Prologue

5 minutes de lecture

En cette nuit d’automne, la lumière de la lune perçait difficilement à travers l’épais rideau que formaient les nuages. Le tonnerre grondait à intervalle régulier tandis que la pluie martelait le sol de Washington. Si personne n’aurait osé s’aventurer dans cette tempête, une silhouette traversa pourtant l’immense place du Lincoln Memorial. Même s’il était impossible de l’affirmer, sa démarche gracieuse et sa silhouette menue laissaient deviner qu’il s’agissait d’une femme. L’inconnue longeait à grandes enjambées un grand bassin, la tête légèrement baissée sous sa capuche afin de se protéger du vent.

Recouverte par une grande cape de voyage, seuls ses yeux, d’un éclat clair argenté, perçaient l’obscurité, rivés sur leur destination. Elle gravit les dizaines de marches qui l’en séparait et parvint enfin à s’abriter de la pluie torrentielle. Alors, camouflée dans la pénombre, elle releva la tête et balaya du regard l’endroit où elle se trouvait. Jamais encore elle n’était venue en ce lieu mythique. D’une rare beauté, cet immense édifice blanc inspiré des temples grecs de style dorique abritait en son sein une sculpture plus célèbre encore. Haute de six mètres, elle représentait un homme, droit et fier, assis dans un fauteuil.

Abraham Lincoln, seizième Président des États-Unis d’Amérique.

La nouvelle venue fixa quelques instants la statue qui regardait vers l’horizon, l’air important. Elle sentait l’heure du rendez-vous approcher. Elle fit le tour de la devanture avant de s’approcher d’un des piliers qui ornaient l’entrée. Intriguée, elle y posa une main presque aussi pâle que le marbre. À contrecœur, elle dut reconnaître l’ingéniosité des Hommes : ce lieu était simplement prodigieux.

« Une ingéniosité qui n’a su flatter que leur arrogance, murmura-t-elle avec mépris. »

Elle délaissa les colonnes et découvrit alors une seconde personne face à l’immense statue. Les bras croisés, l’homme examinait l’œuvre avec intérêt. Elle porta immédiatement la main à son arc, soigneusement camouflé dans son dos, avant de reconnaître l’individu et d’interrompre son geste. Même si elle ne se détendit pas, elle savait que son arme serait une bien piètre défense contre lui.

Il était à l’heure, comme toujours.

L’homme portait une armure qui semblait refléter le ciel d’orage : sombre et parcourue d’éclairs bleus qui surgissaient aléatoirement autour de lui. Seule la peau de son visage, d’une pâleur spectrale, était visible. Ses cheveux, aussi blancs et brillants que ceux d’un ancien, tombaient en cascade dans son dos, comme si toute vie et couleurs leur avaient été retirées. Malgré cela, il conservait l’apparence d’un jeune homme d’à peine trente ans. À son côté gauche pendait une épée rangée dans son fourreau, tandis qu’un fouet épais était enroulé sur son côté droit.

Nul doute possible : il s’agissait bien de Kelos, fils unique d’Hepiryon.

Songer à l’Eternel du Chaos fit frissonner la femme, mais elle se ressaisit, décidée à ne rien laisser paraître. Avant qu’elle ne se décide à s’approcher, et alors que rien n’avait laissé deviner qu’il avait perçu sa présence, Kelos prit la parole :

« Savais-tu que cet homme fut celui qui abolit l’esclavage dans ce pays, il y a de cela près d’un siècle et demi ? Il leur aura fallu près de deux cents ans pour réaliser l’aberration de leurs actes. Ne trouves-tu pas cela fascinant que les Hommes soient parvenus à établir des règles hiérarchiques entre eux ? Ils sont le fruit du génie d’êtres immortels qui les voyaient comme des enfants égaux et loyaux. Pourtant, ces mêmes enfants sont devenus des traitres qui ont nourri leur arrogance jusqu’à se persuader que la vie d’une poignée d’entre eux aurait plus de valeur que celle des autres. C’en est risible ! »

Un silence suivit avant qu’il ne soupire :

« Autant les laisser s’illusionner encore quelques temps. Bientôt, ils se rendront compte qu’ils sont tous égaux face à la mort. »

Puis, en un clin d’œil, il saisit son fouet et le fit claquer contre la statue. La moitié gauche du chef d’œuvre explosa sous la puissance du coup. Les débris volèrent en tous sens et la femme dut reculer pour éviter d’être blessée par l’un d’entre eux. Apparemment satisfait, Kelos rangea son arme avant de se tourner calmement vers le témoin de cette destruction. Alors qu’elle l’avait déjà rencontré par deux fois, elle ne put s’empêcher d’étudier ses traits à nouveau. Mais, comme précédemment, ses longs cheveux argentés ne laissaient entrevoir que son iris droit d’un noir d’encre ainsi que la moitié de son sourire pervers.

Pourquoi persistait-il à dissimuler la partie gauche de son visage ?

« Alors ? demanda Kelos, la sortant de ses songes. Où en sont-ils ?

— Les préparatifs sont en cours, lui répondit son interlocutrice. Les Kalhns prennent toutes les mesures indispensables au grand départ, et cela prend du temps. Plus de temps qu’ils ne le prévoyaient. Ils rejoindront les humains d’ici trois semaines, au mieux... Lorsqu’ils auront des nouvelles de leurs émissaires dans le monde des Hommes.

— Et tu ne ressens aucun remord à l’idée de les trahir ? »

Un frisson la parcourut mais, déterminée, elle abaissa sa capuche et soutint son regard. Il s’agissait bien d’une femme, âgée d’une quarantaine d’années tout au plus. Son visage, presque aussi pâle que celui de Kelos, était d’une beauté renversante. Encadrés par une chevelure mi-longue, brune et ondulée, ses yeux dévisageaient froidement le fils de l’Immortel du Chaos.

« Dès l’instant où ils ont accepté cet humain dans notre foyer, ils ont cessé d’être dignes de ma loyauté ! Eldaf a trahi les siens en lui accordant sa confiance et aujourd’hui cela se confirme avec son ambition de reprendre contact avec les Hommes. Si le Seigneur du Chaos et toi, Kelos, tenez parole, alors vous êtes le seul espoir qui reste aux Elementaris pour perdurer.

— J’admire ta dévotion envers mon père, sourit Kelos. Et nous tiendrons parole aussi longtemps que tu tiendras la tienne. Les Elementaris vivront et nous placerons quelqu’un de confiance à leur tête. Les Kalhns ont fait leur temps, désormais une nouvelle ère doit débuter. Et tu en seras la pionnière, ma chère. »

L’Elementaris fit un pas, posa le genou au sol et déclara avec conviction :

« Si vous laissez la vie sauve à mon peuple, alors je deviendrai le bras armé d’Hepiryon ! Mon corps sera sien et ce sera avec joie qu’il pourra l’employer dans la seule et unique ambition qui me ronge : empêcher mon peuple de répéter les erreurs commises et montrer aux humains qui se disent supérieurs ce qu’est réellement l’esclavage ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire CPerch ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0