Chapitre 3 2/4

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Nous aperçûmes une lampe frontale puis un homme, barbu, en combinaison rouge. À sa taille, une stéréo lâchait de la techno éclectique. Mon acolyte relâcha ses épaules.

  • Oxa !
  • Oh Sorse, mon gars, ça faisait longtemps !

Ils se serrèrent vivement la main.

  • P, je te présente, Oxalit, un cataphile bien connu du milieu. C’est en partie lui qui m’a aidé à cartographier les Catas.

Oxalit, à la barbe plongeante, semblait plus vieux et plus petit que Sorse et ses cheveux plus sombres. Son sourire le rendait bienveillant. De sa main gantée, il me serra la mienne et nous allâmes nous asseoir de nouveau dans la salle.

  • Une bière ?
  • Non, merci Oxa.
  • Pour moi non plus.

Le barbu leva un sourcil.

  • Depuis quand tu ne bois plus en descente, Sorse ?
  • Je suis un peu en service, ce soir.

Il me désigna du menton. Oxalit décapsula sa bière et avala rapidement la mousse qui s’en dégageait.

  • Quel gentleman !
  • Ne te prive pas pour moi, Sorse.
  • T’inquiète.

J’étais quand même convaincue que sobre, il nous ramènerait plus vite à la surface que bourré.

  • C’est ta première descente ?
  • Non. Mais ça fait longtemps que je ne suis pas descendue.
  • Elle cherche les gravures dans le bunker allemand pour sa thèse.
  • Hum… Toujours à l’école. Sorse, tu me fais de la peine.

Je rigolais. Il y avait que les gars pour voir des rencards là où il n’y en avait pas.

  • Sorse est un ami d’un ami.

Oxalit me répondit d’un clin d’œil avant de descendre sa canette d’un trait. Puis se tourna vers mon expert des cavernes.

  • Tu feras attention. En ce moment, il y a des merdeux qui traînent près des bunkers. J’en ai croisé quelques-uns.
  • Ça fait longtemps. Il se passe quoi ?
  • Depuis plusieurs semaines, ils sont de plus en plus à se réunir en groupe la nuit, je sais pas pourquoi.

Sorse fronça les sourcils, réfléchit quelques instants et donna une accolade à son compagnon.

  • On fera attention, t’inquiète.
  • Je dois vous laisser, j’ai prévu de faire toute la partie Est ce soir. Mademoiselle, ce fut un plaisir.

Il salua mon acolyte d’une manière un peu militaire, rangea ses affaires et repartit en sifflotant. Ne discernant plus que la petite lumière de sa lampe frontale, je me sentis soudain nerveuse.

  • C’est quoi ces merdeux ?
  • Des connards qui viennent un peu foutre le bordel. Parfois volent les groupes de novices. Parfois, ça se fight.
  • Oxalit a dit qu’il en avait croisé. Pourquoi on ne lui a pas cassé la tronche, à lui ?
  • Il est un peu intouchable dans les Catas. C’est un ancien militaire et tout le monde le connaît. Du coup, même ceux qui cherchent la bagarre le respectent en quelque sorte.
  • Est-ce qu’on va croiser la police des Catacombes ?

Sorse explosa de rire.

  • Les flics descendent surtout la journée. Et ils connaissent encore moins les tunnels que les merdeux. Tu ne risques pas d’en croiser la nuit. Mais, du coup, il faut être prudent.

Il tapota doucement le haut de sa combinaison. Je ne sais pas ce qu’il cachait mais j’espérais que ce soit un couteau ou un flingue au cas où nous serions attaqués. J’avais dû faire deux heures de Taekwondo dans ma vie, ce n’était pas moi qui pourrais nous défendre.

Nous prîmes le même chemin qu’Oxalit et traversâmes plusieurs chatières, dont une assez dure qui nous demandait de glisser comme un ver plus bas pour remonter ensuite. Sorse salua mon sang-froid avant de s’engouffrer dans un passage qui descendit petit à petit. Un renfoncement s’agrandissait à droite, libérant un bas de plafond avec des stalactites de calcaire. Nous rampâmes dessous jusqu’à une nouvelle cavité dans laquelle nous pûmes nous tenir de nouveau debout. Mes pieds craquèrent soudain sur le sol et je sursautai en y découvrant des bouts d’ossements morcelés et assombris par le temps. J’avais déjà visité les Catacombes réglementaires aux nombreux squelettes. Mais je n’avais jamais marché sur un bout de l’un d’eux.

