Chapitre 18 : L'exode

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Adrian

12 Décembre de l’an 5775 après la guerre des sangs

Mes camarades et moi avions œuvré dans l’urgence afin de préparer au mieux le départ de ceux prêts à nous suivre en quête d’une vie meilleure. Chacun se concerta avec ses contacts et avec application nous organisions ce qui ressemblait à une évasion. Tout se mettait en place et trois semaines plus tard Denis revint et nous assura du soutien du baron d’Avinpor. Il nous expliqua que des chariots pleins de vivres nous attendaient à quelques lieues d’ici prêts à nous recevoir et à nous ravitailler jusqu’à ce que nous ayons rallié l’oasis.

Le départ fut fixé au neuf Décembre et chacun s’activa. Nous ne pûmes toutefois échapper au banquet donné en l’honneur du retour du porteur d’Ardente par « l’Ouchkrakz », le guide dans leur langue qui ne se fait d’ailleurs jamais appeler autrement à tel point que je ne suis pas sûr qu’il ait même un nom qui lui soit propre. Je ne connaissais que peu le dirigeant des lieux et la seule personne que j’étais sûr de pouvoir nommer sans erreur était Raffrar qui feintait l’indifférence à merveille.

C’était la veille de notre départ et nous mangeâmes et bûmes à hauteur de ce que ces grottes pouvaient offrir. Ce banquet, à la fois frugale et opulent, n’était pas dénué d’un certain sens de la fête et, si ce dernier ne se retrouvait pas dans les mets, les musiques et les danses, bien que très particulières, donnaient à cette cérémonie une majesté d’un type bien singulier. Petit à petit les convives s’excusèrent et, après avoir rendu les hommages à l’Ouchkrakz et aux deux porteurs, s’en allèrent. J’allais les suivre avec mes frères et sœurs lorsque l’hôte de la soirée nous fit signe de rester. Mon cœur commença à palpiter mais j’obtempérai. L’alcool et la peur d’avoir été découverts me faisaient me sentir extrêmement mal. Je feintai donc la décontraction et continuai à ripailler plein d’anxiété. Le palais se vida petit à petit jusqu’à ce qu’il ne restât plus que notre compagnie, le maître des lieux, le porteur de Vive-vent, Raffrar et quelques gardes.

Je scrutai mes compagnons et je percevais dans leur regard une grande inquiétude. Chacun la dissimulait à sa manière mais elle était palpable pour qui les connaissait suffisamment. Lorsque la gêne fut évidente le maître archer de la contrée prit la parole sans se lever :

« Alors comme cela vous projetez de faire quitter ces lieux à notre peuple ? »

Cette affirmation me fit trembler plus qu’aucun coup que j’aurai pu recevoir. Denis lui-même semblait apathique et, paradoxalement, ce furent Thibault et Guy qui semblaient les moins atteints.

« Vos visages pâles et votre mutisme en disent plus que mille mots » renchérit notre interlocuteur en prenant soin de choisir les termes les plus rudes de sa langue. Il regarda alors l’Ouchkrakz puis revint à nous.

« Pensiez-vous que pareille entreprise pourrait demeurer secrète sur nos propres terres ? » Il jeta alors son regard vers Raffrar, aussi blême que son teint lui permettait de l’être.

« Quant à toi tu as trahi ton guide que tu avais juré de servir… » Un autre long moment de gêne s’installa jusqu’à ce que Denis prenne la parole sans pouvoir empêcher un léger bégaiement de se manifester qui, lié à sa faible maîtrise de la langue locale, lui donnait un air plus pathétique qu’autre chose :

« Ecoutez-moi… Valass nous a envoyé ici… Le destin de ceux d’ici n’est pas de croupir en ce lieu mais de sauver leurs semblables par-delà les montagnes et de se sauver eux-mêmes par la même occasion ». Le porteur de Vive-vent bouillonnait de colère mais parvint à se contenir. Ce fut alors au tour de l’Ouchkrakz de parler :

