Chapitre 2

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Le trajet jusqu'à la ville portuaire avait été monotone, ennuyant et terriblement long. Ahidan s'était plongé dans ses pensées une bonne partie du voyage même s’il avait quand même pris le temps de me présenter rapidement les endroits et villes stratégiques que nous traversions. Les paysages qui s'étaient dessiné derrière les vitres du fiacre reflétaient parfaitement la crise qu'avait subi les gens d'Osmerii à cause de la rudesse de l'hiver. Aussi fus-je surpris en apercevant les abords de la ville. Iernut était... surprenante. Bâtie en grande partie sur des marécages, les architectes avaient dû trouver une solution et l'avaient trouvé dans les pilotis. Iernut se dressait donc au-dessus du marais, fière et victorieuse. Ses maisons aux pierres blanches contrastaient étrangement avec la nature environnante d'un vert-marron profond et les différentes maisons de bois ou de paille que nous avions croisées jusqu'à présent. J'appris par Ahidan, qui s'improvisa guide, que la ville était essentiellement peuplée de riches marchands qui profitaient immodérément des bénéfices d'une grande ville portuaire et ce, sans égard pour les petits ports alentour.

Nous entrâmes dans la ville en début d'après-midi après cinq jours de voyage en fiacre et je fus surpris par la foule qui se bousculait dans les rues. Je ne comprenais pas la cause d'une telle cohue avant que Ahidan me la montre avec un petit sourire. Étals et échoppes de bois avaient trouvé leur place sur les parcelles sèches entre les pilotis, permettant ainsi aux personnes vivant aux abords de la ville de venir vendre leurs produits.

— Je t'aurais bien laissé flâner en quête d'un souvenir mais nous n'avons malheureusement pas le temps, me souffla Ahidan. Nous sommes attendus à l'auberge du Héron Cendré et j'ai suffisamment fait attendre cette personne.

Je hocha la tête et continua d'observer le va-et-vient des passants. Le cocher, un certain Igor, nous arrêta enfin devant la fameuse auberge et, après être descendu, je regardai impressionné l'homme guider son fiacre sur une pente pavée jusqu'à le garer en hauteur.

— Les boveaux supportent mal l'humidité surtout au niveau de leurs sabots qui pourrissent rapidement, m'apprit Ahidan. Alors pour pallier ce problème, les habitants ont construit ces plates-formes pour les préserver car ils restent les meilleurs animaux pour tirer les fiacres et les carrioles.

Je regardai, surpris, l'animal couleur caramel qui nous avait mené jusqu'ici. Pour moi, cet animal représentait la force brute avec ses belles cornes, ses pattes terminées par un sabot chacune et son corps musclé mais d'une incroyable finesse. Je n'aurai jamais imaginé qu'il fut sensible à l'humidité. Comme pour se moquer de moi, le boveau me regarda et secoua sa tête et sa queue pleine de crins d'un air bête. Vexé, je me détournai de cet animal ingrat et me précipitai à la suite d'Ahidan qui entrait déjà dans l'auberge.

Je refermais la porte derrière moi et analysais la pièce dans laquelle nous venions de pénétrer. Les tables étaient presque toutes occupées et une jeune fille habillée de vieux vêtements fripés se déplaçait habilement entre elles tout en évitant les mains baladeuses. Non loin de l'âtre, derrière son bar, un homme, probablement l'aubergiste, surveillait de près la demoiselle que je devinais être sa fille. A côté de lui, assis sur le comptoir, se tenait un bambin âgé de quatre ou cinq ans qui battait la mesure d'une musique imaginaire en balançant ses jambes. Sa chemise légère était ouverte, laissant apparaître une balafre qui s'étendait de son cuir chevelu jusqu'à la moitié de son torse. Gêné, je portais le regard sur les murs où était accroché des peintures représentant des scènes du quotidien habilement mis en valeur par des jeux de lumières. Soudain, une ombre tomba sur Ahidan qui se trouvait à quelques pas de moi et nous sursautâmes tous les deux.

— Espèce de triple buse égoïste et inconsciente ! Où est-ce que tu étais passé ? Ça t'aurais embêté de nous faire part de ta destination ? Ou mieux, de nous laisser t'accompagner ?

