Chapitre 11 La petite maîtresse

9 minutes de lecture

Lettre XXXVI Du marquis de Lagandière à Rosalie de Parme


Très chère Lily,


Voilà bien longtemps que je souhaite vous revoir, belle rose aux pétales délicats. Vous serez bien surprise de mon esprit intelligent et de mon impressionnante mémoire puisque je me souviens de notre première rencontre. En une belle après-midi ensoleillée où la brise marine fouettait un peu la chevelure, je m'extirpais de l'ennui du repas familial. Les anecdotes barbantes de Monsieur le duc me poussèrent à sortir me balader sur le petit sentier menant à la mer. En mon cœur, résonnait une sorte de joie enfantine et je sentis par le biais de l'air marin une rencontre pétillante avec une femme. Ma seconde qualité de devin ne me fit point défaut. Le landau arrivant au bas du sentier, j'en observai un autre très élégant avec son cocher moulé dans un costume blanc très léger. M'attendant à profiter seul de ma solitude et de ce banc de sable, je fus contrarié par la présence de ces bourgeois qui osaient s'approprier ce lieu de tranquillité. Je descendis, contrarié, mécontent de cette intrusion, déçu d'avoir quitté le domaine pour ne pas pouvoir me retrouver avec moi-même. Fidèle à mon titre, le dos droit et la tête haute, je me dirigeai vers ce couple et cette petite silhouette que je devinai être une jeune damoiselle. Désireux d'être courtois, je saluai, - ce que je compris plus tard être vos parents - votre mère, une belle dame très soignée de sa personne et votre père, un grand monsieur charmant et avenant. Après les salutations et les échanges polis, je m'égarai sur votre personne, une belle nymphe brune aux yeux incroyablement émeraude, une poupée que même un gentilhomme attentionné n'oserait palper. À ce moment-ci, les battements de mon cœur provoqués par la rage s'amenuisèrent, devinrent plus lents, doux et agréables à attendre. Je faillis vous proposer de mettre une main sur celui-ci afin que vous vérifiiez la tendresse que je portais pour vous.


Je saluai galamment Monsieur votre père qui était à ce moment-là fort méfiant de l'individu qui observait discrètement sa petite fille. Chaque père a une affection particulière pour sa progéniture, une possession bien plus forte que chez la mère, un rempart au vu de tous ces hommes malveillants et pourvu d'un très mauvais esprit. Soucieux de bien faire, je discutai avec Monsieur de Parme qui me décrivit la beauté de cette plage que je considérai comme mienne. Ne voulant point en faire trop sur le nombre de propriétés, nous discutâmes de choses et d'autres et une confiance solide s'installa. Lorsque nous nous quittâmes, je ressentis un grand froid, un vide au plus profond de mon âme de ne plus revoir une femme aussi charmante. Et je dus malgré moi, en me forçant durant les jours et les nuits qui se succédèrent, avouer ces sentiments forts que je ressentais pour vous. Mes parents s'inquiétèrent de mon état, de mes paroles bredouillantes lors des repas familiaux. Je me rendis compte que je ne pouvais me passer de vous, de votre charme attirant. De bien malheureuses idées me sont venues à l'esprit, pardonnez-moi, je vous en supplie, de vous dire mes ressentis les plus profonds. Vous aimant à la folie, capable de vous offrir mille cadeaux et mille bijoux afin que vous puissiez rayonner pour moi, je commençai à élaborer une idée que certaines dames rejettent mais que d'autres adorent. Vous êtes encore une petite fille, chouchoutée et protégée par une bonne mère. Aimez-vous jouer demoiselle ? Je ne parle point de ces jeux de cartes et d'échecs que les adultes entreprennent après avoir épuisé tous les sujets de conversation. Non, ce dont je veux parler ce sont de ces jeux très divertissants où le rire est permis, où la bonne tenue n'est point requise et je connais quelque jeu qui pourrait bien nous plaire. Cela déplaira fort à votre mère, une jeune demoiselle ne peut se rouler par terre, tâcher sa robe d'herbe mouillée et se laisser aller aux rires. À quoi sert l'argent si nous ne pouvons pas profiter des lieux faits pour cela ?