« Vos messes basses et complots ont apporté la honte et le déshonneur sur vous et ceux-ci jamais ne s’effaceront… Toutefois je n’oublie pas d’où je viens. Je suis l’héritier de la dernière guerre dans laquelle ceux qui voulaient fuir ce pays maudit l’emportèrent. Naturellement les pertes avaient rendu cette nécessité caduque mais elle s’apprête, une fois de plus, à ressurgir. En tant que guide je ne peux pas l’ignorer et si une solution, même temporaire, peut surgir je me dois de la saisir. D’autant plus qu’elle provient du porteur d’Ardente. J’aurai préféré que vous m’en ayez parlez et ne pas l’avoir découvert par quelques faux partisans ayant eu vent de rumeurs de fuite mais vous ne m’aviez jamais rien promis et je comprends vos doutes. Contrairement au porteur de Vive-vent je ne pense pas qu’il faille tous vous exécuter et, heureusement pour vous, je suis maître en ces lieux. Partez avec ceux qui le veulent demain durant la nuit afin de ne pas faire naître trop d’agitation dans mon pays. Cela fera autant de bouches de moins à nourrir et retardera quelque peu l’inévitable conflit qui à chaque fois revient. Nous ne vous donnerons toutefois ni bénédiction ni aide. Ceux qui partiront jamais ne reviendront et nous ne tolérerons pas votre retour en ces lieux ! Enfin vous devez jurer sur ce que vous avez de plus sacré de ne jamais révéler l’emplacement de notre cité ! »

Denis tremblait et, abasourdi, acquiesça. Nous nous rendîmes dans leur temple et jurâmes tous sur l’amour de Valass et Himka que jamais nous ne divulguerions l’emplacement de ce lieu.

Raffrar ne nous accompagna pas. Il avait bafoué ses vœux envers l’Ouchkrakz et une bien terrible mort l’attendait sans qu’on nous en dise davantage. Je ne pus m’empêcher d’avoir pitié de lui mais heureusement nul lien trop fort ne s’était créé entre nous. La nuit suivante, dans une relative discrétion et sous l’œil accusateur des gardes, la file des parias voulant fuir cet endroit se mit en branle jusqu’à la sortie. Chacun prêta le même serment que nous au temple puis sorti. Certains voulurent faire demi-tour à l’instant même où leur peau fut caressé par le vent, pleurant et regrettant leur acte, mais cela leur était désormais impossible. D’autres se défilèrent avant de sortir. Plus le temps passait et plus les habitants se réveillaient pour assister à ce triste spectacle. L’exil volontaire d’une partie de leur peuple ne semblait pas provoquer chez eux la moindre pitié. Des prêtres promettaient la damnation éternelle à qui franchirait ces portes, des excités tentaient de rompre la ligne de gardes nous protégeant de la foule en colère et des personnes décidées à partir changèrent d’avis et rebroussèrent chemin au dernier moment, honteux sans que je puisse savoir si c’était d’avoir envisagé de partir ou de ne pas être allé jusqu’au bout.

Le départ effectué, la porte qui donnait sur le monde souterrain se referma sur les cris et les pleurs de certains qui regrettaient déjà leur acte. Nous avions à notre suite un millier et demi de Sharnahasts et nous nous mîmes en route pour rejoindre la colonne de chariots qui nous attendait. Jamais la forteresse d’Avinpor n’avait dû ravitailler tant de monde et si les besoins de ce peuple n’avaient pas été moindre que les nôtres on aurait sans doute dû s’attendre à bien des morts pendant la traversée de ce désert. Nous voilà donc en route vers l’inconnu, avec une force finalement bien faible mais au moins ne rentrons-nous pas bredouille de ce voyage dans le désert. Est-ce que cette maigre troupe d’affamés était le projet que Valass avait pour nous ? J’en doute et je pense que même Denis n’en est pas certain. Qu’importe, pour l’instant nous n’avons d’autre choix que de marcher. Alors nous marchons.

Natasha

Ces discussions et délibérations n’en finissaient pas. Nos raids se multipliaient, notre soif de sang augmentait et pourtant nous ne recevions que des consignes appelant à la retenue. Deux mois d’une longueur et d’un ennui terribles s’écoulèrent ainsi jusqu’à ce que deux nouvelles viennent enfin rompre cette monotonie.

Nous apprîmes en effet que début décembre le prince Nikolaj avait réussi à passer outre notre blocus grâce à un petit navire de transport plus rapide que nos lourds bâtiments de guerre. Il rejoignit donc son fief d’Erhiv et commença visiblement à rassembler des troupes. Nos incursions dans ses terres s’intensifièrent mais sans le soutien du duc de Lopioumar et avec nos piètres compétences équestres nous ne pûmes pas aller bien loin.

