Arietty Abigaëlle

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Je m’appelle Arrietty Abigaëlle, j’ai aujourd’hui 67 ans. A l’âge de 44 ans j’avais tout perdu : mon mari, mon fils, ma maison. Je me suis mariée jeune, je venais à peine de fêter ma majorité. Mon mari, Richard Arrietty, était un homme doux, j’ai vraiment eu de la chance. Le mariage d’amour à notre époque n’existait pas. Lorsque mes parents me l’ont présenté comme étant mon fiancé, nous étions aussi gênés l’un que l’autre. Le mariage célébré, nous nous sommes installés dans une petite maison au bord de la rivière qui coule dans le domaine. Mon mari était bûcheron et vendait son bois aux villages alentour. Nous étions pauvres mais heureux. J’ai eu beaucoup de mal à enfanter : avant d’avoir mon petit Rémy, j’ai dû pleurer deux filles mortes-nées. Cela va sans dire que notre petit garçon était notre trésor inestimable : ses grands yeux noirs et ses boucles cuivrées en faisaient un vrai angelot. Dès sa cinquième année, les jours où il n’avait pas école, il avait pour habitude d’accompagner son père dans la forêt où il cueillait fleurs, champignons et autres fruits des bois.

L’été de mes 40 ans, ma vie a commencé à basculer. Un soir, Richard se rua vers la maison à grand coup de cris me demandant si Rémy était rentré seul. Affolée, je lui répondis que non : Rémy avait alors disparu. Il n’avait que neuf ans. Nous l’avons cherché partout, fouillé la forêt dans ses moindres recoins. Nous sommes descendus au village voir s’il n’avait pas été retrouvé ses copains pour aller à la pêche. Rien. Je sombrais alors dans une tristesse infinie. Je n’ai pas pu mener à terme d’autres enfants, après Rémy j’en perdis encore trois. Rémy avait été mon seul petit miracle. Nous avions même demandé de l’aide au village voisin qui nous connaissait bien : aide qui fut bien sûr accordée mais sans aucun résultat. Au bout d’une dizaine de jours de recherche, personne n’avait trouvé quoique soit de notre fils, ne serait-ce que son panier qu’il avait toujours avec lui. Certains ont alors émis l’hypothèse d’un enlèvement par les gens du voyage, cela se voyait assez souvent… Les recherches furent abandonnées et mon cœur se resserrait davantage. Un soir que je rentrais de la rivière après une lessive, Richard m’attendait sur le pas de la porte, un énorme sac à l’épaule. Il n’eut pas besoin de me dire que je compris aussitôt : il ne voulait pas abandonner. Il me prit dans ses bras et s’enfonça dans les bois. Je ne le revis plus jamais vivant.

Trois années passèrent dans une solitude qui était devenue ma seule et unique amie. Je ne faisais que survivre, espérant le retour de mon mari et de mon fils. Je ne vivais que dans ce but. Un jour, un chasseur du village se présenta à moi avec dans sa main… la cape toute déchirée de mon mari ainsi que son sac. Je m'effondrais. J'étais désormais seule au monde. Plus rien ne me rattachait ici. Je décidais donc de mettre fin à mes jours. Le soir même, je bus une décoction de plantes que je savais toxique et mis le feu à ma maison. Je voulais brûler ce désespoir qui était en moi afin de pouvoir partir l'âme tranquille. A moitié sans connaissance, je crus entendre la voix de Rémy qui m'appelait. Oui mon fils, maman arrive. J'ai entrevu la porte s'ouvrir et quelqu'un se précipiter vers moi puis ce fut le noir absolu.

