Chapitre 5 De la pureté au pêché

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Lettre XVII Du duc de Lagandière à la duchesse de Galanta


Ma très chère amie,

Ceci n'est pas une lettre concernant le palais romain mais plutôt d'intimes confidences. Souvenez-vous de la dernière liturgie que nous avons effectuée. Il y a, une aventure que je ne vous ai point narrée par peur de vous agacer. Mais je ne peux garder cela pour ma soubrette car je vous trouve une oreille attentive.

J'ai évoqué dans une ancienne lettre une belle femme aux allures de princesse. Lors de notre cérémonie, alors que vous étiez occupée ça et là et que votre regard ne rencontrait point le mien – à cause, vous devez l'avouer, de vos contrariétés envers les femmes qui rôdent – je causai avec la belle comtesse de Parois. Je découvris le corps parfait de cette nymphette : les courbes encore timides mais rondes, les jambes fines et blanches, la poitrine généreuse et à peine cachée, chose que je ne retrouve pas chez les bourgeoises qu'elles murent dans leur corsage. Une chaude conversation vint s'installer et raviver mon envie. Les mignonnes sont somptueuses sont de merveilleuses maîtresses. Cependant, elles ne valent point la hautaine comtesse. Échappant à votre surveillance aiguisée, nous nous faufilâmes dans un couloir presque déserté des couples. La mignonne me fixa d'un air que je connaissais bien, d'un brasier si fascinant et si mortel que mon appétit de bête surgit. Soudain, un doux baiser de ses lèvres encore scintillantes de champagne. Jamais rassasié, je quémandais, adolescent avide de bouches féminines. (votre amie me soufflerait mon imprudence et l'absence de respect que « je n'ai point » pour les demoiselles. Or, je les respecte Madame et je les idolâtre)

La folie et le vin me conduisirent à m'occuper de cette perle. Je la considérai, frôlai chaque centimètre de sa peau brûlante. Elle céda. Ceci est la recette des mâles pour séduire une dame. Elles sont sensibles aux petites avances, celles qui leur font sentir qu'elles sont précieuses aux yeux des prétendants. Mon objectif Madame, n'est point de vous rendre envieuse de cette femme dont les charmes sont néanmoins à la hauteur de mes attentes. Parlez-lui. Séduisez-la et poussez-la à avouer l'inavouable. Chaque femme possède ses petites cachotteries, ses hontes plus ou moins grotesques. Vous êtes une habituée des confidences, des paroles ridicules et dramatiques. La besogne achevée, le mari parti pour plusieurs autres campagnes, vous me rejoindrez au domaine pour affaires plus rapprochées entre le prince du palais romain et son assistante.

Concernant votre amie, qui je vous l'avoue, est une fidèle servante de Dieu, elle ne semble pas comprendre que ce lieu est réservé aux personnes ouvertes d'esprit et d'âme. Suppliez-la de ne pas dénoncer notre entreprise aux autorités. Il faudra déployer moult argumentations et je vous en laisserai la responsabilité si cela advint.

En vous souhaitant de bien vous rétablir avant le prochain événement,


Cédric de Lagandière.


Lettre XVIII De la comtesse de Parois à la duchesse de Galanta


Madame la duchesse de Galanta,

Nous ne sommes pas amies malgré le fait que nous nous croisons souvent lors de ces petites fêtes. Attifée, bien pimplochée, les femmes vous reconnaissent pour vos allures psychédéliques et vos paroles endormantes.

