Chapitre 8 Les tigresses du Marquis

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Lettre XXVI De la comtesse de Parois au marquis de Lagandière


Doux prince d'Orient,

Durant les jours et les semaines qui nous séparèrent, (non sans douleur pour ma part) je pensais fort à vous et à vos belles qualités d'orateur. Vous avez l'art de parler aux femmes, d'attendrir leur cœur et de vous livrer à de touchantes promesses. Je suis moi-même fortement contrariée de ne plus trop en recevoir, et vous êtes sans aucun doute contraint par les nombreuses mignonnes qui vous assaillent, notamment une dont j'aimerai vous dire un mot. Il y a quelques semaines de cela, j'ai eu un différend avec celle qui vous épaule depuis le début de la création du palais romain. Vous serez heureux d'apprendre qu'une bataille d'expressions a été engagée afin que vous nous départagiez, vous jugerez par vous-même si vous souhaitez recevoir nos copies. Mon retour au domaine fut mouvementé et les cahots du coche me firent penser à moult choses concernant le palais romain. Le beau monde en narre beaucoup de bien et s'y sent à son aise. Nous y circulons comme dans un marché ouvert et cela me rappelle bien ceux d'Orient. Votre premier écrit a été très inspirateur et je me suis informée de ce que pouvait renfermer cet univers. Lors d'un énième rendez-vous dans un salon côté de Lagandière, j'ai demandé à l'une de mes chères amies de me prêter un manuscrit dans sa bibliothèque cachée.

Quelle fut ma surprise en lisant ces descriptions de vêtements soyeux et confortables, des petits bâtiments scintillants de soleil et de l'agréable séjour qu'effectue les étrangers ! Cela me conforte dans l'idée que vous êtes un grand explorateur de terres inconnues et que vous nous cachez sournoisement vos connaissances culturelles, religieuses et sociales de l'univers oriental. À part cela, j'ai pensé à bien d'autres ennuis qui ne cessent de me turlupiner, de me piquer tel un essaim de bestioles. Ils sont douloureux et je compte bien vous les confier. Il y a que j'admire une seconde personne. Ne vous inquiétez point, elle n'est pas aussi brillante et raffinée que vous puisque nul ne peut surpasser un prince. Il s'agit de mon frère aîné, un gentilhomme cultivé muni d'un esprit séduisant. C'est un féru de littérature, d'équitation et d'échecs depuis son plus jeune âge. Père l'a initié aux arts prestigieux mais il ne s'en vante pas. Sa beauté provient de ma défunte génitrice : de courts cheveux bruns parfumés et coiffés avec goût, bouclés et soyeux au toucher. Un regard marron intense, doux et protecteur, une gentillesse infinie, une délicatesse qui fait fondre toutes mes amies. Je les entends me souffler qu'il est fort charmant, aimable, grand et charismatique. J'en rougis, le cœur vert de jalousie. Lors de mes 17 ans, je ressentis un sentiment honteux que toute famille condamne : l'amour qu'a une sœur pour son frère. En effet, nous sommes très proches et tout le monde vous rapportera que nous sommes liés, doués des mêmes sentiments et des mêmes opinions. Cette émotion que je nourrissais finit par éclater au grand jour. Je sentis mon corps ressentir moult frissons et tremblements lorsque mon frère m'adresse la parole ou vient me faire un présent.

Seule dans la chambre tiède, les couvertures jusqu'au menton, je ne me retiens pas. Ses mains longues frôlant ma taille, sa douceur achevant mon âme, mon imagination s'emballe, s'emporte. Le lendemain, j'arrive à avoir honte d'aimer cet être qui ne sera jamais mien et cela me fait penser à vous. La même voix, la même assurance mais la seule qualité que vous ne possédez pas, la fidélité. Mieux vaut retrouver un défaut chez l'un plutôt que chez l'autre, nous les femmes pouvons nous contenter de deux mâles aux vertus différentes.

Voici les arguments que je tenais à vous dicter, et voilà la raison pourquoi je suis si désireuse de vous séduire. Vous ne comprenez point. Cette ressemblance m'a profondément troublé depuis que j'ai vu pour la première fois le jumeau de mon frère. Je vous ai même confondu et il m'a bien fallu me retenir de me jeter dans vos bras.

Merci d'être de ce monde, vous me rapprochez de mon frère sans pour autant commettre d'erreur.


La princesse d'Orient.


Lettre XXVII De la duchesse de Galanta à la comtesse de Parois


Ma chère amie,

Je ne suis point étonnée de votre réponse agressive et acide. Elle me plut sous tous les angles et elle se révéla être passionnante. Vous êtes encore jeune et sensible et je remarque que vous dévoilez un peu trop vos émotions. Une lettre se doit d'être dissimulatrice, lourde de sens sans pour autant que votre destinataire devine ce que vous entendez par là. Je suis bien trop fine pour comprendre que votre haine vous conduit à écrire des lettres remplies de dédain et j'ai pitié de votre personne. Une femme peut en comprendre une autre et je me dois de vous rapporter ce que je ressens.

