Premier jour

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Me voilà partie en direction de Lachéa, la ville la plus proche. Selon Vic, mon professeur de géographie attitré, Lachea est une ville guerrière : elle nous protège des potentiels envahisseurs du pays voisin. De mémoire, il me semble que ce fameux pays est Akurya.

Mes adieux avec cette petite famille ont été déchirants : nous avons tous versé notre petite larme. Myrna m’a organisé un repas de départ où chaque voisin a participé, en remerciement de l’aide pour la reconstruction de la maison de Roc. Chacun y est allé de son petit cadeau : à la robe longue et au sac de Myrna, s’ajoute une petite dague à la poignée d’argent offerte par Roc, un petit nécessaire de cuisine, un de couture, des herbes médicinales et… une petite bourse remplie de pièces : cuivre, or et argent. J’ai bien essayé de refuser ce dernier présent, sachant très bien que tous ici ne vivaient pas dans l’opulence. Ils se sont vexés ! Selon eux, cette somme ne représente presque rien : ils se sont tous cotisés pour me l’offrir.

Le plus beau des cadeaux a été celui offert par les enfants : avec l’aide du forgeron, ils m’ont fabriqué un petit coffre qui se ferme à clé pour que je puisse y déposer mon collier en toute sécurité. Sur le dessus, ils y avaient gravé leurs prénoms et le mien entourés du signe de l’infini. Je les ai serré fort dans mes bras, mon petit singe pleurant à chaudes larmes. J’ai offert à Vic mon sac à dos, sachant très bien que je ne passerai pas inaperçue avec cet objet insolite et à Ninya mes boucles d’oreilles : le plus dur maintenant étant de les percer. Je laisse ce soin à la vieille guérisseuse du village.

Je suis partie deux jours plus tard : me voilà donc sur la route vers Lachéa, Aoi perché sur mon épaule. Je dois avouer que j’ai un peu peur : après tout, je ne connais rien de ce pays, de ses habitudes et du comportement que je dois avoir. Je marche depuis le matin et je n’ai croisé presque personne : la plupart des ouvriers doivent être aux travaux des champs ou à la coupe du bois. Les enfants, sûrement chez leurs maîtres d’apprentissage. J’en profite pour questionner Aoi.

- Dit-moi, le pays limitrophe à Tensya est bien Akurya?

- Exact ! Les leçons de Vic t’ont été utiles à ce que je vois ! D’ailleurs, je voulais t’en parler… Tu portes le nom de Ravilya?

- Oui… Pourquoi cette question ?

Aoi semble réfléchir à comment me répondre. Il est vrai que depuis mon arrivée à Tensya, la plupart des personnes que j’ai rencontrées ont pour nom de famille, si je peux l’exprimer ainsi, les termes de ma berceuse : Falanim et Ritsua. Selon Vic, les personnes de la noblesse porteraient les noms de Atsurui, Malakim et Nemaska. C’est aussi ainsi que nous pouvons faire la différence entre gens du peuple et classe noble. Le terme de Ravilya n’apparaît pas… Je m’impatiente : Aoi a effectivement quelque chose à me dire mais il n’ose pas.

- Aoi… Crache le morceau…

- Il est vrai qu’en tant que meilleur ami… je ne dois pas te mentir...., je l’entends sourire, à croire que ce titre lui a vraiment plu… Alyana, tu sais que le pays voisin de Tensya est Akurya… Mais connais-tu son peuple ?

- Non… Lorsque la carte de Noctalya s’est mise en mouvement dans mon monde, j’ai vu les elfes et les sirènes mais lorsque je me suis approchée d’Akurya, hormis un horrible château noir digne des meilleurs films d’horreurs, je n’y ai aperçu personne.

- Ce qui me paraît on ne peut plus normal ! Ce sont des démons.

- Des démons ? Euh… corne de bouc et langue fourchue ?

- Quoi ? Ah… Je suppose que tu me donnes un descriptif de ton monde. Ils sont… envoûtants… C’est le terme : leur peau peut être d’une blancheur d’albâtre comme elle peut être d’un noir profond, leurs yeux sont soit couleur or soit couleur argent, parfois même d’un rouge sang et enfin… leurs cheveux… sont… couleur carmin…

Je m’arrête. Cette dernière phrase reste suspendue entre nous. La couleur de mes cheveux serait-elle synonyme de démoniaque dans ce monde ? Je ne sais pas quoi penser… Dois-je les cacher ? Aoi me fait signe que non : seule une minorité de personnes ont eu l’occasion de voir les démons d’Akurya et ils résident pour la plupart à Arachnya, ces secrets-là sont bien gardés. Je soupire de soulagement. Il a encore une chose à m’apprendre : le nom Ravilya… n’est pas un nom de Tensya. Il a un doute mais il lui semblerait que Ravilya soit le nom de la famille royale démoniaque. Celle qui loge dans le fameux château noir que j’ai aperçu. J’en reste bouche bée : je ne sais pas quoi faire de cette information. Aoi me conseille de me présenter uniquement sous le nom d’Alyana Atsurui à l’avenir : on n’est jamais trop prudent. Je dois en savoir davantage : je me promets donc de chercher mon affiliation une fois que j’aurai ramené Angeline à Nymphea.

