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« Cachette : lieu propice pour se cacher ou cacher quelque chose. »

« Secret : qui ne se dévoile pas, qui doit rester confidentiel. »

« Cœur : endroit qui réunit ces deux définitions. »

Mon cœur a pitié de moi en ne m’envoyant pas les définitions des mots « ridicule » et « flop total ».

Je soupire, ravale des larmes de rage.

La première fois que j’ai vu Roman Guillot, c’était à un séminaire d’embauche. Il s’était avancé sur l’estrade et avait lancé le show pour présenter son entreprise. C’est un orateur-né, qui avait su, ce jour-là, parler à la foule. Et à mon cœur tout entier.

Boum ! Boum !!

Vous savez, quand la lumière divine vous tombe dessus ? C’est ce que j’ai ressenti ce jour-là. J’avais déjà lu des histoires sur le coup de foudre, comme dans les contes de fées. Il était le chevalier, la scène son destrier, et moi, je voulais être la princesse à qui il tendrait la main, pour l’emmener dans son château avec lui.

Je cherchais un emploi, peu importait l’entreprise. Alors j’ai postulé, j’ai été embauchée. Mais il ne m’a jamais regardée, ni même reçue, il ne connaît tout simplement pas mon existence. L’ignorance est pire que le rejet, et mon cœur en a mal tous les jours, de le savoir enfermé dans la tour de son bureau, à ne jamais voir ni recevoir personne, à ne pas pouvoir saisir ma chance.

Ici, les employés disent qu’il n’est à l’aise que sur scène, face à une foule anonyme mais que, face à une personne, il perdrait tous ses moyens.

Lui avoir offert ce baiser m’a conforté dans mon idée. Le ton de sa voix a fusillé mon cœur qui a admis la triste réalité : il ne sera jamais à moi.

Boum ! Boum !! Boum !!!

Oui, mon pauvre cœur, je sais, il est temps d’y mettre un terme.

Je rassemble mes affaires, laisse les dossiers en cours sur le bureau, bien en vue, pour mon successeur. Aujourd’hui est mon dernier jour, je vais pleurer ma peine pendant quinze jours. Et puis, je relèverai la tête ; dès les fêtes passées, je chercherai un nouvel emploi et je l’oublierai.

Quelle belle menteuse je fais… comme si la distance allait soulager le poids qui écrase mon cœur.

Ce dernier me souffle une nouvelle définition quand je passe la porte.

« Abandon : action de renoncer à quelq… »

Oui, je sais, mon cher cœur. Mais il faut parfois admettre que certains combats ne peuvent être remportés.

***

Premier étage : rien.

Second étage : pas mieux.

Troisième et quatrième : rien et encore rien !

Voilà presque deux heures que je passe de service en service pour trouver mon arc-en-ciel. Je rentre dans chaque bureau, interroge chaque employé. Personne ne la connaît, à croire qu’elle n’a jamais existé. Pourtant, un tel éclatement de couleurs, ça ne peut pas s’inventer.

Je consulte ma montre toutes les minutes, comme si je pouvais stopper la course du temps. L’heure tourne, le vilain tic-tac des aiguilles joue contre moi.

« Cours-lui après. »

Merci Paul pour ce conseil idiot, je suis le pire pisteur que cette terre ait compté !

Il me reste encore à chercher au cinquième étage. Le dernier, ma dernière chance. Mais il me reste quoi avant que tout le monde parte en congés ? Moins de quinze minutes ? Autant rendre les armes immédiatement et attendre le retour des congés.

Sauf que je ne pourrai jamais attendre si longtemps.

Je traîne ma carcasse dans un grand bureau, c’est le seul du cinquième étage, un large open space, tout le reste n’est occupé que de paperasse et d’archives. C’est le pôle quoi ici, déjà ? Sur la porte est écrit « Marketing, communication et création. » Je ne crois pas être jamais monté ici, il serait peut-être temps que j’apprenne à connaître mes employés... C’est Paul qui valide les embauches, pas moi, jamais : les têtes à tête me mettent mal à l’aise, je ne suis doué que sur une scène à débiter mon show.

J’observe l’espace spacieux ; une bonne douzaine de bureaux, soigneusement décorés aux couleurs de Noël, mais sur lesquels s’empile un bordel innommable. Tous sauf un qui est trop vide, trop propre. Mon cœur se serre en le voyant, sans que je comprenne pourquoi.

Une jeune femme penchée au-dessus de la photocopieuse me dévisage soudain. Grande, brune, habillée d’un tailleur chic. Pas celle que je cherche. Elle tord le nez en me voyant planté sur le seuil de la porte.

– Je peux vous aider ? demande-t-elle.

– Je cherche quelqu’un.

– Oui, qui ?

– J’ignore sans nom.

– Ça ne va pas nous aider, me répond-elle avec dédain. Et vous êtes ?

– Roman Guillot, je siffle.

Elle écarquille les yeux en comprenant que, eh oui ma chérie, je suis ton patron.

– Rousse. Écharpe. Collants. Arc-en-ciel, je répète pour la énième fois.

– Vous parlez d’Émilie ?

Je me retourne vers un homme habillé comme une guirlande colorée. Un peu comme ma rouquine, d’ailleurs, ce doit être un de ces putains d’artiste qui vit d’amour et d’eau fraîche et se fringue n’importe comment. La connaît-il ? Est-il proche d’elle ? Je sens une bouffée de jalousie me monter au nez et mon envie de meurtre revenir au galop.

– Elle vient de partir. Elle a démissionné.

Mon cœur se fissure en l’apprenant.

Et mon vœu d’être tel un ange à qui l’on arrache les ailes.

Et qui tombe.

Qui tombe.

Avant de s’écraser au sol.

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