Aurale

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Je m’allonge sur le lit et ferme les yeux pour me connecter à Aoi. Celui-ci m’attend d’un air très inquiet. Je me sens tout de suite coupable ! Je n’ai même pas pris le temps de lui donner des nouvelles depuis que je me suis évanouie, soit depuis environ le milieu de la journée… Je prends un petit air contrit et m’approche de lui, penaude. Il me prend dans ses bras et me serre très fort. Je réponds à son étreinte, percevant son désarroi. Ma culpabilité se décuple. Je suis la pire amie qui soit.

- Alyana… J’étais si inquiet ! J’ai eu si peur ! Comment vas-tu ?

- Je vais bien mon petit prince… Je vais bien.

Je le serre fort contre mon cœur. Il me prend la main et m’emmène sous les tentures blanches. Il s’assoit et je me place sur ses genoux. Il joue dans mes cheveux et je me détends sous ses doigts experts. Je sais très bien qu’il attend que je lui raconte tout ce qui s’est passé. Je ne me fais pas prier : après tout, Aoi est mon meilleur ami. Il m’écoute attentivement et sourit quand il voit mon visage s’éclairer lorsque je parle d’Evaïs. En revanche, Aoi est autant surpris que je l’ai été lorsque je lui parle des cartes et de son nom affiché sur les parchemins… Il me charge alors d’enquêter discrètement.

- Maman Lyana… Aloïs !!

Ce cri de détresse d’Angeline nous glace d’effroi. Nous nous levons d’un seul pas et accourons vers l'œuf nacré. Je le prend et le serre délicatement contre moi : je sens Angeline trembler de peur alors qu’elle est bien à l’abri.

- Angeline… Ma chérie… Chut… Que se passe-t-il ?

- Maman Lyana… Mère Athénays est sur le déclin final… Elle… Elle va…

Elle étouffe un sanglot tandis que Aoi écarquille les yeux de peur. Athénays est sur le point de… mourir ? Ce qui signifie que Angeline doit prendre sa succession au plus vite afin de protéger Nymphea.

- Ce n’est pas tout… Mère Athénays vient de me révéler le secret que les princesses Nymphaliennes se transmettent entre elles peu avant la succession. Si elle décède avant que je n’arrive… Noctalya disparaîtra.

Nous n’arrivons pas à y croire…Suspendus au son de sa douce voix, Angeline nous explique : Nymphea est le centre de gravité de Noctalya. L’Océan Turquoise s’y déverse et par un phénomène que personne n’a encore compris, cette eau se transforme en nuage avant de remonter vers le ciel par le centre de Nymphea. Si par malheur, la prêtresse n’est pas à son poste, le centre se dérèglera et Nymphea absorbera le monde entier.

Aoi m'apprend que nous sommes encore loin de notre destination, y arriver ne va pas être facile. Il est effondré. Pour lui, il a échoué dans la mission confiée par sa mère. De plus, avec l'actuelle guerre menée par ses frères, il ne peut pas s'approcher du château familial… La situation est difficile.

- Ce n'est pas tout… Maman Lyana…, me dit Angeline d’une petite voix plaintive. Il… il y a ici… quelqu’un de chez nous… Un Nymphalien…

- Maintenant que tu le dis petite sœur… oui… je le sens aussi… Il est tout proche… Alyana fait attention si nous pouvons le sentir, il est fort possible que lui aussi perçoive notre présence.

Sera-t-il un allié ou un ennemi ? Cela est sans compter que je ne connais pas assez Evaïs pour oser lui demander son aide. De plus, les parchemins que j'ai entrevu cet après-midi ne présagent rien de bon… Il enquête sur ce qui se passe à Nymphea et pour couronner le tout le véritable nom d'Aoi y est mentionné… Je ne sais pas quoi faire… Le plus urgent est de rallier Nymphea au plus vite. D’une manière ou d’une autre. Soudain, je pense à Galadryelle : pourrait-elle nous emmener au bord de l’Océan Turquoise grâce à son cercle de lumière ? Je dois en avoir le cœur net : je soumets mon idée à mon petit prince, il est d’accord sur le principe. Reste à savoir si cela est faisable.

J'ouvre les yeux et constate que la nuit commence à tomber. Je sors de la tente, en quête d’un endroit assez éloigné pour pouvoir appeler ma zéthys. Je me dirige vers la petite clairière où nous avons été l'après-midi même avec Evaïs. J’en éprouve un petit pincement au cœur…

Le reverrais-je un jour ?

Soudain, j’entends des éclats de voix et me cache de mon mieux. J’aperçois deux Titans qui discutent assez vivement : ils ne semblent pas m’avoir entendue. Je soupire, soulagée.

- Evaïs va tout faire gâcher ! Nous devons absolument retrouver et tuer Alois ! Je sais qu’il protège l'œuf d'Athénays ! Et il n’est pas très loin… J’ai ressenti son aura. Débarrasse-moi de ce malakim de pacotille, ça les occupera.

- Oui, maître Aurale.

