Chapitre 13 : La translatíon

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Une vraie nuit de sommeil dans un vrai lit pendant plus de dix heures ? Je n’aurais pas pu rêver mieux après ce que je venais de vivre. Même si mon repos fut perturbé par quelques cauchemars dont le Xenos était le principal protagoniste, sans trop savoir comment, je parvins à retrouver mon calme. Je refis le vide pour poursuivre ma nuit sans rêve.

Une fois éveillé, je me sentais requinqué. Je tâchais de laisser ma morosité de côté pour ne pas me morfondre toute la journée. Je devais me focaliser sur l’unique chose que je devais faire : trouver les Elementaris. Et pour cela, la téléportation, ou translatíon, paraissait le meilleur moyen. Si je m’étais senti excité la veille en apprenant l’existence de cette capacité, aujourd’hui je l’étais beaucoup moins. Je voyais ça plutôt comme un nouveau moyen de mourir beaucoup trop jeune.

Tout en prenant le petit déjeuner servi directement dans ma chambre, je questionnais Astérion pour obtenir des informations supplémentaires sur ce mystérieux pouvoir :

« Il est vrai que j'aimais beaucoup voler, me raconta-t-il avec nostalgie. C'est une sensation extraordinaire ! On verra plus tard si tu en seras capable mais ce n’est pas le plus important. La translatíon est, quant à elle, bien plus rapide mais pas pour autant plus simple à réaliser. Elle est même plus coûteuse en énergie et nécessite un lieu éclairé. Tu n'as pas besoin d’énormément de lumière, mais elle doit être éclairée par un astre comme la lune ou le soleil. Cela ne marchera pas avec vos lumières artificielles !

— Donc impossible d'aller dans un lieu souterrain, en déduis-je.

— Ta perspicacité m'épatera toujours ! ricana-t-il en réponse. »

J'avais déjà dit à quel point je détestais son humour ? Eh bien, si ce n’était pas le cas, maintenant vous êtes au courant.

« Mais comment visualiser un endroit que je n’ai jamais vu ? Je ne suis jamais allé aux États-Unis !

Eh bien va sur internet sélectionner une image ! soupira l’Eternel. J’ai dormi des milliers d'années mais c'est tout de même à moi de trouver toutes les solutions ! À mon époque j'avais dû faire le tour du monde des centaines de fois pour mémoriser tous les recoins. Avec ma mémoire visuelle infaillible, je pouvais me rendre où je le souhaitais ensuite, même si ce que vous appelez l'Occident restait ma partie préférée du monde. Avec l'Asie, bien sûr. »

Je soupirai. Pour être franc, je ne pensais pas qu'il le faisait exprès mais il se valorisait tout le temps. Moi j’appelais ça être imbu de soi ou narcissique. Les dieux se voyaient vraiment comme la perfection, ça en devenait irritant à la longue. Remarques, certains humains étaient pareils donc il fallait croire qu'il n'y avait pas besoin d'être immortel pour cela.

Pour revenir à la translatíon, si j'arrivais à me souvenir moi aussi de différents endroits, je pourrais peut-être visiter le monde entier après avoir empêché la réincarnation du grand méchant (j’avais le droit d'être optimiste un peu, non ?) ! Surtout qu'avec internet c'était super simple. Le matin je me prélasserais à Paris, un croissant dans la main, avant de me téléporter à Hawaï pour me baigner, d’aller faire un tour à côté de la Muraille de Chine, et de manger une pizza à Venise ! Sans oublier d’aller au Brésil profiter des sources chaudes !

Cette idée me remit du baume au cœur.

Je descendis pour utiliser l'ordinateur mis à disposition des clients et demandai à Astérion :

« Tu penses qu'ils sont plutôt où en Amérique les Elementaris ? Parce que je dis les États-Unis en espérant que ce soit là-bas mais si ça se trouve c'est plus au sud…

— J’en saurai plus une fois là-bas, répondit-il. Essayons d'abord New York, on avisera ensuite.

Très bien, répondis-je, déçu de ce manque d’informations. »

Une fois de retour dans ma chambre, mon maigre enthousiasme à l’idée de partir pour un autre pays fut mis à rude épreuve. Astérion souhaitait que je m’exerce à translater sur de brève distance avant de partir pour notre destination finale bien plus lointaine. Ce que j'approuvai, bien entendu. Je m’entraînais donc à réaliser la translatíon d'un bout à l'autre de ma chambre d'hôtel, à l'abri des regards. Ce n’était que quelques mètres, donc l’Eternel espérait de moi des résultats rapides et prodigieux sur une aussi courte distance.

