Chapitre VI

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Ce furent les huit secondes en ascenseur les plus longues de ma vie. Chacun des six soldats présents redoutait ce qu’il allait découvrir lorsque les portes s’ouvriraient. Elysion et moi également, mais notre propre inquiétude sur le sort de Kalya éclipsait la nôtre.

Avec un ding, la porte s’ouvrit sur une sombre scène.

Une quarantaine de Xenos et Gerydïons se tenaient face à nous. Les rôdeurs rugirent en nous apercevant et les Xenos se mêlèrent à leur tumulte en crachant et sifflant à notre encontre. Je vis les militaires pâlir face à cette cacophonie et s’entasser au fond de l’ascenseur. Les monstres formaient un cercle autour d’un groupe d’une quinzaine de soldats agenouillés et bâillonnés. Parmi eux se trouvait Kalya ! Lorsqu’elle nous vit sortir de l’ascenseur, moi en premier, elle secoua frénétiquement la tête pour nous inciter à fuir. Ben voyons !

Le hangar où nous nous trouvions était si grand que j’en voyais difficilement la fin entre les camionnettes militaires et les quelques avions de chasse, visibles plus loin. Son plafond voûté s’élevait sur plus d’une centaine de mètres et, à quelques pas sur notre gauche, de larges fenêtres situées en hauteur laissaient filtrer la lumière du jour qui rendait l’apparence des monstres encore plus macabre. Mais je n’étais plus impressionné. Je sortis de l’ascenseur, déterminé à secourir Kalya. Pourtant, Elysion me retint par le bras.

— Quelque chose cloche… me souffla-t-il à l’oreille.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Déjà, ils ne nous attaquent pas, contrairement à tous ceux qu’on a croisés jusqu’ici. Et puis, tu as déjà vu des Xenos faire des prisonniers ?

Je fronçai les sourcils : il marquait un point. La dernière fois que j’avais vu des Xenos se retenir d’attaquer, ils avaient un chef pour les maintenir sous contrôle. Durant la Bataille de Thorlann, un Xenos qui se distinguait par sa taille et sa puissance, avait mené les troupes d’Hepiryon contre les Elementaris. Cette fois, pourtant, aucun des monstres présents ne semblait dopé par l’énergie de l’Eternel ou s’imposer comme leur meneur. Alors qui ?

Si meneur il y a, son énergie devrait se démarquer des autres, m’interpella Astérion. Il aurait une aura particulière.

Je compris ce qu’il insinuait. J’ouvris mon esprit pour sonder avec plus de précision les alentours. Si au départ, je ne ressentis rien, peu à peu quelque chose attira mon attention. Un éclat, d’abord lointaine et presque imperceptible telle une faible étoile dans la nuit noire que représentait les Xenos, commença à s’intensifier à une vitesse exponentielle. Secondes après secondes, cette étincelle se mit à luire de plus en plus intensément, prenant l’ampleur d’un soleil chargé de noirceurs qui emplit rapidement l’entrepôt jusqu’à éclipser la présence des monstres. Pire, elle s’avéra si vaste qu’il paraissait improbable qu’une seule personne puisse émettre une telle puissance !

Quelqu’un arrive… songea Astérion, soucieux.

Je sentis Elysion se crisper à ma gauche. Lui aussi venait de ressentir l’arrivée imminente d’un être à la puissance hors du commun. Comme pour me donner raison, les Xenos s’agitèrent. Les ombres des otages, ainsi que celles des monstres oscillèrent avant de soudainement s’allonger. Les prisonniers pâlirent et se tordirent de douleur lorsque l’incompréhensible processus débuta. En quelques instants, les ombres perdirent l’aspect de simple reflet, prenant l’apparence d’une légion de tentacules ondulant sur le sol jusqu’à un même point. Puis elles s’emmêlèrent pour ne former qu’un seul amas noir dont s’échappa une sombre fumerole. Cette fumée bourgeonna en tous sens, s’épaississant et se propageant jusqu’à devenir une dense nuée ardente. Dans ce nuage incandescent se modela une forme humaine aux traits incertains. Le brouillard se mit alors à ruisseler le long de son corps comme une trainée de vapeur, laissant émerger un homme en chair et en os.

La fumée se dissipa, nous permettant de le distinguer.