Heureusement la seconde bonne nouvelle intervint peu après. Suite à de longues et pénibles négociations Konstantin parvint à persuader le duc de Lopioumar de se joindre à nous. Du peu qui me parvint ce dernier n’était pas convaincu de notre innocence dans la disparition de son père et de sa sœur mais la suprématie impériale l’écœurait tant qu’il nous accorda le bénéfice du doute. Konstantin devrait donc épouser la vampire reposant six pieds sous mer si elle venait à refaire surface. Dans le cas contraire il épouserait la fille du nouveau duc dès qu’il en aurait une.

Konstantin parut épuisé à la sortie de ces tractations. L’ennui et la fatigue lui avait de toute évidence fait faire des concessions qu’il n’aurait pas faites en temps normal. Le commandement des armées serait partagé entre le duc Ion et lui, il ne réclamerait aucun territoire sur l’île de Mitanie à l’issue des combats et enfin il tolérerait la création d’une flotte par le duc une fois la guerre achevée.

Le dîner que nous passâmes en tête à tête fut une véritable corvée. Tandis qu’il me racontait ces déboires diplomatiques je le voyais serrer les dents et contenir ses pulsions de violences :

« C’est contre ce genre de vampire que je m’évertue à lutter. Entre les innombrables protocoles qu’il imposait, ses phrases à rallonge et ses tirades pour ne rien dire j’ai eu envie de le tuer un nombre incalculable de fois. Si ces discussions avaient duré une semaine de plus je suis sûr que j’aurai succombé à la malédiction de l’ennui. Nikolaj l’a bien aidé en débarquant et en rassemblant ses forces. Alors que je pouvais jusque-là menacer Ion de mettre à sac ces terres et de le rendre plus pauvre qu’un baron, la présence de l’ost de mon frère m’a obligé à bien des compromis pour conserver l’avantage militaire sur cette île ! D’ailleurs comment se fait-il que notre flotte n’ait pas réussi à l’intercepter ? »

Je lisais dans ses yeux une profonde rage et n’importe quel prétexte eut été bon pour la laisser s’échapper. Ce fut celui-là. Les pires tempêtes ne sont rien par rapport à une confrontation avec Konstantin lorsqu’il est dans cet état. Je répondis avec d’autant plus d’aplomb que je m’efforçais de cacher ma frayeur :

« Mon roi, son bâtiment était rapide et léger, fait pour aller vite et non pour combattre contrairement aux nôtres. Etant donné son allure je jurerai même qu’il avait ôté de sa coque tout le superflu pour ne garder que l’équipage et la nourriture. Je suis navrée mais autant nous repousserons toute flotte se présentant à nous, autant nous sommes incapables d’empêcher les petits navires d’aller et venir. »

Ces yeux étaient rouges et qu’importe ce que j’aurai pu répondre il avait décidé de se déchainer ce soir. Mon impatience à le revoir m’aura perdue. A peine eûmes-nous fini de manger qu’il me sauta dessus et me pris sans ménagement ni égard pour mes plaintes. Cela le calma légèrement. Je me rhabillais ensuite et, avant que je ne passe le pas de la porte il s’adressa à moi :

« La rage ça se transmets… J’en suis en parti libéré et t’en voilà pleine… Déverse là sur nos ennemis ! Là repose le privilège d’être fort ! Le faible ne peut que la laisser s’accumuler tandis que nous, nous pouvons nous en débarrasser ! Tu as bien des raisons d’être en colère et ce qui s’est passé ce soir n’est que la plus minime de toutes. Je ne t’épouserai probablement jamais. Tu as été forcée de coopérer avec des seigneurs bercés par la paix et le luxe. Tu as dû punir des vampires dont tu approuvais le comportement. Ce temps s’achève enfin. Prépare nos chevaliers, Nous partons en campagne vers le sud et nous déferons mon nigaud de frère ! Ce sera l’instant pour toi d’écumer toute ta colère et plus tu en auras plus tu seras hargneuse à la bataille et plus nous l’emporterons facilement ! Au lieu de souffrir inutilement accepte ce qui ne dépend pas de toi et déchaine-toi sur ceux contre qui tu peux quelque chose ! »

Sages paroles… Jamais je n’ai eu davantage envi d’en découdre ! Le champ de bataille est ce lieu béni ou se déverse toutes les émotions et ou s’affronte les volontés les plus affermies ! Nous verrons qui de ces vampires gâtés ou de moi l’emportera ! Je ne lutterai ni pour mon roi ni pour le salut des vampires, je me battrai pour moi seule et pour retrouver la paix que ces derniers mois m’ont ôtée.

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