Tensya : la famille Ritsua

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Le lendemain, je décide d’aller faire un tour en forêt. Avec la pluie de ces derniers jours, j’ai dû rester enfermée au manoir… J’ai besoin de prendre l’air ! J’enfile une tenue confortable : short, débardeur et basket. J’attache mes cheveux en queue de cheval et prend mon sac à dos : dedans j’y mets mon livre, ma cape (je ne m’en sépare presque jamais…), des sandwichs, ma gourde et mon téléphone, dans le cas où Abigaëlle aurait besoin de me joindre. Je lui laisse un petit mot sur le frigo et je m'en vais pique niquer. Je sais exactement où je veux aller. Sur la carte du domaine laissée par mon père, j’ai remarqué qu’il y avait un petit lac. Je me mets donc en route, l’esprit léger.

Je marche depuis environ vingt minutes.

Me serais-je perdue dans ma propre forêt ?

Je pouffe toute seule : après tout le domaine est entouré d’un mur en pierre naturelle, je ne risque pas d’être perdue longtemps. Je continue d’avancer, appréciant chaque son, chaque couleur qui m’entoure : cette balade est un enchantement.

Soudain, je ressens une vive douleur semblable à des milliers de petites aiguilles traversant mon corps. Je plie un genou à terre en me tenant la poitrine, à bout de souffle. Ma vue s’est brouillée l’espace d’un instant. Je prends le temps de reprendre mes esprits et m'assois sur une souche. Je regarde mes mains : mes doigts se dédoublent encore un peu puis reprennent leur place initiale. Un halo jaune se dégage de mon corps : c’est vraiment bizarre. Je me lève doucement, j’ai la tête qui tourne un peu. Lorsque je relève le regard, quelque chose a changé.

Je perçois les choses autour de moi avec une acuité différente. Mes yeux captent une lumière que je ne voyais pas avant : si je le veux, le plus infime détail d’une feuille d’arbre m'apparaît. J’entends derrière moi quelque chose qui gratte : ce n’est qu’un oiseau qui fait son nid dans un arbre… mais à plus de dix mètres de l’endroit où je me trouve ! Comment se fait-il que j’ai pu l’entendre ou même le voir ?

Tout à coup, mes sens sont en alerte. Dans mon esprit le mot « DANGER ! » clignote en lettres rouges. Mais pourquoi ? J’aperçois au loin une bête tapie à l’ombre d’une souche, prête à attaquer. Je tends l’oreille : j’entends des pas et des rires d’enfants résonnés pas loin.

Non ! Elle va les attaquer !

J’accoure vers les petits, espérant arriver à temps. Je tombe nez à nez avec un garçon et une petite fille au moment même où la bête sort du fourré toutes griffes dehors. D’instinct, je me mets entre le prédateur et ses proies. J’entends la petite hurler de terreur. Je vois la bête immonde de près.

Mais qu’est-ce que…

Sans réfléchir, ni même prononcer aucune formule, je lui lance un sort de feu qui l’atteint en plein estomac et le brûle vif. L’odeur est insoutenable...

Aïe… comment je vais expliquer ça…

Je me retourne doucement vers les enfants afin d’évaluer la situation et ceux-ci me sautent dans les bras en hurlant : « Une princesse nous a sauvés ! Une princesse nous a sauvés ! » Je ne comprends rien mais leur bonne humeur est contagieuse et je me mets à rire aux éclats. Les parents, alertés par les cris de leur fille, accourent vers moi. Je dépose les enfants à terre pour qu’ils puissent les rejoindre, tout en essayant de trouver une explication rationnelle à leur fournir. Ils serrent leurs petits dans leurs bras avant de se tourner vers moi certainement pour me remercier. En me voyant, leurs visages se décomposent complètement et… ils se prosternent, face contre terre, contraignant les enfants à faire de même.