— C’est la mort… balbutia une femme soldat derrière-moi.

Je ne pouvais la contredire.

Le nouvel arrivant ouvrit lentement les paupières et planta son regard dans mes yeux avec une telle véhémence et tant de mépris que j’en tressaillis. Ses cheveux étaient d’une blancheur cadavérique, suffisamment longs pour recouvrir la moitié gauche de son visage blafard. Toutefois, le côté droit dévoilait un jeune homme légèrement plus âgé que moi et d’une beauté remarquable. Il esquissait un léger sourire qui n’exprimait pas la moindre chaleur, s’accordant à son regard glacial difficile à soutenir. Il portait une épaisse armure couleur d’ébène aux motifs étranges qui se brouillaient et changeaient à intervalles régulières. De plus, j’avais la désagréable impression de l’avoir déjà croisé, même si son visage m’était inconnu !

— Peter Leroy, enfin ! murmura-t-il.

— Qui es-tu ? demandai-je, sentant mes muscles se crisper.

— Mon nom est Kelos et, peut-être n’en as-tu pas conscience, mais nous nous sommes déjà rencontrés. Ceci te rafraîchira peut-être la mémoire. »

Il leva la paume, un objet apparut : une flèche au fût d’ébène et à la pointe d’acier. Un flot de souvenirs me vint à l’esprit : mon bouclier de Némélithe transpercé par une flèche alors que la Bataille de Thorlann touchait à sa fin. Une flèche qui avait failli me transpercer le crâne. Cette même flèche que Kelos exhibait !

— C’était toi ! m’exclamai-je.

— En effet, acquiesça-t-il avant de grimacer comme si cela évoquait un souvenir douloureux. Un choix que mon maître m’a fait amèrement regretter. Comme je l’avais oublié, l’attaque de Thorlann n’avait en aucun cas pour objectif de te tuer. Et cela, mon père me l’a douloureusement rappelé.

— Ton père ? répétai-je.

Il me dévisagea avant de reprendre d’un ton glacial :

— Cesse de faire l’innocent, tu sais déjà qui je suis. Il serait absurde qu’Astérion t’ait caché mon existence !

La surprise qu’il lut dans mon regard lui retira toute certitude à ce sujet. Il haussa les sourcils et laissa un sourire narquois se dessiner sur ses lèvres. Puis, il éclata d’un rire tonitruant qui résonna dans le hangar. J’expirai bruyamment, retenant ma colère.

— Pourquoi ne suis-je pas surpris ? finit-il par poursuivre. Les Eternels ont toujours été vaniteux, rien ne leur plaisait plus que d’être admirés par les serviles mortels que vous êtes. Or, comment pourrais-tu vénérer le si grand, si puissant Astérion en découvrant ses plus terribles hontes inavouées ? Pourtant, ajouta-t-il avec espièglerie, s’il avait su laisser son orgueil de côté et m’avait mentionné, tu aurais pu te préparer à notre rencontre.

Astérion, de quoi parle-t-il ? interpelai-je l’intéressé.

— Oui, Brûleur de chair ! s’esclaffa Kelos. Réponds-lui !

J’en restai pantois. Personne n’avait jamais été capable d’intercepter mes échanges avec Astérion ! Et pourquoi l’avait-il surnommé « Brûleur de chair » ? L’Eternel resta silencieux et je devinai qu’il ne voulait donner satisfaction à Kelos.

— Je me fiche de qui tu es ! ripostai-je finalement pour détourner son attention. Libère les otages !

À mes mots, les monstres du Chaos se turent et le silence fut total. La température chuta subitement et Kelos tressaillit.

— Un ordre, Peter Leroy ? murmura-t-il. Tu oses me donner un ordre ?

Une ombre passa sur son visage. Son sourire disparut.

— Tu ressembles bel et bien à ton pathétique ancêtre, articula-t-il en s’approchant. Abject mortel arrogant qui se prétend être un valeureux héros grâce à des pouvoirs qui ne lui appartiennent même pas !

Son œil brûlait désormais d’un éclat terrifiant.

