Vengeance

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Elle vit Anne pour la première fois quand elle était trop loin pour la détester. Le photocopieur donnait sur la rue et elle assemblait des copies quand elle vit Mathieu sortant du building. Il avait fait signe à une femme de l'autre côté de la rue. Ils avaient échangé un baiser bref mais passionné et elle lui avait remit un objet. Son téléphone ou son portefeuille. Il l'avait rangé dans sa poche en murmurant quelque chose qui l'avait fait rire. Elle était repartie en se retournant une fois pour lui faire aurevoir. Il avait soufflé un autre baiser vers elle avant de revenir dans l'édifice.

Ses pieds n'avaient pas fait un mouvement vers l'ascenseur. À quoi cela aurait-il servi?

À son bureau, elle s'était mis à rêvasser. Elle avait envié cet échange et ce contact entre eux. Elle imaginait souvent la main de Mathieu effleurer le bout de ses doigts ou son visage glisser contre le sien pour lui chuchoter des petits riens, puis glisser pour une étreinte tendre. Mais c'était l'autre qui recevait ses attentions. L'autre qui ne mettait même pas un pied sur son lieu de travail. Mais peut-être était-ce pour éviter qu'Anne la rencontre?

Les semaines passèrent et son humeur devint plus sombre. Les rares fois où elle croisait Mathieu, elle était déchirée entre le mépris et le désir. Il avait profité d'elle. Oh, elle lui avait tout donné, y compris son coeur, et il avait trouvé la chose tout à fait normale. Entre amis. Les mots se tordaient hideusement dans sa tête : comme des amis! Comme si une femme pouvait s'offrir de la sorte à un simple ami. Et il ne lui avait pas parlé de sa fiancée. Pourtant, un homme normal - un homme courtois et bien élevé - aurait mentionné Anne dans les premières conversations. Si elle faisait partie de sa vie, si Anne partageait son quotidien et comblait ses sentiments, pourquoi avait-il regardé ailleurs, même si c'était juste pour... une amie?

Elle se mit à avoir des discussions imaginaires avec lui où elle l'insultait, où elle s'enflammait amoureusement, où elle s'impatientait, où elle crachait sur Anne et sa petite vie parfaite, où elle imaginait qu'elle débarquait chez lui pour coucher avec lui comme une furie. Elle se mit aussi à lui écrire de longues lettres qu'elle n'envoyait jamais, tellement pleines de venin et d'amour qu'elle s'étonnait de ne pas les voir se consummer sur le bureau. La pointe de son crayon crevait le papier et rayait la surface du bois. Elle se mit à lui écrire au travail, sur son ordinateur. Pendant qu'on la croyait à rédiger des rapports, elle épenchait son coeur sur des lignes et des lignes et des lignes.

Vint le moment où la rancoeur fut plus grande que son attirance, le moment où elle était prête à faire n'importe quoi pour lui montrer qu'elle ne l'avait pas oublié, qu'il comptait encore pour elle. Mais elle n'était plus certaine s'il était un objet de son affection ou de sa colère. Il était important, mais elle ne savait plus dans quel sens.

La goutte déborda quand il la croisa dans le stationnement à la fin de la journée. Sa tête était remplie d'un maelstrom de colère, de regret et d'envie. Elle le vit s'installer dans sa voiture, reculer et passer lentement devant elle en levant à demi la main quand il la reconnut. La rage flamboya. C'était tout ce qu'elle était? Même pas un vrai salut? Même pas un bonjour?

Elle se dépêcha de monter dans sa propre voiture et le poursuivit. La porte du stationnement était étroite et encadrée par deux piliers de ciment. Il ralentit pour bien orienter la voiture, mais elle enfonça la pédale des gaz et fonça sur lui, l'écrasant contre le pilier. L'élan fit un peu tourner le véhicule et elle vit clairement Mathieu, l'air sonné et stupéfait. Elle se retint quelques secondes, médusée d'avoir agit, d'avoir délibérément causé des dommages. Mais il eut un geste de colère à son tour et rugit un "Pauvre connasse!".

Son destin était scellé.

Elle recula, une saveur de sang sur la langue, la tête plein d'étincelles hurlant FAIS-LE, et fonça sur la portère conducteur, fonça pour effacer ce regard, fonça pour l'écraser, pareil comme il l'avait fait un soir dans ce bistro. Elle était la plus forte cette fois et il n'était plus question d'un pathétique "je n'ai jamais voulu aller plus loin". Elle irait jusqu'au bout pour effacer tout ce qu'il avait été.

Elle ne compta pas combien de fois elle recula et emboutit la portière. À un moment, il cessa de crier et disparut de son champs de vision. Ça n'avait pas d'importance. Le gargouillis du moteur, le froissement de la tôle, les craquements du verre de sécurité étaient délicieux. Elle était en contrôle cette fois. Elle décidait et n'arrêterait pas avant d'avoir eu satisfaction. Quand elle n'aurait plus mal, ils seraient quittes.

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