« En premier lieu, m’expliqua-t-il, il faut visualiser l'endroit où tu veux te rendre. Tu dois en distinguer les moindres détails pour atterrir avec le plus de précision possible à l'endroit escompté. »

Je réalisai très vite que la translatíon semblait simple uniquement sur le papier. Après tout, il suffisait de visualiser l'endroit où l'on souhaitait se rendre et transformer notre corps en milliard de particules, des photons, pour se déplacer dans la lumière jusqu'au lieu souhaité. Très simple en effet, mais un simple minuscule petit détail me bloquait dans la réalisation de l’acte : Comment étais-je supposé me transformer en milliard de photons ? Parce qu’à l'école on ne m’avait jamais appris à me transformer en lumière voyez-vous, et Astérion ne semblait pas comprendre pourquoi je ne trouvais pas la manière d’y arriver.

Je lui posai donc la question. Et à cette demande pertinente, il me répondit de façon tout aussi congrue.

« C'est simple, tu as juste à devenir de la lumière pure !

— Oui, répondis-je en essayant de garder patience, mais comment je deviens de la lumière ? Je comprends le principe : la vitesse de la lumière étant quasiment instantanée, il semble donc logique qu'en me déplaçant sous forme de lumière je sois capable de rallier un point de la Terre à un autre en un claquement de doigt. Mais je suis fait de chair et d'os, moi ! J'aimerais juste comprendre comment quelque chose de solide devient… bah de la lumière.

— Je ne vois pas ce qui te bloque, maugréa-t-il.

— Ce qui me bloque, dis-je les dents serrées, c’est que tu me demandes de me métamorphoser en quelque chose d’immatérielle alors que ce n’est pas une faculté humaine ! »

Une dispute de plusieurs minutes sur mon incapacité à me transformer en particules lumineuses s’ensuivit.

Comme j'étais stupide, tout le monde savait le faire !

« On se calme ! finis-je par interrompre, agacé. On va reprendre depuis le départ, OK ? Explique-moi en détail ce que je dois faire et avec précision, s’il te plaît. »

Devant ma demande que je m’efforçai de rendre la plus respectueuse possible, je sentis un effort de sa part pour me répondre avec un calme forcé :

« Premièrement, fermes les yeux et visualises. »

J'obéis et imaginai l'endroit dans ma tête. Ce n’était pas simple de dessiner un lieu dans son esprit sur demande. Certains emplacements restent facilement inscrits dans votre mémoire parce que vous les connaissez par cœur, ou parce que quelque chose de marquant s’y était passé.

De cette nouvelle position que j’imaginais, le lit de l'hôtel se trouverait à ma droite, la fenêtre juste derrière moi et la porte de la salle de bain à ma gauche. Tout cela se trouvait quatre mètres devant moi mais je me persuadais être à cet endroit en ce moment même.

« Ensuite, tu dois devenir de la lumière, reprit l’Immortel. Je ne sais pas comment te décrire ce phénomène, cela devrait être aussi instinctif que de bondir ou te battre. C'est comme si tu éternuais. Tu laisses ton enveloppe corporelle se transformer pendant un très bref instant en particules et se diriger vers le lieu que ta conscience a précisément choisi. Tu n'as pas besoin d’extérioriser la puissance divine pour cela, ton corps entier en est constitué. Elle te donne ta force, ta vitesse, et cela te permet aussi de changer de forme pour la translation. Donc maintenant visualise et laisse ton corps faire, c'est naturel. »

Après tant d'explications j'aurais dû réussir puisque c'était naturel. En tout cas, c'est ce qu'il devait penser. Mais je restai planté là avec l'image de l'emplacement où je voulais me rendre en tête. J'essayais de calmer ma respiration comme avec la télékinésie, de ne penser à rien d’autre que le nouvel angle de vue que j’avais de l’hôtel et de faire comme si j'éternuais.

Au final, j’éternuai vraiment mais pas de translation.

Après une quinzaine de minutes, ma patience atteignit ses limites.

« Je ne dois pas pouvoir translater, pensai-je. On va trouver un autre moyen de…

— Il n'y en a pas. Et on doit trouver les Elementaris !

— Et bien je n'arrive à translater !

— Tu n'y mets pas assez du tien !

— Tu rigoles ? Je suis planté là depuis un quart d'heure à essayer de bouger de quelques mètres rien que par la pensée ! »

Il se tut subitement si bien que je crus qu'il boudait.

