Mathieu 2

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Maison de Mathieu, mon frère

9 juillet 2007, à l’aube, juste avant la Montagne de La Plaine (il faut que je raconte ça aussi)

C’était comme d’habitude. Sa femme m’a fait le café. Loin à l’extrémité de la Plaine, au pied de la Montagne, il était bien. Tranquille. Sa petite maison. Il avait bien fait de partir. La ville, c’était pas pour lui. On était jeunes, alors.

« Je peux pas venir avec toi… La sœur de Mathilde est morte. »

« Quelqu’un m’a dit. »

« Ha… »

Je lui ai dit que ce serait tôt.

« J’irai. Là-haut je saurai que c’est toi, si j’entends un coup de feu. »

J’avais demandé à dormir dans la grande salle de la cuisine. Avec le feu. L’odeur à eux.

« Pour la chasse, c’est mieux. »

Ça l’a fait rigoler.

« Si. » Que j’ai dit. « Votre fumée, elle monte des vallées de la Plaine, de partout. Alors eux, ont l’habitude. »

On avait un professeur de musique, elle nous faisait chanter. Avant de chanter, on se préparait la voix. « Ma mi mu me mo, comme c’est rigolo ! Une octave comprend huit notes séparées par un demi-ton. »

On montait les tons et les demi-tons, à genoux, comme un calvaire. « Allez, tous ensemble ! Il avait honte. J’avais honte.

« Ma mi mu me mo » C’était loin. Je pensais à l’odeur rouge du feu. « Ma mi mu me mo. »

Le sommeil coulait tel une source.

9 juillet 2007, sur la crête

Rien. Avec toutes ces corneilles qui jacassent, pas étonnant. J’étais arrivé au col. Y’a des jours comme ça. Il a dû se dire, en bas, « Rien… » Mais il faisait beau. Belle vue. Belle journée. Bon. « Tu devrais aller de l’autre côté, juste un peu. T’as une souille à sangliers dans le creux. » Il avait dit.

« Ben allons, j’irai. »

J’allais. La souille, elle était là dans le silence. « Plic, plic… » Juste un peu d’eau. Bon. « On s’en va. » Je me dis. Je descendais, pensant au temps, à la sœur de Mathilde qu’est morte.

Et puis, « Tshsh… » Là-haut. Bon, je vais y aller, pour voir. Mais je vais pas y aller direct. Je remonte par la crête. J’allais. En bas « Tshsh… ». On se suivait, moi en haut dans les hêtres, elle en bas, dans les bruyères.

« Ben ça, on se verra en haut. »

Mais non. Elle était maligne. C’était trop simple de rester dans le creux, il a fallu qu’elle prenne la pente. Elle était de l’autre côté, maintenant. Fallait arriver à suivre. Bon… Perdue, certainement. Ça oui, perdue. Courser, ça sert à rien, on dit. Sauf que peut-être, c’est elle. On peut pas savoir. Alors.

« Heureusement qu’y a personne pour voir. Courir après les petits cochons ! »

C’est peut-être pour ça que je chasse seul maintenant. Pour pouvoir être ridicule, courser la bête, sans avoir à expliquer. Expliquer. Je ne comprends pas, déjà. Alors, expliquer. Mais là, comme ça, je me sens vivant. Même chasser comme les autres, ça n’irait pas. Trop de mots, trop de rôles. Trop de logique. La viande. Oui. Il en faut, un peu. Mais courser, on ne s’arrête jamais. Jamais. C’est ça qui est bon. Je me fous de la viande. Enfin. Un peu. Pour dire qu’on chasse pour quelque chose. Du gibier, y’en a toujours. Comme si c’était le même qui revenait.

Bon. Il faut rentrer. Mais avant, j’irai sur la deuxième crête. Y’a le temps. Rien ne presse.

9 juillet 2007, Deuxième crête.

De là où j’étais, je l’ai vue. Sûr. Encore plus haut elle montait, droit, comme seule elle connait. Fallait voir. Elle s’est arrêtée sur la crête, dans la lumière du soleil, et puis, comme pas un autre ne l’aurait fait, elle s’est retournée. Droit dans les yeux elle me regardait. Dans la lumière, noire, et comme une auréole autour et puis ses yeux, comme si le ciel passait au travers. Elle me regardait. Elle s’en allait.

Je courais. Ça descendait raide en creux. De l’autre côté le soleil éclairait encore. Je courais dans le fond, avant de remonter. J’aurais pas du. Sur la crête en bordure des ombres qui avançaient, elle n’était plus.

9 juillet 2007, entre la première et la deuxième crête

Un bout de temps que je suis là, maintenant, à descendre ou à faire semblant. Ma cheville est partie en galoche. Une pierre a roulé. J’ai mal. Voilà. Un bout de temps que je suis là. Là-haut, la nuit monte maintenant des creux. Elle éteint les cimes, peu à peu, l’une après l’autre. Je regarde cette montée, cette épaisseur sombre, qui vient.

9 juin 2007, dans la nuit (2h du matin)

« Ma mi mu me mo. » C’est venu. La nuit est venue. Passée la première minute, ce n’est pas si terrible. Sauf le froid. Mais c’est une belle nuit, comme une pluie d’étoiles, qui lave le monde. Je suis content. Je l’ai vue. Là haut dans le ciel, elle labourait par le milieu, et il en sortait des millions d’étoiles. Le Sanglier Céleste, dans le grand silence, fécondait la nuit. Je suis content. Avant de monter, elle m’a regardé. Comme si elle disait, « Je vais là où tu ne peux pas aller. » Chacun son boulot. Avant moi elle était, et après. La bête. Je restais là. La nuit est pleine de choses.

C’est au matin que Mathieu est arrivé, avec son 4X4, pas affolé.

« Ben alors ? »

« Oui. » Que j’ai répondu. « C’est la cheville. »

« Tu fais trop ton malin, faut pas chasser seul. »

Une heure que j’entendais les oiseaux, puis j’ai entendu les chiens. D’abord un merle, puis deux, puis tous les oiseaux de la terre, puis les chiens. Ils ont aboyé, m’ont reniflé. L’un d’eux m’a léché le dos de la main.

« Ta femme s’est inquiétée. Je l’ai eue au téléphone. Je lui ai dit que je monterai ce matin. »

« Le froid, ça fouette le sang. J’ai passé une bonne nuit. »

« Tu ne devrais pas rire. »

« Non. »

Doucement, dans la vallée, on est descendus.

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