D'un Coup de Baguette Magique

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A l’Académie de magie de Tirevies, au jour du solstice de la lune jaune pisse, des petits sorciers en culottes courtes agitent leurs baguettes avec frénésie dans l’espoir qu’une petite giclée élémentaire leur donne accès au sésame : les portes d’un internat cosy et un laboratoire pour fabriquer des philtres d’amour.

Sous l’œil glauque de trois sorciers verruqueux, renommés pour la débauche d’effets spéciaux de leurs sorts éculés et l’efficacité diabolique de leurs tisanes druidiques somniférantes, les jeunes recrues s’excitent comme des forcenés avec l’espoir d’être pris.

En observant d’un œil affuté les performances dopées de leurs voisins, certains déchantent, d’autres redoublent d’efforts avec la finalité d’impressionner ce jury aux monocles et à la bave pendante. Des minutes séculaires, du stress à foison, de la panique insensée mais toujours l’envie d’en découdre, comme tout sorcier en germe, conçu dans le remous d’une touillette de sperme ! C’est le prix à payer pour ne pas recevoir une mauvaise éducation.

Pour intégrer la prestigieuse Académie de Tirevies, il ne s’agit pas seulement d’avoir la tête bien remplie, mais de donner tout ce qu’on a, de se donner à fond, d’épuiser ses ressources personnelles : du QI au KI, en passant par le cul, une manière peu châtiée de parler de la chance, une donnée que d’aucuns sous-estiment.

Dans cette tourmente d’anxiété et d’adrénaline intenses se rencontrent deux créatures lunétoïdes un tantinet marginales : Erylis Leglandru, un dégingandé du genre teigneux, bipolaire à ses heures perdues et Lutécien Grattanus, sulfureux garçon à la voix glaireuse. Attirés tout d’abord l’un et l’autre par leur baguettes tordues, ils finirent par détailler non sans émerveillement l’individu autour et se trouver un certain charme, une envie de communiquer.

Tout presbyte et tout myope ne s’y tromperait pas : les autres aspirants sorciers, ils se ressemblent tous : sortis d’un(e) même moule, échappés d’un livre écrit par une machine, une petite fabrique de fantasmes propres sur eux. D’ailleurs, le jury de verruqueux ne tergiverse pas : ils notent d’un doigté consciencieux les performances de ces quidams musculeux : maniement de la baguette, taille et qualité de celle-ci, pertinence du sortilège.

Forcément, Erylis et Lutécien…


*


« Hé, tu fais quoi Xavier ?

- Je relis le début de mon roman. J’ai presque terminé ! Plus qu’un chapitre à écrire.

- Cool ! Je savais pas que tu écrivais toi aussi ! Ca parle de quoi ?

- C’est juste une histoire dans une école de sorcellerie. Tu veux jeter un œil ?

- Ouais, vas-y, montre la bête ! »


Xavier observait le visage de Norman avec grande attention, pour deviner ce qu’il pensait tandis qu’il dévorait ses lignes. Il avait l’air absorbé par cette lecture : sans doute un bon signe ! Jamais Xavier n’avait eu le moindre retour sur son écriture qu’il tenait secrète, aussi espérait-il que son ami, connu pour sa plume sur les internets, lui fournisse un avis détaillé, de précieux conseils pour s’améliorer. Toute expertise n’était-elle pas bonne à prendre ?

Hélas, en fin de course, Norman, le visage contrarié, soupira. Une fois, deux fois, trois fois.


« Alors ? demanda Xavier, suspendu à ce silence oppressant, le ventre serré d’angoisse, noué par cette susceptibilité immense qui lui jouait souvent de mauvais tour.

- Alors quoi ?

- Ben, c’est comment ? Tu en penses quoi ?

- Comment dire…

- Comment dire quoi ? Tu peux être honnête, tu sais. Si je te l’ai fait lire, c’est pour avoir des conseils, des avis constructifs ! Sois franc ! Tu peux y aller !

- Bon, c’est pas facile à dire mais je suis désolé, je ne trouve pas ça fou. Le style est imbuvable, alambiqué, on ne comprend pas vraiment où tu veux en venir. Ca a pas vraiment de personnalité. Ce genre d’univers, ça intéresse personne, tu vois ? C’est du vu, revu et rerevu. En plus, ça fait un peu gay, ce truc de baguettes. Qui va lire ça, sérieux ? Si tu fais des phrases plus courtes et que tu changes totalement l’histoire et les personnages, un vrai ravalement de façade, ça pourrait le faire. Mais bon, c’est pas bien grave, ce n’est qu’un premier jet, non ? Tu peux l’améliorer si tu recommences à zéro ! Bon, ça te dit une petite partie de PS4 ? »


Malgré sa profonde tristesse, Xavier s’efforça de ne rien laisser paraître et inséra sans se faire prier une galette dans la console, bien qu’il n’eût pas envie de jouer, plutôt de verser toutes les larmes de son corps. Norman avait beau être dur, il n’en restait pas moins son meilleur ami, une personne fiable et sûre avec qui il avait passé son enfance : un frère de sang ! Hors de question de lui dévoiler ses états d’âmes, ses fragilités. Il était préférable de les noyer sous des pluies de pixels et de polygones.

En jouant avec son ami, Xavier se sentait nul, plus bas que terre alors que Norman, d’humeur joviale, plus excité que jamais, le fusillait à la kalachnikov d’un coup de manette bien sentie. Mitraillé, éventré, laissé sur le carreau, Xavier agonisait, pensait à son manuscrit, en filigrane de ses défaites virtuelles. Si son ouverture de roman ne plaisait pas à Norman : à quoi bon ? Cela ne séduirait personne, parce que Norman était le baromètre absolu, celui qui faisait la pluie et le beau temps, donnait la tendance : tout le monde se ralliait à son avis, tout le temps. Sans doute était-ce inutile de poursuivre ces chimères d’enfants. Mieux valait tout arrêter. Renoncer à cette œuvre.

Le soir même, Xavier laissa reposer son manuscrit dans un tiroir : un cercueil sur mesure pour une nuit éternelle. Comme sous l’effet d’un sortilège druidique amnésiant, il oublia tout de son académie de sorciers barrés, des coups fourrés, des verruqueux, les baguettes magiques mais pas que, tout cet univers qui pourtant vivait en lui, giclait au soir venu du bout de ses doigts. Et le fluide de l’écriture, cette magie obscure, quitta son cerveau survolté jusqu’à éteindre la lucarne ébranlée de son imagination.

Pauvre Xavier ! Il ne savait pas qu’en ces instants maudits, Norman, inspiré comme jamais, écrivait son académie, une académie bien plus édulcorée, moins folle et plus impersonnelle, une académie qui connaîtrait un succès foudroyant sur les terres de wattpad, avant d’atterrir dans toutes les librairies de France et de Navarre. Il n’a pas suffit de grand chose pour Norman, qui ne tarda pas à disparaître vers d’autres cieux : juste un petit coup de baguette magique, un menu larcin, un parchemin d’imitation altéré. Un petit pillage en bonne et due forme, dans un tiroir abandonné.

Pour réussir dans le monde de l’écrit comme dans la cuisine, ce n’est jamais sorcier : il suffit de connaître les recettes d’un chef, de trouver ses ingrédients, puis, en les accommodant au goût de tous, de les utiliser.

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