« Bon très bien, maugréa-t-il finalement, je ne vois qu'un moyen dans ce cas. Si tu n'y arrives pas par toi même, il va falloir que je tienne la main comme à un enfant qui apprend à marcher.

— Pardon ?

— Je te l'ai dit hier : laisse-moi plus de laisse, plus de liberté, et je pourrais t'aider. Permets-moi de démarrer la translatíon, tu n’auras qu’à t’occuper de la destination.

— Ça ne te laissera pas le contrôle de mon corps, hein ? demandai-je avec suspicion.

— Qu’est-ce que je ne ferais pas pour que ce soit le cas, soupira-t-il avec véhémence avant de reprendre : T’ai-je déjà menti ?

Même si c’était un faible argument, je sentais qu’il ne me mentait pas. C’était l’avantage d’avoir son esprit à proximité du mien.

« Faisons comme ça dans ce cas, répondis-je finalement. »

Je fermai les yeux et en un instant, presque naturellement, j'étais dans ma tête. Enfin plus précisément, dans ce paysage entièrement couleur neige qui devait représenter l’essence même de mon esprit. Vêtu de blanc sous ma forme spirituelle, je pouvais encore sentir mon corps réel debout, les yeux clos dans ma chambre, tandis que je me détachais de cela et me baladais dans mon crâne. De nouveau, ce second instinct neuf m’offrait des possibilités inaccessibles aux simples humains et me permettait de ressentir et d’accomplir des choses que je n’aurais normalement jamais pu réaliser. Comme me balader dans mes pensées par exemple.

Plutôt cool, il fallait l'admettre !

Je me retournai et me dirigeai vers Astérion. Ce dernier était toujours à la même place même si, à ma grande surprise, il avait légèrement changé depuis ma dernière visite. Toujours torse nu, sûrement pour exhiber ses muscles en béton armé, il portait un pantalon blanc impeccable et semblable au mien, délaissant celui en lambeau qu’il arborait jusqu’alors. Ses cheveux étaient retenus en arrière en queue de cheval et ses yeux, bien que plus paisibles que la première fois, rayonnaient encore de l’agacement de notre récente dispute. C’était en le revoyant que je me rappelai que derrière la voix dans ma tête qui était très souvent source de raillerie et d’arrogance, se trouvait un être au charisme et à la prestance inégalable.

Finalement, dépassant le brin de crainte qu’il m’inspirait une fois face à face, je le questionnai avec surprise :

« Qui t'as attaché les cheveux ? Et habillé ? »

Je n’avais pas envie d'avoir encore un autre visiteur dans le crâne ! Ce n’était pas un moulin non plus !

« Ma marraine la bonne fée ! se moqua-t-il. Non mais franchement, tu crois qu'on peut coiffer et habiller l’esprit de quelqu’un, peut-être ?

— Il n'empêche que c'est le cas ! dis-je, pincé.

— Je venais juste de me réveiller lors de notre première rencontre, je te rappelle. L’esprit est le miroir et la représentation même d’une personne. Je reprends mes marques peu à peu et m'habitue à tout cela, reprenant donc une forme convenable. Pour simplifier, je dirais que je sors de la dépression et que mon âme reprend une forme plus appropriée à un Eternel de ma trempe.

— Heureux pour toi… soupirai-je. Bon, tu as besoin que je me connecte à toi par un simple contact pour te donner plus de liberté ?

— Oui, et tu dois le préciser à haute voix. Ensuite tu visualiseras le lieu où tu souhaites te rendre correctement. »

Il insista particulièrement sur ce dernier mot. Je levai les yeux au plafond, même s'il n'y en avait pas, de dépit. Il me prenait vraiment pour un enfant, j’étais adulte tout de même !

Je m’approchai de lui et posai ma main sur son épaule avant d’énoncer à haute voix le plus formellement possible :

« Moi Peter, je te laisse, Astérion, plus de liberté afin de m’aider à employer la translatíon et me rendre outre-Atlantique.

— Très convaincant, me glissa l’Immortel. Cela devrait suffire. »

Je ne savais pas trop s’il se moquait de moi ou non mais je laissais mon âme reprendre entièrement le contrôle de mon corps. Tout le décor chavira pour me ramener de nouveau à la réalité, dans ma chambre d'hôtel. Debout et immobile, je ressentais ma connexion avec l’Eternel plus intense qu’auparavant. Je pouvais sentir son esprit réfléchir sur la manière de retrouver les Elementaris et ses songes sur le temps que son frère aura besoin pour récupérer suffisamment de force pour se réincarner.