Je reste sans voix. Je m’approche d’eux lentement et entends le père murmurer des remerciements d’une voix terne. Je lui relève la tête et tombe sur des yeux d’un orange profond. Je le lâche, surprise et fait un pas en arrière. La femme relève la tête : les siens sont d’un jaune doré. La petite fille, adorable comme tout aux yeux couleur mandarine, s’approche de moi lentement sous les yeux médusés de sa mère et s’accroche le plus naturellement du monde à jambe nue. Je la regarde, complètement abasourdie et finis par éclater de rire, suivie de près par la gamine. Je la prends dans mes bras et plonge mon regard dans le sien : ses yeux sont magnifiques.

« - Princesse ?, me demande-t-elle.

- Pourquoi m’appelles-tu princesse ?

- Un œil marron, me répond-elle en pointant mon œil droit, et un œil vert et rouge, ajoute-t-elle en pointant l'autre œil.

- Vert et rouge ?!

- Vi ! Vert et rouge ! »

Je ne comprend pas… Je dépose la petite par terre qui d'emblée s'accroche à ma jambe ce qui me fait sourire et sort mon téléphone sous ses petits yeux curieux. Tiens, je n'ai pas de réseau… J'enclenche le mode appareil photo afin de me voir : autour de mon œil droit, liseré couleur sang est apparu, comme sur le tableau dans la pièce secrète...

STOP.

J'ai ressenti une vive douleur à la poitrine, comme des milliers d'aiguilles me traversant… Rémy… Devant moi se trouvent des personnes aux yeux couleur agrumes… je n'ai aucun réseau… mais alors… Non, c'est impossible… IMPOSSIBLE !

Je m'approche des parents de la petite et relève la jeune femme afin de lui rendre sa petite : elle me remercie d'un air curieux, mélange de respect et d'humour.

- Dis-moi petit singe comment t'appelles-tu ?

- Moi je suis Ninya ! Et toi princesse ?, me demande-t-elle, sous le regard courroucé de sa mère.

- Ninya ! Combien de fois t'ai-je demandé de te présenter correctement devant les nobles ?

Les nobles ?

- Padon, maman… Hum, hum, fit-elle en se raclant la gorge, Je m'appelle Ninya Falanim Ritsua mademoiselle.

Ce n'est pas vrai…

- Bonjour, mademoiselle Ninya Falanim Ritsua. Je suis Alyana Ravilya Richard Atsurui, enchantée de te connaître.

- Whaou ! Tu es donc une vraie princesse ! Et gentille en plus ! Maman, hein qu'elle est gentille ?

- Oui ma puce, elle est gentille, calme-toi maintenant veux-tu ? Bonjour demoiselle Alyana, je m'appelle Myrna Ritsua et voici mon mari Roc Falanim. Mon petit garçon se nomme Vic Falanim Ritsua. Nous vous sommes extrêmement reconnaissant d'avoir sauver nos enfants, en revanche nous n'avons rien qui puisse vous rembourser cette dette…

- Je ne vous demande rien Myrna, absolument rien… Du moment que ce petit singe va bien, lui dis-je en lui caressant la tête, rien ne m'importe plus...

Myrna s'effondre sur le sol, soulagée. Ninya s'approche de moi et me fait signe de me mettre à sa hauteur : elle me colle un bisou sonore bien collant sur la joue, ce qui me fait à nouveau rire. Je n'avais pas remarqué mais le soleil a déjà décliné et si je suis bien à Tensya comme je le pense, je suis bien incapable de retourner chez moi…

Pauvre Abigaëlle, elle va être morte d'inquiétude… Je ne sais pas si je dois oser…

- Euh… en fait… si... il y a bien quelque chose que vous pouvez faire pour moi… Je n'ai pas d'endroit où passer la nuit… est-ce que vous pourriez…

- Oui ! Oui ! Oui !, répondirent les enfants en chœur.

- Elle dormira dans mon lit !, annonce le petit singe.

- Non ! Dans le mien !