Le monde l'a remarqué, les hommes vous fusillent du regard, les femmes serrent les dents et murmurent des infamies. Ne vous faites pas d'illusions, la teneur de votre rôle attire copieusement les mauvaises gens et je plains vos tiroirs dont les lettres regorgent d'expressions peu flatteuses à votre égard. Vous faites la belle damoiselle sans défauts, la dame mûre et savante mais je doute que votre époux soit de cet avis. Le duc de Galanta est un honnête gentilhomme remplissant de hautes fonctions, respecté de tous et notamment de ses compagnons. Il n'est pas simple, - et je parle bien entendu en connaissances de cause,- de s'éloigner de l'épouse dévouée et l'impossibilité de ne pas concevoir ce que son absence impacterait sur la nouvelle existence de la femme. Comme toute jeune fille fraîchement mariée, vous étiez tenue de vous occuper du foyer, votre mère venant chaque semaine afin de vérifier que le mari rentrerait dans un domaine soigné. Après un certain temps, la créature s'épuise, observe les femmes d'âge mûr et comprend qu'elle peut facilement tromper l'homme qu'elle méprise. Vous n'avez pas l'air de sortir du couvent, cadre sévère et strict mais plutôt d'un lieu aimant et bienveillant.

Ne connaissant point vos géniteurs, je devine une très légère naïveté du père, une fragilité touchante de la mère, donnant naissance à une maline jeune femme. Après avoir endormi les proches, nous nous en tenons au mari que nous manipulons à son tour. J'ai parfaitement deviné le double jeu que vous jouez depuis fort longtemps et sachez que je suis une rivale de taille. On m'a déjà soufflé quelques commentaires de votre part mais comment puis-je vous en vouloir alors que nous nous affrontons dans un combat d'amour. Un combat d'amour que je prends très au sérieux contrairement à votre personne qui préfère se faufiler entre les jambes des hommes. Tenez-vous réellement au prince du palais romain ? Pensez-vous être une mignonne convenable ? Dans notre civilisation si bien élevée, les rumeurs vont bon train, on pense que l'on manipule les femmes afin qu'elles se séparent de leur virginité et de leurs croyances. J'aurais l'imprudence de prétendre que votre entreprise ne serait qu'un complot destiné à nuire à nos bonnes institutions. Sachez que le prince de ce palais admirable mérite plus d'attentions et de sincérité qu'une grotesque bécasse à la langue trop bien pendue.

En vous conseillant de vous entourer de personnages de confiance, je m'engage personnellement dans une bataille contre quiconque voudra rivaliser avec la favorite du prince du palais romain.


La comtesse de Parois.


Lettre XIX Réponse de la duchesse de Galanta à la comtesse de Parois


(Soi-disant) favorite du prince du palais romain,

Votre si belle expression ne peut que me toucher et m'interroger sur le réel danger que représentent les mignonnes du palais. En effet, vous n'êtes pas la seule dame à sagement m'avertir des conséquences que pourraient causer les rumeurs. Mais ce ne sont que des paroles jalousement complotées par des gens bien bas et envieux de notre condition. Personne ne pensera qu'un palais encore plus majestueux que celui du roi put être érigé. Nous avons plus d'un tour dans notre sac et ne croyez point que lâcher de fâcheux commentaires pourraient renverser notre entreprise. Étant une intime de marquis, je ne suis pas étonnée que vous dégainiez votre plume pour tenter de m'intimider et contrairement à vos espérances, je n'ai nullement réagi comme vous le penseriez.

Votre écrit m'a fasciné, éprouvé, ému et les mots si durs que vous avez prononcé ont hanté mes nuitées de rêves affreux et de fantasmes très étranges. Le lendemain, il a fallu que je relise votre lettre pleine de violence et de haine. J'ai senti en vous une atroce maladie qui ronge le ventre, la tête et les yeux. Cette maladie s'appelle la jalousie. Point besoin d'être médecin pour comprendre les ressentis d'une femme. Nous toutes compatissons à ce que vous pouvez ressentir du haut de votre jeune âge car oui Madame, être comtesse ne cache pas l'absence d'esprit et de maîtrise de sentiments. Je n'ai pas à faire le précepteur concernant votre écriture, elle me touche au plus profond de mon être. Je ressens cette force libérée dans la plume, dans l'encrier, le papier torturé par l'expression de votre colère. Je vous apprendrais bien à dompter les mauvaises émotions, vous seriez une parfaite élève quoique un peu rebelle, mais je laisse le temps et la maturité effectuer cette tâche bien ingrate.