Nous nous amuserons dans le dos des parents. Je vous retirerai doucement de cette autorité étouffante et vous ferai découvrir la vie en dehors de ce cocon d'apparence rassurante. Avez-vous déjà rêvé d'une contrée autre que la nôtre ? Vous connaîtrez alors un pays aux éclats magnifiques, aux soies douces et soyeuses et les palais dorés où il fait bon y vivre. Je vous bâtirai princesse dans un lieu paradisiaque rempli de jeux inconnus que les gens du coin se feront un plaisir de nous expliquer. Les nuits en ce pays sont bien chaudes, l'atmosphère irrespirable et inappropriée mais les couvertures légères, fraîches, presque froides soulageront le mal de dos survenu pendant le voyage. Belle demoiselle, les mensonges ne sont point dans mon registre, tout ce que je vous narre est très vrai, très charmant et vous communiquez avec un ardent fils de voyageur. Je serais donc enchanté de conter le déroulement des études de Monsieur mon père, ses découvertes surprenantes. Je crois bien que cet homme s'est rapidement lassé de la femme qu'est ma mère, il n'a jamais pu reprendre ses excursions, Madame la duchesse détestant les déplacements trop longs. Il m'a heureusement inculqué le respect de ce pays, toutes les traditions colorées, les villages où l'on vit une existence simple. Je serais un époux exemplaire, un homme comme toute mère rêve pour leur fille.


Ma bonne Lily, je ne me prétends point un bon soupirant, je n'ai pas l'arrogance et la droiture de mes adversaires. Ne me répondez pas tout de suite, réfléchissez à ma proposition et surtout promettez-moi de ne pas accepter la demande d'un gentilhomme. N'en parlez surtout pas à votre mère qui ne manquera pas de voir nos échanges. Une fois lues, vous devez obligatoirement incinérer les lettres afin que personne ne puisse les consulter. Cela me fend le cœur, me brûle la poitrine de penser que ces mots d'amour, de tendresse et de sincérité soient vaporisés par les flammes et réduits en cendres. J'ai une honteuse chose à vous annoncer. Il y a...il y a que je suis jaloux de ces hommes, de ces hommes choisis par le père pour leurs bonnes qualités et leur bienveillance. J'ai le sentiment d'être aimé de Monsieur de Parme puis délaissé lorsqu'il me tourne le dos. Ne protestez pas, je sais que cela est vrai et je ne m'en plains pas.


Si vous tenez à moi, si votre cœur veut bien me donner un peu d'amour, je serais ravi de vous épauler pour cette épreuve, avouer que vous êtes éprise d'un jeune homme que Monsieur votre père n'aura pas recommandé sur sa liste de soupirants. Si vous le voulez bien, je parlerai à votre mère de votre décision que vous ne manquerez pas de me dire.


Ma chère Lily, en vous embrassant bien,


Votre cher et tendre Cédric.


Lettre XXXVII De Madame de Parme au marquis de Lagandière


Monsieur le marquis de Lagandière,


Je vous prie de cesser les échanges soupçonneux que vous effectuez avec ma très jeune fille. En tant que mère et femme sensible, j'ai remarqué le changement d'humeur de ma petite Rosalie. Elle autrefois si joyeuse, si désireuse de découvrir le monde, a indigné la maison toute entière par une petite colère. Son père souhaitant la présenter à un gentilhomme charmant de la région, elle n'a pas voulu s'habiller et a renvoyé sa bonne de ses appartements. Très choquée, je frappai si fortement aux portes que mon mari, passant dans le couloir pour savoir où en étaient les préparatifs, s'empressa de décoincer la serrure.

Furieux, il empoigna le bras de ma pauvre Rosalie et cria tellement que les murs de notre demeure en tremblèrent. Notre fille nous expliqua finalement qu'elle ne voulait pas voir son futur mari alors qu'elle me disait toujours, avec cette excitation de future épouse, que cet homme allait bien lui plaire. Mon mari emporta Rosalie de force au rez-de-chaussée, je lui emboîtai le pas mais un tas de lettres dépassant d'un tiroir de son secrétaire attira mon regard. Intriguée, je les feuilletai et une colère similaire à Monsieur de Parme surgit de ma poitrine. « Votre tendre et cher Cédric » mais qui était donc ce prétendant secret que ma fille tentait de nous cacher depuis moult semaines ? Puis en fouillant dans les souvenirs antérieurs, je me souvins de vous, le jeune marquis arrogant qui vint sous nos yeux courtiser notre fille. Vous, le gamin du père Lagandière, à la réputation plus que douteuse, le « fils à papa » aux activités très frauduleuses, osez séduire une jeune femme sage et encore innocente.

Pensez-vous qu'un adolescent de votre envergure, déjà soumis aux acerbes critiques des plus hautes personnalités puisse épouser une demoiselle mûre et saine d'esprit ? Vous n'êtes qu'un gamin dépendant de bien des ressources. Nous voulons un père de famille responsable et sérieux, vous ne rentrez point dans nos exigences. Nous voyons et entendons à quel point votre famille n'a pas la réputation qu'elle prétend posséder. Qui sont en réalité ceux qui vous ont donné la vie ? Est-elle aussi sage que ce que me rapportent mes amies ? Votre père, un travail et des relations irréprochables comme se plaisent à le dire les domestiques de maison ?


