Réveil

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- La nouvelle lune a lieu dans trois jours… Avec Alyana dans cet état, il va être difficile d’atteindre Nymphea à temps.

- De quel état parle-t-on ? fis-je en ouvrant péniblement les yeux.

La lumière m’éblouit. Aoi et Evaïs se précipitent à mon chevet. Je perçois alors les bruits, trop nombreux, de calèches, de galop de dragnirs… Je sens aussi les mouvements des roues... Enfin, je respire l’air aux embruns de menthe, d’épices, de fourrure. Je constate que je suis allongée sur Galadryelle : elle presse sa tête contre moi et me mordille le bras. Mon sang tambourine dans ma tête et mon corps entier n’est que douleur.

- Whaou… J’ouvre à peine les yeux et deux hommes splendides se jettent à mes pieds… Je ne mesure pas ma chance…

Aoi prend ma main dans la sienne et je vois ses yeux se remplir de larmes qui débordent sur son visage fatigué. Il pose sa tête au creux de son coude, s’affale sur mon ventre et se met à pleurer violemment : sa détresse m’émeut et je ne peux retenir un hoquet. Il redevient alors ce petit garçon perdu, ce petit prince blessé au plus profond de son cœur. L’Aoi combattant a alors totalement disparu.

- Chut mon petit prince, murmurai-je en lui caressant les cheveux, chut… Tout va bien… je suis là...

- Alyana… Alyana…, répète-t-il en boucle, entre deux reniflements.

- Bonjour, belle endormie, me dit Evaïs en me posant un baiser sur le front. Comment te sens-tu ?

- Faible… faible et affamée…

Je pose une main sur son visage et constate que lui aussi a pleuré… Ses yeux sont rouges et gonflés. Il la prend dans la sienne et y dépose un baiser. Lorsqu’il effleure mon poignet, un visage fugace traverse mon esprit en y laissant une traînée de douleur. Je grimace. Evaïs fronce les sourcils et je lui souris pour le rassurer. Il hoche la tête puis s’éloigne pour demander à ce qu’on m’apporte quelque chose à manger et pour que je puisse me consacrer à Aoi, une légère pointe de jalousie dans les yeux. Je relève la tête de mon petit prince et essuie ses larmes.

- J’ai bien cru que j’allais te perdre… Tout ce sang que tu as versé pour nous soigner !

- Je… Je ne me souviens plus de grand-chose, seulement de la douleur que j’ai eu en vous croyant morts…

Je revoie les images des trois corps maintenus par le Kaern et sens une larme couler le long de ma joue : que serai-je devenue sans Aoi, Evaïs et Galadryelle ? Cette dernière, percevant ma détresse, lèche mon visage. Je lui caresse entre les yeux et elle se met à ronronner. Aoi m’apprend qu’elle a refusé de repartir et empêchait quiconque autre qu’Evaïs et lui-même de s’approcher de moi. Je la remercie.

Une délicieuse odeur de viande rôtie, de pâtisseries et de thé à la menthe parvient à mes narines. Galadryelle pose sa tête à mes pieds et s’enroule autour de moi d’un geste protecteur.

Aoi s’approche et m’aide à m’asseoir. Je peux à peine bouger tellement mes membres sont engourdis. Evaïs approche une bouchée de viande de mes lèvres et je la croque à pleine dent ce qui le fait rire. Je n’ai pas d’autre choix que de le laisser me nourrir : je suis beaucoup trop faible pour effectuer un quelconque geste. Une fois mon repas avalé, je me sens ragaillardie bien que mon corps soit encore lourd.

J’essaie de me rappeler de ce qui s’est passé. En vain. Mon dernier souvenir est l’image atroce d’Evaïs embroché par la bête… Intérieurement, je me reproche ma faiblesse… Aoi lisse la petite ride qui s’est formée entre mes yeux et me sourit. Ses traits sont tirés et ses écailles ont perdu leur magnifique couleur argentée pour un gris plus terne.