— Tu n’as jusqu’ici affronter que des êtres de moindre mesure, comme le sont les Xenos ou les Elementaris. Te savoir supérieur à eux t’a-t-il laissé imaginer être à la hauteur pour t’opposer aux projets de mon maître ? Pensais-tu que l’Eternel du Chaos n’aurait dressé que des créatures écervelées sur ta route comme seul rempart entre sa renaissance et ta misérable opposition ? N’as-tu donc pas encore saisi l’extraordinaire esprit retors qu’est mon père ?

L’Esternal était une arme tout aussi puissante qu’une lance ou épée, peut-être même plus. Les propos de Kelos prononcés en Esternal me transpercèrent plus violemment et facilement que la plus affutée des lames. Ses mots étaient chargés d’un pouvoir terrifiant qui pompait mon énergie, me faisant sentir de plus en plus petit et insignifiant. Je peinais même à me convaincre qu’il mentait et à trouver à répliquer. Je reculai encore d’un pas, déstabilisé face à une telle éloquence et une telle confiance en soi.

— Ton père, balbutiai-je difficilement, est Hepiryon ?

Un maigre sourire réapparut en entendant ma voix tremblante.

— Oui, Peter, dit-il avec délectation. Tu réalises enfin l’étendue de ton ignorance ! Tu es un homme essayant d’employer les pouvoirs qu’un Immortel t’a légués contre son gré alors que moi… je suis bien plus que cela. Tellement plus ! Je suis la fin du règne des Hommes et l’exorde du nouvel évangile que les mortels écriront sur mon père ! Je suis son serviteur le plus dévoué, celui qui balaiera tous ceux qui tenteront obstinément de s’opposer à lui ! Je suis celui qui diffusera la parole de l’impérieux Hepiryon et qui portera la mort là où tous ceux qui rêvent de rébellion demeurent !

Il libéra alors une onde de choc noire qui nous projeta tous violemment contre le mur. Je retombai sur le sol, groggy. Je peinai à me remettre debout. Ces mots avaient un effet hypnotique et s’abreuvaient de mes forces. Seul mon esprit restait lucide et réalisait la tournure que prenait les événements. Après mon entraînement intensif avec les Elementaris, je pensais être capable de faire face aux sbires d’Hepiryon. La Bataille de Thorlann me l’avait prouvé : j’étais apte à vaincre les Xenos et les Gerydïons. Mais désormais, je me trouvais face au fils d’un dieu ! Un alter-égo possédant des pouvoirs semblables aux miens mais avec infiniment plus d’expérience et de maîtrise ! Que pourrais-je espérer face à lui ? Pire encore, face à Hepiryon ?

Thomas apparut dans mon champ de vision et me secoua.

— Lève-toi ! s’écria-t-il.

Voir ses yeux bleus écarquillés par la peur me stimula. Il était hors de question que je perde mes moyens ! Kalya et les otages comptaient sur moi ! Je me ressaisis, attrapai la mitraillette et me remis sur pied. Les militaires m’avaient imité et braquaient leurs armes sur Kelos.

— Feu ! cria l’un d’entre eux.

Nous déversâmes une pluie de balles sur l’ennemi. Le fils d’Hepiryon leva la main et toutes les balles s’immobilisèrent, suspendues à son geste.

— Inutile d’espérer m’atteindre de cette manière, déclara-t-il avant de se tourner de nouveau vers moi. Tu me demandes de libérer les otages, Peter ? Voici donc ce que je te propose : j’accepte de les relâcher si tu parviens à me vaincre en duel. J’accepte même que ton toutou te porte assistance.

Il désigna Elysion d’un geste dédaigneux. Ce dernier bouillonnait et se retenait à grand peine de se jeter sur Kelos et lui faire ravaler son arrogance. Connaissant Elysion, Kelos passerait un sale moment. Néanmoins, le fait de savoir Kalya toujours en danger permettait à mon ami de garder la tête froide. Il me jeta un coup d’œil : nous avions la même idée en tête.

— C’est d’accord ! répondis-je.

— Peter, il est hors de question ! s’exclama Thomas.

Je lui jetai un regard que je voulus rassurant.

— Ne crains rien, nous n’échouerons pas.

Elysion, les poings enflammés, s’élança en premier sur le fils d’Hepiryon.

— Oui, approche petit Elementaris, susurra ce dernier.