Je me réveillais avec de nombreuses douleurs surtout au niveau de l'abdomen. J'étais allongée sur une épaisse fourrure dans ce qui semblait être une grotte. La voûte, parsemée de stalactites, me paraissait à une hauteur effroyable, comme une gueule remplie de crocs prête à me dévorer. L'entrée, immense et baignée par la lumière du soleil couchant, se trouvait à quelques mètres de moi. Je me sentais minuscule. A ma droite se trouvaient deux bols en bois énormes : l'un rempli d'eau et l'autre d'une mixture verdâtre à l'odeur peu ragoutante. J'essayais de m'asseoir, en vain. Épuisée, tant physiquement que moralement, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Une ombre gigantesque s'approcha de moi, si grande qu'elle semblait obturer l'entrée de la caverne. Paniquée, je retins mon souffle.

L’ombre s'assit près de moi et voulut poser sa main sur mon visage. Celle-ci était assez grande pour m'enserrer la tête. J'ai hurlé. A ce moment, un jeune garçon d'une douzaine d'années se précipita vers moi et me sauta au cou. Interloquée, je serrais ce petit corps frêle dans mes bras bien malgré moi et sentis mon cœur se réchauffer. Je pris son visage dans mes mains et reconnus ses grands yeux noirs et ses boucles cuivrées qui maintenant lui arrivaient jusqu'aux épaules. Mon fils. Mon Rémy était de retour ! Instinctivement, je le protégeais du géant qui se tenait près de nous. Il n'avait pas d'autre mot pour décrire cette... personne. Un géant. Tout en muscles. Qu’allait-il faire de nous ?

« - Mère… n’aie pas peur. Maître Klaüs est le titan le plus gentil que je connaisse. Il ne te fera aucun mal.

- Un… Titan ?

- Pardonnez-moi Madame, je ne puis encore utiliser mes pouvoirs afin de me rapetisser pour que vous n’ayez plus peur… C’est pour cela que je vous ai emmené dans cette grotte plutôt qu’au village. Laissez-moi me présenter : je suis… Euh… Avant cela, Rémy, petiot, peux-tu vérifier la température de ta mère ? Je crains que ma main ne soit… comment dire… un peu trop grande pour cela !

- Effectivement, maître, et puis avec votre force vous risquez surtout de lui broyer la tête! »

Entendre mon fils plaisanter et rire avec ce Titan, comme il se nomme, me mis mal à l’aise. Qui était-il ? D’où venait-il ? Pourquoi Rémy l’appelait-il maître ? Comme s’il pouvait lire dans mes pensées, Rémy prit la parole, tout en mouillant un linge pour me le passer sur le visage.

« - Il y a trois ans, je me suis perdu dans la forêt. Je m’étais mis à la poursuite d’un lièvre, pensant pouvoir l’attraper pour le dîner et pour que tu puisses me faire de nouveaux gants. Sans m’en rendre compte, je m’étais trop éloigné de père. La forêt devenait de plus en plus sombre, signe que la nuit tombait. J'ai commencé à prendre peur et à appeler pour qu’on vienne me chercher. J’étais en larmes. Prenant mon courage à deux mains, je suivais le conseil de père. Souvent, il me disait que si je me perdais dans la forêt, je devais grimper en haut d’un arbre afin de me situer. Je le fis, espérant apercevoir la fumée de notre cheminée ou même la lueur de sa lampe. Mais rien. Lorsque je suis redescendu, l’atmosphère de la forêt avait changé : même en étant un enfant je l’ai perçu. Les animaux ne faisaient plus aucun bruit et une épaisse brume s’était levée. Il régnait un silence de mort. Je marchais donc à tâtons afin de trouver une souche, une cachette où je puisse me blottir et passer la nuit. Au loin, j’aperçus une lumière diffuse, d’une couleur dorée. Attiré par celle-ci, je m’avançais : lorsque je l’ai traversée, une vive douleur m’a transpercée le corps, comme mille coups de poignard. Et j’ai perdu connaissance. »

Rémy tourna son regard vers Maître Klaüs qui continua l’histoire.