- Je vais bien Alyana, ne t’en fais pas, me dit-il, semblant lire dans mes pensées. Après tout le sang que tu as versé pour nous, je n’ai absolument pas le droit de me plaindre !

- Aoi ! Si je n’avais pas été aussi faible vous n’auriez pas été dans cet état-là !

- Faible ? Alors que tu as triomphé là où quatre princes et une reine ont échoué ?

- Que veux-tu dire ?

- Alyana ! C’est toi qui a vaincu le Kaern !

- Je te demande pardon ?!

Les deux princes éclatent de rire devant mon air ahuri. Heureusement pour eux que mon corps soit engourdi ! Je ne comprend pas… J’ai vaincu le Kaern ? A moi seule ? Impossible : j’ai à peine été capable de lui lancer un sort de feu lorsqu’il s’attaquait à Evaïs ! Comment aurais-je pu l’abattre ? Aoi prend la parole pour me raconter ce dont il se souvient.

- Lorsque je me suis réveillé, j’étais allongé sur une toile grossière près de Galadryelle. Je la regardais et elle émit un petit son. Je poussais un soupir de soulagement, elle était vivante. Mon premier souvenir a été la douleur que j’avais ressentie lorsque le Kaern m’avait pris dans sa gueule. J’ai bien cru mourir. J’entendais Evaïs donner des ordres d’une voix stone : soigner les blessés, donner une sépulture décente aux personnes décédées durant le combat... Mon corps me faisait mal mais c’était supportable. Lila s’est agenouillée près de moi avec une gourde d’eau puis m’a demandé comment je me sentais. J’avalais l’eau à grosses goulées avant de demander de tes nouvelles. Je voulais absolument savoir ce qui t’était arrivé ! Je percevais à peine ton énergie... Lila prit un air triste et me désigna un endroit un peu plus loin… Tu étais allongée sur la cape d’Evaïs, pâle comme la mort… Mon coeur a raté un bond à ce moment-là...

Les yeux remplis de larmes, il poursuit son récit. Un filet de sang voletait jusqu’à lui afin de cicatriser chacune de ses blessures, même les plus minimes et par le fait m’affaiblissant de plus en plus. Aoi prit mes poignets et souffla dessus afin de fermer les coupures de sa glace. Autour de moi une fine aura rouge persistait. La psychique présente à mes côtés lui apprit que celle-ci flottait autour de moi depuis l’arrêt du combat et que personne, hormis Evaïs et lui-même, n’avait réussi à me toucher. Elle avait assisté au combat et en était toute retournée. Il enleva la branche de ma jambe qui se referma aussitôt : l’aura rouge semblait aussi guérir mes blessures et me maintenait en vie. Mon corps était presque exsangue. Il voulut me rendre la pareille et se coupa afin de m’offrir son propre sang. Rien ne se passa. Il ne pouvait pas non plus revenir dans mon esprit. Il semblerait que l’aura rouge l’en empêchait. Il s’est donc allongé près de moi et Galadryelle nous a rejoint dès qu’elle a pu se lever.

Il ne restait du Kaern qu’un immense squelette informe dont s’échappait une immense fumée blanche, semblable à de la buée, comme s’il s’évaporait. Le paysage autour de nous n’était que désolation. Evaïs avait fait monté un camp de fortune afin de pouvoir passer la nuit à l’aide des élémentaliens présents. Lorsqu’il a fallu me déplacer, Galadryelle s’est montrée très protectrice envers moi : seul Evaïs a eu le droit de s’approcher pour me prendre dans ses bras et me mettre à l’abri. Elle s’est de suite allongée sous la tente afin de me servir de matelas.

Evaïs pris la suite.