Il évita les deux assauts de mon ami sans peine avant de l’envoyer valser d’un revers. Elysion alla s’écraser violemment contre une voiture, mais il se releva dans la foulée, les prunelles embrasées par la rage. Je regrettai de ne pas avoir nos épées avec nous mais nous avions appris à nous en passer. Je bondis sur l’ennemi et visai son estomac. Il esquiva mon coup et répliqua d’un crochet que j’anticipai également. Je lui saisis le bras avant de l’enserrer dans mon étreinte. Elysion bondit à cet instant et lui décocha une puissante droite au visage.

Kelos cracha du sang avant de ricaner :

— Pas mal.

Puis, avec une dextérité et une vélocité stupéfiantes, il m’enfonça le coude au creux du ventre, là où le Gerydïon m’avait blessé plus tôt. Je criai et le relâchai. Il contra la nouvelle offensive d’Elysion et le souleva sans ménagement avant de le projeter contre moi. Nous roulâmes sur plusieurs mètres avant de nous relever d’un bond. D’un même geste, l’Elementaris et moi pointèrent les mains en direction de Kelos : un torrent de flamme en jaillit. Il contra notre attaque en invoquant un mur de ténèbres qui dissipa aisément l’attaque élémentaire.

— Est-ce là tout ce que vous savez faire ? ironisa-t-il.

Il tendit la main vers le toit et plusieurs projecteurs lumineux explosèrent. Son armure se mit à scintiller, parcourue d’éclairs bleus. J’en restai sans voix : quel était ce pouvoir ? Mais je me ressaisis immédiatement, prêt à riposter. Kelos braqua les mains vers nous, libérant un arc électrique. Je fis jaillir un mur de pierre pour contrer l’attaque mais il explosa à l’impact et les éclairs nous frappèrent de plein fouet. Je hurlai sous le choc de la décharge qui nous éjecta. Le courant électrique parcourut mon système nerveux et embrasa chaque parcelle de mon corps. La paralysie dura une quinzaine de seconde avant d’enfin s’atténuer. J’anhélai, incapable de me relever. Elysion se trouvait dans le même état.

— Je crains que vous n’ayez perdu, constata Kelos en s’approchant.

Je fis appel à toutes mon énergie pour me redresser lorsque je ressentis une tension au creux de ma poitrine. Au premier abord, je crus qu’il s’agissait d’une nausée suite à l’électrocution mais il n’en était rien. Mes mains se mirent à luire d’un éclat doré de plus en plus éblouissant.

— Il semblerait que la magie divine réagisse à ta détresse, ricana Kelos. Vas-tu encore perdre le contrôle de tes pouvoirs et tout annihiler autour de toi ? Peut-être n’aurai-je pas besoin de tuer finalement, tu t’en chargeras à ma place.

Je bloquai ma respiration et pressai la main contre la poitrine. La magie divine était un fluide qui, mélangé à mon sang, parcourait mon organisme et me procurait toutes mes facultés. J’étais théoriquement capable d’extraire ce fluide hors de mon corps pour lui donner forme, de la même manière que Kelos l’avait fait en formant un bouclier d’énergie. Néanmoins, je n’y étais jamais parvenu. Cette force était indomptable et agissait de son propre chef : lorsque j’étais en danger, elle attaquait tout ce qui se trouvait autour de moi. Au prix de longues secondes de lutte intérieure, je parvins à la contenir et à la refouler.

Le souffle court, je pris appui sur mon genou lorsque Kelos arriva à ma hauteur.

— Tu es lamentable, dit-t-il avec mépris.

Il saisit mon menton entre ses doigts et me flanqua un coup de genoux au visage. Je m’effondrai sur le côté. Mais il n’en avait pas terminé. Le fils d’Hepiryon m’attrapa par le cou et me souleva d’une main. Je ne voyais plus nettement. En désespoir de cause, j’essayai de lui décocher un coup de pied, mais ni mes jambes ni mes bras ne répondaient.

— Non ! entendis-je alors Thomas s’exclamer.

Je l’aperçus vaguement du coin de l’œil accourir mais Kelos braqua la main sur lui, sans même le regarder et mon frère se figea, immobilisé par les pouvoirs du fils d’Hepiryon. Aucun des militaires qui nous avaient accompagnés ne réagit, pétrifiés par la tournure des évènements.

