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Valérie mon amour. Pourquoi je pense à elle ?

Les girolles, en ramasser un bon panier, enlever la terre et les feuilles avec un couteau, puis les couper en deux et préparer une bonne fricassée, arrosée de vin jaune du Jura. Voilà ce que je vais faire.

Grand-père le faisait, j’allais avec lui, un bonheur l’enfance à la campagne et dans les bois, une chose simple avec des gens que l’on aime.

Pourquoi penser aux girolles ? Ha, oui, j’ai perdu. Cela fait un moment que je ne suis plus allé ramasser les girolles. Etre seul, un peu. Etre simple. Et puis après Tchernobyl c’était un peu difficile, comment tuer le bonheur je vous jure. Je m’en fous. La radioactivité a baissé, paraît-il. Bon. C’est marrant de manger des girolles. Elle a gagné, est choisie, elle a le cancer, tout le monde le sait mais elle cache sa maladie. Les girolles ? Non, quoique. Cancer du sein. La pilule ? A chacun sa pilule amère. Je ne voudrais pas la sienne. Gardons espoir. Je veux dire, pour elle, garder l’espoir. Je ne suis pas vache.

La voiture qu’on entendait monter s’est garée devant la ferme.

« Alors Demange, tu gardes la forme ? » Marchal descendait de la bagnole.

« Oui » « Ça va » « Je vais aller chercher des girolles »

« Ha… T’as raison, Tchernobyl, on s’en fout. Allez, je viens aussi. »

Nous étions. Chacun heureux sur notre ligne, nous croisant de temps en temps pour échanger un mot, comparer nos impressions. Je suivais la mienne, depuis un moment, un peu à droite ou un peu à gauche, sans plus voir Marchal. Chercher les champignons, c’est une chose étrange qui s’apprend tout petit, à courir après son père dans les bois. J’ai remarqué, si on ne l’apprend pas à l’âge convenable, on ne l’apprend plus. Comme le violon peut-être. Il y a tout d’abord les indices comme un bout de couleur ou la déformation des feuilles soulevées ou bombées. Les champignons aiment se cacher. Mais il y a, surtout, les coins à champignons, et puis, les moments. En théorie, ce n’est pas compliqué, c’est une question de flotte et de température. Chaleur et humidité, juste comme il faut, sur une durée convenable. Mais ensuite, ça se complique, sur le terrain ça bouge beaucoup. Certains coteaux exposés au vent et au soleil ne donnent jamais rien, de même que les fond de ruisseau froids et détrempés. L’idéal, c’est un endroit qui verra le soleil se lever doucement le matin sur les feuilles mortes après la rosée de la nuit, qui va réchauffer peu à peu sans que la chaleur et la rosée soient éventées par un vent puissant. L’idéal, donc est rare. Enfin, plutôt des zones précises, souvent des triangles ou des lignes suivant la progression du soleil à flanc de coteau. Comme pour la chasse, c’est l’oeil qui compte. Alors, on suivait chacun notre ligne, évitant le trop sec et le trop froid, longeant les coteaux en oblique montant sur la ligne de levée du soleil le matin entre ombre et lumière. Par plaisir, j’allais doucement, suivant la lumière repoussant l’ombre, et je remontais vers la crête. Là-haut, massif et se découpant sur le ciel, Marchal m’attend. Je grimpe lentement sous lui. C’est long, plusieurs minutes, avec Marchal au dessus. Sa présence physique mais aussi son pouvoir, peut-être. En haut, je retrouve Marchal, chapeau sur la tête et bon panier rempli à ses pieds. Il ne me regarde pas. Il regarde La Plaine et sourit béat et saint lorsqu’il se retourne pour me saluer changeant de sourire et d’œil comme la bête reprenant ses droits.

« Tu sais, j’ai connu ça aussi. C’est bien que t’aies perdu. T’aurais eu la tête un peu enflée. Tu vas réfléchir. T'as fait des erreurs. Je venais te dire que j’étais toujours avec toi. Tu as vu comme tout le monde t’a lâché ? Ben voilà, tu sais presque tout de la politique ! Et je viens t’en dire l’autre petit bout, mon grand, l’autre petit bout. Je suis là et je t’aime. C’est ça le vrai secret. Tu ne feras jamais rien seul. Réfléchis à ça. »

Plus tard, à table.

« Bien bonnes tes girolles »

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