Pif et Pouf

4 minutes de lecture

Je n’ai aucun souvenir de l’accident en lui-même.

Une voiture, m’a-t-on dit, juste devant le portail de la cour de récré. La circulation était, en ces temps anciens, moins dense qu’aujourd’hui. Je dis cela pour justifier qu’on laissait alors les enfants aller seuls à l’école. Une simple rue à traverser, j’aurais dû mieux écouter les consignes : regarder à gauche, à droite, encore à gauche. Il me semble possible que je l’aie fait, mais ensuite ? Peut-être n’avais-je pas compris que je devais attendre le passage des véhicules ? Ces trois regards n’étaient-ils pas un geste magique, suffisant pour écarter l'accident ? Un contre sort, comme croiser les doigts dans son dos avant de mentir ?

De souvenir, j’ai bien celui d’une ambulance et de son conducteur me demandant chaleureusement si je voulais entendre le « pin-pon ». Pour autant, je pense qu’il s’agit d’une autre fois. (Oui, je divulgâche un peu, j’ai récidivé.) Mais cette fois-là, la première, étais-je choqué ? Inconscient ? Je n’en sais rien. La seule image qu’il me vient se situe bien plus tard, après l’opération. C’est celle de la chambre d’hôpital et de cette potence monumentale dont les griffes emprisonnaient mon genou. Là encore, c’était une autre époque, d’autres manières. Beaucoup de progrès a été fait. Aujourd’hui, on vous collerait un plâtre à prise rapide, des béquilles, et cela ferait moins d’histoire. Moi, on m’a broché le fémur, posé sur un lit, et fermement coincé l’articulation afin que je ne bouge pas. Coup de grâce ? Il n’y avait pas de barre à ma taille en stock. J’ai eu droit à un bout de ferraille XXL et, en conséquence, la cicatrice du même acabit. Peut-être que cette longueur inadaptée a joué sur la difficulté de guérison ? Que m’importe. Aujourd’hui comme hier, je ne cherche pas de coupable. Je fus broché, c'est ainsi. Et si l’on accordait confiance à un adulte, lui demandant de contenir ses mouvements, en revanche concernant un enfant on s’assurait de contrarier sa bougeotte. On vissait quatre boulons dans le genou, deux de chaque côté de l’articulation, et par un système de poulies montées sur cette potence, on y suspendait des poids pour maintenir la jambe en l’air.

De cet instrument de torture, on me décrocha avec mille précautions pour descendre passer la radio. Les résultats semblèrent bons, sûrement, on me ramena à mon lit avec un peu moins de ménagement, une plaisanterie, aussi, pour me redonner le moral, et puis, crac, l’os se fractura à nouveau. Cela s’est produit deux fois, ce qui fait qu’au total je suis resté hospitalisé plus de trois mois. Ont suivi quelques semaines de rééducation, et voilà. L’année d’école se terminait. J’avais 8 ans. J’étais devenu cancre sans le savoir ni que quelqu’un s’en doute autour de moi. Bien sûr, à l’époque, cela ne se voyait pas encore, mon absence en classe ne devait pas avoir d’incidence de l’avis des instituteurs. J’étais un enfant curieux, agréable, intelligent qui rattraperait rapidement son retard. On n’allait pas en faire tout un plat, inutile de m’imposer un redoublement.

Las ! L’année suivante, je me cassai une fois un bras, une autre, une dent. Puis à nouveau la jambe en traversant la route au même endroit. De cette fois, je me souviens davantage : j’ai repris conscience sur le bitume. On m’a transporté délicatement* dans l’appartement du directeur de l’école.

Je me rappelle avec précision de l’instant où, allongé sur la table du salon de ce directeur, j’entendis ma maîtresse poser la question : « Préfères-tu aller à l’hôpital ou venir en classe avec moi ? » Bien évidemment, je répondis « En classe ». Qui voudrait partir de son plein gré vers un endroit peuplé de potences dévoreuses de genoux, sans hiboux, bijoux, cailloux… ? L’assistance a ri, je n’ai pas très bien compris pourquoi. Une main a repoussé la mèche sur mon front, dans le but peut-être de vérifier ma température, cela m'a rassuré, puis l’ambulance est arrivée.

Pour tout dire de cette série de chutes et d’accidents, je n’ai pas trouvé ces événements importants. Les enfants sont ainsi, je crois. Rien de définitif ou d’irréparable n’étant survenu, il me suffisait de passer l’étape, prendre un peu patience, et le monde redevenait ouvert à tous les possibles. Des conséquences ? J’ignorais qu’il pourrait y en avoir. C’était ma vie, la seule à ma disposition, elle me sembla donc normale. Elle l’était.

En revanche, en matière de scolarité, je ne rattrapai rien. Je perdis même encore. Il faut dire que CP et CE1 sont des années fondatrices en lecture et en écriture. Mais bon, je me débrouillais avec les livres, je les aimais bien. Ils m’avaient tenu compagnie lors de mon hospitalisation précédente puisque c’était une des rares activités que l’on m’autorisait. Alors, en fin de CE2, la question est revenue, accompagnée des mêmes arguments, et de la même réponse : à quoi bon redoubler ? D’autant que la chose était jugée infamante en ces temps-là. « On » a décidé de faire avec. Et puis, c’est l’avantage des bourgs où tout se sait : il s’instaure une tolérance tacite dans ces petits groupes. L’équipe éducative me connaissait de longue date, moi, mon histoire, mes capacités. Certains m’avaient ramassé sur le bitume la première ou la seconde fois… Je traversai donc cahin-caha le CM1 et le CM2, un peu ballotté en orthographe, mais épaulé de bienveillance villageoise. J’étais déjà cancre, cela commençait à se voir, mais personne ne s'en inquiéta.

*Notez bien qu’il est très déconseillé de déplacer un blessé en attendant l’arrivée des secours. Les conséquences peuvent être graves. On le sait tous aujourd’hui, mais la sécurité routière n’avait pas encore pris la parole dans le poste, au temps de mes exploits. Le passage piéton devant les écoles n’existait pas davantage. De même, le feu orange clignotant, le panneau rigolo « danger-école » n’étaient pas popularisés.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Dldler ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0