— Tu sais Peter, me souffla Kelos, j’ai reçu d’innombrables dons de mon père. Outre l’énergie céleste et les pouvoirs télépathiques que tu possèdes, j’ai également hérité de capacités propres à Hepiryon, de la même manière que tu as accès aux quatre éléments primordiaux d’Astérion. Je ressens lorsque la mort s’approche d’un mortel, vois-tu ? Ce pouvoir est même plus précis chez moi que chez mon père car, contrairement à lui, je ne suis pas totalement immortel.

Il resserra sa poigne, m’asphyxiant encore plus, et me rapprocha pour me murmurer au creux de l’oreille.

— La mort plane au-dessus de toi, attendant patiemment l’heure où mon père ne verra plus aucune utilité à te garder en vie. Alors, elle t’emmènera au Nyak Li’kur Vel, la terre des sombres fins. Ou communément appelé par les tiens : le néant. Il n’existe aucun enfer, tu m’entends ? Tu cesseras simplement d’exister et rien de ce que tu auras entrepris n’aura plus d’importance car personne ne se rappellera de ta pathétique opposition. Mais tu veux savoir le plus amusant ? Tous ceux qui te sont proches mourront, et ce par ta faute. Ta faiblesse et ton obstination seront notre salut !

Son regard passa d’Elysion qui essayait vainement de se relever à Thomas dont le visage était rouge à force de lutter contre l’emprise de Kelos. Puis il jeta un œil à Kalya, retenue par trois Xenos pour l’empêcher de nous rejoindre.

— Certains subiront même un sort pire que la mort.

Puis il me jeta sans ménagement contre un camion militaire. La tôle ploya sous la violence du choc. Je retombai au sol, terrassé.

— Comme je te l’ai dit, tu ne mourras pas aujourd’hui car telle est la volonté de mon père, déclara Kelos. Je laisserai également la vie sauve aux misérables cloportes que sont les Elementaris, ainsi qu’à ton frère. Je veux que tu voies de tes yeux le sort qui leur est réservé. Cependant, je ne vois pas l’intérêt de laisser vivre ceux qui t’accompagnent, ce ne sont que de la vermine.

Il serra le poing et je vis les soldats, comme les otages, lâcher leurs armes et vaciller en pressant la main contre leur poitrine gauche. Ils s’effondrèrent les uns après les autres.

— Ce n’est qu’un avant-goût de ce qui suivra, Peter Leroy. Je t’attendrai la nuit du changement d’année au mont du Diable pour assister à l’aube d’une nouvelle ère : celle de l’ascension du Chaos !

Puis les ombres l’enveloppèrent de la même manière qu’à son arrivée et il se dissipa dans un souffle. Mes dernières forces m’abandonnèrent et je perdis connaissance.

— Vingt-deux morts… murmura une voix.

— D’un seul geste ! se lamenta une autre.

— Comment pouvons-nous répliquer ?

— Je n’en ai pas la moindre idée… C’est bien la première fois où je songe à prier.

— Et prier qui ? Dieu ? Nous avons la preuve désormais que des dieux existent et qu’ils se font la guerre depuis des millénaires ! Nous nous retrouvons au milieu de conflits, contraints de prendre parti. Sans oublier que nous devons placer tous nos espoirs dans un… un gamin !

— Silence ! intima quelqu’un. Il se réveille.

J’entrouvris lentement les paupières. Je me trouvais à l’hôpital. Je découvris le Président, le premier ministre et un officier qui m’était inconnu, debout au pied de mon lit. Elysion et Thomas étaient assis à mon chevet, le regard soulagé.

— Comment te sens-tu ? s’inquiéta mon frère en s’approchant.

— J’ai connu mieux, marmonnai-je. Est-ce que j’ai…

— Rêvé ? conclut le Président. Malheureusement non. Les monstres ont déserté la base militaire, non sans causer de nombreuses pertes. Trente-sept hommes et femmes sont morts lors de l’attaque.

Trente-sept.

Ce nombre résonna tragiquement dans ma tête. Tant de victimes ! Par ma faute ! Par mon échec ! J’entendais encore l’écho du rire de Kelos en écho.

— Tu n’as rien à te reprocher, Peter, me consola Thomas en voyant mes yeux s’embuer.

— Tu sais comme moi que c’est faux, rétorquai-je, la voix tremblante. J’aurais dû être capable de vous protéger !

