6. La fille aux cheveux d'eau

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Une jeune femme aux cheveux verts d'eau.

Le schéma s'imposa dans ma tête. J'avais réussi.

Les deux hommes que j'avais rencontré étaient surement des rebelles, où du moins, étaient en lien avec eux.

Et c'était l'une de leurs chefs qui était venue m'accueillir. Je ne pouvais espérer mieux.

Quoique c'était assez logique, une princesse qui se présente à la porte des ennemis de son royaume… C'était aux dirigeants de régler cela. En interne.

  • Alors Princesse, on revient du pays des rêves ?

Je la regardais dans les yeux, concentrant mon regard sur son visage.

Elle avait la même peau mate, les mêmes yeux d'ambre caractéristiques de son clan, mais ses cheveux autrefois noirs de jais étaient teints de la couleur limpide d'un cours d'eau, pas des plus discrètes cependant.

June O'Brien. Elle avait bien changé depuis la dernière fois que je l'avais vue.

Les traits de son visage étaient plus anguleux, ses yeux, plus fougueux et une longue cicatrice lui barrait le cou et la clavicule.

Elle portait des vêtements simples : un hauts brun, un pantalon de toile noir et des bottes militaires, volées sans doutes.

Les bras croisés, adossée nonchalamment sur sa chaise, insolente dans la manière d'agir. Elle connaissait par cœur le protocole et s'acharnait à le contourner.

" Parce que tu es sur son territoire", murmura la voix en moi. "Parce qu'elle à un avantage sur toi".

Le protocole ne s'applique pas ici. Pourtant son visage inexpressif, froid et calme me rappelait son père, Lars O'Brien. Elle me prenait de haut, sans me sous-estimer.

Elle cherchait à évaluer la menace que je représentais.

June était un soldat, comme son frère. Formée à obéir aux ordres, puis à en donner. Formée à évaluer chaque allié, chaque ennemi, chaque profil ayant la moindre chance de la trahir.

Je rentrait dans cette case, et elle le savait.

  • Tu es la sœur de Jacob, n'est-ce pas ?

Ma demande fit mouche. Elle ne tiqua qu'une seconde, mais j'eus le temps d'apercevoir la colère couvant dans ses pupilles d'ambres.

  • Sérieusement, soupira-t-elle avec ennui. Alors même après tout ce temps, après tout ce que j'ai entrepris, j'en suis toujours réduite à être la sœur jumelle du grand Jacob O'Brien ?

Je haussais les sourcils devant son exaspération.

  • Ne me compare pas à mon abruti de frère petite princesse, je ne suis pas lui. Je ne suis pas la jeune fille parfaite que tous attendaient que je sois. Et je suis encore moins une idiote qui ne se plie qu'aux ordres comme cet idiot de Jacob.

Elle cracha mon titre et le nom de son frère comme un venin. Nous la dégoûtions. Je pouvais le ressentir. Moi ce qui me dégoûtait, c'était sa trahison, le déshonneur qu'elle avait jeté sur son Clan tout entier et par extension sur la Couronne.

Une fille noble qui s'allie avec des criminels. Elle ne méritait que le gibet du Coliseum.

Elle se leva, avança lentement et silencieusement comme un chat devant une souris, et en posant les mains sur les accoudoirs de ma chaise, s'approcha de mon visage.

  • Maintenant dis moi pourquoi tu es ici bien gentiment, ou je t'arrache ce petit renseignement de force, ma belle.

Son ton était sans équivoque. Menaçant. Violent. Et tellement calme, presque chantant.

Je comprenait désormais ce qui faisait la réputation des O'Brien. Ils étaient terrifiants.

  • J'ai quitté le palais, expliquais-je en tentant de masquer le tremblement dans ma voix. Je… je ne pouvais plus rester. Il y a trop de mensonges, trop de secrets enfouis. Et la tyrannie de mon père ne peut plus continuer. Il… Je veux lui reprendre le trône, parce que je veux sauver mon peuple.

  • Hum.

Elle me détailla, un masque impassible sur le visage. Une chose était sure, ses années de vie à la Cour lui avaient été bénéfiques. Elle maîtrisais l'art du mensonge et de la dissimulation aussi bien que moi.

  • Et comment t'es-tu enfuie ? Le domaine royal couvre plusieurs hectares, des centaines de gardes en poste, sans parler de traverser la capitale. T'enfuir au petit matin, après ton bal d'anniversaire, alors que tu n'as quasiment aucune expérience de la vie en dehors du palais. Tu ne sais pas te fondre dans le décors. Alors comment es-tu sortie de cette abomination argentée et comment as-tu survécu sept jours en forêt, pour comme par hasard, débarquer dans ma ville ?