La personne qui criait sur Ahidan était une femme aux cheveux courts et noirs en armure légère. Elle lui faisait une clé de bras tandis que l'autre lui frottait le dessus du crâne furieusement, signe de sa colère, alors que son prisonnier rigolait ouvertement. Instinctivement, je me fis plus petit pour ne pas me faire inutilement remarquer.

— Lâche-le, Alahna. Tu vas finir par le tuer et nous aurions plus d'ennuis qu'autre chose.

L'homme qui venait de parler portait également une armure légère mais une cape couvrait ses épaules et sa tête. J'eus l'impression qu'Ahidan pâlissait face à lui mais, d'un vif mouvement, il se libéra de la fameuse Alahna et avança les bras grands ouverts.

— Ulrich, mon ami ! Quelle joie de te revoir !

L'homme abaissa sa capuche pour seule réponse et son regard aux couleurs de l'automne foudroya Ahidan à quelques pas de lui. Ses cheveux auburns étaient attachés en demi-queue adoucissant son regard par les mèches détachées même si sa tenue, identique à celle de sa comparse, m'indiquait son statut. Il finit par s'adoucir devant l'air penaud de son vis-à-vis et poussa un léger soupir.

— Quand apprendrez-vous à être raisonnable ?

— Quand tu cesseras de me vouvoyer ?roi

— Je ne crois pas... Enfin bref, ne restons pas au milieu du chemin. Nous devons avoir une discussion et il serait sage de ne pas le faire sur le pas de la porte.

En quelques secondes, l'attitude d'Ahidan devint sérieuse et je le vis suivre le dénommé Ulrich vers un escalier caché qui devait sûrement donner l'accès à la mezzanine. Je suivis donc le mouvement jusqu'à ce que je ne sente le fil d'une lame sur ma gorge. Je me figeai, terrorisé et ne pus empêcher une petite plainte de sortir de ma bouche.

— Où crois-tu aller, toi ? Donne-moi ton nom et la raison de ta présence, menaça la femme qui avait maîtrisé Ahidan.

A mon plus grand soulagement, je vis mon nouveau tuteur se retourner et, après un instant de surprise, vint éloigner la lame de la soldate de mon cou. Il ne m’avait tout de même pas oublié, si ?

— Pourrais-tu essayer de ne pas effrayer le futur apprenti d'Aaron ? Il est déjà suffisamment difficile de trouver une personne compétente et capable de résister aux sautes d'humeur de cette tête de mule !

Cette petite tirade fut suivit d'un blanc qui fut briser par un bruit sourd. Je tournai la tête vers l'origine du bruit et vis Ulrich, le regard noir avec un poing sur le mur à côté de lui. La colère qui se dégageait de lui était telle que j'eus le fol espoir de ne pas en être la cible. Mais la désillusion ne dura pas longtemps quand il me pointa du doigt après l'avoir fait sur Ahidan.

— Vous deux, suivez-moi. Tout de suite.

Et sans plus attendre, il grimpa l'escalier d'un pas rageur et fut suivi d'un Ahidan penaud. Alahna me poussa gentiment dans le dos pour que je les suive, fermant ainsi la marche. Arrivé sur la mezzanine, je m'émerveillais sur l'arrangement de l'endroit. Sur la droite et la façade de l'auberge, cinq petites stalles fermées de légers rideaux offraient la possibilité aux clients de se rencontrer à l'abri des regards indiscrets. Sur la gauche, un long couloir terminant en L donnait l'accès aux chambres sans pour autant obscurcir la salle du dessous de par sa petite largeur. Un peu plus loin, j'aperçus Ulrich entrer dans la première chambre, vite suivi de Ahidan et me dépêchais de les rejoindre.

D'allure modeste, cette dernière était meublée de deux lits en vis-à-vis, d'une armoire en chêne à double battant ainsi que d'une coiffeuse sur laquelle était posé un broc et une cuvette destinée à la toilette. En son centre se dressait une table ronde autour de laquelle Ulrich tournait, tel un lion en cage. Derrière moi, Alahna ferma la porte avant d'aller se poster à la fenêtre alors que je rejoignais Ahidan près de l'armoire.

— Êtes-vous stupide ou complètement inconscient, tempêta finalement Ulrich. À moins que ce ne soit les deux ! Qu'est-ce que vous n'avez pas compris dans la phrase: "Votre tête est mise à prix."?