— Mais il…

— IL AURAIT PU VOUS TUER ! hurlai-je. Sans que je puisse m’y opposer ! Tu comprends ce que j’ai pu ressentir ? »

— Oui, répondit-il calmement. Car moi aussi j’ai cru que j’allais te perdre sans pouvoir réagir.

Nous nous dévisageâmes plusieurs secondes en silence.

— Est-ce que vous connaissiez son existence ? me questionna le Président.

Je secouai la tête.

— Pourtant, il semble qu’Astérion oui, souligna Thomas.

— Je lui en parlerai, murmurai-je. Mais cette conversation risque de durer longtemps. Pour le moment, il y a des choses plus urgentes dont nous devons discuter.

— En effet, approuva l’officier. Je suis le chef d’État-Major Borel, se présenta-t-il, et je suis ici pour établir des techniques de défense contre ces monstres.

— Je ne pense pas qu’ils réattaqueront, intervint Elysion.

— Et qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

— Parce qu’ils n’en auraient aucun intérêt, expliqua-t-il. Kelos a affirmé ne pas vouloir tuer Peter car Hepiryon a besoin de lui d’une manière ou d’une autre. L’attaque que nous venons de subir n’avait pour but que de nous dévoiler la carte maîtresse d’Hepiryon, son propre fils, et nous appâter dans son piège en nous indiquant le lieu de la réincarnation.

— Il aurait pu mentir pour nous tromper, remarqua Thomas.

— Il parlait en Esternal, Thomas, intervins-je. Il ne mentait pas.

Ce dernier, se remémorant notre conversation avant notre intrusion dans l’avion présidentiel, se pinça la lèvre.

— Alors où se trouve ce mont du Diable qu’il a cité ?

— Il existe un parc régional du même nom au Canada, nous informa le premier ministre. Ce pourrait être là-bas !

La porte de la chambre s’ouvrit et Kalya entra, escortée d’un soldat. Mon cœur se serra en la voyant avancer à l’aide de béquille. Les Xenos ne l’avaient pas laissée indemne mais, au moins, elle était en vie.

— Je pensais plutôt au Mont Diablo, suggéra-t-elle en s’approchant. C’est une haute montagne située aux abords de San Francisco.

Elle me glissa un regard pour me demander si j’allais bien, je répondis d’un signe de tête. Elle m’offrit un maigre sourire avant de s’asseoir au pied de mon lit tout en grimaçant.

— Si vous avez raison, murmura le Président, l’air songeur, alors je dois me rendre aux États-Unis dès demain pour avertir mon homologue américain.

Il releva la tête vers nous et ajouta :

—J’aurais besoin que vous m’accompagniez. Afin d’appuyer mon histoire car, sans preuve, il est difficile d’y croire. De plus, il me semble que votre peuple se trouve en Californie, non ?

Kalya opina de la tête.

— Maintenant que nous avons la confirmation que la réincarnation se passera bien la nuit du changement d’année, mon peuple se préparera à intervenir pour l’en empêcher. Mais nous aurons besoin de nous déplacer, il vaut mieux donc que nous ayons l’autorisation des hauts dignitaires de l’État. Je vous accompagnerai donc dans vos démarches politiques et Elysion retournera dans notre cité pour avertir nos congénères.

— Vous aurez besoin d’aide pour être nourri et logé… songea le premier ministre.

— Soyons clairs ! l’interrompit Kalya. Nous ne demandons qu’un lieu pour installer nos civils et nous préparer aux prochains affrontements. Mais nous ne voulons pas de vos ressources. Nous avons toujours mieux vécu sans vous, ça ne changera pas maintenant. Nous avons un même ennemi mais cela n’efface pas les crimes de vos ancêtres, ni vous assurent de notre pardon.

Le premier ministre resta bouche bée, surpris, ce qui n’était pas mon cas. Bien des années plus tôt, alors que la Grande Bataille était terminée et qu’Astérion et Hepiryon avaient détruit leur corps dans un combat ravageur, les rares Elementaris survivant au désastre avaient été chassés par les humains. Jugés responsables de n’avoir pas su mieux protéger l’humanité, ils avaient été contraints de fuir en Amérique. Ils y avaient ainsi vécu de nombreux siècles tandis que les Hommes oublièrent leur existence. Après avoir vécu avec eux, j’avais découvert que les plus vieux des Elementaris gardaient une profonde animosité envers les Hommes et la transmettaient aux plus jeunes, bien que ces derniers se montrent moins agressifs.

