Trop bref

4 minutes de lecture

Comme l’onanisme, l’écriture est un plaisir solitaire.

Toutes deux sont des activités souvent quotidiennes, parfois pluriquotidiennes. L’une comme l’autre sont sujettes à panne, la page blanche pour l’une, pour l’autre, la flaccidité. Je ne parle pas ici des masturbations d’opportunité en cas de réveil lors d’érections nocturnes, féminines comme masculines, mais de plaisir recherché. La stimulation manuelle est souvent insuffisante à obtenir une érection apte à satisfaire le désir, concernant la stimulation électromécanique, je ne suis pas compétent pour me prononcer.

Le moteur de l’auto-érotisme comme celui de la création est l’imagination, dans les deux cas il est parfois nécessaire de la stimuler auditivement, visuellement, plus rarement olfactivement voire gustativement. L’activité tactile, elle, est indispensable aux deux. Comment vais-je exalter mon désir pour faire naître le tien ? Comme toute histoire celle-ci demande une description du contexte.

Il est vingt-trois heures quarante ce samedi, je suis seul, installé dans le salon. Uniquement vêtu d’une courte robe de chambre en satin noir, je suis assis sur mon fauteuil pivotant de cuir rouge, mon VAIO sur les genoux. À portée de main, sur le bout de canapé, un Whisky Sour, j’ai glissé dans le lecteur CD le chef-d’œuvre de Tangerine Dream, Ricochet. La première note longue modulée retentit. Mes mains se posent sur le pc, mes doigts parcourent le clavier, j’écris. Comment te faire toucher l’objet de ce plaisir ?

Ce disque plus que tout autre semble conçu pour la syntonisation de deux corps, vais-je évoquer des souvenirs ? Celui d’un dieu marin ayant pris forme de dauphin pour chevaucher une sirène ? Non, ce serait trahir l’objet de cet éloge. Et ses variations de tempo, d’intensité, de volume et de rythme conviennent à l’occupation à laquelle je me livre.

Toi qui me lis – la lecture aussi est un plaisir solitaire, mais son ressort principal est le voyeurisme. Tu veux tout savoir, tu évalues le plaisir que te donne la façon dont je conte le mien – vais-je t’imaginer en tenue légère, tenant d’une main la tablette sur laquelle s’affiche ce texte, laissant l’autre s’égarer ? Non ! car entre tes cuisses un flou persisterait. C’est bien évidemment moi qui flouterais, de crainte que ne s’y trouve une verge, ce qui ne stimulerait nullement ma libido.

Ce qui est formidable dans le plaisir solitaire c’est que tout est permis. Je suis le seul maître de mon plaisir, je peux tout oser, tout écrire, tout inventer ou simplement relater. Pour moi la documentation fait partie intégrante du plaisir d’écrire, ce soir, ce plaisir sera plus intense que d’habitude.

Cette nuit, c’est soirée X filles, non ce n’est pas sur M6. Ni sur canal plus d’ailleurs, j’ai horreur des films X hétéros, je déteste voir des mecs beaucoup plus moches que moi, beaucoup mieux équipés que moi, s’ébattre avec des femmes, dont certaines me semblent désirables. Je digresse encore, je me laisse aller à mes pires penchants, mais c’est sans importance parce que j’écris pour moi.

La publication par contre c’est de l’exhibitionnisme, c’est afficher sa création en pleine lumière, la livrer aux yeux des autres dans toute sa beauté et ses imperfections. Quel que soit son sujet, c’est une partie de soi qu’on livre à ceux qui savent lire. S’agissant de « poster un texte érotique », quelle qu’en soit la forme, ce sont certains de mes fantasmes que je vais te révéler. Heureusement, j’ai la possibilité de supprimer des parties avant de publier.

Mais l’heure tourne, sur l’écran 106 cm, l’exposition est terminée, la première scène d’action commence. Il est temps de réveiller mon désir, les X filles sont des filles de Girlfriends Films. Pourquoi elles ? Accessoirement parce que je les trouve bandantes, et surtout parce que cette société de production a la bonne idée de ne pas ajouter de musique à ses films. Je peux me laisser emporter par celle hypnotique du trio Froese, Bauman, Franke, je m’active à son rythme, mes doigts effleurent les caractères. Je m’interromps le temps de prendre mon verre et boire une gorgée. Aux sons des synthesizer, bass, guitar, keyboards, composer et drums, se superpose le rire des filles, j’aime les entendre rire, ma sexualité a, toujours, été ludique. Je pianote sur les touches, maintenant ce sont gémissements, halètements, râles et petits cris qui se mêlent à l’enregistrement.

Retour au Vaio, je caresse son touchpad, des mots fusent entre les bruits de baisers et de succions, un « Oh my god! » isolé ou répété, un « yeah, yeah, yeah, yeah, yeah, yeah » ricoche à contretemps du morceau. Il est zéro heure cinq, l’action se transforme en moment de tendresse avant un fondu au noir, le CD est terminé depuis quelques minutes. J’en profite pour faire une pause, l’ambiance est torride, les glaçons ont fondu dans le verre. La maîtrise permet de faire durer le plaisir, de le reprendre après une pause, de se désaltérer, de faire baisser la tension.

Dans la seconde scène, sans apport de musique extérieur, je perçois de nouveaux sons. S’ajoutent aux rires, gloussements et ahanements, le froissement des draps, le bruissement des corps l’un contre l’autre, les grincements d’un lit malmené, le bruit d’une claque sur une fesse charnue. Ces « don’t stop » prononcés avec frénésie, s’adressent-ils à moi ? Puis ce sont des « make me come, make me come, make me come » suppliants, qui eux j’en suis sûr ne me sont pas destinés, suivi d’un reconnaissant « i love it » adressé à une adepte du piercing dont la langue est agrémentée d’une jolie petite boule bleue. Plus tard je jouis du délicieux bruit d’une paume, d’une cuisse ou de toute autre partie du corps, qui frappe un sexe mouillé, ici, deux sexes mouillés qui se heurtent m’imposant leur rythme fougueux.

Enfin apaisé, je fais mien le « j’aime ça ».

Il est maintenant deux heures passées. Je n’ajoute rien.

Annotations

Vous aimez lire scifan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0