Chapitre 1 : Rebecca - Brèves missives

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Le lendemain, nos quotidiens avaient repris le dessus. J’allais à la chasse aux clients, aux signatures de contrats et aux règlements contentieux avec Chelsea. Rebecca et moi avions du mal à coordonner nos emplois du temps. Nous profitions toutefois de nos rares moments pleinement, connaissant la fin inéluctable qui nous serait accordée.

Pendant ce temps, le cabinet continua à exiger encore plus de moi. Il parait que c’est la rançon de la gloire. Une implacable logique professionnelle avait été mise en place afin de garder les meilleurs. Les contrats devenaient plus importants et les mises en situation plus ardues.

Certains préfèrent perdre petit. Moi, je voulais gagner gros. Chelsea m’avait confié un dossier sensible d’assurance. Un conflit de représentation avec un autre cabinet, une enquête interne, un document manquant nous avait mis sur le pied de guerre. L’incriminé, Yorgos Theofvlaktos, s’était retrouvé impliqué dans une transaction dont les modalités avaient été bâclées.

Les cinquante-cinq jours qui suivirent ressemblèrent à une bataille épique, avec des journées frôlant les quinze heures. Une faille dans une clause minimale de la partie adverse assura notre victoire. Cinq semaines aux allures d’éternité qui avaient définitivement assis mon succès. Cinq semaines qui m’avaient immanquablement éloigné de Rebecca. Je lui avais accordé une dernière nuit intense avant de lui annoncer mon départ imminent pour New York où j’avais obtenu ma mutation. Nous savions que nous devions en arriver là et ce fut avec tendresse que nous nous dîmes au revoir.

À mon réveil, elle s’était évanouie. Elle avait pris soin de laisser une lettre sur l’oreiller sur laquelle était inscrit « Do not open till D-Day 7.00 ». Deux jours passèrent. Je ne pensais qu’à cette lettre. Puis vint le jeudi. Il était l’heure pour moi de dire au revoir à cette ville. Je décachetais l’enveloppe.

« Pars immédiatement à Heathrow. Présente-toi au comptoir des consignes et dis que tu viens récupérer un bagage à mon nom. N’oublie pas ton passeport. Présente le numéro de référence inscrit à l'endos de ce message. Ne parle à personne. Ne te retourne pas. Fonce. R »

Je scrutais et tentais de déchiffrer le mot écrit de la main de Rebecca. Pourquoi cette note était arrivée là et que je devais ouvrir en ce jour précis, je n'en avais aucune idée. Mon cerveau n’était pas encore opérationnel, enfermé dans les vapeurs d’une courte nuit, et je nageais dans l'incompréhension totale. Cette complicité agréable avait émergé entre nous quelques mois auparavant. J’allais partir à des milliers de kilomètres, loin d’elle. Un désagréable pressentiment s'empara de moi. Je pris le temps d’appeler le bureau pour un ultime au revoir à Chelsea et raccrochai. La douche expédiée, j’enfilai prestement ma tenue et refermai la porte de ce loft qui m’aura laissé une impression impérissable.

Rues bondées. Klaxons. Métro. Trop de bruit d’un coup. Foule oppressante. Odeurs de nourriture. Odeurs de parfums. Bousculades. Attente. Touristes. Voix. Heathrow Airport, Welcome. Arrêt. Je suivais les instructions laissées par Rebecca pour trouver le comptoir des consignes dans ce dédale infernal. Je récupérai un ultime bagage. À l’intérieur, une chemise impeccable, le costume bleu Saville Row que je portais le soir de notre première rencontre, un journal intime vierge de toute écriture et un élégant stylo au logo de la société qui l’employait, Sotheby’s. Une autre enveloppe blanche dépassait d’une poche du costume.

« Open me »

La même écriture. À l'intérieur, mon billet d'avion pour New-York. Départ à 11 h 20. Durée : 7 h 45. Vol BA073. Repas à la carte. Elle avait vraiment pensé à tout. Il me restait une heure pour m'enregistrer, mais grâce à ce billet, j’avais un passage prioritaire. Un rapide coup d’œil à mon téléphone, espérant un texto de sa part. Je cherchais les caméras autour de moi. Mes yeux se baladaient dans la foule, prêts à l’apercevoir. Mais c’était définitivement un « ne te retourne pas et fonce ».