Son esprit carburait littéralement, sans le moindre repos. Ses pensées fusaient, menaçant d’envahir mon petit esprit paisible si je lui laissais plus de liberté encore. Pour autant, il ne m’avait pas menti : je me sentais toujours moi, il ne tentait pas de prendre le contrôle de mon corps.

Cela, c’était un bon point car j’y tenais.

J’obtempérai, fermant les yeux et vidant mon esprit en me focalisant uniquement sur l’emplacement quatre mètres devant moi. Ce n’était pas plus simple mais je faisais de mon mieux.

« C'est bon Astérion, pensai-je. »

Il ne me répondit pas même si je le sentais s’activer de son côté. Quant à moi je tâchais de bloquer toute pensée qui pourrait me faire perdre de vue mon image mentale. Un tel effort de concentration était ardu à maintenir. Se focaliser sur une simple chambre d’hôtel mais dans un point de vue spécifique, avec des couleurs et des meubles placés à un endroit précis, était fatiguant à maintenir.

Alors que l’image commençait à s’effriter dans ma tête, je voyais de moins en moins précisément la couleur du mur, mon corps se mit à picoter. Des picotements apparurent subitement tout le long de mon corps, tandis que certains de mes muscles étaient pris de soubresauts par instant. J'ouvris les yeux avant de remarquer que mon corps brillait. J’illuminai la pièce tel un phare perché en mer.

Un phare...

Alors que je gardai fixement l’image de l’hôtel en tête, le bout d’une autre image surgit de ma mémoire. Un souvenir lointain, presque oublié, se dessina. Et le temps d'un clignement de paupière, sans prévenir, le calme fut immédiat. Oppressant, le silence devint maître tandis que de mon corps, il ne restait rien. Je n’existais plus. Mon corps n’était plus réel, seules mes pensées subsistaient. Un simple instant qui sembla durer une éternité.

J'avais tout bonnement disparu.

Puis, le moment d’après, je réapparus de nulle part, reprenant forme. En réalité, je repris conscience et contrôle de mon corps à l’instant même où j’apparus dans l'eau et que je compris que j'allais me noyer. Aussitôt trempé, l’eau jusqu’au visage et qui menaçait de m’engloutir, je paniquai. Entre les vagues déferlantes qui me bousculaient, la lumière du jour me laissait apercevoir la côte à une centaine de mètre de ma position.

« COMMENT JE SUIS ARRIVÉ LÀ ?! » fut la première remarque qui me vint à l'esprit alors que je tentais de garder la tête hors de l'eau avec des mouvements de bras et jambes désespérés.

La seconde qui suivit, plus logique vu la situation, fut de hurler :

« À L’AIDE !

— VISUALISE LA CHAMBRE ! hurla en retour Astérion dans ma tête. VITE ! »

Sa présence me rassura suffisamment pour me raisonner. Je tentai d'obéir et de revisualiser le lit de ma chambre d'hôtel et tout ce qui s’y rapportait, mais secoué comme je l’étais par la mer déchaînée, c’était infaisable. Mes yeux me brulaient tellement que je n'osais plus les ouvrir, et j'avais bu tellement de fois l'eau de mer que ma gorge souffrait la soif. Il fallait que je me concentre, or c'était impossible dans ces conditions.

Prenant une décision immédiatement, j’inspirai autant que me le permettait l’élément déchaîné et plongeai. Sous l'eau j'étais moins bousculé. Il ne me restait plus qu'à prier pour que la translatíon fonctionne aussi bien hors que dans l’eau. Et qu’elle fonctionne sans encombre. Je me concentrais sur ma chambre d'hôtel comme jamais je ne m’étais focalisé sur une chose. Ma vie en dépendait et la dernière chose à laquelle je pensais avant de mourir suffoqué était une chambre d’hôtel. J’en aurais bien ri si ce n’était pas sérieux.

Des reflets dorés traversèrent mes paupières closes et, le temps de me demander pourquoi je m’étais embarqué dans cette galère, le silence redevint omniprésent. J’apparus, surgissant de nulle part, sur le lit de ma chambre. Trempé et grelottant, je restai un instant enroulé sur moi-même, cherchant l’air et la chaleur. Mon cœur battait si vite qu’il menaçait de sortir de ma poitrine, sans oublier le sang qui tapait à mes tempes et assourdissait mes oreilles. Malgré tout, j'étais en un seul morceau, et c’était un soulagement.

