Le silence d'une mère

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C’était toujours le même rêve, elle était assise dans l’herbe, au beau milieu d’un parc qu’elle pensait reconnaître sans jamais se souvenir véritablement de son emplacement. Les yeux fermés, en position du lotus, elle méditait, se laissant envahir par les odeurs du printemps, le chant des oiseaux et le souffle du vent. Elle était enfin débarrassée de toutes ses pensées, qu’elles soient tristes ou agréables. Son esprit ne se focalisait plus que sur une seule chose : un flocon de neige sur un fond totalement noir. Tout était calme, à la fois dans sa tête et à l’extérieur jusqu’à ce qu’une goutte d’eau lui tombe sur le bout du nez, de là les évènements s’enchainaient à toute vitesse : elle ouvre les yeux et s’aperçoit, que la douceur du printemps a laissé place à la fraîcheur de l’hiver, que ce n’était pas une goutte d’eau, mais des flocons de neige de plus en plus intensifs. En quelques secondes, tout son corps était paralysé par le froid et toute une série d’images plus violentes les unes que les autres firent irruption dans son esprit. Et à chaque fois,  c’était la même image qui la réveillait en sursaut, deux inconnus, l’un avec un révolver en main tirant dans le dos du second qui s’effondre aussitôt.

Assise seule dans son lit, ses longs cheveux châtains trempés par la sueur, ses yeux bleu foncé baignés de larmes et sa peau bronzée recouverte par la chair de poule, Marie ne regarda même pas son réveil. Elle savait qu’il devait être entre 3 h et 3 h 30 du matin, des semaines qu’elle se réveillait, en sueur, presque en larmes à cause de ce cauchemar, et toujours dans cette même demi-heure. Elle n’y était pourtant pas plus habituée qu’au début, d’autant plus qu’après ça, impossible pour elle de se rendormir. La fatigue s’accumulait sur son visage et même le maquillage n’aidait plus à la masquer.

Au début, ça l’avait amusée, seules quelques bribes de son rêve lui restaient en mémoire, mais il ne lui fallut qu’une seule semaine pour en connaître les moindres détails et aujourd’hui,  elle était capable d’en restituer le récit complet sans même y réfléchir, aujourd’hui, elle en était arrivée à un point où elle avait peur d'aller se coucher. Rien qu’à l’idée de refaire ce cauchemar et de se réveiller à nouveau pour ne plus réussir à s’endormir, l’empêchait de fermer les yeux jusqu’à ce que l’épuisement l’emporte. Elle en arrivait à faire des nuits de seulement deux heures de sommeil. Elle n’en pouvait plus, à bout de forces, cette fois-ci ses yeux se refermèrent. 

Impossible d’y échapper, assise dans ce parc désert pour la énième fois, incapable de se souvenir lequel, ses jambes, en position du lotus, lui faisaient mal, les oiseaux chantant toujours la même chose, le vent la faisait frissonner et les odeurs du printemps lui donnaient mal à la tête. Pour une fois, son rêve semblait différent, mais le flocon de neige vint s’écraser sur son nez et son rêve continua de la même façon que les nuits précédentes : le printemps qui laisse place à l’hiver, la neige qui s’intensifie, le froid qui la paralyse et les scènes violentes qui envahissent son esprit. Cette fois ce fut son réveil qui la sortit de ses songes, juste avant la scène du meurtre.

7 h 30, même si elles ont été agitées, ces quelques heures de sommeil supplémentaires l'avaient quelque peu revigorée. Elle sortit de son lit pour se préparer une tasse de café bien fort. C’était samedi matin, elle n’avait pas cours, mais son réveil était resté activé même s’il lui était devenu inutile ces dernières semaines, depuis qu’elle passait ses nuits presque entièrement éveillée.

Sa tasse de café chaud entre les mains, elle s’installa dans la position la plus inconfortable possible sur son divan pour éviter toute envie de fermer les yeux à nouveau, deux fois le même cauchemar sur une seule nuit c’était bien suffisant. Elle alluma sa télévision et mit la chaine d’informations en continu. La journaliste présentait les sujets les uns à la suite des autres sans montrer une quelconque émotion face aux violences de la guerre au Moyen-Orient ou face aux citoyens qui manifestaient dans les rues de Paris contre les mesures du gouvernement qui leur prennent le peu qui leur restait.

