Angeline

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J’entends quelqu’un chantonner d’une voix douce. J’ouvre doucement les yeux. Je suis dans l’antre d’Aoi, il joue dans mes cheveux. Malgré le brasier, je n’ai rien, pas même une petite cloque. Je me redresse doucement et suis sidérée : les épaules, une partie des bras, la jambe droite d’Aoi sont brûlées, ainsi que ses magnifiques ailes. Ses jolies écailles argents ont viré au rouge et au noir, laissant entrevoir un entrelacs de veines à vif. Je presse ma main contre ma bouche et sens monter mes larmes, comprenant qu’il m’a protégé de son corps. Il me regarde et me sourit.

- Ne t’inquiète pas va… Je vais bien…

- Aoi… je… je…

- Chut, je ne vaux pas la peine que l’on pleure pour moi. De toute façon, je n’ai rien pas senti, mentit-il, tout en grimaçant. L'essentiel c'est que tu ailles bien.

Je fronce les sourcils et tente de me rappeler une formule, quelque chose qui puisse le soigner ou au moins soulager sa douleur. Rien ne me vient à l’esprit : toutes mes idées sont embrouillées. Je n'ai rien ici pour confectionner un remède. Je décide donc de faire ça à l’ancienne : je déchire une des voiles de la tenture, va au lac pour imbiber d’eau les morceaux de tissus et m’approche de lui pour le soigner. Il se laisse faire mais je sens qu’il lutte pour ne pas me montrer sa faiblesse.

Des larmes amères coulent le long de mes joues. Aoi tend la main pour en cueillir une et la porte à sa bouche. Il me sourit faiblement. Je voudrais le prendre dans mes bras mais j'ai peur de lui faire mal. Je redescends vers le lac. En y plongeant un tissu, je m'écorche le doigt à un rocher saillant : une petite goutte de sang perle. Je la mets instinctivement dans ma bouche. En me rapprochant d'Aoi, quelque chose de formidable se produit : le petit filet de sang qui se dégage de ma coupure s'envole vers l'une de ses siennes… et la cicatrise !

Nous restons tous les deux bouche bée. Je ne réfléchis pas et prends le premier objet tranchant qui passe à ma portée : d'un coup sec, je coupe l'intérieur de ma paume sous les yeux effarés d'Aoi qui a à peine le temps de m'en empêcher.

Mon sang coule à grosse goutte et est d'un rouge beaucoup plus clair, presque rose. Je le vois s'élever vers les blessures d'Aoi qui cicatrisent en clin d'œil. Il accourt vers moi en me traitant d'idiote, prend le linge imbibé d'eau à l'origine destiné pour lui et en recouvre ma main blessée. Tout à coup, je me sens lasse, je peine à me maintenir sur mes jambes. Je chancelle dans les bras d'Aoi. Je souris : ses blessures sont presque toutes guéries et il a retrouvé sa belle couleur argent. Il me semble en colère... Il prend ma main et y dépose un souffle glacé sur la coupure. Elle se referme aussitôt. Je frissonne.

- Tu es suicidaire ma parole ! Ne refais jamais ça, tu m'entends ? JAMAIS !

Je ne comprends pas pourquoi il est si en colère… Il me soulève dans ses bras, m'emmène sous les tentures et m'allonge sur un énorme coussin de velours doré. Il s'installe près de moi et recommence à jouer dans mes cheveux. Je sursaute : il s'est mis à chantonner ma berceuse.

- Aoi ? Pourquoi es-tu en colère ?

- Alyana, où sommes-nous là ?

- Euh… dans mon esprit ? Pourquoi ?

- Exactement ! Ce que tu as pris pour ton sang est en réalité ton flux vital ! Tu m'as donné un peu de ta vie Alyana…, me murmure-t-il, les larmes dans la voix.

- Je t'en fais cadeau Aoi… Après tout, tu n'as pas hésité une seule seconde à me protéger de ton propre corps… Toi aussi, tu aurais pu mourir.

- Ne recommence jamais, tu m'as comprise, jamais !

- Promis ! Croix de bois croix de fer si je meurs je vais en enfer !

Il finit par sourire. Je suis si fatiguée… D’ailleurs, maintenant que j'y pense...

- A ton tour maintenant… je t’ai déballé mon histoire… A toi de me raconter la tienne, en particulier le moment où je dois comprendre la raison de ce pacte.