  • On n’est pas loin des ossuaires. Il y a même une salle avec que des crânes et des squelettes de gens connus. Tu veux voir ?

Je me sentais déjà lourde, suffoquant presque. Cette sensibilité m’annonçait souvent qu’un lieu était empli d’un passé tourmenté. J’évitais de toucher les murs. Qui sait si un flash bizarre allait décider de me perturber soudainement ? Il fallait avancer.

  • Allons déjà au bunker si tu le veux bien.

Il haussa les épaules et tourna sur la gauche. Un infini couloir étroit avec une goulée au sol emplie d’eau nous accueillit.

  • Fais attention à ne pas glisser si tu marches sur les côtés. Sinon va carrément dans l’eau.

Je choisis la deuxième option, l’eau recouvrait à peine mes bottes. Quelques minutes plus tard, nous nous arrêtâmes devant une porte dégondée, blindée et totalement rouillée. Plusieurs tags figuraient sur ses parois. Avec le temps, le calcaire et le sable s’étaient mélangés à ses pieds si bien que nous n’aurions pu la déplacer sans la percer. De l’autre côté, un astronaute tenant le drapeau américain était peint sur la paroi. Un clin d’œil ironique au bunker allemand devant lequel nous venions d’arriver.

  • Nous y sommes.

L’air redevint lourd. Encore un endroit historique. Je suivais Sorse et découvris une grande salle ovale aux murs de blocs de pierre. Plusieurs débris gisaient ci-et-là dans cet espace tagué. Une vieille échelle ferrée s’échappait vers l’extérieur à travers un trou sans fin. L’expert des grottes suivit mon regard.

  • La sortie est condamnée. Viens, les gravures sont plus loin.

Nous contournâmes une barrière rouillée dont il manquait plusieurs montants et après quelques minutes de couloir lissé, nous entrâmes dans une nouvelle pièce. Sa porte, plus épaisse et plus grande que la première, reposait à la verticale sur le mur de droite. Nos lumières frontales illuminaient le levier abîmé au milieu. En entrant dans l’espace, je lâchais un juron.

Les gravures étaient bien là, sur ma gauche. Sans un mot, je m’y approchais et suivis délicatement de mes doigts, les traits géométriques à quelques centimètres de la paroi. Je contins mes larmes. Enfin une preuve. Mais la peur qu’elle ne s’envolât soudain s’incrusta dans mon esprit. Je m’empressais de la photographier. Encore et encore.

Sur les côtés, j’y découvris d’autres villes à l’architecture particulière. Je ne pus dire si je les avais côtoyées en rêve à cause de la simplicité du trait. Ainsi, il en existerait d’autres. Des symboles cunéiformes se tenaient au-dessous de chaque gravure. Des noms.

  • Tu trouves ton bonheur ?
  • Tu sais à quoi ça correspond, toi ?

Sorse se dégagea de l’entrée et s’avança au centre de la pièce.

  • Pas vraiment, mais tu sais, les nazis ont fait des recherches sur tellement de choses bizarres que ça ne m’a jamais étonné de voir ça ici.
  • On dirait des sortes de villes…
  • Je dirais une Terre plutôt avec des peuples dedans.
  • Une Terre ?

Il m’invita à me tenir à sa hauteur. En me retournant, je vis que toutes les cités se concentraient dans un subtil cercle. Comme un globe. Au-dessus de lui, un texte plus imposant avec deux lettres effacées, était gravé sur la paroi brute : As_har_a.

  • T’as raison ! Est-ce que ces villes auraient existé sur Terre d’après toi ? J’ai plutôt l’impression que…
  • … Chut. Écoute.

Sorse apposa sa main sur mon épaule droite et tourna la tête vers l’entrée de la pièce. Des bruits de pas nous provinrent rapidement. Ils semblaient en nombre. Mon acolyte me fit signe de me cacher dans le renfoncement du mur des gravures. Il recula et se plaça lentement sur le côté droit de l’entrée, devant moi. De nouveau, il me fit signe du doigt de me taire et plongea son autre main dans sa combinaison.

Une voix malicieuse s’entendit à quelques mètres de la pièce. Ils devaient être déjà dans le bunker.

  • Tu penses qu’on va trouver du monde ce soir, Dem ?
  • En semaine, y’a peu mais les poches sont plus lourdes !
  • Et si on leur amène personne ce soir, il s’passe quoi ?
  • Ils nous ont dit qu’on trouverait des gens aux bunkers. Tais-toi et avance !

