Chapitre 26 : La finale de Dænami

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Les deux Elementaris fusèrent à une vitesse prodigieuse à la poursuite du ballon, montant de plus en plus haut. Je suivis leur ascension avec un engouement sans pareil. Le public hurlait leurs noms, envahi par la fièvre de la compétition. Les poursuiveurs n’eurent besoin que de quelques secondes pour passer devant ma tribune, libérant au passage une rafale si puissante qu’elle me renversa. Je me redressai aussitôt et relevai la tête juste à temps pour les voir dépasser les plus hautes tribunes, une quinzaine de mètres au-dessus de nous. Pourtant, ils ne semblaient pas prêts de s’arrêter. Au contraire, ils s’approchaient de plus en plus dangereusement du plafond de la Zonëa, formé par la multitude de branches d’immenses mais frêles arbres.

Jamais je n’avais atteint une telle hauteur !

« Comment font-ils ça !? m’écriai-je, incapable de détourner le regard.

— Tu devrais voir ta tête ! rit Kacelia, qui s’était elle-aussi levée. C'est vrai qu'on est tous impressionné la première fois ! Alatorn et Tenëma utilisent leur élément, tout comme Leucaryos a utilisé l'eau pour propulser le ballon grâce à la pression ! Nous te l’avons dit, nos pouvoirs font partie de notre vie quotidienne ! »

Cela devenait de plus en plus difficile de distinguer qui était qui à cause de la distance. Je ne me fiais plus qu’à la couleur des maillots. J’aurais juré voir Alatorn gagner un peu d’avance sur son adversaire et tendre la main en direction d’un petit point doré qui devait être le ballon.

« Et le premier qui attrape la balle… poursuivis-je.

— Remporte un sérieux avantage sur ses opposants, conclut-elle. »

C’était fascinant ! Envoûtant et fascinant même !

Voir les deux guerriers se pourchasser dans l’unique but de se saisir d’un objet était déjà impressionnant mais pas spécialement novateur. La plupart des sports humains se résumaient à cette même phrase. Sauf que les Elementaris volaient ! Leurs pouvoirs changeaient entièrement la donne ! Les violentes bourrasques libérées sur leur passage rendaient l’affrontement plus dynamique et violent ! Tous ces éléments devaient paraître normaux aux yeux des Elementaris mais, pour moi, jeune humain tout juste arrivé chez eux, c’était une des choses les plus excitante que j’avais vu de ma vie !

Avant que j’aie l’occasion de questionner Kacelia davantage, une vague d’acclamations retentit dans la rangée des supporters bleus. Alatorn venait de se saisir du ballon. L’Elementaris ne perdit pas un instant et renvoya l’objet en direction du sol. À une vitesse remarquable, la balle changea de trajectoire pour faire une embardée sur la droite et charger en direction de Taliyah, l’Elementaris de la terre de l’équipe bleue. Cette dernière fit s’élever un morceau de terre qu’elle utilisa comme d’un tremplin pour se saisir du projectile d’un bond.

Elysion, qui demeurait en retrait, fit signe à Kalya de suivre Taliyah en direction du camp où leurs adversaires les attendaient de pied ferme. Mon mentor obéit et dépassa rapidement la porteuse de balle pour franchir d’un saut la rivière qui séparait les deux bases. Cependant, lorsque ce fut au tour de Taliyah de la traverser, l’eau explosa sous ses pieds comme un geyser. Le liquide la saisit à la manière d’un prédateur, avant de l’attirer sous l’eau et de la submerger. Kacelia me désigna l'Elementaris de l'eau de l'équipe rouge, main levée, qui était sans nul doute en train d’user de son pouvoir pour immobiliser la porteuse de balle. D’après mes souvenirs, elle se nommait Daisyatïs et, si ce que j’avais entendu à son sujet plus tôt était vrai, ce n’était pas une novice.

Malgré l’eau qui tentait de la submerger, et peut-être même de la noyer, Taliyah tenait toujours le ballon fermement contre elle, refusant de le lâcher.

Kalya, alertée, se retourna pour la secourir. Elysion, de son côté, observait toujours la scène, bras croisés. Cette absence de réaction me déconcerta : à sa place j’aurais accouru pour lui porter main forte ! Alors même qu’elle peinait à garder la tête hors de l’eau, Taliyah parvint à en extraire ses mains et lança la balle en direction de Kalya. Cette dernière tendait déjà les mains pour la réceptionner.