— Et bien, techniquement, elle n'est mise à prix que dans la région de Solder dans le Royaume Uni, rétorqua Ahidan, dans un excès de confiance. Je suis donc tranquille ici, à Osmerii.

— Parce que vous croyez que cela arrêtera les mercenaires ! Qu'ils ne seront pas capables de vous kidnapper et de passer la frontière ?

À côté de moi, je vis Ahidan se dégonfler. Apparemment, il n'avait réellement pas pensé à cette possibilité... Je comprenais mieux la réaction d'Ulrich et partageais son angoisse. Il s'était mis en danger en voyageant seul et aurait pu disparaître, laissant Ulrich et Alahna dans l'expectative.

— Deux semaines que vous vous êtes évaporé, reprit le soldat. Disparu sans dire un mot et sans laisser de message. Même pas une missive pour donner de vos nouvelles ! Qu'aurais-je dit à Johdy s'il vous était arrivé malheur ? "Veuillez m'excuser, ma reine, mais en plus de n'avoir trouvé aucun remède pour sauver votre fils, votre frère est porté disparu et peut-être mort." Quel impact !

Je fixa Ulrich surpris ; Ahidan était le frère de la reine !? Au fur et à mesure de son discours, je voyais ses yeux se remplir de larmes. Je ne fus pas le seul à le remarquer car Ahidan s'approcha de lui, l'air repenti. J'étais sûr qu'il avait compris son erreur et à quel point Ulrich s'était inquiété pour lui.

— Oh non, vous ne m'aurez pas avec votre air de chien battu ! Cette discussion n'est pas fini contrairement à ce que vous souhaitez, le prévint Ulrich en reculant de quelques pas.

Cette fois-ci, cela n'arrêta pas Ahidan qui franchit les derniers mètres rapidement pour offrir une accolade à Ulrich et le couvrir de baisers papillons et d'excuses. Je restai estomaqué pendant quelques secondes avant de me détourner et de rejoindre Alahna, les joues rouges de gêne. Mlle Sweety m'avait appris les textes sacrés et ils étaient clairs. Chaque homme était destiné à une personne qui était son opposé mais aussi son complément. Ainsi, les omirshas* punissaient sévèrement ceux qui déviaient du droit chemin. Un homme devait être avec une femme, un point c'est tout.

— Surpris, me demanda Alahna. Ne t'inquiète pas, ils ne sont pas aussi démonstratifs, d'habitude. le capitaine est du genre secret, me dit-elle dans un clin d'œil.

— Ce genre de relation est proscrit par les textes sacrés. Les omirshas ne tolèrent pas ça et punissent ceux qui enfreignent leurs destinées, récitais-je.

La jeune femme poussa un long soupir avant de reprendre son observation des rues grouillantes de Iernut.

— J'avais oublié que vous autres, habitants de Osmerii, êtes étroits d'esprit lorsque cela concerne les textes sacrés. Vos omirshas ont une interprétation si stricte des écrits ! Il va falloir que tu apprennes à ouvrir tes perspectives sinon tu ne te feras jamais à notre pays.

— Parce que ces pratiques sont courantes chez vous, m'exclamai-je. Mais...

Je n'eu pas le temps de finir ma phrase qu'un index se posait sur ma bouche. Son regard était sévère mais, après un regard vers les deux hommes toujours enlacés et dans leur monde, il s'adoucit légèrement.

— Ne parle pas de ce que tu ne connais pas. Apprends et fais-toi ta propre opinion avant de juger hâtivement. Et si tu tiens à Ahidan, acceptes leur relation parce que, de toute façon, tu n'as pas ton mot à dire en ce qui concerne sa vie intime.

— Je ne comprends pas, avouais-je en grimaçant, mais je peux... Non, je vais laisser une chance à Ahidan. Après tout, lui m'en a bien donné une...

Le visage d'Alahna rayonna alors qu'elle me tapotait la tête comme on le ferait avec un chien ayant bien obéi. Elle laissa même échapper un "bon garçon" qui ne fit que me conforter dans mon impression et me fit grincer des dents. Heureusement, ce fut à cet instant que les amoureux décidèrent de se séparer et de nous réintégrer dans la conversation.