- La dernière chose du combat dont je me souvienne a été la douleur ressentie lorsque l’épine m’a traversé le corps. J’ai bien cru ma dernière heure venue. Je t’ai entendu hurler avant de sombrer. Lorsque tu m’as… (je le vois détourner la tête, un peu gêné…) embrassé, j’ai senti une vague de chaleur déferler dans tout mon corps, comme si mes veines me brûlaient. C’était comme une onde de choc ! J’ai ouvert les yeux, complètement sonné et c’est là que je t’ai vu me sourire avant de t’effondrer dans mes bras. Tu avais cette aura rouge brillante tout autour de ton corps et… (je sens qu’il veut ajouter quelque chose mais il se retient). Je ne comprenais pas… Puis l’odeur de putréfaction a attaqué mes narines et c’est là que j’ai vu ce qui restait du Kaern. Je n’en revenais pas… Cody, la jeune psychique qui a veillé sur toi, s’est alors approchée, tremblante de peur et m’a tout raconté. J’ai bien essayé de soigner tes poignets mais cela m’a été impossible…

- Sûrement à cause du pacte qui me lie à Aoi...

Il me fait le récit du combat. Je ne me reconnais pas dans la description qu’il fait de moi… Je ne sais pas quoi penser… J’aurai vaincu le Kaern seule ? Impossible… Après m’avoir déposée avec Galadryelle, Evaïs est allé évaluer l’ampleur des dégâts : il a perdu l’essentiel de ses troupes. Seuls deux psychiques et une vingtaine de soldats avaient survécu. Chez les Ritsuas et les Falanims, ils ne sont que trente-deux. Cette bête a tué plus d’une centaine de personnes. A ce propos, Korn et Lila ne cessent de demander de mes nouvelles : ils me vouent une indéfectible amitié et me sont à jamais reconnaissant de les avoir sauvés. Étant donné l’urgence de la situation, il a fallu tout réorganiser pour un départ rapide vers Nymphea.

Grâce aux pouvoirs des psychiques et des élémentaliens, de nouvelles calèches ont pu être reconstruites. Afin de pouvoir transporter Galadryelle il a fallu improviser : vu qu’elle ne voulait pas me lâcher… grâce au génie d’Aoi une solution a été vite trouvée. Il a proposé de construire un plancher assez grand pour que la tente puisse tenir au-dessus, maintenue par des clous, le tout posé sur des roues afin que les dragnirs puissent tracter le tout. Aoi venait d’inventer la caravane.

Plusieurs questions restent en suspens : tout d’abord comment ai-je pu vaincre le Kaern seule ? D’où venait cette aura rouge ? Comment ai-je fait pour tous les ramener à la vie sans mourir moi-même ? Au sujet de l’aura, j’ai comme l’impression qu’Evaïs sait quelque chose… Ma tête me lance.

Aoi est épuisé : je lui dis de retourner auprès d’Angeline afin qu’il puisse se reposer. Il accepte et après m’avoir embrassé sur le front, il me laisse seule avec Evaïs. Il passe une main douce dans mes cheveux, me caresse le visage et s’attarde sur ma joue. Son contact me fait un bien fou. Je lui souris tout en rougissant.

- J’ai bien cru t’avoir perdu… Tu étais si pâle lorsque je t’ai cueillie dans mes bras après ce que j’ai interprété être comme un sourire d’adieu… Oh Alyana… Ne me refais plus jamais ça tu m’entends ? Plus jamais ! Mon coeur ne le supportera pas… Je… Je...

Je pose un doigt sur ses lèvres et essuie une larme sur sa joue.

- Lorsque tu t’es fait transpercé par cette épine, j’ai cru que mon monde s'effondrait. Je ne me souviens de pratiquement rien après cela, seulement de la douleur d’avoir perdu quelque chose d’inestimable, d’irremplaçable…

- Je ne suis pourtant qu’un Titan, tout ce qu’il y a de plus banal… Un pauvre Malakim…, il me sourit tristement, avant de reprendre d’un ton plus sûr. Non. Plus maintenant. J’ai fini par trouver un sens à ma misérable vie… et elle se tient juste devant mes yeux.

- Evaïs…

- Chut… Tu as besoin de repos. Ne t’en fait pas pour le reste… Nous sommes en route vers Nymphea. Dors. Je te protègerai de ma propre vie si nécessaire.

Là dessus, il m’embrasse tendrement et je ferme les yeux, plongeant dans un sommeil réparateur.

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