Chapitre 3 4/4

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L’expert des cavernes m’aida à monter les six étages de la Tour. Malgré mes nombreuses tentatives de le faire rester, il prétexta un rendez-vous très tôt demain pour déguerpir. En même temps, je l’avais presque menacé de me donner le numéro de téléphone d’Oberas et de le rappeler sur-le-champ. En vain. Ce dernier avait probablement dû l’avertir d’éviter de parler de leur relation. Encore une fois, dès que je découvrais une nouvelle parcelle de cet homme mystérieux, il se renfermait.

Bonsoir, Perlie. La première fois qu’il prononçait mon prénom. Évidemment qu’il devait connaître mon identité entière ! Mais cette voix… La plus suave jamais entendue. J’avais l’impression de la connaître. Tout en larguant mes fringues dont les taches terreuses avaient séché, je me surpris à l’imaginer. Quelle était la couleur de ses cheveux ? De ses yeux ? Était-il grand ? Musclé ? Durant deux ans, aucunes de ces pensées ne m’avaient traversée. Deux simples mots murmurés avaient tout changé. Que m’arrivait-il ?

Ma plaie picota plusieurs minutes après la douche. Sorse m’avait laissé un deuxième bandage que j’entrepris de nouer tant bien que mal autour de ma cuisse. Puis, je boitais vers ma kitchenette pour mettre ma petite casserole à bouillir. La tradition voulait qu’à trois heures du matin, ce fût l’heure des pâtes. Mon sauveur commença déjà à me manquer. J’avais tellement eu envie de m’agripper à son cou lorsqu’il me sortit de ce trou de terreur, mais ma satanée réserve m’en empêcha.

Je sortis mon ordinateur de sa veille, branchais mon téléphone au câble USB pour transférer toutes les photos prises lors de cette soirée mouvementée.

Ma ville n’avait pas disparu. Elle était toujours là. Je fus prise d’un rire amer tandis que je plongeais dans l’eau les quelques spaghettis qui se battaient en duel. Elle existait. Puis mes larmes coulèrent. Perlie, que t’arrive-t-il ? Toutes ces années à me demander si je n’avais pas viré folle. Tous ces songes où j’échangeais avec des êtres spirituels plus grands dans ces rues si complexes. Toute cette architecture parfois cristalline qui m’ébahissait à chacune de mes descentes. De mes descentes ? Attentez. Je scrollais toutes les photos en boucle plusieurs fois d’affilée.

Après réflexion, Sorse avait peut-être raison. Le cercle subtil entourant les diverses gravures urbaines rappelait le pourtour d’un globe. Signifierait ce l’existence même infime de villes souterraines ? Soulevant mon autre sac à dos, j’y récupérais mes carnets retrouvés chez ma tante et les feuilletais. Certaines cités étaient encerclées d’énormes montagnes ou falaises rocheuses que le soleil éclairait à chacun de mes songes. D’autres semblaient en effet contenir plusieurs galeries souterraines. Seraient-elles véritablement sous nos pieds ?

Que dire de ces symboles près des gravures ? Je reconnus un cercle, une ligne, plus loin un rectangle, une croix et même un hashtag ! En me perdant sur divers sites, je trouvais une concordance avec une très ancienne écriture à l’origine des alphabets celto-germaniques. Qui sont ces Hyperboréens auxquels aurait appartenu ce langage découvert depuis trente mille ans ? Hyperborée… Ce nom vibrait dans ma tête sans que je n’en sache la raison.

Et que signifiait As_har_a au-dessus de ces cinq villes ? Ashharra ? Astharta ? Obe m’aurait bien aidé sur ce coup-là avec ses multiples générateurs de mots analysant l’ensemble du web. Mais… Pouvais-je lui envoyer un message après l’avoir entendu ? Et s’il ne me répondait pas ? Pourquoi ne le ferait-il pas, d’ailleurs ?

   [P] - Obe ?

