Les hommes en blanc

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Ce matin l'oeil est le prince du monde. Et j'en suis le roi, du moins j'entends le devenir. Je m'explique : ce matin j'ai pris ma décision, cela faisait quelques jours que j'y pensais, que je voulais, j'ai retourné cette envie dans tous les sens, étudié toutes ses coutures, et je saute le pas, enfin, je tente l'expérience, je fais confiance à mon instinct, je m'élance dans le sillon de mes tripes. J'ai décidé de ne plus parler. Pour combien de temps je ne sais pas, le temps qu'il faudra j'imagine. J'aimerais dire que je me tairais à jamais, mais c'est un engagement colossal, auquel je ne suis pas certain de me tenir – on a la force qu'on peut et je met un point d'honneur à ne jamais me surestimer. Et qui sait si l'éternité est une donnée nécessaire à l'équation ? Alors, pour une durée encore indéfinie, ou le temps qu'il faudra, j'ai décidé de ne plus parler. J'écoute bien sûr, mais surtout, j'observe. L'oeil, le prince, le garant, ne ment pas, jamais, et on ne peut lui mentir. Saviez-vous que le monde, tout le monde, le monde entier ment ? J'en suis peu à peu, au fil d'expériences personnelles désagréables, venu à ce constat désespérant qui motive à présent ma décision : il est désormais impossible de se fier à quoi que ce soit qui sorte de la bouche de qui que ce soit. Désespérant vous dis-je. Nos oreilles, si elles-mêmes restent fiables, ne peuvent faire le tri entre le déguisement de la vérité et sa nudité : nous ne pouvons pas leur faire confiance – et c'est pourtant souvent ce que nous faisons. L'oeil est plus subtil que ça, c'est un espion hors pair, capable de déloger n'importe quelle vérité avec un peu d'entraînement. Encore faut-il le vouloir, et c'est cet entraînement que je souhaite m'offrir lors de mon sevrage de paroles.

Bien sûr, il ne s'agit pas d'éradiquer les mots, ils restent indispensables pour penser, et puis ce ne sont pas vraiment eux qui mentent, la plupart souffrent de tout ça, ils sont tordus, tirés, écrasés, ils sont des victimes de cette folie humaine, sans aucun doute. Mais puisqu'ils sont trop malléables pour que je puisse leur faire confiance, je vais les garder pour moi un moment, je ne les partagerais pas, le temps de leur imposer la tyrannie de la vérité, de les retourner dans l'autre sens, le leur, l'originel, le temps de les plier au besoin du juste vocable, du vocable juste. De m'y plier surtout. Cela promet d'être long voyage que d'arrêter de mentir, ne serait-ce qu'à soi-même. Oui, le mensonge est rentré dans les mœurs, si profondément qu'on le pratique sans arrêt, même tout seul, même quand on ne parle pas. J'en deviens malade. J'estime cependant que si déjà je parviens à ne plus mentir aux autres, même de façon circonstancielle, en m'en retirant l'occasion, j'aurais accompli quelque chose. Un retour au monde, le monde dont l'oeil est le prince, et qui verra régner à ses côtés la Vérité.

Jour 1.