« J’étais en formation magique lorsque j’ai recueilli votre fils. Avec Chrys, mon acolyte, nous nous étions séparés dans la forêt à la recherche d’herbes médicinales lorsque la même brume, la même lumière diffuse apparurent devant moi. Méfiant et sentant l’imprégnation de magie pure émaner de cette lumière, je ne m’approchais pas. Soudain, un éclair traversa la barrière, m’aveuglant un certain temps… Lorsque je recouvrais la vue, la barrière de lumière avait disparu et la brume s’était dissipée, aussi vite qu’elle était apparue. C’est là que je vis la minuscule petite chose allongée à même le sol. J’en fus horrifié : ce petit bout avait les mêmes caractéristiques physiques que nous mais en vingt fois plus petit ! Même un nouveau-né était plus grand et plus costaud que lui. Je le ramassais le plus doucement possible, sachant que si je le laissais là, les bêtes de la forêt n’en feraient qu’une bouchée. N’écoutant que mon instinct, je le ramenais donc à mon maître.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsque je lui présentai ma trouvaille ! Il prit le petit dans ses mains et le ramena dans sa chambre. Lorsqu’il revint, la joie illuminait son vieux visage : c’est un Humain, nous dit-il, un enfant Humain semble-t-il. Un Humain ? Pour nous, cette race n’était que pure invention ! Un conte pour enfants! Comment cela se faisait-il ? Comme c’était moi qui l’avait trouvé, le vieux sage m’en donna la responsabilité, ce qui ne plut pas à Chrys. Afin de ne pas effrayer l’enfant, mon maître m’enseigna une formule afin que je puisse rapetisser pour avoir une taille normale aux yeux du petit Humain. C’est en ayant moi-même la taille humaine que je me rendis compte que tout autour de moi était démesuré et pris conscience que cela risquait de prendre le petit au dépourvu. Nous décidâmes donc d’utiliser nos pouvoirs afin de créer un petit monde, un petit espace à la taille de l’enfant afin de pouvoir l’étudier. »

Ce dernier mot me fit sursauter. Qu’avaient-ils fait à mon fils ? Je posais un regard sur lui et reçut un coup au coeur : Rémy regardait ce Titan avec une infinie tendresse mêlée à beaucoup de respect.

Il n’a pas dû lui faire de mal… pensais-je.

Je me plaçais devant le Titan et me prosternais pour le remercier, après tout il s’était non seulement occupé de Rémy pendant trois ans mais il me l’avait ramené sain et sauf. De plus, il m’avait sauvé la vie. Ce dernier, confus et rouge de honte, me demanda de me relever, disant qu’il n’avait rien fait pour mériter ça. Je souris et eut un élan d’affection pour lui. Ma tête se mit à tourner et je titubais. Rémy m’aida à m’allonger tout en me rassurant : le contre poison de son maître faisait simplement effet. Il posa la couverture sur moi et blottit son petit corps contre le mien. Je m’endormis avec un sentiment de plénitude.

Je me réveillais, prise de panique. Rémy ? Où était-il ? Avais-je rêvé ? Non. J’étais toujours dans l’immense grotte, les deux bols en bois étaient toujours posés près de moi et les restes d’un feu de bois dont les cendres rougeoyaient encore ne se trouvaient pas très loin. Mais aucune trace de mon fils. Je me levais et force était de constater que j’étais en pleine forme. Je m’avançais vers l’entrée de la grotte. Je reconnaissais l’endroit : le gouffre du Diable. Nous n’osions nous en approcher : de nombreuses rumeurs couraient sur cet endroit. L’une d’entre elles disait qu’un démon vivait dans cette grotte et dévorerait toutes les âmes qui auraient le malheur de venir sur son territoire. Cette légende perdure jusqu’à aujourd’hui et cet endroit était évité comme la peste même par les chasseurs les plus aguerris. La cachette idéale pour un Titan.

Au loin, j’aperçus deux silhouettes qui se rapprochaient. Je reconnus d’emblée Rémy et devinait que l’homme qui se tenait à ses côtés était Maître Klaüs. Lorsqu’il me vit debout, Rémy se précipita vers moi et m’étreignit.

« - Je suis heureux que vous vous sentiez mieux, mère.

