Chapitre 14 Le pêché

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Lettre XXXXV Du marquis de Lagandière et la duchesse de Galanta


Madame,


Je crois posséder la mère et voici une nouvelle qui me réjouit et que je tiens à vous partager, vous mon alliée de toujours. Afin de remplir les objectifs de ma chasse, voilà ce qu'il me reste encore à accomplir. Je l'invitai à dîner et après quelques verres de vin clair qu'elle ne put refuser, la langue se délia et elle me confia des choses honteuses, inavouables. Lorsque je sentis l'ambiance plus chaude et plus enivrante, je lui dis franchement qu'elle peut me parler. A mon plus grand bonheur, elle baissa la garde et me fit des confidences. Elle me conta alors cette vie difficile et rude que son mari lui faisait vivre avec leur fille. Émotive, elle sanglota dans son mouchoir de soie, attendrissant bien mon cœur et je compris complètement ses obligations de mère et d'épouse : elle était sous la coupe d'un monsieur pas très fréquentable ! Après ces gentils échanges, elle fut incapable de marcher correctement. Je l'emmenai dans un coin tranquille puis nous fîmes ce que nous devions accomplir. Je croisai son regard pétillant, clair comme le champagne, soupirant dans mes bras et se laissant aller au plaisir. Mon fantasme Madame est de connaître ce qui se dissimule dans le corset, c'est cela qui m'intrigue le plus. Il renferme beaucoup de secrets que les hommes semblent ignorer ou ne veulent pas voir en leur femme mais moi, je les chéris. Mes mains empoignèrent sa lourde poitrine haletante et expert en la matière pour avoir vu ma mère faire, je détachai avec une extrême douceur et sans brusquerie les lacets, ce carcan que doivent subir les femmes. Les jupes relevées, le caleçon arraché, je fis connaissance de ce monde suintant et désireux de recevoir un mâle. Je lui fis subir toute la masculinité, ce qu'un homme est capable de donner à une femme.

Après l'amour, nous prîmes une auberge discrète et nous nous couchâmes. Encore très émoustillé par les événements, je lui demandai si elle dormait. Elle me répondit que non, qu'elle avait bien des choses à me dire. Elle me confia ses dures journées avec sa fille à la commander, à lui donner des ordres qu'elle n'a jamais connu auparavant : les leçons harassantes, le réveil au lever du soleil, une toilette rapide afin d'enfiler ces habits que vous devez supporter à longueur de temps. Elle me confia ne jamais avoir fait l'amour et elle eut connaissance pour la première fois de mouvements qu'elle n'avait point essayé. Je vis encore sa drôle d'expression lorsqu'elle évoqua la procréation de sa fille dans une couche froide et humide sans véritables plaisirs. Désireux de ne pas la vexer pour son manque visible d'expérience en la matière, je la rassurai bien en lui narrant que moi aussi pour mes débuts, je n'étais pas un bon homme au lit mais que j'appris, à l'aide de ma mère et de ma sœur à connaître chaque recoin d'une femme. Madame de Parme me regarda d'un air faussement révolté qu'elle remplaça très vite par un sourire timide. Au fond d'elle, elle avait apprécié le fait que je m'occupe soigneusement d'elle comme un objet précieux que l'on polit patiemment afin qu'il rayonne de mille feux. Finalement, la drôlesse ne fut pas très difficile à convaincre et comme j'aime le répéter à tous mes élèves, les femelles forment une carapace à l'apparence solide mais, lors de l'arrivée d'un homme doux et compréhensible, cette carapace vient à se fendre et révèle tous ses secrets. Madame de Parme est une femme facile, volage, faible, une femelle dans toute sa splendeur. Je l'ai enfin et je vous félicite de tenir la fille, nous les tenons toutes deux et rien ne pourra nous empêcher de mener à bien nos objectifs. Je crois bien que ma petite Lily a cru en votre manigance.

Cette dure besogne mérite tous mes compliments, je vous avertirai de l'avancement de tout cela.

Continuez ainsi.


Cédric de Lagandière.


Lettre XXXXVI De Madame de Parme à une amie


Ma très chère Marie-Louise,


Il y a longtemps que je ne t'ai pas écrit mais on ne m'en a laissé le temps. Les prétendants sont très nombreux à venir souper, les domestiques sont épuisés et nous aussi. Monsieur de Parme est anxieux de la santé de notre fille qui ne cessait de s'aggraver. Nous n'avons pas compris ce changement si violent que nous n'avions point décelé en elle. Tu me connais depuis bien des années, notre enfance a été marquée de moments de joie, de bonheur mais aussi de chagrin lorsque nous nous séparâmes. Chacune d'entre nous devions nous unir à un homme. Depuis la naissance de notre magnifique petite fille, je ne pensais pas que tout cela allait dégénérer en cette période si compliquée. Tu es une personne sensée à qui je peux aisément me confier et je souhaiterai que tu partages mon chagrin de mère.

