Rudeus

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En colère est un euphémisme : Altea bout littéralement de rage. Je peux la comprendre, le plan des deux princes n’est pas sans danger. Elle dégage une aura meurtrière et cette aura est clairement tournée vers moi, en dépit des supplications d’Aoi. Lorsque nous nous posons, Altea fonce vers moi et tente de me gifler. Surprise, je parviens tout de même à stopper son geste tout en empêchant un Evaïs colérique de s’approcher. Je serre son poignet fin dans ma main et plonge mon regard dans le sien. Ses yeux me lancent des éclairs puis s’adoucissent et en un instant la tension autour de nous baisse. Sa main, si véhémente l’instant d’avant, est molle dans la mienne. Elle approche doucement son autre main de mon visage, j’ai un réflexe de recul mais son doux sourire me rassure.

Elle la pose sur ma joue et ferme ses yeux, j’en fais de même. Une étrange communion s’établit entre elle et moi : j’ai l’impression qu’elle est entrée dans ma tête et fouille les moindres recoins de mon âme, les moindres recoins de mon cœur. Elle a sursaut de recul et retire sa main mais la remet en place aussitôt. Altea me plonge dans un doux souvenir de mon enfance avec ma mère, lorsqu’elle m’allongeait sur ses genoux lorsque j’avais fait un quelconque cauchemar et qu’elle jouait dans mes boucles, téléscopant ce souvenir avec celui d’Aoi me réconfortant après l’incendie chez Roc. Je me revois bébé dans… dans les bras de mon père… Je peux enfin mettre un visage sur cette personne que j’ai tant chérie… et qui m’a tant manquée… C’est vrai ce que disait Abigaëlle : je lui ressemble étrangement... Ce souvenir s’estompe trop rapidement à mon goût.

Des larmes coulent le long de mes joues et il en est de même pour Altea. Sans crier gare, elle m’attire à elle et me prend dans ses bras : c’est comme si je retrouvais le cocon doux de l’étreinte de ma mère. Je me laisse aller dans ses bras, sous les yeux attendris d’Aoi et ébahis d’Evaïs. Elle me berce doucement en chantonnant ma berceuse d’une voix mélodieuse mais dans une langue que je ne connais pas. Je me laisse glisser sur le sol, Altea ne rompt pas notre étreinte et ma tête posée sur sa poitrine, elle caresse mes cheveux, attendant que je me calme.

- Nous venons d’assister au don de prescience d’Altea : rares sont les personnes avec qui elle peut le faire. Il faut qu’il y ait une connexion indéfectible entre elles pour que cela puisse fonctionner, murmure Aoi.

- Que s’est-il passé ? questionne Evaïs.

- Elle est tout simplement entrée en contact avec l’âme d’Alyana… Elle sait tout d’elle à présent : son passé, ses sentiments… Absolument tout…

- Cette enfant a tellement souffert… Aoi, Evaïs, ses sentiments envers vous sont d’une telle pureté… Il serait totalement indécent de les détruire…

Même à travers la brume de mes larmes, je perçois la menace directement envoyée à mon prince Titan et souris. Je m’écarte d’elle, un peu confuse de la tournure qu’ont pris les évènements et essuie mes joues.

- C’est ce que dirait une mère pour son enfant, murmurais-je avant d’avoir un hoquet de tristesse.

- Chut, ma belle, ne pleure plus, me dit Altea en cueillant ma larme du bout de ses doigts fins. Si je me souviens bien, nous sommes ici pour discuter du fameux plans de ces deux idiots non ?

J’éclate de rire devant la tête des deux princes. Oui, effectivement, ils sont idiots, mais ce sont des idiots que nous aimons. J’ai l’impression de m'être faite une alliée de choix. Plus que cela : une amie précieuse. Je ne m’explique pas le lien qui s’est tissé entre elle et moi mais il est indéfectible. Comme celui d’Aoi. Comme celui de… Un nom cherche à percer le brouillard de ma mémoire sans y parvenir. Je le laisse de côté. Nous tendons la main vers nos hommes qui se rapprochent et nous aident à nous relever.

Une corne de brume résonne puissamment autour de nous. Evaïs fronce les sourcils et je sens Aoi se tendre légèrement.