Il y a une semaine que j'ai perdu mon travail, l'expérience n'en sera que plus aisée. Je décide de rester seul aujourd'hui, j'ai notifié mon entourage de ma décision, j'ai préparé un texte expliquant les raisons de ce choix, l'ai envoyé par message à chacun de mes proches, et j'ai éteint mon téléphone. Quelques secondes avant, je n'avais pu réprimer un léger sourire : il allait falloir leur dire, s'exprimer encore une fois malgré ma promesse, leur dire que j'avais décidé de me taire. Réflexion faite, j'ai choisi l'écriture, et la distance confortable du téléphone : pas de questions possibles après ma déclaration, ainsi je serais plus tranquille. J'ai tout de même éteint mon téléphone, je veux être tout entier à moi-même, à mon expérience. Tout me semble déjà plus calme, l'univers apaisé, le temps est radieux, je me sens bien. C'est peut-être une suggestion de mon esprit, ou simplement la conscience d'avoir pris une décision importante, car seul entre les quatre murs de mon appartement, j'ai rarement l'occasion de parler, si bien que pour l'instant, rien n'a vraiment changé. Rien, et tout à la fois. Je vais aller me promener, seul, avec mes pensées, et la nature. Un retour aux sources. J'en souris d'avance, et je le sens arriver, ce sourire franc qui s'affichera sur mes traits, utilisant mon masque pour dire une vérité qui n'a pas besoin de mots. Je me demande si, pour le bon fonctionnement de l'expérience, il faudrait que j'arrête aussi de penser. Enfin disons, je me demande si je dois limiter ma boulimie intellectuelle, même silencieuse, car il est impossible de ne pas penser, je le sais bien, mais on peut quand même faire des efforts. Je chasse cette pensée (oui, penser à ne pas penser c'est déjà penser, décidément l'ironie fait son nid dans mon sillage), après tout, comme je le disais, ce ne sont pas des mots dont il faut se méfier, mais de leur utilisation. Et je dirais même, de leurs utilisateurs. Le but de cette expérience n'est finalement que de me détacher des autres, ceux qui ne font pas attention, qui ne donnent aucune importance à la vérité, ces autres qui sont faillibles, et qui pourraient, si je n'étais pas vigilant, m'entraîner dans leurs mensonges. Je m'autorise à penser, même je le préconise, en gardant un esprit critique sur tout ce qui me traverse. J'aurais un œil également à l'intérieur. J'ai même l'impression de pouvoir sentir sa présence, je l'imagine, il est là, il surveille chaque pensée, je suis entièrement sous contrôle, je me sens bien.

Jour 4.

Je n'ai pas rallumé mon téléphone. J'y ai pensé, j'y ai même pensé souvent, mais je ne l'ai pas fait. En quatre jour d'expérience, je n'ai vu personne, je suis resté en face de moi-même, pour mon plus grand bonheur. Sensation de bien-être qui me traverse en permanence, comment ai-je pu me passer de solitude tant d'années ? Comment ai-je pu la fuir alors qu'il eut fallu la chérir ? Ces questions me traversent, bien sûr je connais la réponse, je ne savais pas, personne ne sait, on ne sait pas avant d'avoir essayé, mais je n'y fais pas vraiment attention, cela ne constitue pas un véritable problème, je sais maintenant. Et je découvre un million d'autres choses. Je remarque des détails qui jusqu'alors m'échappaient, probablement parce que j'étais trop occupé pour y faire attention. Depuis quatre jours, je suis présent au monde, je vois tout, je sens tout, cela m'émeut, je n'étais pas ému avant, jamais. Je voudrais rester indéfiniment dans cet état.

Jour 6. 11H47

Dimanche, je suis attendu pour le repas familial. Ma sœur sera là, mon frère ne peut pas venir, mon père, ma mère. Je n'ai pas rallumé mon téléphone, je n'ai pas pris connaissance de leurs réponses, je ne sais pas ce qu'il va se passer. Je ne sais même pas si ils m'attendent pour manger. Je viens tous les dimanches, et je ne me pose jamais la question, je sais qu'ils m'attendent, mais ça c'est d'habitude. Aujourd'hui, je me pose la question. Dans le doute, j'arrive en avance. J'ai une petite boule d'angoisse qui monte dans ma gorge. Je comprend soudainement ce que veut dire l'expression « avoir le cœur au bord des lèvres ». Je n'y avais jamais pensé avant, peut-être ne l'avais-je encore jamais ressenti, cette expression décrit parfaitement ce qu'il se passe dans mon corps en ce moment. Si j'ouvre la bouche, j'en perdrais mon cœur, ça ne fait aucun doute, il tomberait, il est au bord. Heureusement, rien ne s'échappera de cette bouche-là, pas même un soupir.