Je m’installai au terminal 5 dans le salon Concorde Room, attendant le départ. Mon esprit vagabondait entre l’espoir d’une apparition surprise et le sentiment d’inquiétude presque palpable. Mon voisin de droite était plongé dans la lecture de The Economist. Finalement, nous accédâmes à nos sièges dans le Boeing. Presque huit heures de vol. Ok, j’avais le confort absolu. Le personnel de cabine était d’une affabilité et d’une efficacité chirurgicales. Quelques heures de sommeil firent le plus grand bien. Une charmante hôtesse eut la délicatesse de me réveiller une demi-heure avant l’atterrissage. Mes yeux étaient rivés sur le hublot. En bas, j'apercevais enfin ma ville, ma New-York à moi que j’avais quitté pendant presqu’un an. Le pilote amorça la descente et mon impatience prit son envol.

Le hall des arrivées était une concentration de centaines de regards impatients qui me faisaient face. Des parents heureux de revoir leurs enfants, un couple qui s’enlace. Une sécurité toujours en alerte. Je n’avais prévenu personne de mon retour. Pourtant, au loin, j'aperçus un panneau surplombant la foule et sur lequel il était écrit :

« Follow me. »

Je me mis à courir tentant de rattraper la maudite pancarte qui se déplaçait, persuadé que c'était Rebecca. Virage gauche, virage droit, je slalomais tant bien que mal dans la marée humaine, franchis les portes carrousels. Le panneau s’engouffra dans une voiture aux vitres teintées. L’adrénaline autant que ma curiosité me poussèrent à prendre place sur la banquette arrière. Le véhicule démarra aussitôt. Le chauffeur m'adressa un hochement de tête à travers le rétroviseur. C’était lui la pancarte L’illusion de ma blonde s’évapora instantanément. Mes nombreuses questions ne trouvèrent aucun écho favorable et le conducteur s’appliquait religieusement à ne pas me répondre, concentré sur son irréprochable conduite. Vingt minutes à sillonner les rues quand le véhicule s’arrêta. Feu rouge. C’était quoi ce scénario ? Un début d’inquiétude s’empara de moi. Complot, kidnapping. De folles idées parasitaient ma conscience. J’avais besoin de prendre l’air, mais la porte restait verrouillée. Finalement le feu devint vert et quelques mètres plus loin le chauffeur coupa le moteur. Il me tendit un coffret qui ressemblait fortement à une petite boite à cigares. À l’intérieur, une carte du Metropolitan Museum of Art signée R. Au dos une inscription :

« Use me »

Le mystérieux chauffeur fit le tour du véhicule et m'ouvrit la portière.

—Vous avez trente-cinq minutes. Soyez à l'heure.

Son ton restait implacablement monocorde. Trente-cinq minutes. C’était court ou long. Selon. Pris malgré moi dans cette course-poursuite, je m’enfonçai dans le musée et me présentai à l’accueil. L’employé me donna un pass, un plan sur lequel était entourée la galerie 815 et un mot.

« You’ll understand »

Rez-de-chaussée, premier étage, puis second, labyrinthe d’escalators, et finalement la fameuse salle en question. Je la cherchais parmi les visiteurs. Vainement. Pourquoi cet endroit ? Un rapide coup d’œil à ma montre : il me restait vingt minutes. Je regardai les tableaux accrochés au mur. Rien, aucun indice apparent. Un second coup d’œil. Puis soudain, la réponse. Je me dirigeai précipitamment vers le rez-de-chaussée et m’engouffrai dans la boutique de souvenirs. Il me restait dix minutes. Je m’approchai de la vendeuse.

—Quelqu’un a dû vous laisser une copie du tableau « La classe de danse » de Degas à mon attention.

Je lui tendis la carte. La jeune s’absenta deux minutes et revint avec un rouleau qu’elle me remit avec un sourire à fendre le marbre. Je retournai à la voiture, cherchant à comprendre toute cette mise en scène. Le chauffeur reprit son itinéraire tandis que j’examinais le rouleau. Sous l’étiquette indiquant « The Dance Class » Edgar Degas, un autocollant mentionnant :

« Bring me back to Lexington Street. »

Quinze minutes plus tard, la limousine s’arrêta devant un tailleur de renom, Juliette Longuet. Je m’engouffrai dans la boutique.