Le cauchemar débuta en début de semaine, un lundi si je me souviens bien. Je montai rapidement les escaliers, furieuse des compétences de Rosalie en chant. En effet, son professeur m'avait confié qu'elle se débrouillait mal et ne prenait plus aucun plaisir au chant religieux, activité qu'elle aimait tout particulièrement. Voulant l'interroger sur ce léger souci, je me précipitai dans sa chambre avec un mot de la part de son précepteur. Je lui confiai mes préoccupations puis celles de son père, elle me répondit sur un ton désagréable. Je répliquai que c'était pour son bien et que je n'avais pas à supporter ses sauts d'humeur. Elle me fit une crise gigantesque qui fit trembler toute la maisonnée, le domaine tout entier et fit même sursauter mon mari retranché dans sa bibliothèque au rez-de-chaussée malgré l'épaisseur de nos murs. Très blessée et hoquetant très fort, je quittai la pièce de force, ma fille m'ayant demandé de me retirer. Entendant les cris et les pleurs, Monsieur de Parme intervint, me releva tant bien que mal tout en tambourinant à la porte de notre fille. Incapable de retourner à leurs occupations, les domestiques vinrent voir la comédie, jacassant de toute part sans que nous pûmes les repousser : les portes des appartements étaient verrouillées et personne ne put retrouver le double des clés. Notre petite Lily d'habitude si douce, si gentille devenait tout autre chose et j'étais impuissante. Elle refusa de déjeuner, de dîner et même de souper, elle demeura seule l'estomac vide. Nous mangeâmes seuls, le nez dans notre potage qui devint trop salé à cause des flots de larmes que je ne pus retenir. La soirée puis la nuit s'écoulèrent dans une lenteur angoissante. Mon mari demanda : « Dors-tu ? » je répondis que non, que je guettai chaque bruit de ma fille. Puis la situation ne s'améliora pas.

Le lendemain, une lettre m'attendait sur mon assiette, terrifiante, choquante, bouleversante. Elle rejetait toute demande de mariage, tout homme qui se présenterait à elle. Néanmoins, elle exigeait la venue d'un gentilhomme à « l'apparence » courtoise, à la réputation fort dérangeante pour notre famille. Ce dernier n'avait pas avalé le fait qu'il ne pouvait fréquenter notre fille à cause de défauts que nous n'acceptions pas. Mon époux répliqua qu'il ne fallait pas céder à ses caprices, que notre petite Lily accepterait bien que nous ne voulons que son bien. Il n'était pas rassurant.

Les jours s'enchaînèrent, jusqu'à ce que je rassemble mon courage. Je frappai à la porte, plusieurs fois, chuchotai des mots doux afin de la rassurer, qu'elle pouvait me parler si elle le voulait mais que ce n'était plus tenable. Je fus étonnée du silence et appuyai sur la poignée de la porte à la fenêtre. Je hurlai face à la fenêtre grande ouverte, le drap suspendu. Tout le monde accourut une seconde fois, les bonnes me soutinrent pour que je tombe pas, Monsieur de Parme laissa échapper un soupir de douleur. Je repris peu à peu mes émotions et demandai à ce que l'on me laissât seule. Elle n'avait pas pu partir comme cela, c'était impossible! Je ne me prétends point experte en énigmes mais quelque chose avait convaincu ma douce petite fille de nous quitter, quelqu'un l'avait persuadé que nous étions de bien mauvaises gens, que nous lui voulions que du mal. Mon regard se posa sur les tiroirs de sa secrétaire. Je cherchai des lettres, des indices sur ce qui avait fait fuir ma pauvre Lily du foyer familial et tombai sur ses échanges avec ce malicieux de Lagandière. Il tenait ma fille. Prise d'une rage de femme, celles que nous toutes connaissons explosa en moi. Je découvris un tas de cendres encore chaud datant sans doute des heures ayant précédé sa fuite, je ravivai les flammes pour faire disparaître ces ignominies. Je ne pris pas le temps de parcourir chacun de leurs mots, chacun de ses mensonges, il tient ma fille et nous avons été trop naïfs ! Comment peut-il se permettre de briser notre famille et de prendre le seul bien important à nos yeux, notre fille, notre chair, une amie si tendre ! Les lettres brûlèrent dans ce grand brasier que j'observai les bras ballants. Malheureusement, je ne pus récupérer les lambeaux de papier détruits par les flammes, ils m'auraient indiqué pourquoi ma princesse s'était enfuie dans un monde inconnu et dangereux.

Je dois t'avouer une chose que tu trouveras honteuse. Tu écarquilleras les yeux lorsque tu verras ce que j'aurais écrit mais je n'en ai que faire puisque le mal est fait. J'ai pêché. Je ne me suis jamais prétendue pieuse même si Monsieur aurait souhaité que je me convertisse. Je l'accompagne parfois à l'église sans grand enthousiasme, marmonne les paroles du prêtre en ressortant de ce bâtiment l'air hagard. Les bonnes femmes m'observent peu convaincues, m'épient depuis leurs sièges, murmurent quelque commentaire à l'oreille de leur partenaire. Je ne suis pas la croyante idéale, mon mari me le reproche bien souvent. J'ai donc couché avec un homme et cela m'a délivré d'un poids. Pendant ce doux acte, j'ai oublié ma condition de femme, d'épouse et de mère, ma condition de maîtresse de maison. Après tout cela, je me sentis libre, allégée d'un poids bien lourd.

J'ai aimé cela, tu es la seule personne à qui je l'ai dit. Gaspard ne sait rien et je ne lui souhaite pas de savoir ce que j'ai fait. Ma fille avait peut-être raison à propos de cet homme, il est sans doute la solution à nos problèmes quotidiens.


J'espère que tout se passe bien en ton domaine, que ton petit garçon est guéri de ces satanés maux de crâne qui le clouent au lit.

Je t'embrasse bien fort,


Ta chère Jo.

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