— Je comprends que vous ayez du mal à me pardonner mais je devais me rendre dans un endroit où seul un membre de ma famille a l'autorisation de pénétrer. C'est en cherchant un remède pour Zariel que j'ai eu l'occasion de rencontrer Toïren et j'avoue que sa personnalité m'a charmé et je suis intimement convaincu qu'il saura dompter notre terrible chambrier.

— Alors vous avez trouvé un remède ? C'est vrai, demanda Ulrich.

— Oui... et non. C'est plus compliqué que cela ne puisse paraître. En tout cas, j'ai fait tout ce qu'il fallait pour passer inaperçu et je n'ai pas été suivi !

— Oh, alors vous savez qui sont les hommes qui nous suivent depuis notre départ de Torgavesti, ne pus-je m'empêcher de demander, narquois. J'ai cru, l'espace d'un instant, que vous nous aviez mis en danger sans le voir. Heureusement, ces cinq hommes armés n'ont aucun lien avec vous !

Je vis Ahidan blêmir alors que j'avais l'attention totale de Ulrich et Alahna. D'un mouvement de tête, il me fit signe de développer alors qu'Alahna s'activait à empaqueter leurs maigres possessions et qu'il se dirigeait promptement vers un sac et nous lança, à Ahidan et moi, deux capes en nous intimant de baisser la capuche avant de se poster à la fenêtre.

— J'ai remarqué la présence de cinq hommes armés qui nous suivent depuis Torgavesti. Jusqu'à présent, je pensais qu'il s'agissait de soldats déguisés en civil appartenant au bailli Tchenko mais, à présent, je n'en suis plus aussi sûr, racontai-je mal à l'aise par cette soudaine attention. Mais ce n’est peut-être rien !

— Qu'est-ce qui te fais dire qu'ils vous suivaient, me demanda Ulrich sans détourner le regard.

Je me mordis les lèvres et hésitais un instant. Je n'allais tout de même pas lui révéler mon secret alors que j'avais réussi à le garder jusqu'à présent ! Je devais trouver quelque chose de crédible afin qu’il ne creusât pas plus dans son interrogatoire.

— J'ai une certaine expérience concernant le fait d'être traquer... J'ai appris à détecter le moindre détail qui sorte de l'ordinaire et voilà. Leur comportement était vraiment très étrange et quand j'en ai fait part à Igor, il m'a dit que c'était fort probable parce qu'il y a beaucoup de bandits dans la région.

Je terminais mes explications quand Alahna nous affirma que tout était prêt. Ulrich n'attendit pas une seconde de plus et se précipita vers la porte en prenant un paquet puis, il nous fit signe d'attendre, le temps de vérifier les lieux. Il revint quelques minutes plus tard et nous plaça, Ahidan et moi, au centre de la formation improvisée avec Alahna pour couvrir nos arrières. Nous traversâmes la mezzanine en quelques instants, surveillant les portes et les rideaux qui donnaient dans les chambres et les stalles. Arrivés dans la grande salle, je remarquai que personne ne nous prêtait attention malgré nos bagages et notre attitude plus qu'étrange. Pourtant, alors que Ulrich ouvrait la porte pour quitter l'auberge, un homme taillé comme un ours lui barra le passage, dégainant une épée légèrement émoussée. Aussitôt, nos deux gardiens se tendirent et je les vis se préparer à une attaque.

— Les rats quittent le navire, demanda l’homme très certainement éméché vu les effluves que dégageait sa bouche. Je ne crois pas, non ! Claudin est parti chercher des renforts et m’a dit de faire le guet ! Alors… j’obéis !

Le gaillard s’avançait, toujours plus menaçant. Ulrich et Alahna, malgré leurs évidentes compétences dûes à leurs fonctions, me semblaient loin de faire le poids face à un gaillard pareil. A mes côtés, Ahidan semblait serein, voire même défiant. Que les Déesses nous viennent en aide ! Son tempérament inconscient et provocateur allait jeter encore plus d’huile sur le feu. Comme si nous avions besoin de cela actuellement !

Les Déesses durent entendre ma plainte car le géant braqua son regard dans celui d’Ahidan et, après un court duel de regard, poussa un rugissement de rage en fonçant sur lui. Tandis que Ulrich mettait hors d’atteinte Ahidan, je vis Alahna se baisser prestement en tendant la jambe. Le croc-en-jambe fut efficace sur la masse imposante de l’homme qui finit la tête la première dans l’un des piliers de bois de l’auberge. Alors qu’il allait pour se relever, je vis l’aubergiste sortir de nulle part et assommer violemment d’un coup de poêle notre agresseur, stoppant immédiatement les deux soldats qui s’étaient réunis pour en découdre.