J’égouttais mes pâtes dans l’espoir qu’il ait déjà oublié mon rire de débile. La première bouchée me fit du bien. Je n’avais pas réalisé à quel point j’avais faim. Le bruit de la notification me rendit soudain nerveuse.

   [Oberas] - P, est-ce que tout va bien ?

J’expirais bruyamment l’air que je retenais.

   [P] - J’aurais une belle cicatrice de guerre mais ça va. Tu remercieras Sorse pour ce soir, je n’ai pas son numéro.

   [Oberas] - Je t’avais dit que c’était dangereux.

   [P] - Tu ne m’avais pas dit à quel point. Pourquoi t’es pas venu toi-même ?

   [Oberas] - Je ne pouvais pas.

   [P] - Tu ne pouvais pas ou tu ne voulais pas ?

   [Oberas] - Je ne pouvais pas.

   [P] - Pourquoi tu as raccroché ? C’est mon rire de déglingué qui t’a fait fuir ?

Obe mit plusieurs minutes à répondre.

   [Oberas] - Ce n’est pas dans mes principes de parler de vive voix avec mes subalternes.

Mes subalternes ? Moi ? Et Sorse alors ? Il commençait à me chauffer !

   [P] - Pourquoi tu parles avec Sorse, alors ?

   [Oberas] - Ce n’est pas l’un de mes employés.

   [P] - Très bien.

Je passais mes nerfs sur le reste des pâtes. Pourquoi étais-je en colère déjà ?

   [Oberas] - Tu avais besoin de quelque chose ? Je n’ai pas fini d’examiner les données du téléphone traqué.

Pourquoi agissait-il ainsi ? Ne voulait-il pas en savoir plus sur les gravures ? Sorse a peut-être dû lui raconter déjà tout en détail. J’étais énervée contre lui. Mais… J’avais besoin de lui.

   [P] - Tu ne me demandes pas si j’ai trouvé ce que je cherchais ? Toi qui voulais tout savoir.

   [Oberas] - As-tu trouvé ce que tu cherchais ?

En l’occurrence, il était encore plus renfermé que d’ordinaire. Est-ce qu’entendre ma voix l’avait autant interloqué que moi ? J’uploadais les photos sur notre serveur de recherches.

   [P] - J’ai besoin que tu scrappes le web pour trouver des correspondances avec le mot aux lettres effacées en haut. Et des symboles près des villes aussi.

Peut-être trouverait-il une autre véritable signification à cette écriture ? Ce que j’avais lu me paraissait tiré par les cheveux.

   [Oberas] - C’est lancé, je te dis quand j’ai trouvé. Mais à première vue, on dirait des gravures mythologiques qui dateraient des romains.

   [P] - A quoi tu vois ça ?

   [Oberas] - La typographie utilisée pour le mot incomplet est la même qu’à l’Antiquité, style Caslon ou Garamond.

   [P] - Depuis quand tu t’y connais en typographie historique ?

   [Oberas] - Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi.

Justement ! Je t’en prie, dis-moi tout !

   [P] - Donc, les Allemands auraient construit le bunker après avoir découvert les gravures ?

   [Oberas] - C’est probable. À l’époque, les nazis faisaient des recherches ésotériques sur de nombreuses civilisations perdues.

Les nazis… La piste commençait à se consolider. Devrais-je chercher par-là ? Auraient-ils trouvé l’emplacement réel de ces cités ?

   [P] - Pourquoi ils s’intéresseraient à ce genre de chose ?

   [Oberas] - Hitler était persuadé qu’il descendait d’une race d’êtres purs et puissants qu’il appelait aryens et qui auraient vécu au-delà de la mer du Nord. Je ne sais pas si tu trouveras quelque chose. La plupart des sociétés ont été dissoutes après la Seconde Guerre mondiale et toutes leurs archives détruites. À mon avis, il était tout simplement fou.