Je vous conseille donc de revoir votre copie et les habitants du domaine y sont aussi invités. Vous trouverez sans doute une femme plus volage, peut-être pareille à votre mère qui ne me paraît pas une sainte. Si le jeu de séduction venait à continuer avec ma fille, sachez que je ferais scandale auprès de la maréchaussée, bien entendu soutenue par mon époux et mes proches. En espérant que vous tiendrez parole, ceci n'est point une menace mais un sérieux avertissement.


Madame de Parme.


Lettre XXXVIII De Rosalie de Parme au marquis de Lagandière


Mon petit ange bleu,

Voilà bien des heures que je frissonne dans cet antre glacial et humide afin de vous écrire mes sentiments ! Maman a beaucoup crié lorsqu'elle a vu nos échanges mais je ne me suis pas laissée faire. Je me suis défendue bec et ongles, j'ai défendu nos sentiments, notre amour naissant, couvrez-moi donc de baisers pour mon courage ! Je n'ai pas pu résister à la colère de Papa lui aussi très remonté, je ne mérite sans doute point votre attention et j'en suis fort désolée. Maman m'a conté des histoires désagréables sur vous, je n'en crois pas un mot et j'attends de vos paroles qu'elles soient suffisamment rassurantes compte tenu des accusations qui pèsent sur votre joli être. Selon elle, vous n'êtes qu'un escroc, un dirigeant cruel aux entreprises peu scrupuleuses, un chasseur de femmes faibles, ce sont bien ces mots Monsieur, je ne vous mentirai pour rien au monde. Vous pouvez me donner votre entière confiance pour vous rapporter les paroles méchantes de Maman, et pas que d'elles d'ailleurs. Des amis sont venus le soir même après mon entrevue avec l'un de mes prétendants et ceux-ci ont murmuré des choses que je n'aurais sans doute du point ouïr.

Ma mère m'a demandé de me retirer dans ma chambre, c'était bien sûr un prétexte pour m'éloigner d'eux et de leurs bobards. Je n'avais pas encore escaladé les marches jusqu'à mes appartements que j'entendis des froissements de robes se diriger dans le salon favori de ma mère. Plus de surveillance parentale, je jouissais d'une liberté méritée. Pieds nus et en robe de chambre, (imaginez moi donc dans cette tenue vulgaire et bien trop dénudée au goût de mes parents ! Mais peu m'importait) je me faufilai hors de portée de ma bonne chargée de veiller à mes besoins et partie faire quelques courses pour Madame ma mère. J'avais encore bien du temps.

Dissimulée derrière un lourd rideau du salon, j'entendis ces mots-ci : « Il ne faut pas la laisser aux mains de ce malfrat, il ferait un bien piètre mari et selon les rumeurs, il aurait été élevé par des femelles de basse société ». Ce fut Monsieur mon père qui prononça ces phrases-ci et c'est à ce moment-là que je mis une main sur ma bouche afin de ne point crier à l'injustice. Notre ami renchérit, un homme balourd et très peu cultivé, et dont je me demandais comment mon père, un homme pourtant respectable et soigné pouvait-il correspondre avec ce bourgeois quémandeur. Voici ces mots : « Monsieur de Parme, je comprends l'inquiétude envers cette famille de dévergondés. Ayant déjà correspondu avec Monsieur le duc, je ne peux que vous déconseiller de les fréquenter quelque soit l'événement et le lieu ». Je ne compris donc pas ce que ce Monsieur voulait exprimer. Est-il vrai que vos parents ne sont pas ceux que tout le monde croit ? Je ne peux penser cela, vous êtes un honnête homme, droit, inquiet et attentionné auprès des dames. Maman me dit que je ne vous ai pas vu assez, dans l'ombre lorsque vous n'êtes pas à mes côtés. Mais je connais votre regard et votre sincérité, je l'ai senti à notre première rencontre, je suis une chic devineresse pour ces affaires-là. Dites-moi donc, que puis-je faire pour bien vous aimer et fuir l'autorité injuste de Monsieur mon père ? Toute consigne que vous m'ordonnerez je la respecterai, je la suivrai et je l'exécuterai avec toujours un amour reconnaissable pour vous. Ne vous faites point de soucis mon amour, tout sera bien réglé et cette histoire se terminera dans vos bras.

Avec toute l'affection et l'amour que je vous transmets,


Votre futur amour, Lily de Parme.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ollios ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0