-Je te remercie mon petit. Mais dit moi, tu pourrais être un peu moins cérémonieux avec moi tu ne crois pas ?

- Vraiment ?, me répondit-il en rougissant.

- Oui, si tu commençais par arrêter de me vouvoyer et de m’appeler simplement maman, comme autrefois ?

- Ma...man… Maman !, s’écria-t-il fou de joie.

- Veuillez m’excuser, je crois que tout ceci est de ma faute… c’est que nous avons eu une éducation très stricte avec le vieux sage…, s’exprima Maître Klaüs.

- Ne vous en excusez pas et merci encore d’avoir pris soin de Rémy pendant ces trois ans. »

Il me sourit et je pus enfin le regarder. Ce sont ses yeux qui me choquèrent le plus : l’un était vert émeraude et l’autre marron noisette. Ce fut la première fois que je voyais cela. Son visage était beau : un nez droit, des pommettes hautes et des lèvres bien remplies. Ses cheveux longs et lisses étaient d’un brun roux, noués en tresse. Il paraissait avoir tout juste la trentaine mais je n’ai jamais osé lui demander son âge. Il était bien bâti, avec la carrure d’un bûcheron. Sa taille « humaine » était déjà bien grande. La seule question indiscrète que j’ai osé lui poser est celle sur sa taille véritable. Il m’avoua avec un brin de honte que pour un Titan, il était considéré comme petit : il faisait trois mètres quatre vingt dix sept. 3m97. Devant sa mine déconfite, je ne pus m’empêcher de rire, mettant tout le monde mal à l’aise. Ainsi, pour un Titan, avoisiner les quatre mètres était petit. Avec mon petit mètre soixante sept, je devais faire peine à voir alors... Maître Klaüs finit par sourire puis par rire à son tour.

Je leur demandais la raison de leur départ aux aurores ce matin-là : ils étaient allés au village voisin en quête d'un toit pour les prochains jours. Pour Maître Klaüs, il était impensable que nous passions encore une nuit dehors : ainsi il nous avait pris deux chambres à l'auberge, en attendant, disait-il, de trouver mieux. Je n'avais pas de quoi payer ni même de le rembourser : je refusais donc poliment. Ce fut comme si je le blessais physiquement : sa réponse fut catégorique. Il ne pouvait laisser la mère de son protégé dormir à la belle étoile : c'était une loi dans son monde. J'acceptais donc à contre cœur, me promettant intérieurement de tout faire pour honorer ma dette.

Nous descendîmes donc dans la vallée. Certains villageois me connaissaient et vinrent à ma rencontre en quête de nouvelles. Je leur annonçais donc avec une grande joie que mon fils m'avait été rendu mais cachais ma misérable tentative de mise à mort : je mourrais de honte à l'idée que j'ai pu attenté à ma propre vie. Je fis passer l'incendie de ma maison pour un banal accident de cheminée. Un petit attroupement se forma : tout le monde voulait entendre la petite histoire de la veuve sans toit. Certains me prenait déjà pour une femme sinon aux mœurs légères du moins qui n'avait plus toute sa tête : après tout je vivais seule dans la forêt. Quelques jeunes garçons qui passaient par là me lancèrent des cailloux en me traitant de pauvre demeurée, avant de se mettre à courir. N'aimant pas la tournure que prenaient les choses, je me mis à reculer et à bafouiller. Rémy voulut courir à ma rescousse avant d'être retenu par Maître Klaüs qui s'approcha et pris la parole d'une voix assez dure.