Le cours de mes pensées est interrompu par un petit cri étouffé. Aoi se réfugie dans mon esprit : personne ne doit le voir, sauf sous mon ordre. Je me concentre et essaie de trouver d’où il vient. Je contourne un bosquet et découvre un petit animal de couleur noire, pas plus grand qu’un chat adulte, pris au piège dans une espèce de pince à dents pointues. Je m’approche : il a l’air terrifié mais ne se montre pas moins hargneux. Il me sort ses petites canines pointues et feule devant moi. Je lui souris avant de tendre la main pour lui caresser le dessus de la tête : il essaie d’abord de me mordre puis se laisse faire en ronronnant. Doucement, j’observe de plus près le piège et les dégâts qu’il a causés sur l’animal. Sur les six pattes qu’il possède, les deux arrières sont coincées dans l’appareil et les plaies saignent abondamment d’un liquide bleu ciel.

J’ai compris le mécanisme du piège, il est assez simple. Je libère donc l’animal qui pousse un petit cri lorsque les dents relâchent sa chair. Je le serre dans mes bras, bien qu’il tente de s’échapper. Il finit par me mordre jusqu’au sang et je le lâche, surprise par sa véhémence. A cause de ses blessures, il peine à se maintenir debout. Il continue de montrer les canines bien qu’il soit considérablement affaibli. Sur les dents du piège, je remarque une autre couleur que celle du sang de l’animal : elle est d’un vert très sombre.

Du poison ?

Aoi réapparaît sur mon épaule avant de sauter sur le sol. Il m’indique que ce liquide verdâtre est effectivement du poison. Si je ne soigne pas le zéthyx, il va mourir dans d’atroces souffrances. Le petit animal finit par perdre connaissance. Je le ramasse et m’empresse de le soigner : mes connaissances dans ce domaine étant encore très limitées, je demande de l’aide à mon petit prince aquatique. Patiemment, il me montre quelles herbes médicinales utiliser pour neutraliser le poison. J’en applique un peu sur les plaies et lui en glisse au fond de la gorge. Enfin, je panse ses blessures : il n’y a plus qu’à attendre.

La nuit commence à tomber. Je me mets à l’écart de la route et me prépare tant bien que mal à passer ma première nuit dehors. C’est là que je regrette les tentes qui se plient et se déplient en deux secondes ! Malgré tout, le temps est bon et le ciel est dégagé. Je prends le temps de scruter les environs et découvre à quelques centaines de mètres de la route une petite clairière adossée à une colline assez abrupte. Je pense que l’endroit sera parfait. J’ai quand même une petite appréhension à l’idée de dormir seule à la belle étoile. A l’aide de la magie, je fais en sorte d’avoir une barrière protectrice autour de mon petit camp : on ne sait jamais…

J’allume un feu et allonge le petit animal près de celui-ci. Depuis que je lui ai administré le contre-poison, il se repose enfin paisiblement. Pendant presque une heure, il s’est tordu de douleur et a poussé des petits cris totalement apeurés. Maintenant, il est plus calme. Je le détaille : il est d’une couleur noire profonde, seul le bout de ses pattes, de ses oreilles et de sa queue sont blanches. Cette dernière est assez longue, touffue et d’une douceur ! Sur son front il a une petite tache en forme de cœur inversé, un peu comme le pique des jeux de cartes. Si je devais le comparer à un animal de mon monde, ce serait à une panthère : bien que petit, il a une musculature incroyable et on sent bien que c’est un prédateur hors norme. Je sors mon nécessaire de cuisine ainsi que les légumes offerts par Roc.

Heureusement qu’Abigaëlle m’a appris le sort de rétrécissement…

Je prépare une soupe que j’accompagne d’une tranche de pain bleu. Le zéthys tour à tour tremble, grelotte et dort paisiblement. J’éparpille le feu, ne laissant qu’une cendre rougeoyante afin de garder un peu de chaleur puis m’enroule dans ma cape et m’endors.

Alyana… Où es-tu ? Alyana…

Qui m’appelle ? Je connais cette voix…

Alyana…

J’aperçois une silhouette juste devant moi… Je veux la toucher… Il se retourne… A nouveau ces prunelles couleur océan, mais tellement, tellement tristes… Il me serre contre son cœur que j’entends battre à l’unisson avec le mien…

Evaïs…

Je me réveille, les rayons du soleil réchauffent mon visage engourdi. Le zéthys s’est enfui : s'il a pu se lever et courir c’est qu’il va mieux. Je souris devant les bandages déchirés gisant devant les cendres désormais éteintes et froides. Je range mes affaires et part en quête d’un point d’eau où je pourrais me rafraîchir : la veille j’avais remarqué un puits non loin d’ici. Je m’y rends avec la désagréable impression que quelqu’un m’observe. Sur mes gardes, j’avance d’un pas assez rapide. Arrivée au puits, je ne sens plus la présence de qui que soit autour de moi et me détends. Je me lave le visage à grande eau, remplis ma gourde et reprends alors la route vers Lachéa.