Soudain, une forme verte surgit et l’intercepta au vol. C'était Thorn, le capitaine adverse. D’un saut, il traversa la rivière, le ballon en main. Dès que ses pieds touchèrent le sol, un des rochers qui longeait la rivière s’arracha de la terre pour flotter vers lui. Thorn monta dessus comme sur un hoverboard de Retour vers le futur et, sans la moindre hésitation, chargea en direction d’Elysion, prêt à marquer le premier point.

Une salve de cris naquit des tribunes d’en face pour le soutenir.

« Mais où est Alatorn ? m’interrogeai-je à haute voix. »

Kalya m’avait apparemment entendu car elle attira mon attention en me montrant le plafond du doigt. Je suivis son regard et vis les deux Elementaris de l’air qui confrontaient leur habilité à contrôler le vent en se percutant dans de violentes tornades, environ deux-cents mètres au-dessus du sol. Ils s’empêchaient mutuellement d’intervenir dans l’affrontement qui opposait leurs camarades. Le match se déroulait donc majoritairement entre les six autres joueurs et, pour le moment, les rouges avaient l'avantage.

« C'est la technique de l'équipe rouge, me cria mon amie pour se faire entendre. Ils bloquent Alatorn pour l'empêcher de plaquer le rocher de Thorn au sol avec sa puissance. Comme Taliyah et Alatorn sont occupés, Thorn peut se déplacer plus rapidement encore, sans se soucier d’eux. Seul Elysion peut défendre.

— Pourquoi s’en prendrait-il au rocher de Thorn ? m’étonnai-je en criant à mon tour. Il ne pourrait pas tout simplement… Je ne sais pas, utiliser l’air pour faire s’envoler le ballon des mains de Thorn et l’envoyé directement dans le camp adverse ?

— S’il le faisait, ce ne serait plus amusant ! Les règles stipulent que seul le porteur de balle peut user de ses pouvoirs sur le ballon. Au début, Alatorn l’avait attrapé et pouvait donc employer le vent pour le diriger dans les mains de ses coéquipiers. Mais à présent, comme c’est l’équipe rouge qui l’a en main, pour le récupérer ils doivent s’en prendre au porteur et non pas au ballon ! Dès qu’il est entre les mains de quelqu’un, aucun élément ne doit le toucher excepté celui qui le détient !

— C’est pour cela que tu me disais qu’Alatorn pourrait plaquer au sol Thorn avec ses pouvoirs, en déduisis-je, et ainsi le contraindre à lâcher la balle. C’est seulement à cet instant, si le ballon n’était plus entre ses mains, qu’il aurait le droit d’utiliser l’air pour le récupérer directement.

— Lui ou un autre, précisa Kacelia. Mais l’important est de le libérer de l’emprise de Thorn, or Alatorn est le plus apte à cela ! C’est pour cela que Tenëma ne lui laisse pas une seconde de répit. Même chose pour Taliyah ! (Elle me désigna la pauvre Elementaris qui se débattait vainement pour respirer, secouée et engloutie par les remues de l’eau :) Ils la maintiennent éloignés de Thorn pour ne pas qu’elle oppose son pouvoir de la terre au sien ! »

Une nouvelle vague d’acclamation traversa tous les gradins, me forçant à reporter mon attention sur le terrain. Thorn n’était plus qu’à une quinzaine de mètres de la zone des bleus. Kalya était à présent aux prises avec l’Elementaris de la terre de l’équipe rouge : jets d’eau et rochers tournoyaient dans les airs se percutaient et explosaient avec violence. Néanmoins, le bruit du fracas généré par ces collisions était couvert par les spectateurs, excités, qui n’avaient d’yeux que pour Thorn.

Face à lui, une seule personne pouvait lui barrer le chemin.

« Elysion ! hurla une femme dans les tribunes du dessous.

— Allez Elysion ! Arrête-le ! renchérit un homme loin à ma droite. »

Rapidement, leurs encouragements furent repris par tous les spectateurs qui souhaitaient voir l’équipe de mon mentor gagner. Ce dernier décroisa enfin les bras et dirigea ses poings vers Thorn. Soudain, les feux des vasques éclatèrent dans des torrents incandescents. Les flammes se rejoignirent et se mélangèrent pour ensuite prendre la forme d’un serpent géant. L’invocation du reptile fit grimper la température d’encore quelques degrés mais j’étais bien trop estomaqué pour m’en plaindre.

Et apparemment je n’étais pas le seul.

« Incroyable ! cria un Elementaris.