- Le général Rudeus…, murmure-t-il d’une voix blanche. Mon sort est entre les mains du général Rudeus…

- Que se passe-t-il Aoi ? lui demandais-je. Tu as l’air terrifié !

- Rudeus est un fervent patriote et quelqu’un de très à cheval sur les protocoles, intervient Altea.

- C’est pour ça que je suis sûr que mère ne lui a pas parlé de notre petit arrangement : il risque de se montrer… véhément envers moi… Pour lui, je ne suis qu’un prince renégat.

Il baisse les yeux : mon petit garçon perdu est de retour. Conjointement, Altea et moi lui prenons la main.

- Nous ne serons jamais loin, le rassurais-je.

- Rudeus a dû déjà voir mon armée suspendue dans les airs : je me porte garante de ta sécurité. Prince Evaïs nous allons le présenter comme prisonnier commun : Rudeus, général ou pas, ne peut passer outre mon statut. Aoi, de quel arrangement parlais-tu ?

Il me regarde et je comprends qu’il ne lui a pas tout dit. Nous parlons d’une même voix.

- Angeline Aqualya.

Altea ouvre grand ses beaux yeux de surprise. Elle s’incline devant l'œuf, signe d’un profond respect.

- Relevez-vous, princesse elfe. Ainsi donc voici la fameuse Altea, celle qui fait battre le cœur de mon frère. Nous n’avons guère de temps. Je suis prête à éclore, ce qui signifie que mère vit ses derniers instants. Maman Lyana, prince Evaïs serons-nous à temps au palais ?

- Je l’espère Angeline.

- J’ai une totale confiance en vous. L’avenir de Noctalya est entre vos mains.

- Ainsi, vous êtes aussi au courant de la bévue de mon peuple...

Altea nous dévisage tour à tour, une expression indéchiffrable figée dans ses pupilles. Nous hochons tous la tête. L’urgence de la situation nous rattrape lorsque la corne de brume résonne à nouveau, nous faisant sursauter. Reprenant la maîtrise d’elle-même, elle s’approche d’Aoi, lui glisse quelques mots à l’oreille qui lui font monter le feu aux joues. Il lui tend les mains et lève vers elle un regard plein de tendresse et d’admiration. Elle lui saisit les poignets, prononce une phrase chantante aux accents de voyelles et une chaîne orangée aux reflets bleus se matérialise, reliant cinq anneaux : un dans le cou, deux aux poignets et deux aux chevilles. Aoi ploie sous le poids des fers. Mon cœur se serre et Altea a les yeux pleins de larmes. Elle embrasse son prince avec passion. Lorsqu’elle relève la tête, c’est une princesse guerrière qui nous fait face. Elle s’approche de moi.

- Une dernière chose, Alyana… (Je hoche la tête, surprise). Tu as passé un pacte avec Aoi n’est-ce pas? (J'acquiesce). Bien. Nous allons en faire un nous aussi.

- Je…

- Je t’en supplie, c’est le seul moyen que je connaisse afin de rester en contact avec lui.

- Altea, tu sais que cela peut être dangereux pour elle… souffle Evaïs. Alyana ne pourra maintenir autant de pouvoirs en elle…

- Crois-moi Evaïs cette petite est beaucoup plus forte qu’elle en a l’air… Je briderai mes pouvoirs, elle n’en recevra qu’un tiers. Alyana ?

- Très bien.

Evaïs resserre son étreinte sur mes épaules. Je le regarde et tente de le rassurer d’un sourire. Altea se positionne devant moi : elle est si menue… Elle me prend dans ses bras et effleure mes lèvres des siennes. Son corps et le mien ne font plus qu’un et je sens comme un souffle glacial parcourir mes veines. Je suis emportée dans un tourbillon, je me sens tellement légère, alors que mes pieds n’ont pas décollé du sol. J’ai fermé les yeux malgré moi et lorsque je les ouvre, je suis différente. C’est comme si je percevais le monde d’une autre façon sans pouvoir expliquer pourquoi. Altea se matérialise devant moi, l’air soucieux.

- Alyana… je…

A nouveau, le son de la corne de brume retentit. Cody, Korn ainsi que deux elfes se hâtent vers nous.

- Le général Rudeus a exigé de voir le prisonnier, nous apprend Korn.

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