Le chemin me semble long et cette robe longue n’est définitivement pas pratique pour la marche ! Que ne donnerai-je pas pour enfiler mon short et mes baskets ! Déjà que je ne passe pas inaperçue avec la couleur et les boucles de mes cheveux, alors vêtue d'une tenue venue d’un autre monde… hors de question !

Lorsque le soleil est haut et chaud, je m’arrête près d’une petite fontaine aux margelles ocres. Je me rafraîchis de cette eau à la couleur rosée. Je m’asperge le visage et remplis ma gourde : elle est si fraîche !

Un homme s’approche, sa carrure est impressionnante : malgré mes trois mètres quatre-vingt-dix-sept (et demi…), il me dépasse d’au moins trois têtes ! Sous ses épaules larges se tient un ventre proéminent et il porte à la ceinture une épée recourbée, tachée d’un liquide sombre. Il ne m’inspire aucune confiance. Je fais mine de ne pas le voir et range ma gourde dans ma besace, l’air de rien.

- Salut ma jolie… ça te fera soit deux pièces d’argent soit huit de cuivres.

- Je vous demande pardon ? lui demandai-je en le fusillant du regard.

- Tu m’as très bien compris ma belle… Oh… Mais c’est que j’ai affaire à une noble… Quelle paire d' yeux magnifique ! Et seule qui plus est…

Je déglutis. J’essaie de paraître détachée mais je n’en mène pas large. Je lui tourne le dos et m’apprête à partir. Il me retient par le bras d’une manière brusque. Mes habitudes de self défense prennent le dessus : j’attrappe son coude, l’enserre et bascule des hanches. Le Titan passe au-dessus de moi et tombe lourdement sur le dos, complètement surpris. Il pose un genou à terre, je ne le laisse pas le temps de se relever et lui assène un coup de genou dans le menton. J’entends sa mâchoire se briser et ne demande pas mon reste. Je m’enfuis en courant.

Je ne m’arrête que lorsque j’estime être assez loin de cet individu désagréable. Je pose mes mains sur un tronc d’arbre pour reprendre mon souffle puis m’assois à l’ombre de ses feuilles orangées. Je crois que je l’ai échappé belle… Je me repasse mentalement la scène au ralenti : il voulait que je lui paye l’eau que j’ai utilisée… Je rêve ! La fontaine est à tout le monde non ? J’ai réussi à m’en sortir, c’est l’essentiel. Une fois calmée, je reprends la route : je ne dois plus être loin de Lachéa.

Le crépuscule pointe le bout de son nez… et je n’ai pas encore atteint la ville. J’étais censée parcourir la distance en deux jours… Me voilà contrainte à repasser une nuit dehors… Je regarde aux alentours espérant trouver une ferme : il n'y a que des champs à perte de vue et des petites forêts ici et là… J'hésite à utiliser mon sort de lévitation, après tout je suis magicienne!

Restons raisonnable….

Je soupire et m’éloigne encore une fois de la route. Après avoir marcher un instant, j'entends le bruit de l'eau qui s'écoule. Ravie, je me mets en quête de la source. Je découvre un tout petit ruisseau agrémenté d'une mini cascade… Moi qui rêvais de prendre un bain, même glacé je suis déçue… tant pis! Je me prépare pour la nuit.

Suite à ma mésaventure de ce matin, je ne me sens pas très rassurée seule, aussi je demande à Aoi s'il veut bien me tenir compagnie. Il apparaît près de moi sous la forme d’un Titan : à peu près de la même taille que moi, tout en gardant ses magnifiques yeux noirs et ses cheveux d’argent. Je suis surprise.

- Et oui ! Je peux prendre l’apparence que je veux, c’est l’une de mes qualités ! En revanche, ce n’est qu’une enveloppe physique, je ne peux copier les caractéristiques des différents peuples…

- Mais ça reste très pratique ! As-tu d’autres talents de ce genre?

- Mmmh… Peut-être...

Il me fait un clin d'œil complice et je lui souris. Nous discutons autour du feu de choses et d'autres : il est curieux d'en savoir un peu plus sur mon monde. En utilisant ma magie, je lui en montre des images : la Tour Eiffel, la statue de la liberté, le Grand Canyon…

Aoi m'apprend qu'il existe à Noctalya un équivalent de notre Grand Canyon : ce sont les Rocheuses, à la différence près qu'elles se trouvent au bord de l'Océan Turquoise. A une certaine période de l'année un pont fait de sable et de roche se construit entre Tensya et Limerya : c'est ce paysage-ci qui lui ressemble.

Nous bavardons jusqu'à une heure avancée de la nuit sans même nous en rendre compte. Je suis épuisée et Aoi le remarque. Il m'allonge sur ses genoux et caresse mes cheveux en me chantant ma berceuse. Je m'endors…

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