- Vic, une jeune fille ne peut pas dormir dans le lit d'un garçon sans être mariée voyons…, le taquinais-je avec un clin d'œil. Il rougit aussitôt.

- Nous pouvons vous offrir le gîte pour la nuit si vous le souhaitez… Seulement… pour le couvert…

- Ne vous en faîtes pas. J'ai ce qu'il faut de ce côté.

Ils me conduisent vers une petite chaumière absolument charmante : les murs en chaux blanche sont agrémentés de petits volets en bois peints en vert, en dessous d’un toit en paille dure. Dans un petit enclos poussent des légumes et des fleurs que je ne reconnais pas. Dans la cour, des petits animaux ressemblant à des poules en plus colorés et plus ronds s’ébattent joyeusement dans une flaque d’eau turquoise. Myrna demande à Vic de rentrer les animaux et de préparer un matelas pour moi pendant que Ninya me montre où je vais passer la nuit. Elle s’excuse d’avance de la simplicité de son accueil.

Entre ça et dormir dehors…

Je constate qu’ils n’ont ni électricité ni eau courante… Un puits trône au centre de la cour. Je vais devoir dire adieu à mon portable… et à mes longues douches chaudes...

Mon petit singe me guide vers une échelle qui mène sous le toit. Je suis obligée de baisser la tête pour pouvoir entrer dans la chambre des petits. Ils dorment sur des lits au matelas de paille, avec des oreillers remplis de plumes colorées et des couvertures faites de plusieurs morceaux de tissus cousus entre eux. Elle se penche vers son lit pour me donner un de ses oreillers : je le prends et le sens. Une odeur sucrée m’emplit les narines. Ninya me regarde d’un air interrogateur : je dois certainement avoir un comportement bizarre pour elle. J’essaie de me reprendre et lui envoie un grand sourire auquel elle répond.

J’entends Vic monter l’échelle au prix de beaucoup d’efforts : il tire avec lui un énorme sac rempli de paille. Sûrement mon matelas… Je l’aide et récupère le sac qui est assez lourd. Ils m’aident à m’installer : nous plaçons mon couchage entre les lits des enfants pour qu’il n’y ait pas de jaloux. Une fois que tout est fait, nous nous asseyons en cercle.

- Princesse ? Tu n’habites pas ici pas vrai ?, me demande Vic de but en blanc.

- Pourquoi tu me dis ça ?

- Bah… tu portes des vêtements bizarres… tu regardes toutes les choses simples comme si tu les découvrais… tu as un nom vraiment bizarre… de cheveux bizarres... et surtout tu ne te comportes pas comme une princesse…

- Ah vraiment ?, lui répondis-je vexée. Et comment se comporte une princesse ?

- Elles sont arrogantes, insupportables et méchantes, tout le contraire de toi !

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Vic me dévisage comme si j’étais une espèce rare voire une personne complètement folle. Ce petit est incroyable : il a un esprit très vif et semble intelligent. Peut-être que...

- Effectivement… Je ne suis pas d’ici… Je viens d’un autre monde… Mais chut ! C’est un secret !

- C’est vrai ?, me demande Ninya, les yeux arrondis comme des soucoupes.

- Oui… Je ne connais rien de votre monde… Vous voulez bien m’apprendre ?

- Tu n’es qu’une menteuse ! Un autre monde ça n'existe pas !

- C’est pourtant bien toi qui me l’a demandé Vic ! Il va falloir te mettre d’accord avec toi-même !

Je ris devant sa petite mine contrite. Il semble réfléchir et peser le pour et le contre. Finalement, il semble croire à mon histoire. Il descend dans la pièce principale et remonte avec un gros livre. Ninya tape des mains, heureuse et proclame : « c’est l’heure de la leçon ! C’est l’heure de la leçon ! » Vic ouvre le livre : on y trouve de nombreuses illustrations et des petits textes. Il ressemble à une encyclopédie. Il choisit une page bien précise : une carte détaillée de Tensya. Il se met à me faire un cours de géographie. Je ne m’étais pas trompée : ce petit est vraiment intelligent. Sa petite sœur et moi buvons ses paroles : c’est un orateur hors pair.

