Bagarre générale

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Cela ne me plaisait pas du tout.

Cela ressemblait à une diversion. Quelqu'un essayait de nous ralentir.

Ce qui comptait, c'était mon anniversaire, retrouver la bague, avant l'incident fatidique de ma transformation quantique. Je sais, on dit beaucoup de choses sur le temps, sur l'impossibilité de voyager dans le temps. Mais voyager dans le temps, c'est bien ce que j'ai l'intention de faire. Pour moi, qui suis quantique, c'est juste ce qui s'écoule autour de moi, ici ou ailleurs. Je me vois déjà arriver dans un monde de souvenirs, comme lorsque l'on revient, après de longues vacances.

Tout peut alors recommencer tout le temps à fond les roulettes, en avant, en arrière. Le temps, c'est juste un gros machin qui tourne comme un disque sur un grammophone, une galette en vinyle avec des creux et des bosses, et les gens y croient à ce fameux temps, car ils vivent dans la musique.

Oui, mais moi, j'ai le contrôle du disque dur, alors, je vais où je veux.

Enfin presque. Car pour l'instant je dépends de trois abrutis, qui ont oublié de faire le plein de leurs motos. Maintenant on est dans un bled paumé, perdus au milieu d'un désert aride d'une dimension N où je n'ai jamais mis les pieds, mais où tout, absolumment tout, m'est familier. Le vieux juke-box qui diffuse de la country, le bar graisseux, les brasseurs d'air, l'odeur de bière, le patron avec se mèche lissée sur le côté gauche, serviette sur l'épaule, et même l'arrière salle enfumée par les joueurs de poker. Babo est super excité.

  • Houa ! C'est comme dans les films !
  • On va s'enfiler une petite mousse les poulets, on l'a bien mérité !

Mérité quoi ? Les Groucho Boys nous avaient planté en câle sèche dans un désert, et ils méritaient quoi ? Je devrais me détendre en fait, je suis à cran, et il y a pour ma décharge un je ne sais quoi dans l'atmosphère, quelque chose d'anormal je veux dire.

Il y a normalement l'anormal normal, comme être dans une dimension bizarre, avec des gens bizarres qui font des trucs bizarre, et puis il y a aussi le très louche dans le bizarre, ce qui fait virer en mode alerte maximum.

Comme par exemple les néons qui clignotent et virent au vert en grésillant, ou encore le regard vide du barman et des clients. Chico a vu la même chose que moi.

  • Je crois que l'on vient de tomber dans Zombie Land !
  • Le patron vient de fermer la porte...
  • Les joueurs se retournent , et je n'aime pas leur sourire...
  • Celui qui vient de se lever, et qui vient vers nous, c'est Elvis Presley !

Mince alors. Moi qui croyais que tout le monde avait oublié le King, sauf ma grand-mère. Pour l'anniversaire des trente ans de sa mort, après avoir mis des fleurs dans un vase, avec la musique de my way à fond dans l'immeuble, elle avait pleuré, m'avait prise dans ses bras.

  • Tu sais ma petite, je suis une pauvre idiote, de mamie gâteuse. Je ne devrais pas pleurer. Elvis n'est pas mort, le King est retourné chez lui, et de là-haut, il vit et continue à chanter pour nous.

Après, elle avait séché ses larmes avec son mouchoir, elle avait augmenté encore le son pour mieux entendre Jailhouse Rock, pendant que les voisins tapaient au plafond.

Comment pourrais-je lui dire que Elvis Presley était devenu un Zombie ? Après avoir décidé de garder cette information à jamais scellée dans mon coeur, je pris mon courage à deux mains pour participer à la bagarre générale. J'eus même le courage de fracasser une chaise sur Elvis, qui n'en ne s'en porta pas moins bien, continuant d'avancer sur moi.

  • Il faut couper la tête, Béatrice !

C'était Babo, aux prise avec un joueur de poker étalé par terre, bouteille de whisky en main. Il me tendit une hache d'incendie. Crack ! Je venais de fendre le cou de l'homme à la banane, et Babo finit le travail. Pauvre mamie. Je n'arrive pourtant pas à être triste. Il faut dire que nous étions débordés. Et puis, j'avais toujours trouvé ces trucs de morts-vivants pas très logiques. C'est vrai quoi, on se laisse vite envahir et puis à la fin, il y a bien plus de morts que de vivants. Aussi, je n'y allais pas de main morte, fracassant par-ci, fracassant par-là, en véritable Jeanne-à-la-hache des temps quantiques.

Nous contemplions maintenant notre gros tas de Zombie. Nous nous en étions tous très bien sortis. Les Brothers avaient en partie retrouvé des traits de Cerbère, mi-loup mi-homme, et faisaient peur à voir et à entendre. Groucho hurla à la mort sur le seuil du saloon, pendant que la pleine lune se levait à l'horizon. Puis tout rentra progressivement dans l'ordre. Un des zombies s'était enfui avec la moto de Groucho, mais deux motos suffirent à nous ramener tous les cinq à Omega. Groucho, Chico et Harpo étaient taciturnes. Ils en savaient bien plus qu'ils ne voulaient nous dire et se taisaient.

Sans un mot nous sommes partis avec Babo dans la petite rue famélique, renversant les poubelles et faisant miauler les chats. J'arrivais à la maison essouflée, un peu anxieuse de n'être pas là au bon moment. Tout était pourtant comme avant, merveilleusement comme avant, avec cette bonne odeur de chocolat que l'on sentait dès l'entrée du jardin. Et c'était la même sonnette, le même bruit aigrelet de la sonnette adorée de ma maison chérie.

  • Dring ! Dring !
  • Entre ma chérie !
  • Joyeux anniversaire !

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