Jour 6. 11H53

Je suis devant la porte. Jusque là, je m'en suis tiré avec des signes de tête lorsqu'il me fallait absolument saluer ou remercier quelqu'un – ce qui ne m'arrive pas si souvent. Que vont-ils faire, et dire ? Ma plénitude me manque, j'ai l'impression de rétrécir, ma peau devient trop étroite, ça tire, je voudrais m'en aller. Je savais que tout ne serait pas plaisant dans cette expérience, il faut aller au bout. Tout n'est pas plaisant dans la vie. Moi, au moins, je regarde cette vérité en face au lieu de l'engloutir sous une ribambelle de mots vides de sens, au lieu d'essayer d'y échapper. Je sonne, je verrouille mes lèvres, me prépare à tout. Quelque part, je suis persuadé qu'ils ne comprendront pas.

Jour 6. 19H

Ils ne comprennent pas. Qu'est ce que c'est encore que cette lubie ? Ma mère a commencé dès le pas de la porte, et n'a pas lâché le morceau. Ils n'ont presque parlé que de ça. À quoi sert la parole n'est ce pas. Je ne pouvais même pas me défendre. De toute façon, je n'en avais pas envie, j'ai déjà expliqué ma démarche, le plus simplement et clairement possible, s'ils n'ont pas compris c'est qu'ils n'ont pas voulu. La discussion aurait été stérile, tout comme l'ont été leurs monologues, bien qu'ils ne s'en soient pas rendu compte. C'est incroyable comme on peut s'aveugler. À un moment, j'ai tout de même pensé que j'aimerais qu'ils changent de sujet, à défaut de se taire. Bien sûr, je ne pouvais pas le dire, et, très vite, je me suis dis heureusement. Cela m'aurait probablement soulagé sur le coup mais après ? Ils font ce qu'ils veulent. Si je leur demande de ne pas parler de quelque chose, je suis aussi hypocrite, voire même plus qu'eux. Si je ne supporte pas qu'ils ne supportent pas que je me taise, je ne peux pas moi même ne pas supporter qu'ils parlent de ce dont ils ont envie de parler. Plus simplement, en réclament la liberté de me taire, je dois leur laisser celle de déblatérer sur n'importe quel sujet. Voilà qui éclaircit ma pensée, voilà ce que je voulais exprimer. Alors, tout en affirmant silencieusement ma liberté et la leur, en accord total avec moi-même, et je dirais même fier de moi-même, j'ai pu me laisser aller à l'observation de cette grande comédie qu'est le repas du dimanche.

Rien ne m'a échappé. Cette façon de se plaindre sans arrêt, ces jérémiades, cette colère et cette honte enfouies sous les paroles incessantes de ma sœur. Elle m'a toujours un peu énervé, je dois le dire, mais je pensais à l'époque que c'était simplement naturel d'être énervé par sa frangine. Maintenant je sais pourquoi je n'ai jamais pu écouter ce qu'elle avait à dire : chaque phrase qui sort de sa bouche est pétrie d'exagération. Elle ne s'en tient jamais à la vérité, et c'est pour ça que je dis honte, ou colère, ou encore égocentrisme, elle étire les faits, ou bien les rétrécit, selon l'envie, comme ça l'arrange, elle joue, elle se met à son avantage, elle est détestable, une vraie comédienne, quelle imagination. Elle ne recule devant rien, et se ridiculise totalement, personne ne semble s'en apercevoir. Le monde se plie à ses envies, comme c'est facile la vie quand on en est l'auteur. Ça lui fera tout drôle quand elle se prendra un bon revers de vérité au visage, et ça arrivera, ça peut mettre du temps, mais ça arrive, j'en suis convaincu. Aucun crime ne reste impuni. Ma mère n'était pas en reste non plus. Mon père n'a presque rien dit, mais j'ai vu qu'il avait honte, honte d'avoir enfanté un être aussi étrange, aussi dérangeant, inhabituel. Il y a des signes qui ne trompent pas, et il n'avait besoin de rien dire lui au moins. Cela ne me fait pas plaisir, évidemment, mais au moins il exprime sa vérité, et c'est son droit. Sans les cris, les larmes et les fioritures, il dit sa vérité nue, enfin il dit, non il montre, il ressent, il est sincère. Il se trompe, il est une marionnette, il ne pense pas vraiment par lui-même, il est aveugle mais il est sincère.