Ceci n'est pas une stratégie pour vous pousser à l'erreur, à commettre l'imparable, à vous éliminer de la liste des mignonnes, non. Non, ce que je souhaiterai, c'est que nous demeurions bonnes rivales, sans différends particuliers. Soyons simplement adversaires comme dans un bon jeu de cartes, laissons l'autre vaquer à ses responsabilités de mignonne. À mes yeux, vous ressemblez à une combattante aisée malgré l'ignorance de certains points primordiaux, énergique et pétillante. Je vous ai vu prendre plaisir à saisir la poitrine d'une femme, à la malaxer comme une boulangère pétrirait sa pâte, dévorer sa bouche d'une avidité surprenante qui choquerait les bonnes gens. Je vous ai aperçu dans les couloirs, un masque de bouc rabattu sur vos cheveux, une domination mâle sur les traits de votre visage. Soyez-en sûre Madame la comtesse, je vous admire, je scrute avec curiosité cette délivrance qui s'empare de vous. Je respecte mes adversaires et j'accepte les qualités qui feront peut-être chavirer le maître des lieux. Je ne refuserai néanmoins pas que vous expérimentiez vos gestes sur moi : après tout, quelques bienheureuses ont eu le privilège de goûter à votre expérience gestuelle.

Avant la prochaine réunion, je vous proposerai bien un souper afin de connaître un peu plus vos objectifs envers le prince. Peut-être pourrions-nous aussi goûter aux plaisirs plus subtils. Rivales ne veut point dire ennemies jurées. Réfléchissez donc à ma proposition avec calme et sagesse.


Madame la duchesse de Galanta.


Lettre XX De la duchesse de Galanta au marquis de Lagandière

Cher compagnon de bataille,

Je vous prie de m'excuser, les semaines qui se sont écoulées ont été fortement émouvantes. J'ai du faire preuve de malice afin de contenir la colère d'une mignonne que vous connaissez vous-même fort bien. Le désagrément est loin d'être achevé mais ne vous inquiétez pas, votre soutien ne me sera pas utile. Je crains des remontrances puisque je n'ai pas eu le temps de vous prévenir que quelque affaire me préoccupait. Il est évident que nous laissons de côté les autres affaires qui auraient du nous occuper pendant les jours qui nous séparaient de la revenue de mon mari au domaine. Malheureusement, la chance ne semble point de mon côté. Hier soir, très tard dans la nuit, j'ai reçu un billet annonçant la nouvelle suivante : Monsieur revenait de campagne, épuisé et tenant à revoir un foyer soigné. Mes domestiques récurent, brossent, astiquent les vieilleries que je songe bien tôt à vendre aux apothicaires. Le soir même, nous avons soupé puis ayant envie de se détendre et de montrer son amour inconditionnel pour ma belle personne, Monsieur a voulu faire l'amour. Que je vous rassure mon cher, ses manières ne sont pas aussi distinguées et chargées d'expérience et avec un peu plus de courage, j'aurais volontiers écrit cette lettre le séant relevé et le papier sur le coussin. Ce fut une heure de torture insupportable, de caresses maladroites et d'explorations de l'âme étonnantes. Je prétextai une fatigue due aux nombreuses cérémonies des semaines précédentes et gaussai dans mes draps. Vous vous occuperez bien de mes bijoux lorsque nous nous reverrons.

J'organiserai un dîner en compagnie de Madame Souche-Parré, viendrez-vous ? Ce gentil événement se déroulera dans deux semaines, vous ferez bien la connaissance de mon époux dont vous possédez la femme. Étant très (trop) gentil et bien naïf, Monsieur le duc de Galanta ne se doutera de rien, je dirais donc que vous êtes un bon ami, l'ami dont je vante les qualités à chaque écrit envoyé à mon époux. Je vous supplie de venir afin de vous rapprocher de mon amie. Vos habiletés supplanteront sûrement les miennes.


Bien à vous, votre compagne de bataille.

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