Un soulagement de courte durée.

« À QUOI PENSAIS-TU ESPÈCE DE SALE… tonna Astérion, en m’insultant sans retenue. »

Afin d’éviter toute plainte, je ne vous citerai aucun de ces mots. En tout cas, la douleur qu’il engendra devait atteindre quinze sur l’échelle des maux de tête. Incapable de lui répondre quoi que ce soit, j’attendis qu'il se calme et me laisse enfin m’excuser. Je fus contraint de subir ce massacre mental cinq longues minutes. Il en connaissait des grossièretés ce fichu dieu ! Et en plus, il n’avait pas besoin de reprendre son souffle !

J’avais les dents serrées par la douleur et le front si crispé que je devais avoir fait apparaître mes premières rides de vieillesse. J’avais délié notre lien que je venais de renforcer pour la translation, mais cela n’avait pas beaucoup allégé mon fardeau. Je luttai encore pour le maintenir le plus loin de moi afin d’apaiser sa sentence quand il arriva enfin au bout de son monologue. Supposant probablement qu'on ne pouvait pas exploser les tympans de quelqu'un par la simple pensée, il s’interrompit.

Je profitai aussitôt de ce silence opportun que je n’espérais plus.

« Je suis sincèrement désolé… commençai-je.

— J'espère bien ! Tu aurais pu nous tuer ! Tu aurais pu nous…

— Oh c'est bon ! rétorquai-je. Lorsque je me suis illuminé, ça m'a remémoré le phare de la Vieille que nous avions observés lors de nos dernières vacances en Bretagne avec mes parents, il y a quelques années. Son nom m'avait fait rire donc je l'ai retenu et... »

— Tu as JUSTE pensé à un phare ? Ce foutu phare se trouvait en plein milieu de la mer et a failli te TUER ! »

Je fronçai les sourcils, surpris.

« Attends tu veux dire qu'on a été là-bas ? Au lieu exact de mon souvenir ?!

— Dans la même zone en tout cas. Ton souvenir devait être trop flou et tu as dû te concentrer sur le phare donc on s'en est rapproché. C'est à dire en plein milieu de l'océan !

— Primo, je vais bien et je suis en un seul morceau, merci de t’en inquiéter ! On est revenu et c’est le principal ! Deuxio, on n’était pas dans l'océan mais simplement au bord de la côte ! Tu as peur de l'eau ou quoi ?

— Bien sûr que non ! Elle m'obéit en temps normal, mortel arrogant ! Mais à ce que je sache tu ne sais pas maîtriser l'eau et ton corps n'est pas protégé contre la noyade ! Alors oui, j'ai peur de retrouver une simple forme d'esprit et de devoir attendre des siècles avant d'être capable de réintégrer un hôte par ta faute !

— Tu n'es pas déjà sous une forme d'esprit actuellement ? soulignai-je avec rancœur.

— Silence ! Même si ce n’est pas ma véritable enveloppe corporelle, me déplacer dans un corps est bien mieux qu'être une espèce de fantôme flottant dans les airs, à peine conscient et invisible aux yeux des autres ! »

Je me redressai dans un soupir et tâchai d’essorer mon tee-shirt. Il en faisait tout un foin alors que nous étions en vie et que…

« Mais attend ! m’exclamai-je un sourire aux lèvres. Si mes souvenirs sont exacts, le phare se trouve plus au nord d’au moins deux cents kilomètres ! C’est incroyable que l’on ait parcouru une telle distance lors de mon premier essai ! Et puis tu m’avais dit que ça demandait une grande quantité d’énergie, non ? Pourtant je vais très bien ! Si j’ai été capable de parcourir une telle distance aller et retour, on devrait parvenir à rallier New-York, pas vrai ? »

Il resta silencieux un instant avant d’admettre à contre-cœur :

« Tu as raison… mais ne refait PLUS JAMAIS CA !

— Promis ! On peut y aller maintenant ? Il est bientôt midi, et j'ai une faim de loup ! »

Même si Astérion ruminait beaucoup, je sentais qu'il était tout aussi content du résultat que notre brève entraide avait produit.

Mais à présent, certaines choses s'imposaient.

Une fois le ventre bien rempli après avoir mangé un bon steak frites au restaurant de l’hôtel, il fallait que j'aille acheter de nouveaux vêtements pour le voyage afin de remplacer ceux que je portais actuellement car, ils étaient encore mouillés. Et je n’avais aucun change. Sans oublier que j’avais toujours besoin de nouvelles chaussures et d'un nouveau manteau.