Je suis estomaquée par ce que je viens d’entendre… Le frère d’Aoi est ici, déguisé en Titan. Je me risque à jeter un œil : il s’agit de l’homme qui m’a regardé froidement lorsque j’étais avec Evaïs tout à l'heure. Je fais demi-tour aussi silencieusement que possible et court le retrouver. Je ne peux faire confiance à personne : qui sait combien de personnes ici présentes sont réellement des Titans ? Arrivée près du camp, je me mets à marcher plus calmement, afin de ne pas paraître suspecte. Je croise quelques femmes Ritsua parmi lesquelles je reconnais celle que j’ai soigné : je lui fait signe de s’approcher.

- Oui, mademoiselle ? me demande-t-elle en baissant les yeux humblement.

- Comment allez-vous ? Vous n’avez pas eu de maux de tête au moins ? Je suis encore novice au niveau soin…, lui avouai-je, un brin gênée.

- Oh non ! Ne vous en faites pas pour moi ! Vous avez daigné me soigner, moi une Ritsua, ce qui est déjà un immense honneur ! s’empresse-t-elle de me répondre, puis elle me sourit, d’ailleurs, merci encore mademoiselle.

- Ce n’est rien voyons ! Dites-moi… Sauriez-vous où je pourrais trouver le prince Evaïs ?

- Dans sa tente, vous ne pouvez pas la rater : elle est de la même couleur que vos cheveux... me sourit-elle malicieusement.

Je me sens rougir instantanément ! Elle s’éloigne en me faisant un petit signe de la main.

Je devrais lui demander son prénom la prochaine fois.

Je me dirige donc vers la tente rouge sang. Evaïs est seul, plongé dans ses documents, l’air infiniment concentré. J’hésite à entrer.

Je vais le tuer. Vider ses entrailles. L’embrocher.

Ces pensées me font sursauter : il s’agissait de plusieurs voix d’hommes. Je fouille la pièce du regard et y aperçois plusieurs ombres. Evaïs a aussi ressenti quelque chose : il me semble plus sur le qui-vive. Sa main s’est subrepticement glissée vers le fourreau de son épée, tout en faisant semblant d’être toujours aussi concentré sur ses parchemins. Je n’ose bouger, de peur de le gêner dans ses mouvements, après tout il m’a dit être militaire. Je me tiens prête à intervenir, surtout si Aurale pointe le bout de son nez.

La scène se joue rapidement : trois Titans se précipitent sur Evaïs. Je retiens un cri : il s’en débarrasse comme s’il ne s’agissait de rien pour lui. Son épée à peine dégainée leur a tranché la gorge proprement. Ce n’est qu’une fois à terre que les corps rejettent leur précieux liquide de vie. Deux d’entre eux s’avèrent être des Nymphaliens : une fois tués, ils ont repris leurs formes originelles. Cela ne semble pas ébranler Evaïs. Je soupire. Je m’apprête à le rejoindre lorsque je sens une main enserrer mon cou et la pointe d’une épée piquer ma propre gorge. J’étouffe un gémissement.

- Prononce un seul mot, élémentalienne, et cette dague transpercera tes jolies cordes vocales.

Je reconnais la voix d’Aurale. Il me fait avancer vers la lumière de sorte qu’Evaïs puisse voir que je suis prisonnière. Lorsqu’il m’aperçoit, ses yeux s’écarquillent de fureur. Cinq autres personnes font leur entrée en même temps que nous. Je ne saurai distinguer les Titans des Nymphaliens. J'essaie d’attrapper le regard d’Evaïs pour lui signifier que je ne crains rien mais celui-ci est obnubilé par Aurale et sa propre colère. Je ne tente rien pour l’instant, mon instinct me le dictant.

- Jette-moi cette vilaine épée, ordonne Aurale à Evaïs.

Il s’exécute. Je vois deux Titans s’approcher et lui asséner un coup violent à l’arrière du crâne : son sang violet commence à couler. Je ne peux pas laisser faire ça. Tant pis pour mon instinct. Sans prononcer aucune parole, j’allume un brasier sur ces deux personnes qui hurlent de terreur et de douleur, avant de commencer à brûler vif : ce sont des Nymphaliens donc très des êtres très sensibles au feu. Aurale semble surpris et je profite de cet instant pour essayer de me dégager mais il réussit à me planter sa dague dans la chair tendre près de ma clavicule. J’étouffe un cri et applique une main au niveau de ma plaie : je sens que le couteau a été enfoncé jusqu'à la garde. Evaïs a récupéré son épée et s’est occupé des trois autres Titans : je l’aperçois et il est ivre de colère. Je peine à le reconnaître. Ses yeux s’illuminent d’une lueur meurtrière. Un instant pris de panique, Aurale me jette sur Evaïs qui me cueille dans ses bras. Il sourit d’un air triomphant en reprenant sa forme de prince de Nymphea.