« - Bonjour, mes Dames et Sieurs du village. Je suis Maître Klaüs Ravilya et viens d'un pays étranger. Je vous serais gré de ne plus embêter cette dame qui dorénavant est sous ma protection. »

Je ne sais si c'est la stature, l'assurance ou la tenue de cet homme qui fit effet, mais celui-ci fut immédiat : l'attroupement se dispersa dans un murmure réprobateur. Encore une fois, Maître Klaüs m'avait sortie d'un bien mauvais pas. Il nous conduisit vers une maison d’hôte où effectivement il fut accueilli en grand seigneur. Les patrons le reçurent comme un roi. Leurs regards devinrent mauvais lorsqu'ils se posèrent sur moi. Rémy le remarqua aussitôt et en toucha un mot à son maître. Ce dernier me présenta comme étant sa nouvelle gouvernante et que si ma présence n'était pas souhaitée il pourrait toujours aller ailleurs. L'homme lui assura que tout allait bien, il n'avait aucun souci à se faire : après tout il pouvait payer le gîte et le couvert à qui bon lui semblait. Je fis une petite révérence pour confirmer ses dires, bien que je fus très surprise par cette annonce.

Arrivés dans nos chambres, je lui ai demandé des explications. Pourquoi faisait-il tout cela pour nous ? Je ne comprenais pas, nous étions pourtant de parfaits étrangers. Sa réponse m'étonna énormément : en donnant naissance à Rémy et malgré le fait que leur rencontre fut fortuite, je lui ai donné un sens à la vie. Pour cela, il m'en sera éternellement reconnaissant. J’étais stupéfaite. Il me pria gentiment de rester ici en sécurité pendant que Rémy et lui sortaient faire quelques courses. Je lui précisais, bien que vainement, que je n'avais besoin de rien. Il me sourit et me fit promettre de ne pas sortir de la pièce, sous aucun prétexte. Là encore, son attitude me pris de court mais j’acquiesçais quand même.

Je m'assis sur le lit et profita de ce moment pour réfléchir. En l'espace d'à peine trois jours, ma vie avait complètement basculée : la mort de mon mari, ma tentative de suicide, la perte de ma maison et le retour de Rémy. Ajoutez à cela, la découverte des Titans. Maître Klaüs m'avait aussi parlé de magie, d'un monde différent du nôtre… Cela paraissait totalement irréaliste. Je ne pouvais pas y croire. Je me demandais où pouvaient être Maître Klaüs et Rémy. Je tournais en rond dans la chambre je finis par m’allonger sur le lit et m’assoupis. Je reprenais mes esprits lorsque j’entendis la clé tourner dans la serrure. Rémy entra avec une pile de livres plus grande que lui. Je m’empressais de venir l’aider.

« - Mais qu’est-ce que ?!

- Maître Klaüs veut apprendre le plus possible sur notre monde… donc… nous sommes allés à la bibliothèque et voilà... »

Effectivement, il y avait de tout : littérature, botanique, histoire, géographie, mathématique et… un livre de contes. Ce dernier livre me laissait perplexe puis je me souvenais que pour les Titans la race humaine relevait du conte pour enfant. Je suppose qu’il voulait vérifier l’information inverse. Maître Klaüs fit son entrée lui-même chargé : il déposa le tout sur la table près de la fenêtre. Durant quatre jours, il fut plongé dans sa lecture, ne s’arrêtant que pour grignoter quelque chose et prendre une douche. De temps en temps, il demandait à Rémy de repartir à la bibliothèque pour y déposer un livre et en reprendre un autre bien précis. Je crois bien qu'il a dû dévorer la bibliothèque entière : sa vitesse de lecture était incroyable !

Le cinquième jour, il prit enfin le temps de sortir prendre l'air et revint avec vieil ordinateur qu'il disait avoir emprunté au propriétaire de la maison d'hôte. Ce dernier servait aux réservations en ligne, bien qu'elles soient rares. Maître Klaüs s'assit sur le lit, la machine devant lui et un livre à la main. Personnellement, je ne connaissais rien à toute cette modernité, je le laissais donc faire quoique je fus curieuse de savoir ce qu'il cherchait avec tant de passion. Le soir-même, il demanda à Rémy de l'accompagner à la ville voisine, tôt le lendemain. Pour y aller, ils devaient prendre le train. Je me proposais de les accompagner, je ne voulais plus rester seule ici.