Je déglutis. Je lui racontais le mensonge tissé par mon père : j'avais soudoyé deux gardes qui m'avaient conduite hors des murs d'enceinte grâce à une faille dans le système de surveillance et fait traversé la capitale dans un véhicule volé en ville.

  • Ces deux gardes-ci ?

Elle me montra une affiche. Les photos de deux gardes, que je n'avais jamais vus, étaient placardées sous un titre cinglant : "Deux gardes, soupçonnés d'avoir poussé la Princesse à l'évasion, pendus".

Sur les images, les deux hommes avaient l'air hagards, désemparés, terrifiés. Menottés, la photographie de mauvaise qualité les dépeignait réellement comme des criminels. On aurait pu s'y croire.

Mais moi je connaissais la vérité. Deux jeunes hommes innocents avaient payé de leur vie les manigances des Clans. Et ils ne seraient pas les dernière victimes collatérales de nos agissements. Ils les ont exécutés. Ils les ont tués alors qu'ils savaient parfaitement qu'ils étaient innocents. Ils ne leur ont même pas laissé une chance…

Je répondis "oui" dans un souffle.

Ils les avaient tués. Je ne savais pas qu'ils en viendraient à ces extrémités.

  • Pourquoi veux t'es tu enfuie, Aurora De Ciaran, répéta June.

  • Pour mettre fin à de tels agissements. Pour réduire le Coliseum en cendre et sauver les Suppliciés qui ont simplement volé une pomme pour manger. Pour que des gardes ne soient plus exécutés à cause de suspicions…

Une part de moi disait la vérité dans cette belle tirade. Bien que j'avais conscience que l'ordre devait être maintenu, certaines mesures prises par le Roi et les Clans me révulsaient au plus haut point.

  • Je veux mettre un terme au règne de mon père, repris-je, avec un ton légèrement mélodramatique. Je ne cherchais pas à vous trouver vous, ni quiconque d'autre, d'ailleurs. Mais je ne peux démarrer une révolution seule, et encore moins gagner contre le Roi.

J'inspirais.

  • Je sais parfaitement que tu ne me fais pas confiance, June O'Brien, mais j'aurais besoin de toute l'aide possible. Notre rencontre est inopinée. Je me mets en danger pour…

  • Pour un peuple dont tu ignores tout, coupa la jeune femme. Tu ignores les souffrances de ces pauvres gens, tu ignores ce que ton père et son gouvernement pourri et corrompu jusqu’à la moelle leurs font subir. Tu ignores le poids qu'ils portent sur leurs épaules, la faim qui leur noue le ventre et vous qui les réduisez au silence !

  • Je l'ignorais parce que l'on me tenait dans l'ignorance. Jamais l'on ne m'a montré cela ! On nous à élevés à penser que notre peuple était heureux de nous aduler et de nous craindre !

Je comprenais désormais pourquoi le visage de ces gens étaient si fermés. Pourquoi leur regard était éteint et leurs mouvements si las.

Pourtant une part de moi s'obstinait à penser que June exagérait. Une part de moi se demandait pourquoi le peuple ne faisait rien pour changer sa situation si ils étaient si malheureux.

  • Et comment as-tu découvert cela, princesse ?

Son ton froid et cassant me réduit au silence. Dans sa bouche, mon titre était une insulte. J'étais révoltée par son attitude, bafouant ma personne et mon rang.

  • J'ai volé des documents dans le bureau de mon père. Des relevés fiscaux transmis par le Clan Wrexhall, les conditions de travail des mineurs du Clan de Seira Kyuko, les rapports juridiques du Clan Mebel et les dossiers des services de renseignements des Montgomery… Je peux te parler des rapports de santé publique transmis par le Clan Yggrad ou les archives du Clan Gracehall, ou biens veux tu que je te parle des frasques commises par les soldats de ton père ?

June cilla.

  • L'on ne m'a jamais rien dit, alors j'ai dû chercher par moi-même.

  • Pourtant au Palais tout semblait aller pour le mieux non, questionna-t-elle. Tu avais été nommée Héritière. Tu aurais pu attendre ton heure afin de faire changer les choses. Tu aurais pu assassiner le Roi, et prendre son trône, sans nous embarquer dans ta petite crise existentielle.

Je ne trouvais rien à dire.

  • Vois-tu, Aurora, il y a mille et un éléments qui me poussent à ne pas te faire confiance, allant de la couleur de tes cheveux, à la logique bancale de ton récit, ou bien à cause du poignard que mon frère t'as offert…

Je cillais…

  • Comment…

  • C'est mon frère enfin, dit-elle en riant. Je connais toutes ses combines. T'as t-il offert ce collier de saphirs également ? A l'expression sur ton visage, je suppose que oui.