Je me renseignai donc à l'accueil pour dénicher un centre commercial à proximité. La gérante de l'hôtel m’expliqua gentiment et précisément où me rendre mais me fit remarquer que nous étions dimanche, donc tout serait fermé aujourd’hui. Après toutes ces histoires, j’en avais perdu la notion du temps. Pour un étudiant comme moi, sans télévision, ma principale source d’information provenait des réseaux sociaux. Sauf que je n’y avais plus accès, ce qui me donnait l’impression d’être coupé du monde.

Le lendemain, si j’étais à présent résolu à partir, plus par nécessité qu’envie, je détestais ne rien organiser. L’improvisation ? Très peu pour moi. Je n’aimais pas me balader dans l’inconnu avec plein d’incertitude sur la route à suivre. Si je voyais les choses de manière optimiste, c’était que partir à la recherche des Elementaris me donnait un but. Du moins, un objectif plus attirant que d’aller en prison.

Après avoir fait des provisions dans un supermarché, je m’équipai aussi d’une lampe torche, d’un duvet et d’un sac de camping pour contenir le tout. Je ne savais pas combien de temps il me faudrait pour trouver les Elementaris. Quelques jours ou quelques semaines ? Voire plus encore ? Je n’en avais aucune idée et Astérion ne m’aidait en rien. J’essayais de me remonter le moral en m’assurant qu’en me téléportant aussi aisément, je les découvrirais rapidement. Pourtant, de nouveau, c’était plus facile à dire qu’à faire. Je devrais fouiller différentes zones précises et ensuite marcher pour me rapprocher d’eux.

Comme me rendre dans ces zones alors que je n’aurais pas accès à internet la plupart du temps, une fois là-bas ? Ce fut Astérion, encore une fois, qui trouva la solution. C’était en tombant sur une petite boutique de photos qu’il eut l’idée. On y trouvait des représentations magnifiques de différentes villes du monde donnant affreusement envie de les visiter.

Après avoir trié les villes les plus probables où je me rendrais, j’en achetai une des pyramides de Las Vegas, de l'Empire State Building à New York et certaines autres de Los Angeles, Chicago, Orlando et Phoenix. Malheureusement, il n’y avait que des photos des États-Unis et de pays Européens, aucun d’Amérique du sud comme le Brésil ou le Chili. Si ces photos avaient l’avantage de me permettre de me déplacer d’un point à un autre du pays, elles restaient approximatives. Il ne me restait plus qu’à prier pour que les Elementaris se trouvent non loin d'une des villes que j'avais citées plus tôt parce que s'ils étaient perdus au fin fond du Texas, je pouvais faire une croix dessus.

Est-ce que je me fiais beaucoup au hasard et à la chance ? Oui, même un peu trop à mon goût. Mais je n'avais pas d'autre option, je n’avais plus de téléphone et je ne pouvais pas me permettre d’en acheter un. D’abord pour ne pas prendre le risque d’être localisé, mais aussi parce que question argent, je commençais à être pauvre.

Après m’être procuré des vêtements chauds (ne me demandez pas combien de temps j'ai gardé mes sous-vêtements, je pourrais vous dégoûter) avec l'argent qu'il me restait, j’étais fin prêt. Je savais qu'il faisait bien plus froid aux États-Unis qu'en France, ou en tout cas sur la partie est. Une fois équipé, je devais avoir l'air d'un homme prêt à un Road Trip.

Je rentrai à nouveau à l’hôtel, employant ce qu’il me restait d’argent pour y rester encore une journée et partir le lendemain en fin de journée. Malgré les réticences d’Astérion qui souhaitait partir au plus tôt, il était hors de question que je tente de rallier New-York dès mon second essai ! Si mon premier essai avait été plutôt concluant, je voulais surtout m’entraîner encore pour parfaire cette capacité. Ainsi, le lendemain, je passai ma matinée à m’exercer à translater dans ma chambre d’hôtel.