— Tu as vu sa taille, maman ? s’extasia une enfant. Il est gigantesque ! »

La salve d’encouragements augmenta encore. Je n’avais pas besoin d’en savoir long sur la maîtrise du feu pour deviner qu’une telle prouesse n’était pas donnée à tout le monde.

« Elysion donne tout ! applaudit Kacelia, sourire aux lèvres.

— En effet ! approuvai-je, impatient de voir la réplique de Thorn. »

La queue de l’animal cingla et le rocher qui servait de transport au capitaine des rouges explosa. Ce dernier eut tout juste le temps de se jeter sur le côté que le reptile abaissait de nouveau sa queue pour frapper. Thorn leva sa main gauche et la terre se souleva pour le protéger et encaisser l’attaque. La secousse fut colossale mais Thorn tint bon. Sans perdre un instant, d’un mouvement, ce dernier fit s’extraire trois rochers du sol qui chargèrent en direction d’Elysion. Sans le moindre geste de l’Elementaris du feu, le serpent balaya les projectiles sans difficulté, avant de fondre sur Thorn, ses crocs flamboyants en avant.

Alors que Thorn semblait en difficulté et en manque de ressource, un jet d’eau jaillit de la rivière, dans le dos du capitaine des rouges, et fit barrage entre ce dernier et le serpent. L’animal explosa en gerbes incandescentes tout en libérant une explosion d’énergie accompagnée d’une grande quantité de vapeur d’eau qui enveloppa le terrain. Je me couvris le visage avec mon bras pour encaisser la déflagration de puissance libérée par la disparation du reptile. Lorsque je rouvris les yeux, l’épais brouillard ne laissait rien percevoir de l’issu de la confrontation. Toute la foule de supporters tentait de distinguer le moindre signe pour comprendre ce qu’il se passait derrière ce rideau de brume, en vain. C’est alors qu’une salve de lumière suivie d’explosions, engendrées certainement par les flammes d’Elysion, perça le voile.

Les spectateurs lâchèrent quelques exclamations, attentifs.

Soudain, une nouvelle onde de choc me fit trébucher. L’affrontement des deux Elementaris de l’air venait de libérer une rafale si puissante qu’elle balaya une grande partie de la brume. Enfin, le terrain redevint visible. Elysion était à genoux, le corps enveloppé par de la boue épaisse jusqu’au cou. Daisyatïs se tenait face à lui, une main tendue. Une bulle d’eau enveloppait le visage de mon mentor et, vu la férocité avec laquelle il se débattait, cela l’empêchait totalement de respirer. Thorn se tenait un peu plus loin. À ses pieds, le ballon doré reposait sur la plaque noire.

« Ils vont le tuer ! m’écriai-je, paniqué en voyant Elysion au bord de la suffocation. »

Mais ma voix fut couverte par un roulement de tambour qui résonna dans tout la Zonëa, rejoint rapidement par les ovations des supporters rouges. Les quatre Elementaris, qui avaient formé les sphères géantes, se tenaient au bord du terrain et frappaient à mains nues sur des tambours géants. Le premier point venait d’être marqué. C’est cet instant que choisit Daisyatïs pour finalement libérer Elysion. La boue qui l’enveloppait retomba sur le sol tandis que la bulle d’eau qui recouvrait son visage se disloqua. Le capitaine des bleus s’effondra, peinant à retrouver son souffle.

Derrière la zone de point rouge, un Elementaris traça un trait de flamme avec son doigt sur une planche de marbre afin d’indiquer le point remporté par ces derniers. Mais je restai scandalisé par ce à quoi je venais d’assister.

« Elle aurait pu le tuer ! me révoltai-je avec colère. Elle…

— Elle savait ce qu’elle faisait, m’interrompit Kacelia avec indifférence.

— Mais tu as vu comment…

— Oui, j’ai vu ! Mais de la même manière qu’Elysion aurait pu calciner Thorn avec son serpent, ils ont usé de leurs éléments pour l’immobiliser. Ils en ont entièrement le droit tant que les tambours n’ont pas retenti !

— Mais c’est de la folie !

— Crois-moi, ils savent quand ils doivent s’arrêter. Aucun d’entre-nous ne mettrait la vie de l’un de ses congénères en danger pour un simple sport. »

De dépit, je me laissai retomber sur mon coussin.

« Je persiste à dire que c’est dangereux et stupide… grommelai-je.

