C.16 - L'héritier du mage Frot

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Quelques pas avant Tolvtrinn, Cigfran se tourna vers Sigvar et lui dit :

« Tant que j'ignore qui je vais rencontrer, il serait peut-être plus prudent que tu restes en retrait.

—Tu as honte de moi ou tu veux un renfort secret en cas de traquenard ?

—T'es en forme aujourd'hui ! s'exclama Cigfran. La deuxième solution. »

Sigvar se transforma en corbeau et sautilla sur le bord du chemin. Il regarda Cigfran puis pointa du bec vers la ville et s'envola pour se poser sur le toit du poste de garde. Cigfran hocha la tête et entra dans la ville, suivi par un corbeau voletant de toit en toit. Il se renseigna deux ou trois fois et finit par parvenir à la place centrale, où se tenait l'auberge des trois canards.

Un doute commença à s'approcher de lui alors qu'il allait ouvrir, la porte, mais il décida de l'ignorer, et de jouer le tout pour le tout. Il ouvrit la porte beaucoup plus violemment qu'il ne pensait, et annonça :

« Il y a ici quelqu'un qui a besoin de moi. Je suis Cigfran, héritier du Mage Frot. »

Une tête blonde apparut aussitôt à l'une des fenêtres du rez-de-chaussée, puis disparut. Cigfran eut l'impression que c'était bon signe. Deux hommes, qui avaient l'air d'être père et fils, aux cheveux blond-roux sortirent bientôt par la porte de l'auberge et se dirigèrent vers lui, suivis d'un grand gaillard blond qui devait être un peu plus jeune que Cigfran, et d'une fille aux cheveux noirs comme ceux d'une Nossolite mais au teint trop clair pour être du sud du continent. À part le père – du moins c'était l'impression que Cigfran avait – du rouquin, les trois autres avaient environ son âge.

Le rouquin tendit la main à Cigfran et dit :

« Je suis Bjørn Sørenssen, de Branthaven. »

Cigfran serra sa main en se faisant la réflexion qu'il aurait dû mieux écouter les cours d'Histoire de Maître Frot, puisqu'il avait cru jusqu'ici que Branthaven n'était plus qu'une ruine et que son peuple était éteint. Mais bon, deux semaines plus tôt, il croyait encore que les Ashovs étaient éteints, et visiblement il avait tort.

« Je suis Cigfran Pupillus1, élève de Maître Frot et son successeur.

—Je te présente mon oncle Einar Bjørnssen, et mes cousins Nils Viggossen et Nawera Erlinsdatter. »

Ils se serrèrent tous la main, comme le font les Mennesks lorsqu'ils rencontrent quelqu'un pour la première fois.

« Ainsi, vous êtes Mage... dit Nawera.

—Oui, répondit Cigfran. Je suis jeune, c'est vrai, mais...

—Mais aux âmes fortunées, la valeur ne dépend point du nombre des années, comme on dit chez nous. » compléta Einar.

Cigfran sourit. Enfin un bon accueil ! Ça changeait.

« J'ai un projet audacieux, dit Bjørn, et, pour ce projet, j'ai besoin de l'aide d'un Mage. Pouvons-nous en parler un peu plus loin ?

—Bien sûr. »

Ils s'éloignèrent de quelques mètres, et, tout en marchant, Bjørn commença à lui expliquer son projet. Unifier Menneserk, et faire cesser la guerre. Par les armes s'il le fallait. Conquérir la paix par la force...

Cigfran commençait à se demander si Frot et Sibylline n'auraient pas mieux fait d'envoyer Corvus à sa place. Se battre, ce n'était pas du tout son truc. Son manque de confiance dut se lire sur son visage, car Nawera lui prit la main et dit :

« Aie confiance. L'entreprise est risquée, et, surtout, folle à première vue. Mais c'est l'Histoire qui marche. Certains se contentent de courir après, Bjørn, lui, marche en tête avec elle. »

Il ne savait trop pourquoi, il se sentit plus confiant. Peut-être pourrait-il retourner chez Harold à la fin de la guerre et demander Lysereine en mariage, tout auréolé de gloire et de fortune.

« Cette guerre est-elle toutefois juste ? s'enquit Cigfran, encore réticent à s'engager ainsi.