Si les premières tentatives furent toutes aussi chaotiques les unes que les autres, au moins je n’avais pas parcouru des centaines de kilomètres contre mon gré. Bon, bien entendu, si l’image visualisée n’était pas imaginée nettement, la destination devenait approximative. Par quatre fois, je percutai le mur à ma gauche dès ma réapparition, formant une bosse plus que moche sur mon front. Par deux fois, j’étais apparu dans une autre chambre que la mienne. Si la première était vide, l’homme qui regardait sa télé lorsque j’étais apparu devant lui devait encore être en train d’hurler. Chaque fois j’avais réussi à revenir dans ma chambre, suivi d’une réprimande d’Astérion. Pourtant, après une vingtaine de « Aïe ! » et une dizaine de « Excusez-moi ! », je réussis à apparaître à l’endroit souhaité sans dommages collatéraux.

Il était temps, ma tête commençait à flotter comme si j’avais pris de la drogue ! Sur une aussi courte distance, une translation ne pouvait pas m’épuiser. Mais en la répétant encore et encore, elle pouvait vite devenir éreintante. Plus la distance était longue, plus c’était épuisant. Et si on la répétait plusieurs fois, cela la rendait encore plus exténuante. Une fois qu’Astérion et moi furent satisfaits de notre contrôle plutôt correct, bien qu’imparfait et encore débutant, nous décidions de partir. J’avais déjà craint d’être reconnu lors de ma sortie de la veille lorsque je vis que mon visage était diffusé sur les journaux télévisés de plusieurs chaînes. Pourtant, à mon grand soulagement, aucun groupe des forces de l’ordre ne débarqua dans ma chambre.

Après une sieste pour récupérer mes forces, je pris un bus en direction de la plage en fin de soirée. Une fois là-bas, je regardai la mer pour apaiser mon appréhension. Le vent fouettait mon visage et les vagues venaient s'écraser sur le sable. Il n'y avait personne à l’horizon. Bien sûr, qui serait assez fou pour se baigner en Bretagne en plein automne alors qu'il faisait un froid glacial ? Excepté les Russes ou les Norvégiens, je ne voyais personne d’autre.

Mon cœur commençait à s'affoler signe de mon anxiété.

Certaines personnes commencent à stresser la veille ou une semaine avant un concours ou un examen. Moi j'étais plutôt le style à stresser au moment où l'examinateur disait : « Vous avez une heure, bonne chance ! ». Ce qui était un peu tard pour paniquer et se rendre compte qu’on aurait dû réviser nos cours au lieu de jouer à la console.

Je pris une grande inspiration et expirai lentement afin de me calmer, créant ainsi un petit nuage de buée. Malheureusement cela ne me détendit pas pour autant. Je me forçai à être optimiste, à voir les choses dans leur ensemble et pourquoi tout irait bien. Je maitrisais la translatíon. Bon partiellement, mais c’était déjà mieux que rien. Une grimace se dessina sur mon visage lorsque la remarque que j’aurais dû m’entraîner encore un peu survint dans mon esprit. Mais entre ma peur d’être retrouvé et Astérion qui répétait à tout va que nous devions trouver les Elementaris, je n’étais pas resté plus longtemps. Et puis je n’avais plus d’argent pour me payer une autre nuit d’hôtel.

Le bon côté c’est qu’une fois arrivé sur le continent américain, je n’aurais normalement plus le souci d’être reconnu.

« Tu es prêt ? Pas le droit à l'erreur ! me dit Astérion, aussi tendu que moi. »

Si lui aussi était anxieux, on était vraiment mal. Mon cœur qui battait la chamade et mon souffle saccadé auraient dû lui suffire comme réponse. Sans oublier mes légers tremblements qui n’étaient pas uniquement dus au froid.

« Ce n’est pas si loin que ça les États-Unis ! répondis-je pour me rassurer.

— À peine cinq mille cinq cents kilomètres, ce n’est rien du tout !

— Ah oui c’est vrai… balbutiai-je à haute voix de moins en moins sûr de moi et respirant de plus en plus vite. Astérion je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…

Je reculai d’un pas devant la nouvelle épreuve qui s’annonçait à moi et qui risquait de m’être plus fatale que les autres. Je pouvais encore m’opposer à ce départ bien trop précipité à mon goût. Je venais à peine d’apprendre cette faculté que je devais l’employer pour traverser l’océan Atlantique en un claquement doigt. C’était bien connu, on ne faisait pas ça du jour au lendemain ! C’était un tout autre niveau que de bondir le haut d’un immeuble ! Même la télékinésie m’avait demandé plusieurs jours d’entraînement pour l’utiliser correctement ! Et c’était pourtant une capacité « basique » d’après l’Immortel !

« Ne te défile pas ! rétorqua Astérion. Tout va bien se passer ! je te rappelle que cette fois ce n’est pas uniquement toi qui agit, mais moi aussi ! Ma simple présence devrait jouer comme une bouée de secoure !