Jour 10.

J'ai repensé à dimanche. Si je suis vraiment sincère avec moi-même, cela m'arrivait aussi, avant, quand je parlais. D'exagérer je veux dire, sans m'en rendre compte, ou alors en me disant que ce n'était pas grave, que ça me ferait du bien, ne pouvant résister à l'envie qui me prenait à la gorge. C'est un mécanisme incroyablement puissant. Et répandu. J'ai pu entendre de parfaits inconnus exagérer tout et n'importe quoi, sans la moindre gêne, au cours des dix derniers jours. Dans mon silence, je l'avais déjà remarqué avant mais je ne savais pas que c'était à ce point, je peux désormais me rendre compte que la parole est en roue libre, on tord la vérité dans tous les sens pour lui donner le visage qu'on veut lui voir, un visage flatteur pour nous, flatteur surtout. Que ce soit dans un sens négatif, pour se faire plaindre, ou positif, pour impressionner un peu plus, on ne peut qu'étirer les faits. Et comme c'est le cas de tout le monde, même ceux qui ne veulent pas le faire le font : comment retenir l'attention de qui que ce soit avec la vérité nue, quand dans la bouche de tous les autres elle est parée de mille attraits ? Je ne peux pas vraiment en vouloir à ma sœur, elle est prisonnière, empoisonnée, embrigadée, tout ce que vous voulez, elle est esclave. Alors non, elle n'est pas sincère. Elle est peut-être trop faible pour l'être. Je ne peux pas la détester pour ça. J'ai encore des efforts à faire, mais je me sens sur la bonne voie.

Jour 23.

J'ai rallumé mon téléphone, au cas ou quelqu'un chercherait à me joindre, mais j'ai effacé les réponses avant de les lire. Leurs bavardages ne m'intéressent pas. J'ai l'impression de m'élever au-dessus du monde, je le dis en toute modestie, je ne me sens pas supérieur aux autres à proprement parler, j'ai juste découvert des états qu'eux-mêmes ne connaitront jamais. D'ailleurs, quand je dis m'élever au-dessus, je devrais dire me détacher, voilà, je me détache du monde et de ses paillettes, les apparences se sont abîmées, elles ne brillent plus des feux d'avant, je sais plus que jamais qu'on ne peut pas s'y fier. J'ai trouvé le mot juste, c'est une petite victoire. Quand je suis face à moi-même, je peux me discipliner, et c'est cette discipline qui me sauvera, le mot juste. Il faut réussir à ne faire qu'un avec la Vérité, l'esprit ne doit plus être prisonnier des sentiments humains qui le détournent de son but. C'est comme si notre corps était rempli de petits démons dont le seul emploi serait d'altérer notre vision des choses. Ces petits démons, la honte, la colère, l'égocentrisme, le manque de reconnaissance, tout ce dont souffrent les hommes, qui surgissent chaque fois que l'on se tient devant l'autre, n'importe quel autre, autrui, doivent être disciplinés, sans quoi nous tombons sous leur coupe. Tant que je ne les contrôlerais pas complètement, je me tairais. Mon œil veille, je lui fais confiance, je me sens bien, je peux y arriver. Je suis convaincu de la nécessité de ce projet.

Jour 48.