—Bienvenue à New-York Monsieur, s'exclama un homme d’une élégance certaine. Me voyant avec le Degas à la main, il renchérit.

—Je crois savoir que vous avez un costume que vous aimeriez porter…

Deux minutes plus tard, je revenais avec le bagage que j’avais récupéré à Londres. Le gérant m’indiqua un salon d’essayage. J’enfilai ma tenue providentielle, non sans apprécier le rendu.

—Monsieur a vraiment beaucoup de goût, mais il manque la touche finale. Lança le monsieur.
Joignant le geste à la parole, il inséra quelque chose dans la poche intérieure gauche du costume.

—Je vous souhaite une bonne soirée. Au plaisir de vous revoir Monsieur.

Malgré la fatigue, je me sentais fringuant et irrésistible. Mais je ne comprenais pas l'issue de ce périple. Ce jeu, avait-il une fin ? Mon mystérieux chauffeur me baladait dans toute la ville, en connaissance de cause. Il freina brusquement. Même cérémonial. Il sortit du véhicule et m’invita à en descendre.

—Détendez-vous une demi-heure et nous repartons. Dit-il tout en m’indiquant le Small Jazz Club. C’était un bar très cosy loin des standards classiques, mais d’une ambiance feutrée. À peine arrivé au comptoir, le serveur me tendit un Old fashioned.

—C’est de la part de la dame au bout du comptoir.

Enfin, j’allais revoir Rebecca. Mais plus je m’approchais, plus la silhouette s’éloignait de ma vision d’elle.

—Je vous ai bien eu Alessandro !

—Bonsoir Chelsea ! Mais, que faites-vous là ?

—Je n’allais pas laisser mon protégé partir ainsi…

—Mais je vous ai eu au téléphone ce matin…

—Simple renvoi d’appel. Voyez-vous Alessandro, il est hors de question que je me passe de vos services. C’est moi qui ai favorisé votre retour ici, car je suis la nouvelle directrice de l’agence de New-York et je vous voulais absolument à mes côtés.

J’allais de surprise en surprise.

—Vous ne dites rien ?

—C’est juste que… Ma journée a été vraiment… Loin de ce que j’imaginais d’un retour au pays.

—Et vous imaginiez quoi ? Ah ! Je vois. La fameuse Rebecca. J’ai fait mon enquête sur vous, Alessandro. Vous aviez cru pouvoir me cacher quelque chose. Savourez votre verre et on se revoit lundi au bureau.

Sur ce, elle prit la direction de la sortie. Une ombre dans la nuit.

—Je suis ravi de vous avoir ici Chelsea.

Elle me décocha un sourire maternel et disparut. Ma chasse au trésor s’arrêtait-elle donc là ?
Je sifflai le verre tout en me rappelant que le tailleur avait glissé quelque chose dans ma poche.

Huit heures de vol. Trois heures à arpenter les rues et ce flash d’une main glissant dans mon costume. Une brève vérification. De nouvelles instructions. Chelsea n’était donc pas la fin. Je pris la direction de la sortie à mon tour. La voiture avait disparu. Crise d’angoisse. Une rapide lecture du mot me rassura de ne pas m’inquiéter pour mes bagages. Je devais juste suivre le plan sur lequel était indiqué.

« Final step »

Je remontais Time Square direction Brooklyn. Mon cerveau ne calculait plus la masse populeuse. J’étais à la poursuite de ma destination finale. Je suivis le tracé sur la carte, entre flèches et croix. Tout en suivant les consignes, je remarquai une étiquette mal collée au niveau de l’adresse du loft.

« Tears me up »

Comment avais-je pu passer à côté de ça ? J’étais torturé entre mon envie que ma course s'achève et cette sensation d’être dans une chasse à l’homme. Et je n’abdiquai pas.J’arrachai l’autocollant.