Je n’étais pas convaincue. En mon for intérieur, j’étais plutôt persuadée qu’il n’avait pas sombré dans la folie sans raison. Après plusieurs minutes à lire des descriptions sur le IIIe Reich, Obe me relança :

   [Oberas] - Il n’y a aucune correspondance pour le nom du dessus. Ça doit être une langue perdue. Peut-être que ces gravures représentaient les plus grandes villes de l’époque. Si c’était si important, elles ne seraient pas laissées à l’abandon dans les Catacombes.

Non. Les villes d’époques ne pouvaient pas être construites en cercles avec des pyramides au centre ou des systèmes de transport sophistiqués. C’était impossible. Personne n’était encore en mesure d’expliquer comment les Égyptiens pouvaient construire des pyramides rien qu’avec leurs outils primaires alors des civilisations à la technologie aussi développée ? Impossible. Ces cités étaient forcément de notre ère ou, encore plus fou, du futur. Mais si j’étais devenue le porte-parole de E.T, j’aurais été au courant, non ?

   [Oberas] - Les symboles retrouvés proviennent de la période paléolithique. Peut-être les Sumériens. Peut-être même que les gravures ont été taillées à diverses périodes. Après tout ce que j’ai vu sur le dark, ça me paraît être un gros fake.

Obe creusa mon désespoir. En analysant les liens d’archives qu’il venait de m’envoyer, je soufflais. Moi qui pensais tenir une piste solide qui pourrait me révéler l’existence réelle de ces maudites civilisations. Pourquoi ne me rappelais-je pas des mots dans mes flashs, ni mes rêves ? Maudite sois-tu, Perlie !

   [P] - Ok, ce n’est qu’un mythe alors. Tout est faux…

[Oberas] - Parce que tu croyais vraiment à l’existence de ces villes intra terriennes ?

   [P] - Et alors ?

   [Oberas] - T’es vraiment naïve. Il ne faut pas croire tout ce que tu trouves sur le Net, tu sais.

   [P] - Je sais ! Je suis pas bête non plus.

   [Oberas] - Pourquoi tiens-tu autant à découvrir ce que c’est ?

   [P] - Pour rien. Laisse tomber.

   [Oberas] - Tu m’as dit que tu me raconterais tout quand tu aurais vu les gravures.

Ouais. Ouais. Et je n’avais qu’une parole. Mais la vérité me permettrait-elle d’entendre sa voix de nouveau ? Bien au contraire… D’ailleurs, pourquoi avais-je autant besoin de l’entendre à nous ?

   [P] - Ça dépend, est-ce que t’es prêt à tout entendre par téléphone ?

Obe mit plusieurs minutes à répondre. Les trois points de suspension qui s’affichaient avant de disparaître plusieurs fois me donnèrent des envies de meurtre.

   [Oberas] - Ne joue pas à ça avec moi.

Merde. Pourquoi as-tu écrit ça, Perlie ? T’es con ou quoi ? Cela m’énerva.

   [P] - Jouer à quoi ?

[Oberas] - Jouer à ça.

   [P] - Tu m’expliques ?

   [Oberas] - Je t’ai formée et tu travailles pour moi. C’est tout. Est-ce clair pour toi ?

Mon cœur fit un bond oppressant dans ma poitrine. Comment étions-nous en arrivés à ça ? Ma fierté prit le dessus :

   [P] - Très clair.

Clair comme mon cœur qui bizarrement se déchirait. Clair comme la colère que je ressentais en ce moment même sans en connaître la raison. Pourquoi donc avais-je agi comme une adolescente ? Reprends-toi, Perlie.

Je me déconnectais de notre messagerie privée et jurais. Peu importait son aide, ça ne m’empêchera pas de trouver cette foutue ville. Elle existait forcément. Je n’étais pas folle. Un instant… Il avait bien dit « intra terriennes » ? Quand lui avais-je révélé que ces civilisations vivaient potentiellement sous terre ? Jamais.

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