Nous prîmes le train aux aurores : c'était la première fois pour moi. Je n'étais jamais sortie de mon petit hameau. N'ayant jamais vu la ville, j'étais folle de joie. Le soleil était déjà chaud lorsque nous sommes arrivés à la gare. Le quai grouillait de monde et de bruit en tout genre : cris d’enfants, marchands de fruits, musique... Soudain je me sentis toute petite, presque effrayée. J'en vins presque à regretter mon choix d'être venue. Percevant mon inquiétude, Rémy me tendit la main que je serrai avec gratitude.

Quand est-ce que mon petit est-il devenu grand ?

Arrivés devant le bâtiment, une automobile nous attendait. Surprise, mon regard passait de l'homme qui nous ouvrait la porte à Maître Klaüs : il me sourit et me dit « Les joies des réservations par Internet ! », appuyé d’un clin d’œil. Je souris bêtement : cet homme venait à peine d'arriver dans notre monde qu'il pouvait déjà mieux se débrouiller que moi !

Dans la voiture, je dévorais le paysage des yeux : cet endroit était tellement différent de là où je vis ! Le chauffeur nous arrêta près d'une boulangerie où l'odeur de pain frais réveilla mon estomac. Rémy me prit par la main et nous descendîmes de voiture : celle-ci repartit, Maître Klaüs à son bord. Je ne comprenais pas : où allait-il ? Rémy me sortit de ma torpeur pour m'indiquer une petite table où un petit déjeuner nous attendait : thé, lait et petits pains chauds étaient au menu. Notre bienfaiteur nous payait encore à manger alors que lui-même n'avait rien avalé. Une fois de plus, je me dis que je devais tout faire pour pouvoir le rembourser un jour.

Quelques heures plus tard, Maître Klaüs revint avec un porte document sous le bras et un trousseau de clé à la main. Il me demanda si je souhaitais visiter la ville et je refusais. Je n’avais qu’une envie : retourner chez moi et retrouver la quiétude et le silence. Nous prîmes donc le train de midi. Une fois de retour dans ma vallée, j’étais épuisée. Maître Klaüs me ramena à la maison d’hôte afin que je me repose.

« Nous avons encore quelques courses à faire, maman. Nous serons rentrés bien avant le dîner. Repose-toi s’il te plaît. »

Avec un soupir d’aise, je m'allongeais sur le lit aux draps frais. Une fois ma tête posée, je sentis quelque chose de dur sous l'oreiller : je le soulevais et y découvris un petit coffre. Piquée par la curiosité, je l'ouvrais et y découvrit le bijou que vous portez aujourd'hui Mademoiselle. Fascinée par sa beauté, je tendis une main pour le toucher lorsque j'entendis quelque chose gratter la porte. Prise de panique, j'enfonçais le petit coffre dans mon corsage, avant de m'allonger sur le lit de faire semblant de dormir, tournant le dos à l'entrée. La porte s'ouvrit sur les propriétaires.

« - La gouvernante est là, on devrait peut-être…

- Oh, mais tais-toi donc pauvre idiote ! Tu vois bien qu'elle dort ! Il ne faut surtout pas la réveiller ! Bon, il doit être bien riche le seigneur vu qu'il a payé pour toute une semaine, même pour ces deux crasseux là ! Va fouiller dans ce coin, je m'occupe du placard... »

Je peinais pour ne pas trembler : les patrons étaient sur le point de voler Maître Klaüs. Repensant à tout ce qu'il avait fait pour moi, je m'armais de courage et me levais pour faire face à ces viles personnes. D’un ton que j’espérais sans appel, je leur demandais de sortir de la pièce en leur promettant de ne rien dire à leur client. La femme de l’aubergiste se couvrit le visage des mains, luttant pour retenir des larmes de honte. Son mari en revanche ne montra ni regret ni peur. Il s’approcha de moi d’un air sournois avant de lever la main et m'asséner le seul et unique coup que je reçus de ma vie. Je m’évanouissais.

