Chapitre 2 : La famille impériale

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Katrina

8 mars 5775

Les plus grands seigneurs du pays se sont réunis et Stanislasmar se para de ses plus beaux atours pour l’occasion. Le douzième jubilé de l’Empire se devait, comme chacun d’entre eux, d’être encore plus faste et grandiose que le précédent. Peut-être y trouverai-je même mon futur époux. Après tout je n’aurai que l’embarras du choix car bien rares sont les vampires à être en mesure d’éconduire une princesse impériale.

Lorsque mon père, ma sœur et moi sommes arrivés depuis Erhiv la plus grande partie des grands de ce monde était déjà là. Je pus revoir ma grand-tante Anastasia, ma tante Maria et mes oncles Vlad et Konstantin. Ce dernier nous rejoignit d’ailleurs quelque peu en retard du fait des intempéries qu’il avait dû rencontrer en mer. Cela faisait bien au moins deux décennies que je n’avais pas vu le reste de ma famille. Anastasia était morose comme à son habitude. Il est vrai qu’elle commence à se faire vieille et certains pensent que l’ennui commence à avoir quelque prise sur elle. Elle n’en demeure pas moins bienveillante à mon égard et me gratifie toujours d’un ou deux présents à chacune de nos rencontres. Il s’agissait cette fois-ci d’un magnifique collier d’argent en forme d’hirondelle que je me ferai une joie d’arborer pendant le reste des festivités.

En tout cas si la malédiction de l’ennui commence à s’emparer d’Anastasia elle ne semble pas toucher Vlad. Il arbore toujours aussi fièrement ses blessures de guerre et il ne manque jamais une occasion de s’en vanter :

« Une oreille en moins, le nez de perdu, une partie du crâne enfoncé, la joue balafrée… Mon seul regret est d’avoir encore mes deux yeux ! Enfin, vivement qu’un de ces ducs ou comte se révolte à nouveau que je puisse remédier à cela ! »

Certains l’appelle « le guerrier », d’autres le « fou » mais ces derniers ne le font jamais en sa présence. En tout cas il aime la guerre comme certains aiment les dames et il s’est même rasé le crâne pour qu’aucune des blessures maculant sa tête n’échappe aux yeux de quiconque. Bien que fort marginal je passe toujours d’excellents moments en sa compagnie et je dois sans cesse me retenir pour ne pas rire aux éclats lorsqu’il me raconte ses batailles ou l’histoire de telle ou telle cicatrice.

Konstantin au contraire est bien plus calme et bien plus lubrique. Il cache à peine ses innombrables tentatives pour séduire toutes les dames de l’Empire. Il faut dire qu’il a de bons arguments pour arriver à ses fins et, s’il n’est pas aussi beau que mon père ni aussi fort que Vlad, il dispose d’un exotisme qu’il sait fort bien mettre en valeur. Ne pouvant se contenter du titre de baron que l’Empereur lui confia il s’empressa de prendre le commandement des expéditions maritimes en vue de découvrir de nouvelles terres. Depuis il a parcouru toutes les mers du monde et s’est même arrogé le titre de comte de port-Stanislas, le nom de la ville qu’il a lui-même fondée sur la plus grande île par-delà le grand océan à l’ouest. Fort de cette réputation d’aventurier il ne cesse de tout faire pour se démarquer des gens du continent et pour afficher sa réussite. Il arbore une barbe touffue, se vêtit de cuir dans le château à défaut d’étoffe et ne cesse de rapporter or, fruits et animaux exotiques qui font le bonheur de la cour et des dames.

Mon père semble être fort conventionnel à côté de ses deux frères. Il est en tout point ce qu’on pourrait attendre de l’héritier de l’Empire. Il s’habille toujours élégamment, est d’une courtoisie à toute épreuve, d’une rare beauté et a un don pour s’attirer la sympathie des seigneurs qu’il croise bien que je ne puisse pas dire si c’est grâce à son statut ou à son tact naturel.

En tout cas cet étrange trio est assurément le plus scruté du pays et on les surnomme affectueusement : « Le beau, le fort et le marin ».

Maria, la dernière-née qui est à peine plus âgée que moi, est plus proche de son mari et des enfants de ses frères que de ces derniers. Il faut dire qu’elle a deux-cents ans de moins que Konstantin. Cette différence d’âge et de sexe l’a naturellement tourné davantage vers ma sœur, ma cousine et moi plutôt que vers mon père et mes oncles. Elle est timide avec ceux qu’elle ne connaît pas mais ne s’arrête plus de parler dès qu’elle se retrouve avec Feodora, Vladislava et moi. Il a toujours régné une très grande complicité entre nous toutes et il est impressionnant de voir qu’elle ne s’émousse jamais entre deux retrouvailles. Dès que nous somme réunies nous passons notre temps à parler et nous ressassons sans cesse avec plaisir et nostalgie l’époque révolue durant laquelle nous jouions ensemble et nous racontions toute sorte d’innocents secrets.

J’étais donc extrêmement heureuse de me retrouver avec toute ma famille au milieu de toutes ces réjouissances. Elle ne fut cependant véritablement au complet que lorsque mon grand-père l’Empereur nous rejoignit. Il quitta ainsi ses parties de chasse pour rejoindre le château et arriva juste avant le dîner. Lorsqu’il fut annoncé tous les seigneurs se levèrent et s’inclinèrent respectueusement devant le porteur de Brise l’âme et de Buve-sang, l’avatar de Valass en personne ! Il était habillé de ses plus beaux atours mêlant harmonieusement le tissu, la fourrure et la maille de façon à faire ressortir tant sa majesté que sa grandeur et sa force. Ma grand-mère l’Impératrice Elena l’accompagnait et, tandis que sa longue chevelure noire touchait presque le sol pendant qu’elle marchait aux côtés de son mari, aucun vampire ne fut en mesure de la quitter des yeux tant sa grâce éclipsait celle de toutes les autres dames.

