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La vielle femme vivait dans une maison au dessus de la mer comme accrochée au ciel. On ne vient que par là en cette solitude. Les derniers mètres, je les ai fait à pieds, laissant la voiture à l’ombre d’un petit bosquet de pins, là où la route s’arrête. Mais là-haut, la vue est une récompense. La mer est belle, toujours. Par les jours de beau temps, par les jours redoutables. Ce qu’il y a en plus par beau temps, c’est qu’elle fait du bien. J’étais sur la terrasse, elle est arrivée discrètement.

« C’est beau n’est-ce pas ? »

Elle avait des manières douces sous un châle coloré, patchwork de motifs floraux élisabéthains, de tissus de coton issus de kimonos ou de batiks indonésiens. Pierre sentit que ce châle, elle seule pouvait le porter, et que toute autre aurait paru ridicule, poseuse ou maniérée, déguisée comme le sont les mannequins de chair ou de cellulose, qu’importe. Qu’importait le vêtement, quand un visage souriait, et qu’un regard bienveillant et curieux l’animait.

Elle lui proposa un thé, revint avec un plateau chargé d’une théière, de biscuits et de chocolats. Elle fit le service sans un mot, le regarda, attendit qu’il trempe ses lèvres dans le thé brulant pour y goûter aussi.

« Savez-vous ? A bas de cette montagne sur un promontoire face à la mer, se trouve un ancien temple d’Hercule. Enfin, des ruines ou à peine des ruines, une trace de végétation plus sombre sur le sol, et le souvenir d’un temple. «

Elle reposa sa tasse. Prit un biscuit qu’elle brisa en deux, mis une moitié dans la tasse regardant avec satisfaction sa petite cuillère tourner au fond parmi les morceaux.

« Savez-vous ? Les choses passent et s’effacent mais les formes restent et passent l’épreuve du temps. On est tout étonnés de revoir surgir dans la matière des formes oubliées. C’est qu’elles n’ont pas disparu, elles sont toujours là, nécessaires dans le monde, quelque part, prêtes à s’incarner. Le monde est si fort et pesant, si lourd, si… là. Comme nous, comme vous. A croire que nous sommes en creux comme une empreinte. Que voulez-vous savoir ? »

« Je ne sais pas ».

« Vous seriez étonné, mais combien viennent de loin pour me voir, tout occupés qu’ils sont, et puis s’assoient ici comme vous et me disent : je ne sais pas ? S’ils savaient, ils ne seraient pas là, voilà la vérité. Ils ont une question toute faite, mais ils l’oublient. Ils s’assoient, boivent du thé, et oublient. Ceux qui me posent une question précise sont très embêtants. Ceux-là se mentent, à eux-mêmes et aux autres, aussi.»

« La vraie question de ceux qui viennent ici, c’est l’homme et la femme, c’est le père ou la mère, parfois les deux, et le cortège des dominations, des faiblesses qui les accompagnent depuis l’enfance, depuis avant l’enfantement, depuis le début des générations successives du monde.

Vous croyez avoir un père, mais vous êtes le père. »

Dans la nuit, un clown me poursuivait. Je me suis ressaisi, juste à temps pour éviter la sortie de route.

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