—Toute guerre est juste lorsqu'elle est nécessaire ! »

Celui qui venait de les interrompre était un jeune homme habillé comme un noble – mais pas un noble mennesk, plutôt un noble ourlandais, comme l'indiquait le bouton qui fermait sa cape au lieu d'une broche – aux cheveux d'un roux si prononcé que les cheveux de Bjørn et Einar en paraissaient simplement blonds à côté.

« Excusez-moi de vous avoir interrompu, les pria-t-il, mais j'ai marché six mois pour venir ici et si je vous avais manqué par timidité, je l'aurai eu mauvaise. »

Bjørn, Nils, Nawera, Einar et Cigfran le dévisagèrent un instant, puis Bjørn demanda :

« Si ce n'est pas trop demander, qui es-tu ?

—Leonard Spencer, dit-il en posant par terre le sac qu'il avait sur l'épaule. Tu es bien Bjørn Sørenssen ? Le dernier survivant de Branthaven ?

—J'ai aussi survécu à Branthaven, merci bien, ironisa Einar. Mais c'est bien celui que tu cherches. Je suis Einar Bjørnsen, voici Nils Viggossen et Nawera Viggosdatter, et Maître Cigfran. Cependant, un point de ton histoire m'étonne... Six mois, tu dis ?

—Il faut ça pour traverser les Monts Hautespierres, répondit Leonard. C'est pas de la tarte, je comprends pourquoi les gens les contournent habituellement, même si ça doit bien prendre un an. Lorsque mon cheval est mort j'ai dû apprivoiser une chèvre sauvage pour continuer l'ascension...

—Bjørn et nous ne nous sommes mis en route qu'il y a deux jours, dit Einar, ignorant les divagations du jeune homme. Nous avions ce projet depuis deux semaines, trois tout au plus. »

Leonard haussa les épaules.

« Alors c'est que la rumeur sur l'homme qui voulait arrêter la guerre a été commencée par un Mage qui l'avait lu dans les étoiles. Je suis de bonne foi, je le jure. Par ailleurs, je suis un cavalier expert et un bon combattant, aussi je crois que vous auriez tort de refuser mon aide. Ça fait cinq ans que je me bats.

—Cela fait cinq ans que tu combats ? s'exclama Bjørn. Mais quel âge as-tu ?

—Vingt-deux ans ? risqua Leonard. Peut-être vingt-trois, maintenant. J'ai un peu perdu le compte des jours... »

Cigfran le renseigna aimablement :

« Nous sommes le vingtième jour du mois du Phœnix.

—Il reste trente-trois jours avant la réunion de tous les seigneurs de Mennesker à la capitale, ajouta Bjørn.

—Alors j'ai encore vingt-deux ans pour quelques semaines. », dit Leonard.

Einar leva la tête pour évaluer la position du soleil et dit à Bjørn :

« Ce sera bientôt la mi-jour. Le marché bat son plein, si tu veux faire ton discours c'est le moment. »

Bjørn sortit des notes de sa poche et les tapota contre le rebord de la fontaine pour les mettre au même niveau.

« Je suis un peu nerveux. » admit-il.

Sa cousine lui donna un coup de coude.

« Pas de raison. On a écrit ce discours sur deux semaines, on l'a relu un nombre incalculable de fois. Tu devrais être capable de le réciter par cœur, maintenant.

—Sinon, murmura-t-il, je peux toujours rentrer à Ekornsbekk et prétendre qu'il ne s'est rien passé.

—Vous savez, dit Leonard, c'est une erreur fatale d'entrer en guerre sans la volonté de gagner. Et accessoirement je n'ai pas l'intention d'avoir traversé les montagnes pour rien. Si vous renoncez, je la monte moi-même, cette armée.

-Mais j'ai la volonté de gagner ! rétorqua Bjørn. Allez, c'était une faiblesse passagère. »

Il monta sur le rebord de la fontaine, tandis que Cigfran et Leonard allaient s'asseoir à proximité et qu'Einar, Nawera et Nils restaient debout près de lui, à le regarder comme s'ils étaient une partie ordinaire du public.

« Amis, Mennesks, étrangers ! S'exclama Bjørn, amenant une nuée de regards sur lui. Prêtez-moi l'oreille. »

Cigfran faillit s'évanouir en se rendant compte que, désormais, il était trop tard pour faire marche arrière.

Il venait officiellement de signer pour accomplir la volonté de Maître Frot et peut-être mourir dans le processus.

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