Arrivé devant sa table où ses fils et leurs épouses l’attendaient, l’Empereur prononça son traditionnel discours :

« Mes chers seigneurs ! Voilà six-cents ans que l’Empire a été fondé et jamais il ne fut plus solide ! Les richesses arrivent de par le monde entier jusqu’à nous. Les seigneurs renégats ont été écrasés sans difficulté tandis que les fidèles du régime se sont vus récompensés à hauteur de leurs exploits. La foi nouvelle et véritable se répand à travers les fiefs et les cœurs à une vitesse formidable et la vermine humaine se fait plus obéissante et plus humble de jour en jour, preuve s’il en était besoin qu’ils ne comprennent que la force et qu’il faut perpétuer nos méthodes ! Aujourd’hui je peux l’affirmer : L’Empire c’est la paix ! L’Empire c’est la prospérité ! L’Empire c’est la grandeur ! Demeurez-moi fidèle ainsi qu’à mes héritiers et jamais la domination du monde ne vous sera contestée ! Mangez, buvez et réjouissez-vous car tout ceci est le fruit de l’Empire et ses plus grands seigneurs ont droit de le savourer ! »

Toute la salle applaudit frénétiquement et, lorsque l’Empereur s’assit, chacun l’imita et commença à déguster les plats d’ici et d’au-delà des océans tandis qu’une atmosphère de joie et de fierté remplissait la pièce. Les festins de Stanislasmar sont indubitablement les meilleurs du monde. Je passai tout le repas à parler avec tante Maria, cousine Vladislava et ma sœur Feodora puis je partageai de nombreuses danses avec Pavel, baron de Falkmar et héritier du comté d’Or, charmant seigneur s’il en est ! Dire qu’on n’est qu’au premier jour du jubilé ! Vivement la suite ! Je ne suis même pas sûr de pouvoir dormir cette nuit tant l’excitation s’est emparée de moi !

Adrian

10 mars de l’an 5775 après la guerre des sangs

Cinq mois que nous parcourons ces étendues sableuses sans résultat. Non seulement nous nous sommes engouffrés dans cet enfer mais en plus nous nous sommes mis à arpenter sa partie sud, la plus chaude de toute et cela ne va pas en s’arrangeant les mois s’écoulant. Heureusement que chaque oasis avait été occupée par les vampires, fortifiée et grassement approvisionnée sans quoi nous n’aurions pas pu rester aussi longtemps.

Toutes les semaines nous rejoignions la forteresse d’Avinpor afin de nous ravitailler en eau et nourriture. Les seigneurs de ces lieux, la plupart envoyés ici pour quelques méfaits ou rébellion avortée, nous aidaient de bonne grâce tant leur isolement les faisait. Le baron de la place était ainsi l’ancien héritier du duché de Cracvonia, un certain Leonid. Son père s’était soulevé contre Stanislas il y a presque cent ans mais il fut rapidement vaincu et tué. A la tête des forces qu’il lui restait, son fils pu négocier avec l’Empereur sa vie et celles de ses vassaux restants contre la reddition de son armée. Il fut ainsi spolié du titre de duc et reçu en échange celui de baron d’Avinpor. Depuis il pourri ici, patientant les quatre siècles d’exil qu’il lui reste à vivre.

Nul doute que l’Empereur n’arrive pas à trouver le moindre volontaire pour occuper ces tristes fiefs et qu’il est obligé d’y envoyer ses ennemis vaincus. Une sorte de prison dorée par le sable qui l’entoure et par la chaleur qui y règne.

Ces haltes à l’oasis étaient pour nous aussi des moments de repos et de réconfort tant les marches et chevauchées dans le désert sont difficiles. Deux de nos chevaux sont déjà morts et je peine à croire que les trois derniers tiennent encore longtemps à ce rythme. Denis fait durer nos recherches jusqu’à épuisement complet de nos ressources et il n’est pas rare que nous passions la dernière demi-journée sans boisson pour nous désaltérer sous le soleil de plomb qui nous frappe sans discontinuer. Denis tient à ce que nous, les vampires, donnions nos dernières parts aux humains, de plus faible constitution. Cela est juste et accepté par tous mais la souffrance que cela engendre couplée à la chaleur et à la déshydratation font flancher notre moral. Hier j’ai parlé avec Roksana et Guy et tous deux trouvent également cette expédition de plus en plus absurde. D‘autant plus que Thibault est en train de tomber malade et qu’il devra probablement rester à l’oasis lors des prochaines recherches. Nous étions assez inquiets mais le baron nous a promis de ne pas le toucher. Leonid semble beaucoup nous apprécier, notamment Denis. Après presque un siècle sans voir qui que ce soit j’imagine que tout nouvel arrivant revêt presque immédiatement les traits d’un ami. Heureusement qu’il ne soupçonne pas la véritable nature de son hôte. Malgré ces preuves de bonnes volonté Agnessa a tout de même insisté pour demeurer auprès de Thibault. Cette sécurité supplémentaire n’est sans doute pas superflue lorsque l’on connaît la duplicité de la plupart des vampires envers les hommes et puis cela lui fait une bonne excuse pour ne pas avoir à participer à notre prochaine expédition. J’étais presque déçu de ne pas y avoir pensé avant elle.

Pour l’instant, malgré toutes ces difficultés, nous suivons notre seigneur sans broncher mais lorsque, pour le dîner, il déclama à tout le groupe : « Ne désespérez pas, nous n’avons parcouru qu’une infime partie du désert ! », il fut plus que difficile d’afficher un sourire convaincant. Puissions-nous vite trouver quelque chose ou rebrousser chemin.

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