Lorsque j'ai repris connaissance, j’étais ligotée et bâillonnée sur une chaise dans ce qui ressemblait être une cave à haute voûte : près de moi se trouvait des rangées de vins et autres champagnes. L’odeur de la pièce était nauséabonde, comme des relents de pourriture. Mon visage me brûlait et je peinais à ouvrir l’œil gauche. J’avais beaucoup de mal à respirer et j’étais terrifiée. Personne ne me retrouverait ici. J’allais donc finir mes jours dans cet endroit puant en laissant mon Rémy. Des larmes de rage inondèrent mon visage tuméfié. L’aubergiste entre dans mon champ de vision, bien que celui-ci fut réduit. Il m’exposa son plan : il avait trouvé dans la chambre un coffret rempli d’or et allait faire croire à Maître Klaüs que c’est moi qui le lui avait volé avant de m’enfuir. Puis, il comptait me tuer et balancer mon corps dans le fleuve avec le coffret vide pour faire croire que j’ai été victime de truands. Dans sa main luisait un énorme couteau à viande : je n’osais plus ni pleurer ni même respirer et me mis à trembler.

« -Très astucieux comme plan, je l’admets volontiers. » tonna la voix du Titan.

L’homme se retourna et fit face à Maître Klaüs qui avait abandonné sa taille humaine sans pour autant reprendre celle du Titan. Ses yeux brillaient d’une fureur à peine contenue. Le tenancier se mit à genou en marmonnant des paroles incompréhensibles, mêlant les mots « monstre », « géant » et « démon ». D’un claquement de doigt, la lame du couteau se replia sur elle-même avant de se recouvrir d’un épais liquide noir qui se glissa sur la main de son propriétaire avant s’y agripper et de remonter le long de son bras. Ce dernier hurla de terreur avant de perdre connaissance. A ce moment-là, Rémy s’accroupit près de moi pour me libérer de mes liens et me prit dans ses bras. Je pleurais à chaudes larmes dans le creux de son cou. J’étais affaiblie, je n’arrivais pas à me mettre debout. Maître Klaüs s’approcha, me prit dans ses bras afin de me porter en dehors. Confuse, je me laissais faire.

Il faisait nuit noire et l’air frais me fit du bien. Nous nous trouvions à l’arrière de la maison d’hôte et pouvions entendre le bruit du repas, battant son plein au son d’un petit orchestre. Cette ambiance joyeuse raviva la blessure d’avoir été traitée comme une moins que rien et mes pleurs recommencèrent. Maître Klaüs me berça, non comme on berce une amante mais comme une enfant qu’il fallait consoler à tout prix. Il attendit patiemment que je me calme. Lorsque mes soubresauts se terminèrent, je posais la question qui me taraudait : comment m’avaient-ils retrouvée ? Rémy me regarda avant de prononcer d’étranges mots et un fil argenté apparut reliant nos deux cœurs.

« Où que tu ailles maman, je saurai te retrouver. Je t’ai perdu une fois, je ne veux plus jamais ressentir cette douleur. »

Ces mots eurent un effet apaisant sur mon âme et je m’endormis sur l’épaule du Titan. Lorsque je me réveillais, j’étais allongée dans un lit que je ne reconnaissais pas. Rémy entra dans la pièce, m’apportant une tisane bien chaude aux odeurs de menthe. Lorsque je lui demandais où nous étions, il me répondit ces deux petits mots : « Chez nous. » Je me levais et aperçut Maître Klaüs dans un coin de la pièce. Il se racla la gorge avant de m’expliquer : lorsque nous étions en ville, il est allé acquérir un manoir. Ne voulant pas être séparé de Rémy, qu’il considérait comme son fils selon son propre aveu, il me demanda de rester vivre sous son toit et me proposa de travailler pour lui. Rémy s’occuperait des jardins et moi de la maison.

Cet homme avait réellement tout fait pour moi : il m’avait sauvé la vie, m’avait ramené mon fils, m’avait défendu et voilà qu’il m’offrait un toit et un travail. Je lui dois absolument tout.

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