— Si telles sont vos exigences, nous nous y plierons, concéda finalement le politicien.

— Nous souhaiterions envoyer un groupe d’intervention rejoindre votre peuple et l’accompagner, ajouta l’officier à Elysion. Vous nous le permettez ?

Elysion hésita mais Kalya l’encouragea d’un signe de tête.

— Oui, j’accepte, répondit-il. »

— Bien ! Je formerai un groupe d’une trentaine de soldats, quelques médecins et négociateurs afin d’assurer les meilleurs échanges entre nos deux peuples, reprit le chef militaire. Ils seront prêts à partir dès que nous aurons l’autorisation des États-Unis. Une fois atterris au plus près de votre cité, vous les guiderez.

Puis, le militaire se tourna vers moi.

— Vous comptez les accompagner ?

— Non, répondis-je. Je vais chasser les Xenos pour diminuer les forces ennemies et rechercher qui Hepiryon a choisi comme hôte. Mais surtout, je vais m’entraîner avec Astérion pour être prêt lorsque je reverrai Kelos.

Je serrai les poings et ajoutai :

— La prochaine fois, je ne perdrai pas.

L’officier hocha la tête et le Président ajouta :

— Je vous tiendrai au courant de l’avancée de nos recherches des Xenos. Maintenant que nous connaissons le visage de notre ennemi, ils ne pourront se cacher éternellement.

— Nous avons trois semaines devant nous pour nous préparer, ajouta Kalya. Une fois ce temps passé, nous viendrons en arme au pied de la montagne et aiderons Peter de l’arrêter.

— Est-ce une bonne idée d’y envoyer Peter ? s’inquiéta le premier ministre. N’est-ce justement pas ce qu’Hepiryon souhaite ?

— Vous aurez besoin de moi, contrai-je. Mes pouvoirs sont nécessaires pour l’arrêter !

— Alors pourquoi tient-il à votre présence ?

— Je n’en sais rien, admis-je. Mais vous ne m’écarterez pas.

Le politicien soupira mais n’ajouta rien.

— Vous l’accompagnerez ? demanda le Président à mon frère.

— Où qu’il aille, confirma Thomas.

— Alors soyez prêt, me dit-il. Car vous n’aurez pas le droit à l’erreur.

Notre discussion se termina quelques minutes plus tard.

Comme je l’avais anticipé, rien ne s’était passé comme prévu. J’avais convaincu le président français de la situation… mais à quel prix ? Je m’en voulais terriblement d’avoir été incapable de protéger ces hommes et femmes, mais je ne pouvais me morfondre indéfiniment si je voulais sauver des millions d’autres.

Nous fûmes escortés, mes compagnons et moi, chez mes parents. En nous voyant débarquer, encadrés de cinq soldats en uniforme, ma mère faillit avoir une crise cardiaque. Kalya remercia mes parents de leur hospitalité et s’en alla prendre ses affaires. À la demande du Président, elle serait conduite à des appartements privés. Je n’avais pas imaginé que notre voyage, commencé que quelques jours plus tôt, prendrait un tel tournant.

Lorsque vint le moment de me séparer de mon amie, mon cœur se serra.

Tout comme Elysion, je rechignais à l’abandonner seule dans le monde perverti et chaotique des Hommes. Mais c’était nécessaire. Nous avions chacun un rôle à jouer pour espérer sauver nos espèces respectives. La gorge nouée, je suivis du regard Kalya, sans être capable de lui souhaiter un simple au revoir. Lorsqu’elle posa la main sur la poignée sur la portière de la voiture, elle s’immobilisa. Puis, après une seconde d’hésitation, elle se retourna et nous enlaça, Elysion et moi, dans une brève étreinte. Jamais elle ne nous avait manifesté un tel élan d’affection. L’Elementaris du feu parut tout aussi surpris que moi. C’était sa manière, à elle, de dire que nous allions lui manquer. Puis Kalya pénétra dans le véhicule, cette fois sans se retourner, nous laissant la boule au ventre.

— Bonne chance, murmurai-je finalement lorsque la voiture s’éloigna.

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