« Tu peux aussi rentrer chez toi. Regarde dans la poche intérieure droite de ton costume. Maintenant, c'est ta décision. R. »

Dans la poche en question, quelques dollars pour le taxi. Je repris le plan vraiment basique de la ville. Finalement, je me devais de trouver cette croix, comme on cherche l’emplacement d’un trésor. Plus je m’enfonçais dans Brooklyn, plus la destination me paraissait claire.
Belford Avenue, Numéro 18. Je reconnaissais cet endroit. Plus que jamais. Devant l’entrée, écrit à la craie :

« Welcome home »

Je tendis l’oreille à la porte du Five Leaves Greenpoint. Pas de signe de vie. Je tentai finalement d’entrer dans le restaurant. Chloé, Allan et Archie se tenaient devant moi. Mon cœur sursauta de joie et les accolades et embrassades furent chaleureuses. Emporté dans mon élan, je n’avais pas remarqué la silhouette qui venait de franchir le pas-de-porte.

—Hi, I’m Rebecca…

**********

Quelques semaines plus tard, je reçus un mail de sa part. Car même si elle était repartie, nous voulions conserver, malgré les distances, un langoureux contact et des souvenirs de nous.
Londres, UK

" Hi Alessandro,

J'étais dans un rêve où nous étions toi et moi. Mais ce rêve a déclenché mille égarements et un doux scandale.

Tu étais là, à me regarder longuement, avec l'intensité de tes yeux noirs. Tu me souriais avec un air presque piquant. Je cherchais tes lèvres charnues. Tu me fixais, intrigant. J’étais intriguée. J’avais peine à me concentrer sur ce que tu me disais.

Dans cet agréable songe, quelque chose m’échappe : je ne devrais pas être là. Je ne devrais même pas être entre tes draps blancs. Tu dois arrêter de faire l'ange, chaste et innocent. Je t’ai connu en démon. Car tu es mon démon.

Nous sommes là, simplement assis à discuter, nos dos calés contre l'oreiller. Je te parle de Londres. Tu m'écoutes avec une lueur dans le regard. Tes cheveux d'ébène ébouriffés me donnent l'envie de les remettre en place. Je joue dedans, et ça te fait frissonner. Tu me demandes quelque chose que je n'ai pas saisie. Ton accent me perturbe. Ton anglais francisé est si beau, si chaud.

Tu me redemandes. Je réponds oui sans savoir ce que tu as dit. Tu me scrutes à nouveau, te penches et m'embrasses. Le problème reste le même. Je ne saisis pas toujours pas comment on en est arrivé là. Tu t'arrêtes puis me souris. Je ris. Je cherche tes lèvres et je me redresse, mais tu me fuis, éclipsant mes baisers.

Tu m’éprouves. Tu me testes. Et je réessaye. Encore et encore. Et tu ris, continuant à éviter d'un centimètre trop haut, ou trop bas. Mes lèvres carmines frôlent ton nez, trouvent ton menton, effleurent tes joues.

Puis tu décoches un nouveau rictus enjôleur. Tu ne bouges plus et me laisses finalement t'embrasser. Tu me saisis par la taille, me bascules en arrière et m'embrasses à ton tour caressant mes hanches, mon échine, ma nuque. J’en frissonne. Je sens que tu me veux. Ton regard impénétrable plonge dans le mien, insistant, inquisiteur. Je sens ton membre à travers ton pantalon sur ma jupe. Tu es définitivement prêt.

Mes hésitations et mes attentes déchirent mes impudeurs. Mais il est trop tard et j'ai le sentiment que mes sous-vêtements sont déjà ruinés. Tes embrassades m'affolent. Tes doigts se faufilent sous ma jupe habilement. Je frémis. Tu embrouilles mes idées. Tu me troubles. Je vais avoir des ennuis. Tu enlèves ma culotte de dentelle noire et me fixes. Je me dis que je suis très mouillée. Je rougis. Tu insères un doigt de velours délicatement. Je frémis. J’ondule. Tes morsures vénéneuses à mon cou m'embrasent...

Je me réveille. Avec fracas. Il fait grand jour. Il est quinze heures. Je me sens délicieusement coupable, car j'ai aimé ce péché. Mes dentelles sont réellement fichues. Je ne sais plus quoi penser. C’était si bon d’être entre rêve et réalité…

Affectueusement.

Rebecca"

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