Le premier explosa de rire, continuant d’alimenter son envie de se frotter à quelqu’un. Le groupe s’approcha de la pièce, éclairant la porte blindée de l’autre côté de l’espace. J’apposais ma main sur la paroi, en alerte, me préparant à courir s’il le fallait même si nous étions dans un cul-de-sac. Mais mon regard devint soudain brumeux et ma vue disparut. Merde. Un flash.

Je me trouvais au pied d’un immense arbre aussi grand qu’un building. Nous aurions pu creuser mon studio dans l’une de ses racines. L’air était frais, suave. Je sentais la chaleur du soleil sur ma peau et la Nature dans mes narines. De grands oiseaux inconnus s’élevaient de nombreuses végétations provenant de steppes différentes. Était-ce une jungle mélangée à un autre climat ? Difficile à dire. De petits animaux grimpaient sur les branches, courraient dans les herbes et n’avaient aucune peur du lion qui venait de surgir. Il dévora quelques buissons avec ses crocs, me passa au travers puis disparut derrière les montagnes derrière moi. Tout ceci n’était pas réel. Ce que je voyais en contrebas ne pouvait être réel tant l’harmonie et la beauté du lieu dépassaient tout entendement.

D’immenses montagnes entouraient une vallée arrondie de parcelles végétales découpées à la perfection. Chaque délimitation d’allées de buisson ou d’arbres rappelait les traits d’un cadran. Une immense fontaine et des lacs s’associaient harmonieusement à ces traits géométriques. Un plaisir des yeux pour les maniaques. En son centre, un amas rocheux élevait fièrement, une ville aussi cristalline qu’immaculée. Une cité colorée en spirale, avec des pyramides opaques en son centre, des tours coniques, des maisons curvilignes ; leur allure translucide ravivait le camaïeu végétal de leur flore incrustée. Ce tableau dégageait autant d’énergie de sagesse et de lumière que la ville de mes songes.

Une voix mélodieuse s’éleva dans mon dos :

  • Bienvenue chez nous, chère sœur.

Un jeune homme grand, robuste, à la peau légèrement mate et aux longs cheveux blond platine me souriait. Il portait une sorte de tunique légère, ceinturée de cristaux et une longue veste par-dessus. Ses yeux étaient d’un bleu cristallin, presque blanc. Il prit ma main droite dans les siennes et la leva délicatement de son cœur à son front. Ses mains étaient douces, la chaleur rassurante. Un lien profond, inexplicable, s’établit et j’accueillis toute la bienveillance de cet être.

  • Je me nomme Salyeka. Je suis une sorte de… professeur dans notre cité. J’accueille les esprits égarés.

La simple proximité de cet être lumineux me ramenait à mes propres démons. En cet instant, je me sentis si nulle face à ce déversement d’amour et de sagesse. Des larmes coulèrent sur mes joues même si je ne les sentais pas physiquement. Qui étais-je pour le mériter ? Devais-je m’agenouiller ? Était-il un saint ? Un ange ?

  • Je ne suis rien de tout cela. Ne te méjuge pas, jeune fille. Toi aussi, tu es aussi lumineuse que moi.
  • Où suis-je ? Au paradis ?

Son rire fut si sincère qu’il devint contagieux.

  • Ces terriens… La mort n’existe pas. Ton esprit a simplement voyagé sous la terre.

Il leva le bras vers la cité de lumière et je sentis un déversement de bonheur :

  • Bienvenue à Te…

Tout redevint noir et mes yeux s’ouvrirent. Je me retrouvais dans le bunker sous les Catacombes. Le dos de Sorse était toujours devant moi. Les voix provenant de l’autre côté de la pièce me rappelèrent ce qui était en train de se passer. J’étais partie quelques secondes à peine. Par chance, les pas s’éloignèrent petit à petit. Je m’offris le luxe de respirer normalement et Sorse semblait se détendre de nouveau.

Tournant la tête, je vis ma main apposée sur l’une des gravures la plus à gauche. T… Quoi ? Impossible de me souvenir des noms, seulement de l’image idyllique de cette cité et de cet être lumineux. Merde. Je devais me souvenir.

Plusieurs minutes passèrent à toucher chaque trait taillé dans la paroi. En vain.

- Qu’est-ce que tu fous ?

- Je touche toutes les villes pour voir si quelque chose me revient.

Ou si je pouvais de nouveau y retourner.

- Te revient de quoi ? C’était moins une. P, ils étaient trois ou quatre. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, on va remonter à la surface.

J’abdiquais en soupirant. Les indices avaient fermé boutique pour la soirée.

- Je n’y vois aucun inconvénient.

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