aux semelles aussi fine que du papier. Il tendait ses mains vers l'avant, comme s'il attendait quelque chose en retour.

-Mais il n’est pas possible, rétorqua la femme tout en regardant Laha, je t'ai dit de partir, on n'va rien te donner !

-Mais, madame ...

-Ah, t'es moche, l'interrompit-elle, allez, houste !

La jeune fille observa la scène en silence, sans intervenir ne serait-ce que du regard. L'homme repartit, en traînant du pied, tête baissée, dans la foule qui s'était amoncelée aux abords du convoi.

La plupart des passants dans ces rues se trouvaient très pauvres, à l'image du mendiant. On distinguait dans leurs yeux une certaine lassitude de leurs situations, que ce soit chez les hommes, femmes ou enfants, mais également une détermination à toute épreuve, leurs permettant de tenir au quotidien. Et c'est exactement cette détermination que devrait craindre un seigneur ou un roi, capable du meilleur, comme de l'inhumain.

Cela, les savants, les dirigeants d'Akkar, l'avaient bien compris en créant les zones de non-droits. Ces zones, situées en lointaine banlieue de la cité, regroupaient toute la population la plus pauvre du pays. Le taux de criminalité y avait explosé immédiatement après leurs naissances, et la garnison avait choisi de fuir l'endroit considéré comme intenable.

La loi, régissant alors toutes les autres parcelles de terrains d'Akkar, ne s’appliquait plus en ces terres, d'où leurs noms. On y trouvait de pauvres familles tout comme de riches bandits de la pègre.

Le sol, pavé dans le centre-ville, était boueux et humide ici-bas, et à plusieurs reprises, les roues en frênes du chariot manquèrent de s'embourber. Les maisons, quant à elle, n'étaient que de frêles constructions en bois, parfois sans toit, parfois sans murs dignes de ce nom.

J'aurais fini ici si les gardes m’avaient un jour identifié puis attrapé, pensa Laha. Les riverains observaient les sacs sur lesquels était assise La jeune fille avec envie, et à plusieurs reprises, elle s'attendit à ce qu'une foule surgisse de nulle part pour partir à l’assaut des chariots, mais rien ne se passa. Elle entendit seulement le tintement de deux lames, au loin, suivit d'un cri. Le regard des enfants n'était plus empli de contemplation, mais de fureur.

Au bout d'une dizaine de minutes de route, elle vit un corps, couvert de sang, inanimé sur le bord du chemin. Il avait dû être tué par un coup sec et propre d'estoc d'une fine lame, provenant sûrement d'un des chevaliers. Laha ne se sentit pas plus choquée qu'à l'accoutumée par cette vision, mais la jeune fille ne parvenait pas à regarder ce spectacle plus d'une seconde sans détourner les yeux. Ses battements de cœurs s'accélérèrent, mais elle tenta de se ressaisir. Ce n'était que le premier mort que Laha voyait, et bien d'autres allaient suivre. Il fallait impérativement qu'elle se montre digne.

-Il faudra t'y habituer, ma jeune, s'enquit la forte femme en observant le visage livide de Laha.

-Bien sûr, je m'en doute.

-Peut-être, mais t'as pas l'air dans ton assiette dis-moi.

-Oui, je suis un peu fatigué, assura-t-elle.

-Fatigué, oui, répondit sa collègue sans vraiment la croire. Quoiqu'tu veuilles, repose-toi un peu durant le voyage, car une fois débarqués, ce seront à nos chevaliers de se reposer, et à nous de travailler.

-Ce n'est pas ton premier voyage, je me trompe ? s'enquit la jeune fille.

-Oh non, crois-moi, j'en ai vu que d'trop. Bon, j'y retourne, bonne sieste ma Lucette !

Puis, elle se rallongea sur les sacs de grains. Laha l'imita, même si elle mit plusieurs minutes avant de trouver une positon à peu près décente. Elle ferma alors ses paupières, bercée par le tangage de l'engin, avant de s'endormir, quelques minutes plus tard.

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