Malheureusement ma chère amie, comme toute femelle soumise au mâle dominant, vous êtes tombée amoureuse. De son charme, de son charisme, mais aussi de sa jeunesse. Car dans un certain sens, il vous ressemble Madame. Vous êtes jeune, il l'est aussi mais un immense gouffre vous sépare : le sang froid et la dissimulation des émotions. Personne ne vous en veut mais si vous voulez réellement jouer avec les gens comme certains/certaines le font si bien, alors il vous faut quelques expériences de plus. Vous avez écrit au maître des lieux afin de lui avouer vos sentiments. Il sait parfaitement s'y faire puisqu'il nourrit vos fantasmes et votre espoir de pouvoir être vôtre. Vous ne comprenez donc point ce que vous faites. Le marquis de Lagandière est ce qu'il est et pour séduire un éphèbe de cette taille, il vous faut bien plus que ce que vous avez bien voulu présenter. Lorsque je suis devenue son amante, j'ai su que jamais je ne devais ressentir quelque sentiment pour lui et rares sont les femmes telles que moi démunies de cœur.

Ce personnage nous séduit, attendrit les âmes mais n'y demeure aucune goutte d'amour pour nous. Je suis son pilier, sa confidente, son amie, son amante depuis bien des années, nous nous sommes fréquentés quand la saison des parfums rend les mœurs plus doux et plus malléables, le vin frais et enivrant et les couvertures confortables, véritable cocon des couples. Jeune femme mariée à un homme trop aimable, j'ai vite compris que le prince que vous voyez ici était bien différent de lui, que l'amusement était la seule raison de sa piètre existence. Parallèlement à vous, je ne sortais point du couvent mais d'une famille à la psychologie étrange : au père très libertin, facilement ivre et bon collectionneur de femelles, à la mère extraordinairement intelligente, aux faces multiples, très portée sur les mâles. Tout cela semble justifier pourquoi j'aime tant le prince dans la couche plutôt que sur un banc les yeux dans les yeux.

L'avoir comme amant est un cadeau du Ciel. Lors d'un dîner plaisant et un peu trop décontracté, nous avons subitement, sans même nous jeter un regard pour comprendre les ressentis de l'autre, fait l'amour sur une banquette dans un de mes discrets salons. Un adolescent fougueux, brutal lorsqu'il vient posséder une femme et son cœur, un étalon sublime au flanc puissant. Un infatigable animal de course. Ne pensez point que vous serez sa favorite avec laquelle il aura le plus d'affinités. Vous serez considérée comme un objet que l'on prend quand on en a envie et que l'on jette et que l'on reprend comme bon nous semble.

Je vous défie alors Madame, d'être à la hauteur du prince et j'espère pour vous que vous deviendrez une bonne amante, une de plus dans son tableau de chasse.


La duchesse de Galanta.


Lettre XXVIII De la comtesse de Parois au marquis de Lagandière

Inestimable prince d'Orient,

Je tenais à vous informer de la perfection du dernier événement organisé et cela résume beaucoup le monde dans lequel nous vivons. Les riches aiment se montrer, d'autres préfèrent se cacher afin de ne point montrer les défauts qui les caractérisent. J'aime me cacher derrière un masque mais je ne me considère pas comme défaillante puisque j'aime savoir quels personnages fréquentables ne sont pas ce que nous croyons. Je reconnus néanmoins votre associée - dont j'ai malencontreusement oublié le nom ainsi que le titre - et pour les gens détestables, un masque ne suffit pas pour voir leurs méchantes manières. Vous n'êtes pas sans savoir que nous nous engageons dans un conflit d'animaux féroces et sans pitié. Elle m'a longuement expliqué, sur un ton professoral et peu appréciable que l'amour pour une femme ne résonnait pas en votre cœur mais je ne le crois pas. La sincérité et la foi demeurent en vous et malgré le fait que vous soyez encore adolescent, vous êtes la vérité elle-même.

Madame de Galanta semble tenir à vous comme à la prunelle de ses yeux. Une mère de substitution, une maîtresse apparemment passionnée, je crains que vous ayez, à votre plus grand désarroi, une énième femme sur le dos. Plus tard dans la soirée de ce jour que je croyais épouvantable, je rencontrais un homme charmant, le visage couvert d'un masque de lion, ce qui lui donnait un air sauvage. N'osant point l'aborder, je me servis alors une coupe de champagne et frôlai son épaule : la fine stratégie fonctionna et je pus voir son doux regard marron. Comme celui de mon frère. L'homme a une voix grave, suave, rassurante et chaude, me berçant dans une espèce de plénitude bienveillante. Puis ce fut l'heure de la danse.

Il se proposa comme partenaire, me prit la main et m'emporta pour une danse endiablée. Les regards insistants pesèrent sur nous, ce que je ne compris point au début mais que le beau jeune homme s'empressa de m'expliquer : j'appris qu'on me nommait la « nymphette du prince », une fillette naïve et très éprise de vous, ce que je ne nie pas. Une colère me prit, l'envie d'étrangler ces commères ignorantes. Mais celui qui me prenait dans ses bras me commanda de bien me conduire, de ne pas laisser transparaître mes émotions. Touchée par sa sagesse, je me laissai aller dans un doux bercement jusqu'à ce que nous décidions de franchir le seuil d'une couche confortable. Il préféra rester masqué, je le compris et imaginai une bien mauvaise figure après cet échange bien aimable. Et nous fîmes comme des centaines de couples font lors de ces fêtes agitées : il me questionne sur ma virginité. Je gaussai et lui répondis avec un petit rictus. Nous rîmes de bon cœur, je marquai qu'il s'exclamait comme mon cher frère.

Il faut parfois se contenter du seul homme qui se présente à vous et comme il est impossible de vous posséder, je me contenterai donc de celui-ci qui me convient tout à fait.

Bien à vous,


La bienveillante princesse d'Orient.

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