Depuis plusieurs dimanches que je passe à la maison, j'ai perfectionné mon entraînement. Je vois tout les démons surgir tour à tour sur leurs visages, mon œil saisit les plus infimes détails de leurs physionomies, des détails qui ne sauraient mentir. Je sais quand tel ou tel démon s'emparent d'eux pour leur faire dire ce qu'ils ont l'impression de vouloir dire, ce qu'ils estiment être la vérité. J'ai même été témoin d'une scène d'une drôlerie absurde, au cours de laquelle ma sœur faisait remarquer l'exagération des propos de ma mère. Je n'ai pu réprimer un sourire. Après tout, je ne parle pas, mais je peux encore m'exprimer. Elles sont toutes les deux tombées dans une colère noire, colère dirigée, pour changer, contre moi. Étrange idée que d'associer le noir à la colère, alors que leurs visages étaient rouges, légèrement teinté de violet pour ma mère. Je m'amuse aussi à changer de place à chaque fois autour de la table, et je m'émerveille d'y voir les choses sous différents angles. Qu'il est bon de savoir regarder, de comprendre les choses. Je n'ai pas écouté leurs divagations.

Jour 54. 20H37

Je me sens tellement pur, j'ai envie de leur en faire profiter. J'arrive à la soirée d'anniversaire d'Edwige parfaitement serein. C'est elle qui m'a invité, je ne l'ai pas vue depuis le début de l'expérience. La connaissant, elle doit penser que c'est terminé, que ça a duré deux semaines et que ça m'a fait du bien de me mettre au centre de l'attention. C'est une gentille fille, mais une gentille fille qui réfléchit souvent en ces termes, parce qu'elle même recherche le centre de l'attention. Je vois les choses avec clarté maintenant, je n'en veux à personne, je ne les aime pas moins, je n'ai pas l'intention de les punir pour leurs fautes, s'ils ne sont pas innocents ils n'en sont pas plus coupables, je ne cherche pas à les accabler, je les vois, tels qu'ils sont, sans fioritures. Ce n'est pas souvent joli, mais c'est le visage de l'Humanité, il faut l'accepter.

Jour 54. 23H

Je viens d'avoir ma première dispute muette – les cris de ma mère et ma sœur ne comptent pas, ils n'ont jamais compté. Enfin muette, de mon côté évidemment. Elle elle criait, elle ne s'est pas gênée. À ce moment-là, elle se dit peut-être qu'elle doit parler pour deux comme je ne remplis pas ma partie du contrat. Ils sont tous tellement attachés à la façon dont les choses se passent, c'est comme ça, ça a toujours été comme ça, c'est bizarre de ne pas parler, tu deviens fou. Ils aimeraient bien. Je n'ai jamais été aussi lucide. Je deviens un miroir de vérité, que je leur tend chaque fois que je les embarrasse de ma présence, ils savent qu'ils ne pourront pas mentir, j'observe tout, mon œil est affuté, il ne rate rien, et je ne peux plus mentir puisque j'ai décidé de ne plus parler. Seuls mes traits parlent pour moi, et ils retranscrivent mes pensées dans leur immédiateté, qui, si elles ne sont pas forcément justes, je ne le nie pas, même si je me trompe rarement, sont au moins sincères, je n'ai pas le temps de les fabriquer, les démons ne me contrôlent plus. Donc vraies, mes pensées sont vraies, et elles les dénoncent. La vérité, la vérité les dérange profondément, et je le sais, je le vois, ils voudraient ne jamais avoir plongé leurs yeux dans mon miroir, le miroir le moins flatteur de la création.