Là où Aoi est splendide, Aurale ressemblerait plutôt à un monstre. Il a des écailles noires tirant sur le bleu roi et huit énormes tentacules visqueuses d’où dégoulinent d’un liquide épais jaune pâle. Il possède les mêmes yeux noirs et ronds que mon petit prince avec de chaque côté des branchies qui n’arrêtent pas de s’ouvrir et de se refermer. Son visage est plat, sans nez et dans sa bouche s’alignent une double rangée de crocs, comme celle des requins. Il dégage une odeur pestilentielle. Autour de lui, une épaisse fumée s’est formée : il semblerait que le liquide jaunâtre soit empoisonné. Bien qu’il soit plus petit que nous, ses tentacules forment une barrière protectrice autour de lui, tout en lui conférant une certaine hauteur.

- Alyana ! Fais moi venir vite ! Il n’y a que moi qui puisse le tuer lorsqu’il est sous cette forme !

- Alois Aqualya.

Mon petit prince apparaît devant nous comme jamais je ne l’avais vu. Ses ailes sont droites dans son dos et sur ses jolies écailles argentées est reposée une armure de couleur vert menthe aux reflets dorés. Il tient dans sa main droite un arc magnifiquement ouvragé : de couleur or, ses finitions sont dignes d’un maître bijoutier. Il scintille de mille et une pierres bleutées ressemblant à des diamants et se termine de deux belles arabesques à chaque bout. La corde est tellement fine que nous l’apercevons à peine.

Je ne sais qui est le plus surpris entre Evaïs et Aurale. Aoi s’approche de moi, enlève la dague et de son souffle glacé guérit ma blessure. Je le remercie d’un sourire. Evaïs et Aoi se regardent, s’affrontent un instant des yeux : il me semble qu’une entente tacite se conclue entre les deux hommes. Evaïs me serre contre lui pendant que mon petit prince se tourne vers son frère.

- Ainsi, tu étais beaucoup plus près que je ne le pensais… Mon cher petit frère… Alois…

- Bonsoir… Aurale.

- Je constate que mère t’as aussi confiée l’armure de Nymphea… Armure qui me revenait de droit !

- Elle aurait été à toi si tu n’avais pas fomenté cet odieux complot visant ta propre mère !

- Complot… Complot… T’y vas un peu fort non ? Pourquoi seule une femme pourrait protéger Nymphea ? Nous les princes en serions parfaitement capables ! Non… Elles veulent simplement garder le pouvoir entre leurs mains perfides ! Voilà !

Cet échange surprend énormément Evaïs. Aurale demande alors comment se porte l'œuf. Aoi tressaille et je porte moi-même une main sur mon cœur. Le rire de cet énorme… poulpe (je ne sais pas comment l’appeler autrement) me glace les sangs. Il se met en position d’attaque : l’atmosphère autour de nous change, l’air se charge d'électricité et devient lourd. Ses tentacules s’affinent et semblent tranchantes. Son sourire carnassier s’élargit, découvrant ses dents jaunies. Aoi se prépare aussi : ses ailes fendent l’air avec une telle rapidité qu’on les voit à peine.

- Alyana. Tu dois t’éloigner : le liquide qui s’échappe de ses tentacules est toxique non seulement s’il te touche mais aussi par la vapeur qu’il dégage.

- Tu es sûr de pouvoir t’en sortir seul ?

- Ne t’en fais pas pour moi. Ce combat, je dois le mener seul.

- Bien. Comme tu veux. Sois prudent.

J’entraîne Evaïs en dehors de la tente tant bien que mal. La tension est tellement forte entre les frères qu’Aurale ne remarque même pas notre sortie. Ou alors il fait semblant, pensant pouvoir se débarrasser d’Aoi facilement. Mon coeur se serre à cette pensée. J’essaie de maintenir la connexion mentale avec mon petit prince mais il rompt le lien volontairement. Je laisse échapper un sanglot et Evaïs me prend dans ses bras, il semble comprendre mon inquiétude. Je pose ma tête sur son épaule. Mes larmes glissent silencieusement le long de mes joues. Il lève mon visage vers le sien et dépose un baiser tendre sur mes lèvres.

- Nous ne pouvons pas laisser Alois se battre seul ! Il doit bien avoir quelque chose que nous puissions faire !

- Oui ! Aoi m’a dit que le liquide jaunâtre est toxique… Les vapeurs risquent d’empoisonner toutes les personnes autour !

- Aoi hein….

Je sens la pointe de jalousie dans sa voix… Je l’embrasse à mon tour et lui souris. Il secoue la tête et me serre dans ses bras.

- Je vais positionner un dôme de protection autour de la tente et le maintenir le plus longtemps possible… Il va falloir trouver une solution pour quand le combat sera fini…

- Je m’occupe de ça !

Je me mets en position du lotus, sous un arbre aux couleurs automnales. Je calme ma respiration malgré mon inquiétude pour mon petit prince et ferme les yeux. Je visualise la tente dans mon esprit et pose un dôme transparent tout autour. Ce sort me demande une immense concentration du fait de la largeur du dôme mais je dois tenir, ne serait-ce que pour protéger les innocentes personnes présentes ici.

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