Elle rit de plus belle.

  • Jacob sérieusement ? Tu n'as pas trouvé mieux ? Quoique le choix parmi ces nobles est quelque peu limité, je ne te le fais pas dire, cependant, comment veux tu que je fasse confiance à une jeune idiote incapable de voir au dela des faux semblants de mon crétin de frère ? Père avait prévu ce bijoux depuis longtemps, parce qu'il savait qu'une alliance entre ces deux maisons lui permettrait un statut privilégié. Certes ce poignard sort de l'ordinaire, il n'empêche que je ne remettrait jamais les vie des gens que je protège entre tes mains. Parce que c'est des gens comme toi que je les protèges.

Je ricanais.

  • Tu crois que je ne sais pas distinguer un faux sourire et des courbettes de politesse ? Tu crois sincèrement que je ne sais pas que Jacob ne vaux pas mieux que les autres ? Nous avons toutes les deux grandis dans cet univers de faux et d'hypocrisie, je te le rappelle ! Cependant contrairement à toi, personne ne rêve de te voir ployer afin de s'emparer de la couronne sur ta tête. Je suis loin d'être une jeune fille enamourée sans cervelle, June. Et les gens que tu dis protéger sont mon peuple, alors cette tâche me revient.

Son visage se ferma. Ses traits se durcirent. Elle ferma les yeux une seconde avant de me tourner le dos.

  • On en a fini pour le moment.

Et elle me laissa seule, en m'enfermant dans le noir.

Je ne sais combien de temps je restais dans cette pièce humide, fixant l'obscurité, les poignets endoloris. Je ne sais depuis combien de temps j'étais assise sur cette chaise quand ces deux hommes entrèrent, le visage dissimulé sous des foulards noirs et me mirent un sac sur la tête, avant de m'entrainer à l'extérieur. Je ne savais où ils m'emmenaient.

Ce que je savais c'est que quand ils retirèrent le sac et les liens à mes poignets, j'étais dans une cellule. Éclairée par une lumière faiblarde, elle ne possédait qu'une planche de bois accrochée au mur par deux épaisses chaines et recouverte de paille. On m'abandonna ici. Je ne voyais pas grand-chose de l'extérieur : un couloir desservant d'autres cellules vides, aux barreaux de métal rouillé comme les miens, des murs de brique jaunie… Je ne savais de quel coté j'étais arrivée ni où finissaient ces couloirs.

J'étais de nouveau seule.

Je n'avais aucune arme, ils m'avaient fouillée. Mon sac m'avait été retiré, sûrement vidé et passé au crible par la fille aux cheveux d'eau. J'espérais qu'elle tombe sur mon journal, où j'avais pris soin de noter des envies de révolution et daté de plusieurs mois avant. Selon mon journal ma fuite était prévue plus tard, mais mon plan avait dû se déclencher plus tôt par risque d'être compromis.

Je connaissais par cœur cette histoire, cette nouvelle identité que je m'étais inventée, et que j'avais présentée à June. Je devenais cette fille aux idéaux divergents de ceux de son père, cherchant à former une révolution dans l'espoir de prendre la place au Roi. Mais June avait raison. Pourquoi cette princesse hypothétique n'avait pas assassiné le Roi dans son sommeil. La réponse la plus probable : j'aurais été découverte, et ma sœur aurait repris le trône après m'avoir mise au Supplice.

Pourquoi entamerait-elle une révolution ? Parce que voir le Roi tomber sous la pression populaire était bien plus merveilleux que de lui prendre son pouvoir sans qu'il s'en rende compte.

Mon père était un homme intelligent. Intelligent, puissant et cruel.

Il était craint par son peuple, par ses chers Ministres les Chefs de Clans, et par sa famille.

Je n'avais jamais été proche de lui, où de ma mère. Nous n'apparaissions comme une famille unie et aimante que lors des apparitions publiques, des discours officiels et des sorties dans la Capitale.

Mon père peut déjouer une rébellion. Et c'était exactement ce qu'il était en train de faire. Il sauvait notre peuple de l'oppression de ces rebelles. Il leurs rendrait ce qu'ils leurs avaient volé.

Grâce à moi. Je connaitrais mon heure de gloire.

Je serais la sauveuse de mon peuple.

Et je n'avais pas le droit d'échouer.

Mon personnage était parfait. Et le piège se refermerait lentement, étouffant ces dissidences avant de les réduire à un vague souvenir, emporté dans le vent.

Et les regards de braise de la fille aux cheveux d'eau ne me glaceraient plus le sang.

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