La leçon est interrompue par Myrna qui nous appelle pour le dîner. Nous descendons, le petit singe sur mes épaules. Le père est gêné par ma présence : contrairement aux autres membres de la famille, il est le seul à ne pas m’avoir adressé la parole. Je remarque qu’un siège a été ajouté à table à mon intention. Cela me touche. Nous nous asseyons, Myrna sert aux enfants une mixture orange, ressemblant à de la soupe : ces derniers ronchonnent des « encore... » mécontents. Je les regarde tour à tour et sors mes sandwichs de mon sac : les enfants semblent très intéressés. Je fais mine de ne rien voir et sort mon couteau suisse. Je commence à les découper en sifflotant sous l’œil amusé de Myrna. J’en prends un et le porte à ma bouche : petit singe suit mon geste du regard. Discrètement, je demande la permission à leur mère qui accepte. Je partage donc mes sandwichs avec les petits qui dévorent leurs parts. Je souris.

Je vais coucher les enfants qui ne veulent pas me quitter mais qui tombent de fatigue. Après les avoir endormis, je rejoins les parents assis devant le feu, l’air complètement abattu. Je m’installe avec eux, un peu gênée.

- Vous n’êtes vraiment pas d’ici ou mentez-vous à nos enfants ?, me questionne Roc de façon brutale.

Je ne sais pas si je dois leur dire la vérité : après tout, je ne les connais pas. Myrna prend ma défense : elle m’est reconnaissante d’avoir sauvé ses petits trésors alors que je vienne d’un autre monde ou pas, peu lui importe. Roc la regarde tendrement et finit par approuver. Il prend le temps de me remercier comme il se doit et me gratifie d’un véritable sourire.

- J’ai bien cru que vous n’alliez jamais m’adresser la parole ! Effectivement, je ne suis pas de votre monde… Cela peut vous paraître bizarre mais c’est la stricte vérité… et je ne sais absolument pas comment faire pour rentrer chez moi. Je suis perdue et seule à Tensya…

- Ecoutez mademoiselle Alyana…

- Appelez-moi Alyana tout simplement.

- Alyana donc… Vous pouvez rester ici autant que vous voudrez… seulement, comme vous l’avez constaté, nous sommes très pauvres et ne mangeons pas à notre faim tous les jours… mais nous serons ravis de partager nos maigres repas avec vous.

- Roc… Je ne sais pas quoi vous dire… A part merci. Merci de tout coeur. J’essaierai de ne pas être un poids supplémentaire pour vous.

- De plus, ajoute Myrna, j’ai l’impression que les enfants se sont déjà beaucoup attachés à vous. Vous pourrez utiliser mes vêtements… les vôtres sont… comment dire… peu pratique ! Même si je crains un peu pour la taille… Je pense que vous saurez les ajuster ! Dès demain, je dois me rendre en ville pour y vendre certains de nos produits : je serai plus rassurée si vous restiez auprès d’eux, je serai absente cinq à six jours et je sais que Roc n’a pas autant de patience que moi avec ses petits monstres !

- Bon, sur ce, il est grand temps d’aller nous coucher, coupe ce dernier. Demain est un autre jour.

Nous nous souhaitons bonne nuit et je monte dans la chambre des enfants. Myrna me donne une robe de chambre blanche au tissu un peu revêche. Il s’avère qu’elle m’arrive aux mollets alors que sur Myrna l’ourlet traîne sur le sol. Je regarde les petits dormir : il est vrai qu’ils sont frêles, leurs petites joues sont creuses. Ils ont l'air si paisibles ! Intérieurement, je me promets de tout faire pour rendre leur quotidien plus heureux.

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