— Il n’empêche que c’est fascinant, souligna Kacelia, légèrement amusée. »

Face à nous, les Elementaris clamaient le nom des joueurs de l’équipe rouge avec exaltation, alors que les supporters des bleus affichaient des mines démoralisées. Je vis Alatorn poser pied à terre et se hâter de porter main forte à son capitaine. Kalya soutenait une Taliyah encore sonnée par la tasse qu’elle venait de boire.

« Encore un point et ils gagnent, c'est bien ça ? finis-je par demander. »

Kacelia hocha la tête et ajouta :

« Ce n'est pas encore perdu, les Frôlons vont trouver un moyen de les arrêter. Comme Kalya aime le répéter, leur nom d’équipe est bien choisi : les frôlons savent piquer au bon moment. Alors que les Grizzlys, eux, sont de vraies brutes !

— Peut-être mais ils ne déméritent pas pour autant, dis-je à contre-cœur. La vitesse avec laquelle Thorn s’est protégé du serpent… Et l’aisance avec laquelle Daisyatïs s’est débarrassée de Taliyah est impressionnante. »

Après l’entraînement que j’avais reçu de Talane un peu plus tôt, je pouvais affirmer que pour former un mur de terre aussi rapidement et d’une telle résistance, il fallait un grand contrôle de son élément. Alors que j’avais pris Thorn pour un grand lascar qui miserait tout sur sa force brute, je compris que j’avais tort. Les Elementaris ne se battaient pas avec leurs poings mais avec leur esprit et leur capacité élémentaire. Sans omettre leur travail d’équipe. La manière dont Daisyatïs avait protégé son capitaine de l’attaque d’Elysion, avant de finalement dominer ce dernier, était impressionnante. Brutale, certes, mais impressionnante.

Sans m’en rendre compte, malgré mon aversion envers la manière dont venait d’agir Daisyatïs, je m’étais vite pris au jeu. Je n’avais jamais été un grand amateur de sport, et cela ne risquait pas de changer de sitôt. Pourtant… ce sport-là avait quelque chose de spécial. Il offrait un spectacle visuel sans égal, ajouté à des stratégies collectives réfléchies et ordonnées. Kalya avait raison : cela n’avait rien à voir avec les sports des Hommes.

Celui-ci était grandiose.

Alors que les joueurs des deux camps se réunissaient pour discuter d’une quelconque stratégie, le brouhaha reprit bon train en attendant la reprise de l’affrontement. J’entendis même Anathone, le Kalhn du feu, affirmer à Eldaf que les bleus renverseraient la situation, avant que Talane ne lui rappelle qu’il devait rester neutre. Le Kalheni, lui, paraissait bien s’amuser et s’esclaffa en entendant le Kalhn de la terre rabrouer Anathone.

Je me penchai vers Kacelia pour me faire entendre et demandai :

« À propos des éléments, j’ai une question à te poser. J’ai remarqué que certaines fois vous les utilisiez à partir d'une source, telle que la rivière pour l'eau ou les vasques pour le feu. Mais j’ai déjà vu Elysion faire naître des flammes directement dans ses mains. Est-ce qu’il y a une différence ?

— Cela ne m’étonne guère que Talane n’ait pas encore abordé le sujet, tu ne devrais pas être amené à pratiquer ces techniques avant un bon moment normalement. En fait, si je ne me trompe pas, c’est même la dernière chose que les Waléoæs apprennent lors de leur apprentissage. Cela requiert une entière maîtrise de son élément, une concentration totale, une grande quantité d’énergie et beaucoup d’acharnement pour espérer y arriver. Et c’est déconseillé de l’utiliser si on peut l’éviter. C’est bien plus fatiguant de puiser dans sa propre énergie pour les invoquer que d’utiliser là-leur, comme Talane te l’a appris. C’est pour cela que nous nous débrouillons pour toujours avoir accès à l’essence des éléments. »

Je m’apprêtai à la questionner davantage mais l’agitation soudaine des spectateurs m’en empêcha. Les joueurs se replaçaient sur le terrain, reprenant les mêmes places qu’auparavant. Leucaryos avait récupéré la balle et l’avait reposé au milieu de l’eau. D’eux-mêmes, les deux Elementaris de l'air reprirent position en haut des rochers et ployèrent le genou, yeux rivés sur la balle sous leur pied. Elysion et Taliyah semblaient aller mieux même si je voyais cette dernière se masser l’épaule. Tous les spectateurs tapaient du pied en rythme, accélérant de plus en plus tandis que Leucaryos débutait le décompte.

La seconde manche débutait.

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