Marie n’écoutait qu’à moitié quand elle se rendit compte que le ton de la journaliste avait légèrement changé. Interloquée, elle détourne son regard de sa tasse pour fixer l’écran, une image de très mauvaise qualité, en noir et blanc, montrait une ruelle sombre qui, d’après la journaliste, se situait non loin du Panthéon dans le cinquième arrondissement de Paris. Durant quelques secondes, l’image semblait comme figée, ne montrant qu’une ruelle déserte, mais très vite une silhouette, puis deux apparurent à l’écran.

Impossible ! Elle était comme hypnotisée par cette télévision qui lui renvoyait l’image de son rêve. Comment était-ce possible ? Elle commençait à se demander si elle ne s’était finalement pas rendormie et de nouveau partie dans son cauchemar, mais c’était bien réel et cette fois-ci, le coup de feu ne la réveilla pas et la caméra continuait de filmer la scène, la victime allongée au sol, la faible qualité de l’image laissa entrevoir une sorte de tache noire qui s’agrandissait de plus en plus. L’autre silhouette, restée immobile quelques secondes, fit volte-face pour s’en aller, mais la production du journal fit un arrêt sur image, elle était pixélisée, mais Marie avait quand même l’impression d’avoir déjà vu ce visage. Son cerveau carburait déjà à l’intérieur de sa tête, elle devait absolument se souvenir, elle était persuadée que ça pourrait stopper cette série de cauchemars épuisante, il allait lui falloir une autre tasse de café.

Sa troisième tasse de café à la main, elle n’était pas beaucoup plus avancée dans ses pensées. Il fallait qu’elle sorte, prendre un peu l’air pour se changer les idées. Elle prit sa veste, ses clefs et son sac, claqua la porte derrière elle et appuya sur le bouton de l’ascenseur. La porte s’ouvrit et elle eut la désagréable surprise de tomber sur sa voisine du dessus, madame Malleut, la seule personne de l’immeuble avec qui Marie ne s’entendait pas. Elle entra dans la cage et lui tourna le dos, le bouton du rez-de-chaussée était déjà allumé, cela signifiait qu’elle allait devoir supporter le regard pesant de sa voisine sur sa nuque le temps que l’ascenseur descende les quatre étages qui les séparaient de la sortie.

Une fois en bas, les portes à peine ouvertes, Marie se faufila hors de la cabine pour s’éloigner de madame Malleut le plus vite possible, mais derrière elle, elle l’entendit siffler entre ses dents : « Il fallait bien que ça lui arrive un jour... » Sur le moment, Marie n’y prêta pas vraiment attention. Ce n’est qu’une fois assise à la terrasse de son petit café habituelle, une nouvelle tasse à la main, qu’elle y repensa. Qu’avait-elle bien pu vouloir dire ? Le regard plongé dans le noir de son breuvage préféré, tout tournait dans sa tête, ne parvenant pas à comprendre cette journée improbable : son cauchemar devenu réalité, sa voisine qui lâche cette phrase dans son dos, en sachant pertinemment que Marie l’entendrait et même ici, l’ambiance lui semblait différente, elle avait cette impression étrange que les autres clients la dévisageaient et même Sophie, la serveuse qui au fil des mois était devenue son amie, lui avait semblé bizarre.

Absorbée par ses pensées, elle buvait son café machinalement. À tel point qu’elle ne se rendit même pas compte que les trois dernières gorgées étaient vides. Alors qu’elle regardait sans le voir le fond de la tasse, Sophie vint s’asseoir en face d’elle, mais ne dit rien. Elle lui donna simplement le journal du matin et la laissa découvrir la une du jour. Plus elle parcourait le papier, plus l’incompréhension se lisait sur son visage. Une fois arrivée en bas de la page, elle leva la tête pour regarder son amie, elle lui répondit simplement par un signe de la main pour lui dire qu’elle non plus n’y comprenait rien et se leva pour continuer à servir les clients.

Marie relut encore une fois l’article. Il y était bien sûr question du meurtre qu’elle avait vu ce matin à la télévision (et en rêve depuis des semaines), mais il était accompagné de deux images. La première, elle la connaissait bien, il s’agissait d’une photo d’elle et de son père, quelques semaines avant qu’il ne parte sans laisser de nouvelles, elle avait à peine trois ans. Sauf qu’ici, la photo avait été coupée en deux et on ne voyait plus qu’elle et un bout de l’épaule de son père. La seconde était une image de synthèse, un vieillissement de la première photo, et elle devait avouer que la simulation s’approchait fortement de la réalité, elle lui ressemblait vraiment ! En dessous, la légende précisait que la photo avait été retrouvée dans la bouche de la victime et qu’à son dos on y avait inscrit, au marqueur noir : « Marie 3 ans ».


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