Tu peux m’assurer que tout se passera bien dans ce cas ?

Bien entendu ! »

Je me mordis la lèvre inférieure à la fin de phrase.

« Tu mens ! Je l’ai senti !

N’importe quoi !

Si ! J’en suis certain ! Tu penses que je vais mourir ! Il est hors de question que je fasse…

Tu veux que je sois honnête ? me coupa-t-il. Très bien ! Oui je pense qu’on est insensé de translater sur une telle distance pour ta seconde journée ! Mais il me suffit de voir les progrès que tu as réalisés jusqu’ici pour me dire que c’est faisable ! Tu arrives à translater Peter, il te suffit de te concentrer ! La situation t’échappe peut-être mais tu sais que rejoindre les Elementaris est notre meilleure chance !

— Mais pour ça il faudrait que j’arrive chez eux en un seul morceau !

— Ne crois pas que ta vie ne m’importe pas ! Si tu meurs, mon frère aura le champ libre pour se réincarner et dominer cette planète ! Ta mort me libérerait sous la même forme que je l’ai été des milliers d’années et me laisserait incapable de prendre le contrôle d’un autre corps avant des siècles ! Et ce n’est pas ce que je veux ! Alors ne recule pas devant ce qui te fait peur et sauve ce monde puisque tel a été ton choix ! »

Ces paroles franches eurent l’effet escompté. Je me ressaisis, ressentant cette détermination à accomplir l’impossible ressurgir du tréfonds de mon âme. Je ne reculerai pas !

« Visualise bien la photo de l'Empire State Building, ne pense à rien d'autre, compris ? reprit le dieu. Ne pense ni à un volcan, ni la lune et ni à l'Alaska, on est bien d'accord ? »

Nous avions décidé de translater à l'Empire State Building représenté sur une des photos que j'avais achetées. Elle représentait le lieu le plus adéquate pour apparaître de nulle part. Un endroit où il risquait d'y avoir du monde certes, mais où au moins je ne risquais normalement pas de mourir en arrivant. Et puis les New-Yorkais avaient l’habitude des trucs bizarres. De toute manière je n’avais pas d’autre choix, toutes mes photos représentaient des lieux populaires et fréquentés. Que se passerait-il si j'apparaissais à l'endroit même où quelqu'un se trouvait déjà ? Aucune idée, et j’espérais ne pas avoir à le découvrir.

Je renforçais de nouveau notre connexion, comme la veille, me préparant au grand départ. Tâchant de paraître plus rassurant, je m’exclamai :

« J’ai tout sous contrôle, ne t’en fait pas !

— Si seulement c’était vrai... »

S’il avait été plutôt apaisant quelques secondes auparavant, cette remarque ma piqua au vif. J'allais lui faire voir à ce dieu de pacotille que je savais faire les trucs bien de temps en temps ! Je fermai les yeux et écoutai le vent souffler autour de moi, frapper mes joues rougies et soulever mes cheveux. J'enfilai un bonnet et respirai doucement afin de me calmer. Je vous aurais bien demandé si on pouvait faire une crise cardiaque à vingt-deux ans mais grâce à Astérion et mon séjour à l'hôpital, je savais que c'était possible.

Je regardai une ultime fois la photographie avant de faire le vide dans mon esprit. L’image se dessina dans ma tête. J’imaginai l'Empire State Building et son imposante structure face à moi. Ses portes closes, les boutiques qui s’étalaient sur les côtés, la route dans mon dos et le sol ferme du trottoir sous mes pieds...

« Je suis prêt, pensai-je. »

Je sentais l'esprit d'Astérion uni au mien, comme une pression contre mes propres pensées. Être aussi proche mentalement me permettait de ressentir ses sentiments plus facilement. Je sentais son appréhension d'échouer à arrêter son frère se confondre avec ma propre inquiétude de mourir disparue dans l’oubli. C'était étrange, je ne savais pas trop si j'aimais ça ou non. C'était à la fois agréable de sentir qu'il était aussi stressé que moi, mais aussi peu rassurant car lui ne risquait pas de mourir. Si je disparaissais ainsi, personne ne saurait jamais ce qui était arrivé à Peter Leroy.

Alors, avant que je ne puisse faire machine arrière, le processus se mit en place. Je me mis à briller de plus en plus fort, tel un soleil miniature, avant de disparaître la seconde d'après englouti par la lumière.

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