Jour 83. 15H24

Je ne vois plus personne. J'ai retrouvé un travail qui me permet de ne pas sortir de chez moi, et je me fais livrer tout ce dont j'ai besoin. Je peux comprendre leur violence, je peux comprendre leur bêtise, je peux, mais je ne veux pas la subir. Ils ont peur, peur de la Vérité, ils ne la connaissent pas, s'ils l'embrassent ils seront seuls, comme moi, ils disent que j'ai l'air d'un fou, ils le disent souvent. Ils ne veulent pas, eux, que l'on puisse penser qu'ils sont fous. Ils n'ont pas compris que ça n'avait pas d'importance. Seulement je décide de m'éloigner de ces fracas incessants, le monde n'est pas prêt, soit, je me retire, je suis prêt moi, je ne vais pas attendre. Je vois, je comprends de plus en plus de choses, et tout ce que je comprend je le pardonne. J'avais besoin de leur pardonner, j'avais besoin de savoir que ce n'est pas de leur faute, c'est comme ça, c'est plus fort qu'eux, ils ne sont pas prêts. C'est un joli sentiment que d'accepter les erreurs des autres lorsqu'on a soi-même la solution. Je me demande pourquoi ils continuent de se flatter de mensonge alors que la Vérité est douce, et chaude. Je me demande mais je sais, je connais la réponse, ils ne savent pas, ils ne peuvent pas savoir, ils ont trop peur. Étrange sensation que de comprendre quelque chose tout en ne le comprenant pas. Je comprend que, s'il agissent comme ça, c'est qu'ils ne savent pas. Je comprend qu'ils puissent ne pas avoir envie de savoir, qu'ils aient peur. Sauf que tout cela n'a aucun sens lorsqu'on sait, on sait qu'on a raison. Comment peuvent-ils préférer l'erreur ? Ne sont-ils pas curieux de cette solution qui s'offre à eux ? Ne souffrent-ils pas de ces tourbillons de mensonges ? Il me reste tant de questions, et de réponses à porté de main. Heureusement, mon travail ne me prend que peu de temps, et je peux méditer autant que je le souhaite, parfois même je ne dors pas, je préfère penser, peser, comparer, fouiller, déterrer, je préfère me nourrir l'esprit.

Jour 83. 20H

Ils viennent de partir. Ils étaient là, ils sont venus me sauver ont-ils dit. Ils se font du souci pour moi, pour moi, pas pour eux non. Le mensonge collectif était profondément ancré, et, même si j'avais pu, ou voulu parler, cela n'aurait probablement servi à rien. La lubie, inoffensive les premiers jours, comme une crise d'adolescence sur le tard, une lubie c'est quelque chose dont on se moque, qu'on aime ridiculiser, la lubie s'est transformée en obsession, et les obsessions, c'est dangereux. Ils ont tous parlé avec un air empreint de pitié, de profonde douleur à mon endroit, comme si mes jours étaient comptés. Je n'avais pas d'autre choix que de les écouter, et étrangement, j'en avais envie. J'avais devant moi la plus belle preuve de l'existence des démons. Je les dérangeais avec mes « lubies », ils n'en pouvaient plus de devoir se regarder dans mes yeux, mes yeux qui ne jugent pas mais disent la Vérité, qui elle n'est pas toujours belle, ils n'en pouvaient plus de faire face à leurs failles, qu'ils tentent de cacher au prix de tant d'efforts ; je les dérangeais alors, sous couvert de bonté à mon égard, ils cherchaient à me neutraliser, comme un corps étranger au système, un microbe. Jamais plus belle supercherie ne fut orchestrée en mon nom. J'avais cherché à les aider, et ils me condamnaient. Ils auraient voulu que je parle, ils n'imaginaient pas ce que j'aurais à leur dire. À peine aurais-je ouvert la bouche qu'ils m'auraient supplié de me taire. J'ai souri à cette pensée. Ils ne peuvent rien contre moi. Des menaces furent lancées, juste avant de partir, des menaces déguisées en sauvetage, de la peur drapée dans le velours de l'amour.

Jour 100.

Ils sont venus ce matin, les hommes en blanc. Ils pensent qu'ils vont réussir à m'enfermer, à me soigner, qu'ils vont rétrécir mon horizon qui les menace. Ils n'ont pas compris que je ne suis plus à l'intérieur de moi, mes limites n'existent plus, elles ont disparu, envolées, dissoutes, inexistantes. Je suis ici et partout à la fois, ils ne m'auront pas, ils ne peuvent rien contre moi. L'oeil est le prince, je suis le roi.

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