Il rit mais son rire sonne faux : il est teinté d’un voile de tristesse. Comme je le sais, il est le plus jeune des quatre princes aquatiques : Aurale, Athénor, Ailyus sont ses frères. Leur mère, Athénays, est la gardienne de Nymphea : elle est la seule femme de leur espèce et seule une femme peut occuper cette fonction. Cette loi existe depuis que Noctalya est Noctalya. Depuis un certain temps, elle s’affaiblissait : il faut dire qu’elle protège Nymphea depuis presque six milles ans maintenant. Elle a senti que son déclin approchait et ses frères aussi. Assoiffés de pouvoir, ils ont fomenté un complot contre leur propre mère : pour eux il était impensable que seule une femme puisse être la gardienne. Ce qu’une femme peut faire un homme ne peut que l’améliorer ! Aoi avait entendu ses frères discréditer le pouvoir en place et de suite est allé prévenir Athénays.

Cette dernière avait parfaitement pressenti les désirs malsains de ses fils, tout comme elle pressentait sa propre fin. Elle a confié à Aoi sa petite sœur, encore enveloppée dans son œuf nacré, future gardienne de Nymphea. Athénays lui a fait promettre de la protéger au péril de sa vie avant de l’envoyer ici, dans ce fameux lac où nous nous sommes rencontrés. Bien sûr, il a tout fait pour protéger sa sœur : elle n’est pas encore prête à éclore. Après s’être assuré qu’elle ne risquait absolument rien, il retourna au château familial. Sa mère s’était enfermée dans la salle du trône afin de pouvoir continuer à protéger Nymphea, elle-même protégée par ses plus fidèles serviteurs pendant que la coalition menée par ses frères attaquait sans relâche. Ce jour-là, il n’a pas pu la voir. En revanche, il s’est fait poursuivre par des soldats de l’armée ennemie. Vif comme l’éclair, ils n’ont pas pu rattraper Aoi. Il a été décrété déserteur par les deux protagonistes dans cette lutte pour le pouvoir et est recherché pour faute grave. Depuis, il veille sur sa sœur dans l’attente de son éclosion afin de pouvoir la ramener au château, sur le trône là où est sa place.

Voilà la raison pour laquelle il a passé un pacte avec moi : je leur servirai de « transport », à sa sœur et lui, pour pouvoir pénétrer dans le château et qu’il puisse revoir sa mère. Ainsi, sa sœur pourrait succéder à Athénays et ses frères ne pourront plus rien faire, à part lui jurer allégeance.

Il me montre l’endroit où est cachée sa sœur : dans une petite cavité tapissée de soie blanche est posée un œuf rose nacré. En le plaçant face à la lumière, je peux voir en filigrane le corps d’un petit être au long cheveux. Ses ailes ressemblent à celles d’un papillon et sont repliées autour d’elle, comme pour la protéger. Je m’approche et y pose doucement ma main : l’œuf dégage une douce chaleur et j’entends un petit cœur battre lentement.

Maman ?

Aoi sursaute. Nous avons tous les deux entendu une douce voix enfantine bien que ce ne soit pas avec nos oreilles mais bien avec notre cœur. Je souris et lui répond en pensée.

Non… Je ne suis pas ta maman mon ange… je m’appelle Alyana et lui c’est ton frère Aloïs… Nous sommes là pour te protéger…

Maman Lyana… moi m’appelle Angeline… Bonjour grand frère Aoi… Sommeil… bonne nuit…

Elle se rendort dans un chuchotement. Maman Lyana. Ce petit surnom me fait sourire. Je me suis immédiatement prise d’affection pour ce petit être en devenir. Je serre contre mon cœur l’œuf d’Angeline et y dépose un léger baiser. Je me retourne vers Aoi dont le visage est baigné de larmes.

- Elle… elle… n’avait jamais parlé… jamais...

Je ne peux m’empêcher de le prendre dans mes bras et de le bercer doucement. Il se cale alors contre moi et j’ai l’impression de tenir dans mes bras un petit garçon perdu, bien loin de l’homme qu’il voulait me faire croire être. Il me donne une petite tape dans le dos, tout en souriant à travers le rideau de ses larmes.

- Il va falloir que tu arrêtes ça…

- Quoi ?, me demande-t-il, l’air le plus innocent du monde.

- Tu vas me faire croire que tu ne lis pas dans mes pensées ?

- Jamais !, me répond-il, cette fois dans ma tête.

- Dehors !

- Mais c’est qu’elle apprend vite !

Il a retrouvé le sourire. Nous nous installons sur des coussins et Aoi se remet à jouer dans mes cheveux… Je me sens si bien… Cette fois-ci, c’est mon esprit qui s’endort auprès de mon petit prince aquatique.

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