— Pas de bagarre dans mon établissement, grogna-t-il en pointant un écriteau avec sa poêle. Vu que vous n’avez pas dégainer, je laisse couler mais dégager de mon auberge ! Vous n’êtes plus les bienvenus.

— Merci mais, nous ne pouvons pas partir sans vous dédommager pour tout le chantier que nous avons créé, contredit Ahidan. Et les chambres…

— Ont été réglées ce matin même, le coupa l’aubergiste. Vous voulez m’aider ? Dégager le plancher !

Une légère lueur près du corps inanimé attira mon regard et je tombais nez-à-nez avec le petit bambin scarifié qui, accroupi, observait l’homme. Il tourna brusquement la tête vers moi et je me perdis dans ses yeux. C’était la première fois que je voyais une telle différence entre le regard et le sourire: autant ses yeux révélaient une certaine naïveté, autant son sourire affichait un certain sadisme.

— Depuis mon accident, mon pôpa il aime plus que les gens se tapent. C’est pour ça que les combats sont interdits et qu’il a mis des affiches tout partout. Il a pas envie de perdre son dernier enfant !

Mon sang se glaça et je fus heureux qu’Alahna me sortît du regard hypnotisant de l’enfant, même si je me serais allègrement passé de sa baffe sur ma tête.

— Grouille, gamin. On se tire, fissa ! Si t’es à la traîne, on te laisse en plan.

— Il n’est pas mort, rassure-toi, me sourit Ahidan.

Ce n’était pas vraiment la raison pour laquelle je m’étais figé mais c’était tout à mon avantage qu’ils crussent ça. Je hochai vivement la tête et les suivais rapidement au petit trot car Ulrich ne m’avait pas attendu tout comme Alahna. Je le soupçonnais même d’avoir essayer de me larguer volontairement étant donné qu’il ne semblait pas me porter dans son cœur. Ce n’était qu’une impression mais ses regards en coin et ses soupirs me confortaient en ce sens.

Au détour d’une ruelle, je crus les perdre alors qu’ils se faufilaient habilement dans la foule présente dans cette artère de la ville. Heureusement pour moi, Ahidan semblait réellement tenir à ce que je sois l'assistant du chambrier car, l’air de rien, il ralentit la cadence en soufflant fortement, prétextant même un point de côté. Cela me fit sourire mais je voyais bien au regard d’Ulrich que cette situation l’énervait. Et je pouvais largement le comprendre… Dans une poursuite, les fuyards devaient être le plus discret et invisible possible ce qui était loin d’être notre cas dans cette situation. Les gens passaient à côté de lui en le regardant bizarrement. Je savais bien, vu le nombre de fois où Vlad avait joué à la chasse à l’Erreur avec moi, que le meilleur moyen de s’en sortir était d’effacer sa présence… Je me dépêchais donc de les rejoindre et pus entendre Ulrich encourager mon tuteur dans un murmure :

— Le navire n’est qu’à deux rues d’ici et il est prêt à lever l’ancre dès notre arrivée. Je sais que ta forme physique est digne des plus grands athlètes alors tu vas me faire le plaisir de bouger ton petit cul ! Hors de question que tu te mettes en danger pour un gosse qui nous est totalement étranger !

— J’avoue que je ne dis pas non pour onduler mon petit cul sur ton corps, et nu de préférence, répliqua Ahidan en mimant toujours l'essoufflement.

Ah ! Finalement, ce n’était peut-être pas des encouragements… Le visage d’Ulrich ne changea pas et ce fut avec un air impassible qu’il mit une claque à Ahidan avant de le relever sans ménagement pour le forcer à le suivre. A présent que j’avais rattrapé mon retard sur le reste du groupe, ils allaient avoir du mal à me semer. Osant lever un peu la tête, je pus voir des mâts de navires surplomber les maisons tel les Colosses des temps anciens mentionnés dans Le Livre de l’Amorce. C’allait être mon premier voyage en bâteau et mon estomac était prêt à se retourner mais était-ce d’impatience ou d’appréhension, je n’aurai su le dire…

— Par ici, appela Alahna à l’embranchement d’une rue. Dépêchez !

— Pars devant, Alahna, ordonna Ulrich. Que tout l’équipage se mette au travail et que le magi-mécanicien lance l’orbe de navigation. Nous devons appareiller au plus vite. Et envoie-nous Edern, au cas-où !

L’ordre n’avait même pas fini d’être donné qu’Alahna avait déjà filé. Vraiment, j’admirais la réactivité de la soldate ! Dire que moi il me fallait deux ou trois minutes de réflexion à peser le pour et le contre pour que je me décidasse à bouger… Un murmure aérien à mon oreille me fit accélérer le pas jusqu’au niveau de Ulrich:

— Ils nous ont retrouvés, lui appris-je en paniquant légèrement.

Le capitaine me lança un regard rempli de soupçons mais ne s’attarda pas plus et allongea encore plus ses foulées. Il voulait vraiment m’achever ! Je changeai pourtant vite d’opinion quand j’entendis des cris s’élever derrière moi. Je préfèrai tenter la survie même si je devais ressembler à un loup asthmatique plutôt que de mourir après m’être fait rouer de coups, merci bien !

Nous débouchâmes enfin sur les quais où le vent marin me cingla violemment le visage, faisant larmoyer mes yeux. Bon, au moins nous arrivions enfin au terme de notre cavalcade. Nous étions suivis, certes, mais cela n’allait être qu’un détail, n’est-ce pas ? En étant le frère de la reine de Tonymôr, Ahidan n’était certainement pas venu sans une escouade pour le protéger. Bon, il les avait laissés sur place jusqu’à présent mais, ça ne voulait pas dire que des soldats ne nous attendaient pas sur le pont du navire !

— Ne panique pas, Toïren. Tout va bien se passer, me rassura Ahidan. Regarde ! Erden vient nous aider !

Moi ? En panique ? A peine ! Et puis qui paniquerait en voyant un type vêtu d’une armure et qui faisait la taille d’une penderie courir vers lui avec un regard dangereux ?! Le dénommé Erden ne s’arrêta pourtant pas à notre hauteur et, rapidement, je pus entendre le bruit de métal s’entrechoquer.

— Je vais prêter main-forte à Erden, nous annonça Ulrich. Continuez jusqu’au quai numéro sept où notre navire est amarré. Le pavillon de Tonimôr flotte sur le grand mât, vous ne pourrez pas le manquer. Non, Ahidan ! Pour une fois, obéis juste, s’emporta-t-il alors que mon tuteur allait rétorquer. Regarde, il est juste là !

En effet et, à mon plus grand soulagement, le drapeau aux armoiries de Tonymôr flottait à trois quais de nous. Je jetais un petit regard à Ahidan et pus voir le conflit qui l’habitait. Ca se voyait qu’il ne voulait pas laisser son… son quoi d’ailleurs ? Bref, il ne voulait pas laisser Ulrich seul mais, Ulrich, lui, aurait très certainement du mal à se concentrer si Ahidan était au milieu de l’affrontement. Je tendis la main pour attraper celle d’Ahidan afin de l’encourager lorsque mon pied se prit dans un trou et se tordit violemment.

— Génial, grommelais-je en me relevant.

Evidemment, comme je ne ressemblais pas assez à un boulet pour Ulrich, mon corps décida que la douleur était trop intense et ce fut en claudiquant que je repris la route. Je vis Ahidan hésiter quelques secondes en voyant Ulrich s’élancer dans la mêlé mais il eut finalement pitié de moi et il passa mon bras sur son épaule pour m’aider. Nous arrivâmes sur la passerelle plus rapidement que je ne l'aurais pensé, même si mon pied fut mis à rude épreuve par la pente. Je fit pourtant les derniers mètres en grinçant des dents et fût soulagé quand je mis enfin le pied sur le pont. Je n’aurais peut-être pas dû me sentir en sécurité aussi rapidement car, à peine nous étions-nous arrêtés, Ahidan et moi, que ce dernier me laissa tomber pour se précipiter vers l’endroit où la bataille devait se terminer. Comme la chance semblait toujours être de mon côté, je ne pus garder l’équilibre et ma tête rencontra le bastingage.

— Vraiment génial, pus-je murmurer avant de m’évanouir.

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